Mangeons et buvons… c’est Noël !
La scène qui va être narrée est absolument authentique. Elle a inspiré quelques considérations sur le sens (éventuel) de la vie.
21 décembre 2012, à la Poste. Nous sommes trois dans le bureau : la postière, avec qui je viens de traiter, moi-même donc, puis une charmante dame aux très beaux cheveux gris, qui connaît bien la préposée. Tandis que je trie quelques lettres, elle se met à raconter ce qui enchante sa vie :
« Mon mari s’est fait plaisir. Il est retraité, il s’est commandé un 4x4 Volkswagen, et celui-ci est arrivé ! Le père Noël a été généreux ! Oh, notre voiture marchait tout à fait bien, mais il a eu envie d’en acheter une autre. Pour faire de la route, pour doubler, aller dans la neige, c’est parfait. Nous allons passer Noël en Dordogne. Mais on ne partira que la veille, parce que mon mari veut aller à la chasse. D’ailleurs, comme il ne veut pas salir le 4x4, il va prendre ma Twingo. »
Un peu par provocation, je parle de ma R 25 de vingt et un ans qui, cet été, a vaillamment avalé 4 000 km de routes espagnoles sans le moindre problème :
« Oh ! nous avions une R 25, il y a des années ! C’était une voiture magnifique, jamais le moindre problème. Un matin, mon mari m’a dit : ‘Je t’offre le petit-déjeuner à La Rochelle !’ On est partis, et comme il n’y avait pas de circulation, on a fait le trajet avec cette R 25 en moins de trois heures ! »
Cette dame n’était vraiment pas désagréable. Elle ne cherchait même pas à frimer. Elle racontait son bonheur, son mari capable de la faire rêver avec un plein d’essence pour aller manger des croissants, et aujourd’hui avec son inutile 4x4. Probablement a-t-elle oublié de parler de leur camping-car, must du retraité qui ne sait pas quoi faire de ses sous. Elle aurait pu parler des voyages en avion ou des croisières qu’ils se sont payés. À n’en pas douter, la vie n’est pour elle et son époux qu’une longue vacance et une oasis de consommation.
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Pendant ce temps, il y a des gens qui n’ont pas de quoi se chauffer, des vieux qui mangent des boîtes de Ronron, des ouvriers qui se disent : « J’voudrais travailler encore/ Forger l’acier rouge avec mes mains d’or » (Lavilliers).
Peut-être sont-ce les sidérurgistes de Florange qui ont fourni l’acier à Volkswagen… Il faut consommer, même n’importe quoi, pour soutenir nos industries et, ici, celles des Allemands. Il n’en reste pas moins qu’il y a en France (et ailleurs) des gens dont le problème est le suivant : Comment vais-je dépenser mon argent ?, et d’autres dont le problème symétrique est : Quel argent va-t-il me rester à dépenser ?
Trop d’inégalités (et cette dame n’était pas la femme de Depardieu !). Trop d’écarts entre les gens aisés trop aisés, et les pauvres trop pauvres.
Et surtout, trop de non-sens dans tout ça. Des gens qui rêvent de posséder plus, et des dealers de banlieue dont le rêve est de leur ressembler.
Camus écrit dans La peste : « Il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul. » J’ose espérer que ce chasseur en 4x4 et sa charmante épouse ne gardent pas tout leur fric pour eux tout seuls. Si la fin du monde, comme prévu, n’est pas pour tout de suite, il y a une autre échéance : la fête de Noël où, faut-il le rappeler, on célèbre la naissance de Celui qui est venu nous sauver de notre médiocrité, de notre égoïsme, et du non-sens d’une vie qui n’a que cette vie présente comme perspective ultime. « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (La Bible, És 2.13, 1 Co 15.32). Certes, mais il y a diverses façons de manger et de boire, et diverses façons de mourir, le moment venu.
En un mot comme en cent : Qu’est-ce que nous foutons sur terre ?…