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Azel Guen : Décryptage de l'Actu Autrement - Page 35

  • Après les tueries de Paris...

    Après les tueries de Paris, questionner le traitement médiatique des quartiers populaires

    par Isabelle Sylvestrele 11 février 2015

    Nous publions, sous forme de tribune [1], un témoignage de la documentariste Isabelle Sylvestre (Acrimed).

    Il nous en faudra du temps – si nous nous l’accordons – pour dénouer les fils qui tissent la toile de fond des attentats de janvier 2015 à Paris. Mais s’il y en avait un à tirer, ce serait celui de l’hypocrite et déplorable couverture des médias sur les questions de la violence et de la « misère » sociales des banlieues françaises depuis des années. Comme documentariste pour la télévision publique, j’ai eu maintes fois l’occasion de constater à quel point la violence ne se situait pas que d’un seul côté. Mais c’est un constat qui ne passe pas facilement dans nos médias.

    Dans le fatras médiatique qui couvrait de son bruit assourdissant les attentats de Paris, un média télé a posé un geste intéressant (pour les mauvaises raisons bien sûr, mais on s’en fout) en présentant des photos d’Amédy Coulibaly enfant, en l’appelant même « enfant de la république française ». En fait, ce qu’on peut voir dans ces photos, c’est que c’est un enfant ordinaire, parmi les autres dans sa classe. Il sourit, il s’amuse, bref de très jolis portraits. Il a sept ans, et n’a aucune idée de la couleur de sa peau, aucune idée de la violence du monde qui l’attend au tournant, ni de celle qu’il va lui-même répandre.

    Ces photos, où l’innocence se dispute à la banalité, ont le mérite de nous renvoyer, le temps de les apercevoir, à la question centrale de ces évènements tragiques : par quel processus délirant un enfant peut-il devenir un « terroriste » ? Qui crée ces monstres ? Qui les décérèbre ? La télé-bouillie et les jeux vidéos qui ne cesse de véhiculer des représentations coupées du réel (Cyrulnik) ? Les vendeurs de camelote, de vide, les épandeurs de slogans creux, écrasant tout sens, toute possibilité de faire des liens, les vendeurs d’armes et d’idées tordues de tous bords, au final ? Jeu de questions qui ne sont à ce jour que très rarement soulevées dans les JT ou les reportages jetables. Ce n’est pas leur objet.

    Les théories du complot, qui pullulent actuellement, se servent de ces questions pour en faire des arguments à leurs fins. Ainsi des enfants sont victimes des distorsions mentales des puissants, qu’ils se changent en monstres ou qu’ils reçoivent les coups. Ce qui est en partie vrai. Mais il ne faut surtout pas achopper sur ces théories fumeuses, qui nous empêchent de voir qu’il y a, dans les faits, de réelles invitations à la violence dans les quartiers, qui font le lit des événements de janvier, mais qui sont incessamment passées sous silence, pire, qui sont inversées dans le miroir spéculaire des médias institutionnels.

     

    Que dit-on des banlieues dans les médias classiques depuis des années ?

    Parle-t-on des 127 « bavures » mortelles depuis 2000, dont la majorité des victimes ne sont pas « Français d’origine » ? Des bavures qui ne sont que la pointe de l’iceberg des milliers d’actes de violences policières – de l’humiliation à certaines formes de torture – qui sont chaque année dénoncées par Amnesty Internationale, et surtout, qui restent sans suite, impunis, dans un silence de plomb. « Le rapport d’Amnesty International intitulé "Des policiers au-dessus des lois" a (…) montré que les allégations des victimes et des familles de victimes ne faisaient toujours pas l’objet d’une enquête effective, indépendante, exhaustive, impartiale et menée dans les meilleurs délais. L’étude montrait aussi que des victimes et des proches de victimes restaient de même privés de réparation appropriée – restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition, notamment » [2].

    Cette réalité dénoncée par Amnesty, se reflète également dans les médias qui ont effacé la parole – le droit de réponse – de générations d’enfants d’immigrés, par des reportages formatés, pour « dire » exactement ce que les rédacs chefs veulent entendre. On pourra se référer ici à l’article de Jérôme Berthaut, « Tintin en banlieue, ou la fabrique de l’information », qui décortique les fines mécaniques d’assimilation des rédacteurs en chef des méthodes – voire du langage – de la police dans les banlieues. En plaçant d’emblée la caméra, et le journaliste, aux côtés des forces de l’ordre, « ces modalités de fonctionnement ont pour effet d’aligner les propositions de sujets sur les schémas d’interprétation des responsables de la rédaction les plus éloignés du terrain, au point de définir souvent une banlieue hors sol ».

    Les idées préconçues sur les banlieues, leur violence intrinsèque et sans racine – sauf celle du chômage – ont fonctionné pendant des années dans la tête des rédacteurs en chef. À tel point qu’une « cité » a fini par porter plainte au CSA : « Le 26 septembre 2013, France 2 diffusait dans le cadre de l’émission "Envoyé spécial" un reportage baptisé "Villeneuve : le rêve brisé". Énième reportage à charge contre "la Villeneuve" de Grenoble mais aussi contre les quartiers populaires en général », rapporte le communiqué de presse, qui retranscrit le « Dépôt de plainte contre le Président de France Télévisions pour diffamation publique ». On peut y lire :

    Ce reportage a provoqué une très forte colère des habitants, choqués et indignés de voir leur quartier défiguré. Les habitants ont été blessés de voir les témoins bafoués ou manipulés dans des mises en scène du réel. Sans nier ni les incivillités ni parfois la violence, nous estimons que la vision proposée par le reportage est partielle et ne prend à aucun moment en compte la réalité de la vie quotidienne des habitants de la Villeneuve. Oui, il y a une autre vie dans notre quartier que celle présentée de manière détournée et caricaturale. Les conséquences de ce reportage sont nombreuses. Elles se posent en termes de discrimination. Discrimination à l’embauche pour les jeunes et les habitants du quartier en général, discrimination des élèves fréquentant les établissements scolaires du quartier, discrimination des habitants du quartier dans leur relation avec les autres grenoblois, discrimination au logement, etc.

    Et, pour finir : « Nous ne comprenons pas que nous soyons contraints au silence au nom de la liberté d’expression et que nous soyons dans l’impossibilité de trouver une tribune pour dire notre point de vue ».

    Et justement, lorsqu’en tant que documentariste, j’ai voulu proposer ce droit de réponse, en filmant la reconstitution d’une « bavure » policière qui avait pratiquement tué d’une balle dans la tête le jeune Toufik El Bahazzou, 17 ans, dans la région d’Arles en 2004, j’ai été stoppée par la procureure gardoise, et la mollesse de mes producteurs à résister à la censure judiciaire.

    L’adolescent était au volant de la voiture d’un ami, et conduisait sans permis, m’ont dit ses copains plus jeunes qui l’accompagnaient, lorsqu’ils furent pris en chasse par une voiture de police. Cette chasse à l’ado s’est terminée dans un fossé, sous les tirs d’un agent énervé et peu entraîné, Hicham Errahmouni. Lors de ma demande d’autorisation de tournage, la magistrate m’expliqua que si le garçon était désormais plongé dans un coma profond, en réanimation depuis plusieurs semaines à l’hôpital Nord de Marseille, c’était parce que l’agent avait mal visé. Ce n’était donc pas nécessaire de médiatiser cette affaire qui n’était qu’une erreur. Et pourtant, lui fis-je remarquer, l’agent l’avait eu en plein dans la tempe.

    Cette semaine là, les commerçants de Beaucaire baissèrent leurs rideaux au passage de la famille et des amis de Toufik qui manifestèrent silencieusement dans la petite ville, et ce n’était pas en signe de respect. Des jeunes du quartier m’expliquèrent que tous les jours les « flics » venaient les menacer verbalement, et physiquement, depuis longtemps, un rituel quotidien dans l’opacité des cités lointaines.

    De cette affaire, presque rien dans les médias. Aucun son médiatique ne vient perturber le paysage audiovisuel là-dessus. Silence radio, télé, silence presse. On parlera un peu du procès du policier quelques années plus tard. De la souffrance de cette famille, comme de tant d’autres affaires de bavure, niet.

    Ce qui ne fut pas dit dans les médias pendant des années est aussi dangereux que la bombe à retardement que nous venons tous de recevoir à la gueule en janvier. D’un côté on « surparle » de violence, celle des banlieues dont l’existence n’est jamais remise en cause, un fait « choséifié » médiatiquement. De l’autre côté, on la tait presque complètement – comme si elle n’existait pas. Comment ne pas imaginer la frustration, la colère qui monte face au mépris de la souffrance des pouvoirs en place - de tous les pouvoirs ? Face à la désinformation incessante et le silence mensonger qu’activent les médias institués au sujet des « banlieues » ?

     

    Se ressaisir du récit national et le co-écrire

    Dans un article publié sur Médiapart le 24 janvier, le chercheur Christian Salmon soulève que pour l’écrivain anti-colonialiste Joseph Conrad, « L’attentat terroriste vise à désarticuler la grammaire du récit dominant. Non pour lui opposer un autre récit (un programme, un communiqué), mais pour ruiner la compétence narrative du pouvoir en place ».

    À l’heure de ramasser les débris de cette casse éclatante, il ne s’agit pas de victimiser ni d’encenser une population X, mais de nous déssiller les yeux pour enfin voir la part cachée des drames quotidiens dans ces banlieues éloignées. Il est temps pour tous ceux qui travaillent le récit national – dont les journalistes – de se poser de sérieuses questions. Veut-on réellement continuer dans la médiatisation d’un réel « marketté », construit pour les effets de loupe, et un soi-disant audimat absolutiste ? Un récit rempli de faussetés, de petites et grandes injustices, plein de trous de mémoire et de dé-liaisons, creusant des fossés abyssaux dans le corps social, et portant finalement atteinte à la dignité humaine.

    Un récit national dont toute une part immigrée de la population est dessaisie, à coup de plateau-télé-réalité, et que bien évidemment tous ceux qui en font les frais continueront à vouloir détraquer, coûte que coûte. Si on ne se pose pas les bonnes questions.

    Isabelle Sylvestre

  • Philippe Val a déjoué un complot

    Philippe Val a déjoué un complot : Acrimed gangrène la formation des journalistes !

    par Martin Coutellier le 9 février 2015

    Ayatollah en charge de l’épuration du journalisme, des médias et de la critique des médias, Philippe Val, patron licencieur (de Siné, Porte et Guillon) et chasseur de têtes, n’est jamais en panne d’inspiration : la liste est longue de ses mensonges et calomnies d’une insondable bêtise. Et elle vient de s’allonger…

    Il y a peu, parmi les facteurs qui expliqueraient selon lui « la crise que traverse le journalisme », Philippe Val avait découvert celui-ci, sans doute le principal : « On peut relever l’intérêt des jeunes journalistes pour l’idéologie de Bourdieu selon laquelle les dominants ont toujours tort et les dominés toujours raison » [1]. Pierre Bourdieu, c’est connu, a soutenu une pareille imbécilité ! Mais c’est dans le Causeur du mois de février que nous découvrons une nouvelle façon originale de présenter, toujours en le dénigrant, le rôle qu’a pu jouer la critique radicale des médias, et en particulier Acrimed. Élisabeth Lévy déclare (p. 93), non sans déploration sous-entendue, « [que] la dénonciation de "l’islamophobie" bat son plein » : une occasion pour Philippe Val d’affirmer avec un sens subtil de l’à-propos :

    (cliquer pour agrandir)

    Si elle n’était produite par un psychiatre [2], cette prose inquiéterait véritablement pour les capacités intellectuelles de son auteur. Mais, en grand penseur qu’il est [3], peut-être Philippe Val a-t-il été trop vite pour nous.

    Reprenons le déroulement de la pensée Valienne. « L’information est de plus en plus idéologique en France ». Admettons que Philippe Val ait des éléments permettant de le soutenir, et qu’il préfère les garder pour lui. « Vers 1995, on a vu arriver des petites boutiques comme Acrimed, assez marginales mais virulentes, qui se sont lancées dans la critique des "médias dominants". Après tout, pourquoi pas, c’était marrant de dénoncer les collusions ». Que Philippe Val réduise la critique des médias dominants à la dénonciation de collusions révèle peut-être une vision complotiste de la situation des médias, mais nous n’osons le penser. Quoiqu’il en soit, pour Philippe Val : Acrimed, au début, c’était marrant. « L’ennui, c’est que c’est très vite devenu une fabrique de complotisme ». Acrimed, une « fabrique de complotisme » ? Sur quelle intervention publique d’Acrimed, écrite ou orale, peut reposer une telle déclaration ? Nous ne le saurons pas. Et quand on n’a aucun argument pour le démontrer, « complotisme » n’est rien d’autre qu’une insulte.

    La suite du propos de Philippe Val peut nécessiter la prise de paracétamol à doses croissantes : « les gens qui sont sortis de là sont devenus profs et formateurs de journalistes ». Est-ce grâce à sa virulence, et malgré sa marginalité, qu’Acrimed a produit tant de profs et formateurs de journalistes, sans même le savoir ? L’association est-elle devenue, sans qu’aucun de ses membres ne le réalise, un genre d’officine de formation, d’où l’on « sort » avant de se précipiter en hordes conspirationnistes, dans les écoles et les facs pour former les journalistes de demain ? Une enquête de terrain menée de toute urgence semble montrer que non : pas un seul des « gens qui sont sortis » d’Acrimed n’enseigne dans les écoles de journalistes. À court d’hypothèses, nous prendrons la seule restante : Philippe Val raconte n’importe quoi.

    Mais comme souvent, le meilleur est pour la fin : « on se retrouve avec une génération de journalistes massivement convaincue qu’il faut dire certaines choses et pas d’autres, qu’il y a une vision du "Bien" par rapport à laquelle on doit se situer ». Tentons de résumer : il existe une génération de journalistes à l’esprit déformé par la formation inculquée par Acrimed [4] ; or cette déformation a des conséquences que Philippe Val veut critiquer ; mais cette critique ressemble à une mauvaise caricature de celle développée par Acrimed. Il ne manquerait plus que Philippe Val forme des journalistes…

    Martin Coutellier (grâce à un signalement et une image diffusés sur Twitter par Sébastien Fontenelle)

     L’occasion de se plonger dans notre rubrique « Philippe Val, fabuliste et patron ».

  • Une certaine conception de la justice

    "Sous Hollande, on pourchasse, on traque et on neutralise"

    INTERVIEW - Le journaliste Vincent Nouzille publie Les tueurs de la République. Il raconte les opérations spéciales réalisées par les services français pour éliminer des personnes jugées dangereuses pour la sécurité nationale ou conduire des guerres secrètes contre des ennemis présumés. Des opérations qui se sont multipliées sous la présidence de François Hollande.

    Vous dites que François Hollande assume le plus les opérations secrètes. Quels types d’opérations a-t-il ordonné?
    De manière quasi-systématique, François Hollande a ordonné des représailles et des ripostes suite à des attentats ou à des prises d’otage. Premier exemple : l’embuscade d’Uzbin, à l’été 2008, qui a tué neuf soldats français en Afghanistan. A l’époque déjà, l’état-major de Nicolas Sarkozy avait voulu trouver les responsables et les punir. Mais cela n’avait pas été possible. Finalement les services secrets français et les forces militaires en Afghanistan ont localisé quelques années plus tard le responsable, le mollah Hazrate. Une frappe française l’a tué en septembre 2012.

    Peut-on donner des chiffres sur ces opérations spéciales?
    Il y en a eu une dizaine depuis 2012. Des opérations visant à cibler des gens qui avaient frappé des intérêts français ou des Français. Par exemple, Denis Allex, agent de la DGSE, avait été retenu en otage pendant trois ans et demi en Somalie. Sur ordre de François Hollande, il y a eu un raid de la DGSE pour tenter de le libérer en Somalie en janvier 2013 mais il a mal tourné. L’otage et deux membres du Service action de la DGSE sont décédés. François Hollande a alors donné l’ordre d'exécuter le responsable de cette prise d’otages, Godane, chef des shebabs. Cette exécution a finalement été menée par les Américains. Cela montre l’implication et la coopération des deux pays. Quand on n’a pas les outils pour frapper, on demande à nos amis d’outre-Atlantique d’utiliser leurs drones armés.

    «Une guerre dans la guerre»

    Vous dites que François Hollande a toujours sur lui une liste de terroristes? Que contient-elle?
    C’est une liste qui est le fruit du travail de la DGSE et du renseignement militaire, qui travaillent de concert et qui établissent des listes de chefs terroristes à "décapiter". Elle a été utilisée en particulier durant l’opération Serval au Mali. Il ne s’agissait pas de capturer les terroristes, de les blesser, d’en faire des prisonniers ou de les traduire en justice, il fallait les éliminer. On sait qu’il y a eu une quinzaine de HVT ("High value target", cible de haute valeur) qui ont ainsi été tuées par les Français au Sahel depuis le déclenchement de l’opération Serval. Sur cette liste, on doit certainement pouvoir ajouter les cibles en Afghanistan, en Somalie et Al Qaida pour la Péninsule Arabique (AQPA). Un des chefs d’AQPA, qui a revendiqué l'attaque de Charlie Hebdo. a par exemple été frappé par un drone américain après l'attentat du 7 janvier. Il s’agit bien d’une guerre dans la guerre. Une guerre parfois faite en coopération avec les Américains.

    La France opère de manière secrète alors que d’autres services n’hésitent pas à les assumer. Pourquoi la France ne les revendique pas publiquement?
    Historiquement, la France n’a jamais revendiqué ce type d’opérations contrairement à certains services comme le Mossad israélien qui sont réputés pour se venger de manière systématique. Mais en réalité, la loi du Talion est une règle quasi-intangible des services secrets. Les Français qui étaient très réticents à ce type d’opérations ou ne le faisaient pas savoir, s’y sont davantage mis. Sous François Hollande, c’est devenu un principe : on pourchasse, on traque et on neutralise. Une partie de ces actions se font de manière plus discrète, plus clandestine parce qu'elles se déroulent sur des théâtres d’opération où la France n’est pas officiellement engagée (dans le sud de la Libye, par exemple). 

    «Durant le raid en Somalie pour libérer l’agent de la DGSE, Denis Allex, des civils ont été tués.»

    Y-a-t-il des dommages collatéraux lors de ce genre d’opérations?
    Les officiels français que j’ai pu interroger affirment qu’il n’y en a pas. Selon eux, contrairement aux Américains, on évite les dommages collatéraux, notamment parce qu’on intervient de visu, avec des avions de chasse ou des commandos à terre. Dans la réalité, c’est plus compliqué que ça. Durant le raid en Somalie pour libérer l’agent de la DGSE, Denis Allex, il y a eu des dommages collatéraux importants. Les consignes étaient d’éliminer tous les gens sur le chemin du commando pour des questions de sécurité. Il y a eu des civils qui ont été tués.

    Quels sont les autres Présidents qui ont utilisé ces méthodes?
    Selon les tempéraments des Présidents, c’était plus ou moins assumé. Sous le général De Gaulle, c’était la guerre d’Algérie, les opérations Homo (pour "homicide") étaient décidées en plus haut lieu. Giscard avait une mentalité de tueur au sang-froid. Il avait donc décidé un certain nombre d’opérations de ce type. Sous François Mitterrand, soi-disant, elles étaient proscrites. En réalité, elles étaient tolérées et l'ancien Président laissait faire. D’anciens responsables des services secrets racontent que François Mitterrand ne répondait pas clairement et n’assumait pas explicitement ce type d’opérations. Il disait par exemple "Si vous le jugez utile". C’était une manière de se défausser. Sous Jacques Chirac, cela a été la période la plus calme. Le président était extrêmement réticent. Il craignait toujours l’échec, le boomerang politique. Il n’avait pas une grande confiance dans l’efficacité des services secrets. Même après les attentats du 11 septembre 2001, Jacques Chirac a refusé de s’engager sur ce terrain là.

    Et sous Nicolas Sarkozy?
    Il y a eu deux temps. Dans la première période, il méconnaissait un peu ces outils et ces méthodes et il était plutôt partisan d’une négociation notamment pour les prises d’otage. Finalement, à partir de 2010, il s’est progressivement transformé en chef de guerre. Il avait visiblement davantage confiance dans les forces spéciales, qui dépendent plus de l’armée, que de la DGSE. En 2010, il a été secondé à l’Elysée par un "faucon", le général Puga, qui était son chef d’Etat-major particulier, et partisan de la manière forte. Il a "converti" Nicolas Sarkozy à cette méthode. L’exemple le plus frappant est celui du raid des forces spéciales suite à la prise d’otages de deux jeunes Français au Niger en 2011. Le raid a échoué, les deux otages ont été tués. Mais cela a convaincu Nicolas Sarkozy que la manière forte est la bonne et qu’il fallait envoyer des messages aux ennemis de la France. François Hollande a durci encore plus cette politique. Le chef d’Etat major particulier de Nicolas Sarkozy est d’ailleurs resté en place sous la présidence de François Hollande. Il doit prendre sa retraite en 2015.

    Vincent Nouzille, Les tueurs de la République, (édition Fayard)

    Michaël Bloch - leJDD.fr

  • Condition de la femme dans le judaïsme

    Condition de la femme dans le judaïsme : Erdogan met les pieds dans le plat !

     
         

    Face aux accusations récurrentes de misogynie venue d’Occident, le président turc Recep Tayyip Erdogan a rappelé la vision de la femme développée par le judaïsme.

    Des propos rapportés par le quotidien turc Hurriyet :

    « Je m’adresse à ceux qui parlent des droits des femmes. Pourquoi ne pas élever vos voix contre les juifs, qui remercient Dieu dans leurs prières de ne pas avoir été créés en tant que femmes ? Existe-t-il une logique plus avilissante pour les femmes que celle-ci ? »

    Une déclaration qui n’a rien de fantaisiste, comme en témoigne cet article du Monde du 29 décembre 2011 :

    « Des femmes à qui on demande d’aller s’asseoir au fond du bus pour ne pas troubler les hommes dans leur voyage, des femmes que l’on fait taire au prétexte que leur voix constituerait, selon les textes religieux, “une nudité”, des trottoirs séparés entre les sexes dans certains quartiers, des publicités où des visages de femme sont arrachés, des passantes insultées et humiliées parce que leur chevelure n’est pas assez couverte ou leurs manches pas assez longues.

    Ces scènes se sont passées dans plusieurs villes israéliennes, Ashdod, Jérusalem, Bet Shemesh... où des groupuscules ultraorthodoxes tentent d’effacer ou de voiler la présence féminine dans la sphère publique. »

    La sortie du président turc s’ajoute à ses nombreuses prises de positions antisionistes depuis l’opération militaire israélienne de décembre 2008-janvier 2009 dans la bande de Gaza. Alors que l’attaque venait de s’achever (895 civils palestiniens assassinés), le Premier ministre turc avait notamment quitté un débat avec Shimon Peres, le 29 janvier 2009, au Forum économique mondial à Davos. Un coup d’éclat dû à une interruption de son argumentaire par le modérateur du débat, qui n’était pas intervenu pendant le vibrant plaidoyer de 25 minutes du président israélien et prix Nobel de la paix en faveur de l’attaque de Gaza par Tsahal. Un court discours dans lequel Erdogan s’était permis de citer le jazzman juif antisioniste Gilad Atzmon :

     

     

     

    À cette époque, les relations diplomatiques turco-israéliennes s’étaient nettement refroidies et lors d’une visite à Paris en avril 2010, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, avait qualifié Israël de « principale menace pour la paix régionale ». Le mois suivant, l’attaque par Tsahal d’une flottille humanitaire turque pour Gaza provoquait une rupture temporaire des liens diplomatiques entre les deux pays. En 2013, Erdogan s’était même retrouvé à la deuxième place du « classement mondial des antisémites » établi par le Centre Simon Wiesenthal. Cette année-là, des membres de son gouvernement avaient imputé à la « diaspora juive » la responsabilité des manifestations antigouvernement de décembre 2013. Puis Erdogan, alors Premier ministre, avait estimé que le renversement militaire de Mohamed Morsi en Égypte avait été instigué par Israël.

     

    Antisionisme réel ou simples rodomontades ?

    Cette posture antisioniste assumée par le chantre d’un « néo-ottomanisme » empreint de « realpolitik » ne doit toutefois pas occulter le fait que la Turquie reste un des principaux alliés d’Israël dans le monde musulman.

    En effet, la Turquie, comme candidate à l’entrée dans l’Union européenne et membre éminent de l’OTAN (soit les deux piliers du sionisme international), reste l’allié essentiel de l’Occident et d’Israël dans le monde musulman. C’est ainsi qu’à partir de 2011, la Turquie s’est muée en porte d’entrée et base arrière de l’internationale djihadiste à l’œuvre dans la destruction de la Syrie. Dans ce dossier, Erdogan a été l’allié objectif le plus précieux d’Israël, pour qui la Syrie de Bachar al-Assad constituait un problème majeur du fait de sa position géographique et stratégique au cœur du « croissant chiite » (Iran-Syrie-Sud Liban). Plus récemment, en février 2013, le gouvernement Erdogan signait encore un important accord portant sur la vente par Israël de systèmes électroniques aériens à la Turquie.

    Recep Tayyip Erdogan n’ayant pas changé radicalement la politique de la Turquie vis-à-vis de l’État d’Israël depuis sa prise de pouvoir en mars 2003, ses déclarations tapageuses sur la question palestinienne ne seraient-elles qu’un « plan com’ », une sorte de « soft power » turc vis-à-vis de la « rue arabe » ?

  • La lente mise à mort de la liberté d’expression

     

    Jamais un gouvernement n’aura fait autant reculer les libertés publiques que celui de Manuel Valls, à croire que la champ d’action du ministre de l’Intérieur se réduit à sanctionner l’expression d’opinions dissidentes. Chaque affaire médiatique est l’occasion de nouveaux reculs : affaire Mehra, affaire Clément Méric, affaire Dieudonné, fusillade de Bruxelles, attentat de Charlie Hebdo… autant de fenêtres d’opportunité pour gagner le soutien de l’opinion et faire passer des lois liberticides. Chaque situation de crise provoque un sentiment d’anxiété sociale appelant une reprise en main par l’État : le gouvernement et les médias dominants sont passés maîtres dans l’art de manier à  dessein ce mouvement d’insécurisation/sécurisation par lequel ils soumettent l’opinion. On assiste ainsi à une véritable mutation du contrôle social : hier l’instrument du combat contre la délinquance classique, il est aujourd’hui le moyen de défendre un ordre qui se veut moral et républicain mais qui est surtout identitaire et discriminatoire. Façonner les consciences et sanctionner les récalcitrants, voilà pour l’essentiel à quoi se réduit la politique autoritaire du gouvernement socialiste. Elle est le point d’achèvement d’un processus qui débute au milieu des années 1980 et dont nous voudrions rappeler ici les grandes lignes. 

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    A l’origine de la politique actuelle, le tournant de la rigueur

    On n’a sans doute jamais mesuré totalement les conséquences du changement de cap décidé par le gouvernement Mauroy en mars 1983. Confronté à une fuite de capitaux, à un creusement du déficit budgétaire et à une série d’attaques contre le franc, François Mitterrand abandonne la politique de relance par la consommation qu’il avait suivie jusque là. Son souhait de maintenir la France dans le Système Monétaire Européen a eu raison de ses ambitions réformatrices inspirées du Programme commun d’union de la gauche.  Suivra alors une politique sociale-libérale qui montera en puissance avec la nomination de Laurent Fabius à Matignon –  privatisations, blocage des salaires, déréglementation des marchés financiers, orthodoxie budgétaire et promotion du modèle entrepreneurial – totalement à rebours des promesses de campagne du candidat Mitterrand. Dans leur conversion à l’économie de marché, les socialistes ont fait preuve d’un zèle remarquable : une note de l’Insee de 1990 donne même à la France la palme européenne du monétarisme et de la rigueur budgétaire, devant la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher et l’Allemagne d’Helmut Kohl. Et deux ans plus tard, le Parti Socialiste fera logiquement le choix d’adopter le très libéral traité de Maastricht.

    Hollande dans les pas de Mitterrand

    Entre la justice sociale et l’intégration européenne, le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy a choisi et n’est jamais revenu sur cet engagement lourd de conséquences.

    Trois décennies plus tard, l’histoire se répète. Le cocktail est identique : intégration européenne à marche forcée, libéralisme économique et austérité budgétaire. L’équation aussi : de quelle légitimité le Parti socialiste et ses alliés peuvent se prévaloir pour mettre en oeuvre une politique qui trahit leurs engagements de campagne et ne répond en rien aux attentes des classes populaires ? La réponse est à l’avenant : éluder la question sociale en faisant diversion sur les questions de société. La recette « droite du travail/gauche des valeurs » avait bien fonctionné dans les années 1980 : lutte contre le racisme et l’antisémitisme, avec l’appui logistique de SOS Racisme lancé en 1984, en lieu et place de la défense du travail contre le capital. Le combat électoral contre le Front National devient rapidement le seul marqueur de gauche d’une politiquetotalement acquise aux intérêts du capital, et d’autant plus aisément que la démission économique des socialistes favorise la montée en force du vote protestataire d’extrême-droite.

    Choc des civilisations contre lutte des classes

    Mais pour la période actuelle, le tableau est légèrement modifié par une touche supplémentaire : le gouvernement socialiste a fait sienne la rhétorique de la « guerre contre le terrorisme », héritage des années Bush. L’alignement complet de la diplomatie française actuelle sur les intérêts du bloc américano-sioniste influence aussi sa politique intérieure. De fait, la question sociétale rejoint aujourd’hui la question identitaire : civilisation judéo-chrétienne d’un côté, Islam « barbare et conquérant » de l’autre. Les thèmes fétiches de la gauche – défense de la laïcité et combat contre l’antisémitisme, notamment – sont passés à la moulinette néoconservatrice. La politique actuelle sort ainsi les valeurs républicaines du contexte de l’immigration et des questions d’intégration qui était le leur dans les années 80 pour les inscrire dans une problématique du choc des civilisations : « Je suis Charlie » (contre la barbarie islamiste) en lieu et place de « Touche pas à mon pote ». Mais dans tous les cas, il s’agit encore de masquer la question sociale par la question identitaire : aviver les tensions communautaires entre français dits « de souche » et français issus de l’immigration pour désamorcer la lutte des classes et tourner le dos à la justice sociale. Et souvent à grands renforts de communication : l’union sacrée face au terrorisme affichée lors de la mobilisation générale du 11 janvier a relégué au second plan les antagonismes de classe, servant ainsi les intérêts des élites politiques et financières.

    Catéchisme républicain et pénalisation de la dissidence

    Comment obtenir l’adhésion du peuple à une politique contraire à ses intérêts ? Seule une minorité peut tirer profit du libéralisme économique et de la montée en force des tensions communautaires. L’adhésion spontanée étant donc exclue, il ne reste que le conditionnement idéologique et la pénalisation de la dissidence, deux recettes qui ont notamment fait leurs preuves dans le contexte de crise politique provoquée par la fusillade de Charlie Hebdo. L’anxiété sociale alimentée par la couverture médiatique de l’Islam radical suscite une demande de sécurité et permet au gouvernement de mener sa chasse aux sorcières avec le soutien de l’opinion. Des dizaines de procédures judiciaires pour apologie du terrorisme(qui relèvent en fait du délit d’opinion) pour un message posté sur les réseaux sociaux, pour une parole de trop ou pour un refus de la minute de silence, visant des simples citoyens parfois même des collégiens, n’ont pas suscité la moindre indignation politique à l’exception d’associations de défense des droits de l’Homme dont Amnesty International qui a pointé un risque de dérive judiciaire et d’atteintes graves à la liberté d’expression.

    Politique d’ordre contre politique de sécurité

    Peu actif sur le front de la délinquance classique – comme en témoignent les derniers chiffres de l’ONDRP – le gouvernement déploie en revanche une énergie remarquable pour sanctionner les idées ou les propos qu’il juge politiquement incorrects. La loi sur la presse de 1881 a été modifiée à plusieurs reprises par les socialistes, déjà en 1990 par la loi Fabius-Gayssot qui criminalise le négationnisme historique en faisant d’un délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité tels que définis dans les statuts du Tribunal militaire de Nuremberg. La « mère de toutes les lois mémorielles » a valu à Vincent Reynouard une nouvelle condamnation pour une vidéo postée sur Youtube, cette dernière à deux ans de prison ferme, soit le double de la peine encourue pour ce type de délit. La jurisprudence Dieudonné, fruit de la croisade lancée par Manuel Valls contre l’humoriste, lamine la protection dont bénéficiait la création artistique vis-à-vis du pouvoir et rend possible l’interdiction préventive d’une réunion ou d’un spectacle pour des motifs politiques. Last but not least, la création récente d’un délit d’apologie du terrorisme par la loi du 13 novembre 2014 est une arme (redoutable) de plus dans l’arsenal contre la liberté d’expression. Réprimer ceux qui ont le tort d’exprimer des idées non conformes : la politique du gouvernement consiste à défendre un ordre moral au besoin par la contrainte mais plus généralement par la persuasion.

    Gauche morale contre gauche de transformation sociale.

    Le catéchisme républicain est tout ce qu’il reste à une gauche démissionnaire sur le front économique et social. Mais le moralisme, une fois déconnecté de toute réalité matérielle, tourne à vide. La politique actuelle pousse jusqu’à l’absurde cette contradiction : d’un côté la loi Macron qui achèvera de démanteler le code du travail et de dépouiller les salariés de leurs derniers vestiges de protection sociale, de l’autre le bourrage de crâne sur les valeurs républicaines de liberté, de tolérance et d’égalité chaque jour démenties dans les faits. Signe de la fragilité du pouvoir, la propagande laïciste a atteint des sommets dans le contexte créé par l’attentat contre Charlie Hebdo, notamment quand la ministre de l’Éducation nationale a évoqué « de trop nombreux questionnements de la part des élèves » montrant ainsi les limites de sa conception de la démocratie… L’autoritarisme politique et  la négation de l’esprit critique sont devenus la norme d’un gouvernement ayant perdu toute crédibilité économique et sociale et foulant au pied les valeurs qu’il prétend défendre. Victime collatérale, la liberté d’expression vit ses derniers moments.

    Voir également sur ce site : un entretien à propos de mon dernier ouvrage « La République contre les libertés« .