Après l’Irak et l’Afghanistan, les drones...
Après l’Irak et l’Afghanistan, les drones envahissent le ciel américain
Utilisés par l’armée américaine en temps de guerre, les drones surveillent désormais aussi les citoyens, ce qui inquiète les défenseurs de la vie privée.
Demain, le futur ? Le ciel des Etats-Unis pourrait bientôt être envahi de dizaines de milliers de drones. 30 000 d’ici 2020. Leur mission : surveiller les citoyens américains.
On connaît les drones pour leur utilisation par l’armée américaine en territoire étranger. Des bombardements à la télécommande qui ont fait beaucoup de morts dits « collatéraux ».
Mais ils sont aussi utilisés dans le ciel américain. La police des frontières les utilisent depuis 2005 pour repérer les immigrants clandestins et le trafic de drogue entre les Etats-Unis et ses deux voisins, le Mexique et le Canada. A quelques reprises, et sous des conditions restreintes, le FBI (le Bureau fédéral d’investigation) et la DEA ( l’Agence de lutte contre les trafics de drogue) ont été autorisés à emprunter les robots volants de leurs collègues. En juin 2011, les forces de l’ordre du comté de Nelson (Dakota du Nord), procédaient à lapremière arrestation de citoyens américains assistée d’un drone.
Espions-robots
Ce n’est que le début... la « dronaïsation » du territoire s’accélère. En février de cette année, le congrès a voté une loi pressant l’Administration fédérale de l’aviation (la FAA) d’élargir les conditions de survol du territoire domestique aux drones. En plus de l’armée, le secteur privé et les agences civiles du gouvernement (au niveau fédéral, des Etats et local) seront autorisés à faire flotter les engins dans l’espace aérien américain.
Selon le Christian Science Monitor, il y aurait déjà plus de 110 bases d’activité pour les drones, actuelles ou en construction, dans 39 Etats. La Electronic Fontiere Fondation a établi une carte répertoriant les autorisations données, ou en attente, pour leur utilisation. Le pays entier est quadrillé.
D’un point de vue technologique, les drones sont de redoutables espions. De la taille d’un avion ou aussi petit qu’un colibri, ils peuvent être équipés de caméras infrarouges, de détecteurs de chaleur, de GPS, de détecteur de mouvement, d’un lecteur automatisé de plaque d’immatriculation et on leur prête un prochain système de reconnaissance faciale.
Le scénario de science-fiction ne fait pas sourire les défenseurs de la vie privée, qui s’inquiètent d’un « Etat de surveillance ».
Surveillance non-consensuelle
Dans son article sur l’imminente « attaque des drones » pour le Guardian,Naomie Wolf publie un document non-classifié de l’armée de l’air américaine, clarifiant les limites de la « surveillance dronaire ». On y apprend que les robots-espions ne pourront pas « mener de surveillance non-consensuelle sur des personnes américaines spécifiquement identifiées, sauf si approuvé expressément par la secrétaire à la Défense. »
Une bonne nouvelle... jusqu’à ce qu’on lise entre les lignes. Tout d’abord, cela veut dire que la surveillance contre leur gré des citoyens américains ne dépend que de l’approbation de la secrétaire à la Défense. Comme l’écrit Naomie Wolf :
« Le Pentagone peut désormais envoyer un drone domestique rôder autour de la fenêtre de votre appartement, recueillir des images de vous et de votre famille, si la secrétaire de la Défense l’approuve. »
Cela veut dire aussi que des personnes américaines non « spécifiquement identifiées » – « une détermination si vague qu’elle en perd son sens » – pourraient être surveillées à leur insu. Comme par exemple « un groupe de militants ou de manifestants », interprète l’auteure américaine.
La fin du 4e amendement
La surveillance des citoyens par les drones a déjà commencé. A titre d’entraînement. C’est ce qu’à découvert un journaliste du New York Times lors d’un reportage (en groupe) sur la « drone zone », une base d’entraînement pour les « pilotes » de drones.
« Cela n’a pris que quelques secondes pour comprendre exactement ce que nous regardions. Un véhicule blanc, roulant sur l’autoroute à côté de la base, arrivait dans le viseur au centre de l’écran et était traqué alors qu’il roulait vers le sud le long de la route déserte. Quand le véhicule sorti de l’image, le drone commença à suivre une autre voiture.
“ Attendez, vous vous entraînez à traquer l’ennemi en utilisant des voitures de civils ?”, demanda un journaliste . Un officier de l’armée de l’air répondit que ce n’était qu’une mission d’entraînement et le groupe (de journalistes, Ndlr) a été précipité hors de la pièce. »
Si les informations peuvent être collectées à l’insu des citoyens américains, sous des conditions vagues, que deviennent-elles ensuite ? Là encore, le document de l’armée de l’air réserve quelques surprises.
Il indique qu’en cas d’informations sur un citoyen américain « reçues par inadvertance », l’unité en question peut conserver ces informations jusqu’à 90 jours, pour déterminer si elles peuvent être gardées de façon permanente. « Ce qui en finit pour de bon avec le quatrième amendement », – amendement qui protège les citoyens américains contre les perquisitions et saisies non motivées et non justifiées –, juge Naomie Wolf.
1984
Les américains accueillent les drones avec méfiance. A la question « A quel point seriez vous inquiet si les forces de l’ordre américaine commençait à utiliser des drones avec des caméras haute technologie ? » posée lors d’un sondage réalisé par l’université de Monmouth, 42 % ont répondu qu’ils seraient « très inquiets ».
Ils s’opposent également en masse (67 %) à l’utilisation des drones lors de dépassement de vitesse. Ils sont cependant largement favorable à l’utilisation des robots pour contrôler l’immigration illégale, pour poursuivre des criminels ou encore pour des missions de recherche et de secours (respectivement 64 %, 67 % et 80 %).
Dans un article de la Stanford Law Review, le spécialiste de la vie privée et la robotique, Ryan Calo, s’excuse de l’inévitable référence au livre 1984 de George Orwell et écrit :
« Les citoyens ne bénéficient pas d’une intimité raisonnable en public, même pas sur les portions de leur propriété, visible depuis un lieu public. En 1986, la Cour Suprême n’a pas estimé qu’il s’agissait d’une fouille lorsque la police vola au dessus du jardin d’un suspect avec un avion privé. Quelques années plus tard, la Cour a accepté des preuves obtenues par un officier qui avait regardé depuis un trou dans le toit d’une serre depuis un hélicoptère. Ni la constitution, ni la “ common-law ” ne semblent interdire aux médias ou à la police de faire de la surveillance quotidienne avec des drones. »