Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Azel Guen : Décryptage de l'Actu Autrement - Page 32

  • Loi Renseignement

    Loi Renseignement : cet entêtant parfum d’Epic Fail

    Publié le 14 avril 2015 dans Édito

    Il va être de plus en plus difficile d’ignorer la tendance maladive de l’État à mettre sous surveillance toute sa population. Ironie du sort : alors que cette tendance avait pris une accélération sensible avec les gouvernements successifs de droite, c’est avec un gouvernement bien de gauche, bien socialiste qu’elle passe le turbo avec la mise en place de la Loi sur le Renseignement. Ça, c’est du changement !

    Et à mesure que les différents aspects de cette loi sont détaillés, dans la presse et au travers des débats parlementaires, on se rend compte qu’on nous amène en souriant à une mise en coupe réglée de la liberté d’expression et des moyens de communication moderne à commencer par Internet. Si, depuis les lois LOPPSI, LOPPSI 2, la création de la HADOPI, la multiplication des caméras de surveillance, on pouvait craindre le pire, personne n’aurait pu croire qu’il arriverait si vite et serait même débordé par l’enthousiasme délirant de nos élus toujours prompts à en rajouter.

    De ce point de vue, tout se déroule comme prévu depuis les attentats de Charlie Hebdo : animés par le désir de montrer qu’ils font des trucs et des machins, même débiles, nos élus enchaînent les absurdités législatives proprement fascisantes, le tout avec la pire des décontractions, celle des cuistres qui votent ou, pire encore, qui laissent voter un microscopique nombre d’entre eux pendant qu’ils enfilent les buffets ou les accortes jeunes femmes pardon les Commissions et les séances de débat à l’Assemblée ahem brm mrfbb bref…

    C’est ainsi que le pays des Droits de l’Homme devient celui où la liberté d’expression sera la plus corsetée, la plus encadrée et la plus espionnée, à l’exception peut-être des derniers pays communistes et des plus totalitaires, ce qui ne constitue ni une référence, ni un soulagement.

    Et tout ceci aura été mis en place pour satisfaire une opinion publique aussi veule qu’évanescente … alors qu’en pratique, cette surveillance ne marche pas, du tout, ni en théorie, ni en pratique.

    Cette surveillance terroriste qui ne marche pas (cliquez pour agrandir)

     

    J’avais déjà évoqué la question dans un précédent billet, et Guillaume Nicoulaud est revenu sur le sujet dans un récent article paru sur Contrepoints : les mathématiques statistiques sont aussi implacables que les terroristes de DAECH ou les baltringues de l’Assemblée nationale et prouvent sans le moindre doute l’impossibilité physique d’attraper les vilains et les méchants avec des moyens raisonnables.

    On peut le dire, c’est, en soi, un magnifique FAIL qui ne semble absolument pas préoccuper nos élus.

    epic cat fail

    Ce serait déjà risible si on pouvait s’en tenir là. Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas tout : nous sommes en France, et on doit encore ajouter un autre FAIL à cette erreur statistique manifeste, qu’aucune loi républicaine ne pourra corriger, aussi vibrante soit-elle de bonnes intentions (et d’intérêts cachés ou de capitalisme de connivence bien compris).

    Car en effet, ces mesures légales qui distribuent du passe-droit comme un pédophile des bonbons à la sortie de l’école ne sont même pas encore votées qu’elles sont déjà contournées. De surcroît, poussées par l’existence même de moyens légaux destinés à les espionner, les personnes les plus sensibles vont accroître leurs moyens de protection, de chiffrement et d’anonymisation, et seront rejointes par tous ceux qui ne veulent tout simplement pas se laisser faire par les espions gouvernementaux. Tout ceci va augmenter encore le coût d’interception, diminuer le coût des protections (VPN, anonymiseurs, …) par effet de massification, et donc le nombre de faux positifs. Pire encore : pendant que les sénateurs et les députés se tortillent pour trouver des arguments en faveur de leur espionnite aiguë et prétendent chercher des gardes-fous aux libertés fondamentales, on apprend que depuis 2007, les services de renseignements se passent déjà complètement de tout cadre légal, montrant ainsi l’étendue du foutage de gueule qui se joue actuellement.

    On peut le dire : c’est un deuxième FAIL pour cette loi.

    epic fail

    Malheureusement, lorsque l’erreur est humaine, il faut au moins un député ou un sénateur pour la transformer en catastrophe épique.

    Dans cette France où la surveillance se met en place au galop, et qui manque très manifestement de têtes bien faites et bien pleines aux postes clefs du gouvernement, de l’exécutif ou du législatif, le principal souci après, bien sûr, la surveillance des pédonazis, des dieudophiles, des islamocompatibles et des petits cons provocateurs, c’est la situation assez dégradée de l’emploi.

    Qu’à cela ne tienne puisque grâce à la loi de Renseignement, on peut faire d’une pierre deux coups : non seulement, elle ne servira statistiquement à rien, non seulement, elle est déjà contournable au grand dam de nos grandes oreilles étatiques, mais en plus, elle va réussir le pari de faire fuir de nombreuses entreprises, des investisseurs et des patrons dont justement la France a plus que besoin actuellement.

    En effet, les hébergeurs internet s’insurgent contre l’accès en temps réel à leurs données via un système de boîtes noires, prévu par le fameux projet de loi. Les arguments déployés par eux sont relativement simples et de bon sens, et donc complètement hermétiques à l’Assemblée nationale : pour eux, ce projet « n’atteindra pas son objectif, mettra potentiellement chaque Français sous surveillance, et détruira ainsi un pan majeur de l’activité économique de notre pays » ce qui poussera, on le comprend aisément, leurs clients à se tourner vers d’autres territoires moins intrusifs.

    Mhmmh, snif, snif, on dirait un effet délétère supplémentaire. Ah oui, c’est encore un nouveau FAIL.

    fail brouette

    Devant une telle avalanche d’erreurs fondamentales que cette loi va graver dans le marbre, en face des effets adverses, non envisagés mais pourtant prévisibles, qu’elle va entraîner, on est en droit de se demander ce que font nos élus. Sont-ils réellement à leur place ?

    En effet, soit ils ne comprennent pas ce qu’ils votent et il faut alors absolument qu’ils arrêtent de le faire, pour le bien-être collectif, la République, la liberté d’expression ou que sais-je encore. Soit ils comprennent parfaitement, et le sabotage qu’on observe est alors fait sciemment. Ce sont donc des traitres aux principes qu’ils ont normalement juré de défendre, la main sur le cœur ; il y a des lois et des sanctions prévues dans ce cas-là. Soit ils se contentent de laisser voter seulement « ceux qui comprennent » (ce qui explique leur faible nombre lors des votes cruciaux), et on assiste à une parodie de démocratie.

    Dans tous ces cas, absolument aucune excuse ne peut être retenue pour eux. Rien ne justifie les propositions de cette loi, et les évidentes dérives qui en découlent. Sucrer des pans entiers de nos libertés pour un gain sécuritaire nul est parfaitement stupide.

    On traite souvent (et je ne suis pas le dernier) nos élus de bouffons ou d’escrocs. Il y a cependant une subtile différence entre eux. En effet, le soir venu, après une dure journée de travail, l’escroc rentre chez lui. Le bouffon enlève ses frusques. L’escroc, au moins le temps d’un sommeil, n’escroque plus. Le bouffon, rentré chez lui, arrête de faire rire.

    Au contraire de ces escrocs et de ces bouffons, nos élus, eux, ne savent plus s’arrêter.

    epic fail

     

  • Roi des Rois de l’Empire du Mali

    Soundiata, Roi des Rois de l’Empire du Mali, premier des libéraux

    Publié le 13 avril 2015 dans Histoire du libéralisme

    Le premier libéral connu, historiquement, ne serait-il pas Soundiata, Roi des rois, qui vécut en Afrique durant le 13ème siècle ?

    Par Nafy-Nathalie D.

    L’histoire de l’Afrique est méconnue mais elle est d’une richesse infinie. C’est ainsi qu’en Afrique sub-saharienne se sont développés des empires et des royaumes médiévaux incroyables.

    Et alors qu’en Angleterre en 1215 se dessinait la Grande Charte, des textes fondaient le Royaume du Mali. En effet, à cette époque, le Manding (dans la Guinée) était dirigée par le roi Naré Maghann Konaté à qui un chasseur avait prédit que s’il épousait une femme laide, il aurait un fils qui deviendrait le plus grand des rois. Il mit donc de côté la prédiction et continua sa vie jusqu’au moment où lui fut amené Sogolon Kondé du pays de Do, avec laquelle il eut plusieurs enfants dont un fils Soundiata. À la mort de son père, Soundiata fut obligé de s’exiler au Royaume de Mena dans lequel il grandit et se forma aux armes pendant que le puissant roi-sorcier du Sosso envahissait le Manding.

    Lorsque Soundiata fut enfin assez grand et entraîné, il rassembla des guerriers et partit à la reconquête de son royaume en rassemblant les armées de différents petits royaumes, ce qu’il réussit à faire en remportant, en 1235, la bataille de Kirina. Les royaumes réunis constituèrent l’Empire du Mali dont Soundiata Keïta devient « Mansa », ce qui signifie « Roi des rois » vers la fin de l’année 1236.

    L’UNESCO inscrit en 2009 « la Charte du Mandén proclamée à Kouroukan Fouga » sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, confondant de manière surprenante les deux textes distincts qui ont fondé le nouvel empire du Mali.

    Le premier texte est autoproclamé par Soundiata au moment de son intronisation comme empereur du Mali en 1222. Il est nommé « le serment des chasseurs » ou « injonction au monde » ou encore Charte du Manden ou Manden kalikan. Ce texte est d’autant plus intéressant qu’il est considéré comme l’une des premières déclarations des droits de l’homme de l’humanité, il comporte sept articles de tendance libérale évidente :

    1. « Toute vie est une vie » : égalité entre les hommes.
    2. « Tout tort causé à une vie exige réparation » : droit à réparation et responsabilité de ses actes.
    3. « Que chacun veille sur son prochain » : respect des droits individuels et solidarité.
    4. « Que chacun veille sur le pays de ses pères » : principe écologique de sauvegarde de la terre et des peuples qui la composent, principe du capital.
    5. « La faim n’est pas une bonne chose » : principe de dignité de l’homme par l’autonomie alimentaire.
    6. « L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour » : principe de liberté et de propriété qui commence par la propriété de sa propre vie.
    7. « Chacun dispose désormais de sa personne ; Chacun est libre de ses actes ; Chacun dispose désormais des fruits de son travail » : principes de liberté et de propriété.

    Le second texte est la charte du Kouroukan Fouga. Il date de 1236. Même s’il reprend en partie le serment des chasseurs, il diffère sur deux points :

    1. L’esclavage n’est plus à abolir mais à humaniser : liberté et égalité relative.
    2. Le concept d’égalité qui devient relative puisqu’il hiérarchise la société.

    C’est un texte, à mi-chemin entre un code civil et une constitution, qui résulte du travail des dignitaires et permet d’organiser le nouvel empire du Mali concrètement. Il s’avère qu’en effet, depuis le 11ème siècle, cette partie de l’Afrique s’entredéchirait et Soundiata ainsi que ses dignitaires avaient observé que la plupart des conflits naissaient de problèmes de propriété. Voyant cela, ils décidèrent donc d’organiser la société de manière à fixer des tempérances sociales. Dès lors, ce texte subdivise la société pour mieux en relier les parties dans un système complexe d’alliance perpétuelle avec la règle de la parenté à plaisanterie qui est toujours en cours. Cette fraternité dans un système de droits et de devoirs réciproques crée une égalité relative qui permet l’installation d’un humanisme très élevé et rapproche les peuples au sein d’un empire de 3000 km de long, de la presqu’île du Cap Vert jusqu’à Niamey.

    Pour Soundiata, la dignité et la liberté de l’homme passant par l’autosuffisance alimentaire, il met en avant la prospérité individuelle résultant du travail de l’homme libre. C’est l’article 4 : « Le travail étant facteur de libération et valorisation, il en est fait une obligation pour tous. » L’article 5 quant à lui institue le caractère sacré de la vie et le respect dû à la personne humaine. Un devoir d’éducation des enfants par la société est également créé (à l’article 9). Il n’oublie pas non plus les femmes, imposant leur respect tant dans la sphère privée que dans la politique, avec l’article 16 : « Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements. »

    Et s’il n’abolit pas l’esclavage, il institue un droit des esclaves à être bien traités, à avoir des jours de repos, posséder des biens qui leur sont inaliénables et même à s’enrichir (article 20). Il crée aussi l’immunité diplomatique, avec deux articles spécifiques : le 24, « Ne faites jamais de tort aux étrangers » et le 25, « Le chargé de mission ne risque rien au Mandé ».

    Les bases du droit de propriété qu’il crée sont repris dans différents articles, à commencer par l’article 34 : « Il y a cinq façons d’acquérir la propriété : l’achat, la donation, l’échange, le travail et la succession. Toute autre forme sans témoignage probant est équivoque. » Les articles suivants précisent même le rendement qui peut être attendu par des métayers :

    • Article 35 : « Tout objet trouvé sans propriété connue ne devient propriété commune qu’au bout de quatre ans. »
    • Article 36 : « La quatrième mise bas d’une génisse confiée est la propriété du gardien. »
    • Article 37 : « Un bovin doit être échangé contre quatre moutons ou quatre chèvres. »
    • Article 38 : « Un œuf sur quatre est la propriété du gardien de la poule pondeuse. »

    Il confirme le principe de solidarité et de dignité humaine comme valeur primordiale de la société. Personne ne peut ou ne doit mourir de faim dans le Royaume du Mail si son voisin est dans la prospérité. Ainsi, l’article 39 proclame que : « Assouvir sa faim n’est pas du vol si on n’emporte rien dans son sac ou sa poche. »

    Quant à la démocratie, il la met en place à un moment où l’Europe est dans les Ténèbres. Ainsi, l’article 42 énonce que « dans les grandes assemblées », il faut se contenter des légitimes représentants. En d’autres termes, chacun (y compris les femmes) doit y être représenté, à défaut d’y être présent.

    Sa gouvernance était fondée sur la concertation et il institue le kolagnokorognoya, c’est-à-dire l’obligation de faire connaître et de rendre compte à tous des actes que l’on mène au niveau de la cité et du pays afin de permettre à tous de savoir et de s’exprimer. Il a également laissé au peuple (confrérie des chasseurs et les 34 familles de base du Mandé) le soin de désigner son successeur.

    Il crée enfin une gestion écologique des ressources en proclamant dans son article 40 que « la brousse est notre bien le plus précieux, chacun se doit de la protéger et de la préserver pour le bonheur de tous. »

    À la lecture de ces articles, on ne peut donc écarter que le premier libéral connu, historiquement, serait Soundiata, Roi des rois, qui vécut en Afrique au 13ème siècle : il a mis le bonheur des hommes au cœur de son projet en essayant de fonder une société plus juste, équitable, basée sur le respect de l’Homme et sa dignité, en garantissant la liberté de chacun en donnant à tous les moyens financiers et matériaux de le devenir.

    Il meurt en 1255 après avoir instauré un gouvernement d’inspiration démocratique et libérale quasi-parfaite. Il fut d’une sagesse et d’une tolérance remarquables puisqu’il a permis durant sa vie, en instituant la liberté de culte, la coexistence pacifique de l’animisme ancestral et de l’Islam, dont il était pratiquant. Il est resté dans les souvenirs comme un remarquable guerrier, et également comme un grand administrateur qui a développé le commerce, l’exploitation de l’or et l’agriculture de son pays.

  • Non, nous ne mettrons pas de mouchards dans notre réseau

    Publié le 16/04/2015 à 12h52.

    Dans les réflexions sur la surveillance, notamment la surveillance généralisée, il revient souvent la question d’un de ses effets : l’autocensure. Soumis au regard constant ou même simplement à la crainte de ce regard, on en vient à modifier nos comportements, nos paroles, nos actes, voire nos pensées de peur d’attirer sur nous les foudres du pouvoir scrutateur et inquisiteur.

    Autocensure et autosurveillance

    Making of

    Parmi ce qu'on appelle les FAI (fournisseurs d'accès à Internet), il n'y a pas que SFR, Orange et Free. Il en existe d'autres – petits, associatifs – qui défendent souvent une autre vision de l'Internet. Mais eux aussi devront appliquer la loi sur le renseignement en discussion depuis lundi à l'Assemblée nationale et installé des programmes surveillant leurs abonnés.

    Julien Rabier – président du AFI associatif Ilico et vice-président de la Fédération des fournisseurs d'accès associatifs à Internet, dite FDN – a écrit sur son blog le dilemme moral face auquel il allait se trouver. Un dommage collatéral d'une loi qui pose tant de questions. Nous reproduisons ce post avec l'aimable autorisation de son auteur. Xavier de La Porte

     

    C’est un phénomène bien connu, théorisé et même observé. C’est un phénomène dévastateur auquel les Français ont été peu confrontés ces dernières décennies et pourtant, il va nécessairement émerger du vote à l’Assemblée nationale de la mise en place de « boîtes noires » dans les réseaux des opérateurs et hébergeurs sur Internet.

    Au-delà de cet effet d’autocensure, dont je ne suis pas le mieux placé pour parler, il est un autre phénomène bien moins massif mais tout aussi intéressant qui va se mettre en place : l’autosurveillance.

    Soumis à la loi comme tous les autres, les fournisseurs d’accès associatifs devront l’appliquer et permettre à l’œil inquisiteur des services de renseignement de scruter les agissements de leurs abonnés en temps réel.

    Logés à la même enseigne que les grands opérateurs commerciaux, et pourtant, il est une différence fondamentale dans le fonctionnement de ces structures associatives : les bénéficiaires du service sont leur propre fournisseur d’accès à Internet.

    Mettre fin à la confiance

    Ce que ça signifie, c’est que chaque personne participe dans la mesure des ses moyens à l’élaboration du service dont elle bénéficie. Et chaque personne a un droit de regard sur les questions techniques, financières et éthiques qui sont associées à ce service. En assemblée générale, nous décidons collectivement des tarifs pour l’année à venir, nous décidons de promouvoir la neutralité du Net, nous décidons ou non de nous soumettre à la loi, rien que la loi, juste la loi. Ici, avec le projet de loi relatif au renseignement et ses fameuses boîtes noires, nous allons donc nous voir imposer de nous mettre sous surveillance nous-mêmes.

    Une mosaïque de Space Invader
    Une mosaïque de Space Invader - Ludovic Bertron/Flickr/CC

    Comment un groupe de personnes peut décider collectivement de mettre fin à ce qui fait le liant de ce même groupe : la confiance ? Comment imaginer qu’un groupe de personnes puisse accepter collectivement une telle intrusion dans la vie privée de chacun ?

    Je suis président fondateur d’une telle association depuis 2010 – Ilico (pour Internet libre en Corrèze) –, et j’ai beau retourner la question dans tous les sens, elle me transit : si un service de renseignement me demande d’installer un tel dispositif de surveillance généralisée au sein de notre réseau au motif qu’une ou plusieurs de nos adhérentes sont des terroristes potentielles…

    Nous sommes une force collective

    Je dis bien « notre réseau », car nous participons toutes et tous à le maintenir. Et ils viendront me voir moi, car je suis le représentant légal. Et justement, en tant que représentant élu par mes adhérent-es, comment pourrais-je accepter une telle contrainte ? Comment pourrais-je accepter une telle intrusion ? Comment pourrions-nous collectivement l’accepter ? Nous ne le pourrions pas. J’ai beau retourner la question dans tous les sens, la réponse m’est toujours aussi évidente : non.

    Non, nous ne mettrons pas de mouchards dans notre réseau. Non, nous ne nous mettrons pas sous surveillance. Il ne peut y avoir d’autosurveillance comme il peut y avoir un autocontrôle ou une autocensure. Parce que nous ne sommes pas des individus isolés. Parce que nous sommes des individus en réseau, une force collective, nous ne pouvons nous soumettre à une telle mesure. Parce que nous formons un réseau humain avant de former un réseau de machines. Non.

  • Charb n’est pas une notice Ikea

    Le « testament » de Charb n’est pas une notice Ikea 

    L’Obs publie les bonnes feuilles du « testament » de Charb. Bien joué, le coup du « testament ». Ce texte n’est évidemment pas un « testament ». Charb ne savait pas qu’il allait mourir si vite. Le texte est donc destiné à être publié de son vivant, en pleine bagarre. Mais dans « testament », il y a un côté solennel, irréfutable, dernières volontés sacrées. D’outre-tombe, écoutez la sagesse qui vous parle, de sa voix caverneuse.

    Soit. Ecoutons donc. Que dit Charb ? Quelques fulgurances, assez jubilatoires, comme celle-ci :

    « Le problème, ce n’est ni le Coran, ni la Bible, romans soporifiques incohérents et mal écrits, mais le fidèle qui lit le Coran ou la Bible comme la notice de montage d’une étagère Ikea. Il faut bien tout faire comme c’est marqué sur le papier sinon l’univers se pète la gueule. Il faut bien égorger l’infidèle selon les pointillés, sinon Dieu va me priver de Club Med après ma mort. »

    On aurait aimé le dire.

    « Hystérie médiatique et islamique »

    Dans son « testament », Charb revient aussi, évidemment, sur l’épisode de la publication des caricatures danoises. Avec un étrange « c’est la faute aux médias ». « Ce n’est qu’après la dénonciation et l’instrumentalisation des caricatures danoises par un groupe d’extrémistes musulmans », dit Charb, « que caricaturer le prophète est devenu un sujet capable de déclencher des crises d’hystérie médiatiques et islamiques. D’abord médiatiques, et ensuite islamiques ».

    La théorie est séduisante. Elle est tout à fait plausible. Cela s’est vu à de multiples occasions, que tel ou tel message, telle ou telle publication, passés inaperçus dans un contexte particulier, deviennent dans un autre contexte un objet de scandale incandescent.

    Malheureusement, c’est faux. Aussi loin que permette de remonter un excellent aide-mémoire, récemment republié, « Les 1 000 unes de Charlie Hebdo », qui couvre toute la période Val (1992-2011), pas de Mahomet en couverture avant la couverture fatidique de Cabu « C’est dur d’être aimé par des cons ». Des filles voilées, des Ben Laden, des imams, oui, en veux-tu en voilà, mais pas de Mahomet en couverture. Aucune autocensure là-dedans, sans doute. Le plus vraisemblable est qu’ils n’y avaient pas pensé. Le personnage ne faisait pas encore recette.

    Avec des pincettes

    Ils sont malins, à L’Obs. Ils publient le texte avec des pincettes. Dans sa présentation, Aude Lancelin nous invite à « ne pas transformer cet ultime texte en tables de la loi intouchables, impossibles à discuter. » Ils ont raison.

    D’autant que la théorie de Charb (tout ce raffut, on n’y était pour rien, c’est la faute aux médias) passe aussi sous silence le tam-tam alors orchestré par l’équipe du magazine elle-même, autour de cette publication, certes courageuse, comme on s’en aperçoit aujourd’hui. Les équipes de télé qui se bousculaient autour du bouclage du numéro Mahomet n’étaient pas là par hasard. Elles avaient été invitées.

    Ce qui, évidemment, ne justifie en rien les assassinats (toujours le préciser) mais autant raconter l’histoire complètement. Après tout, le « testament » de Charb n’est pas non plus une notice Ikea.

  • Qui menace la paix mondiale ?

     La réponse varie d’un pays à l’autre

    Pierre Haski | Cofondateur Rue89

    C’est une carte intéressante sur les perceptions des menaces : l’Institut Gallup a interrogé 64 000 personnes dans 65 pays, et leur a demandé de nommer le pays qui menace le plus la paix mondiale.

    Le nom qui revient le plus souvent : les Etats-Unis...

    L’étude est reprise ce dimanche par le compte Twitter Amazing Maps, sans autre précision. Mais elle a été effectuée en 2013, publiée à la toute fin de 2013, avant l’émergence de l’Etat islamique autoproclamé, qui n’est pas un pays proprement dit, mais est devenu une véritable menace sur plusieurs continents grâce à ses « franchises ».

    Cette réserve montre paradoxalement les évolutions géopolitiques du monde. Ainsi, les Etats-Unis considèrent sur cette carte que l’Iran est la principale menace à la paix, alors qu’ils sont en train de négocier avec les représentants de Téhéran un accord décisif sur le nucléaire, que leurs relations se sont dégradées avec la Russie, et qu’ils sont en guerre avec les djihadistes en Irak et en Syrie...

    La mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis et qu’ils arrivent en tête des menaces dès leur frontière sud, et dans toute l’Amérique latine. Ils sont également perçus comme une menace à la paix mondiale chez certains de leurs alliés, comme l’Australie, l’Allemagne, l’Espagne ou les pays scandinaves. Et, de manière plus prévisible, en Chine et en Russie.

    Mais les Français, que l’on dit généralement anti-américains, ont changé, et, si l’on en croit cette étude d’opinion, ne placent pas les Etats-Unis, mais la Syrie comme principale menace à la paix mondiale, sans que l’on puisse savoir s’il s’agit du régime ou de son opposition djihadiste.

    Enfin, les Polonais placent sans surprise la Russie en tête des menaces, et ça n’a pas dû s’arranger depuis, avec le développement de la crise ukrainienne.

    Quelques micro-climats :

    • les Kényans mettent la Somalie en tête des menaces, visant vraisemblablement les Shebabs somaliens, le groupe islamiste qui a commis des attentats sur le sol kényan ;
    • les Coréens du Sud, sans surprise, mettent la Corée du Nord en tête des menaces ;
    • le Vietnam et le Japon nomment la Chine comme menace, ce qui ne surprendra non plus personne.

    L’attitude des trois pays du Maghreb est également intéressante : Tunisie et Maroc nomment Israël, tandis que l’Algérie place les Etats-Unis en tête.

    Permalien de l'image intégrée