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Media-info - Page 14

  • GRÈCE:Les nazis du XXIe siècle

    Société

    GRÈCE

    Les nazis du XXIe siècle

    Sur la cabine téléphonique : "Ministère de la Protection des citoyens"

    Sur la cabine téléphonique : "Ministère de la Protection des citoyens"

    Yannis Iannou

    Alors que Londres accueille les Jeux paralympiques, à Athènes le parti d'extrême-droite Aube Dorée se répand en incitations à la haine contre les personnes handicapées et les homosexuels, après s'en être pris aux immigrés et aux minorités ethniques. Le gouvernement grec et l'Union européenne ferment les yeux sur ce phénomène qui n'est pas sans rappeler la montée du nazisme en Allemagne.

    "Vous êtes les prochains, après les immigrés". Voilà ce qu'on pouvait lire sur une série de tracts apparus cette semaine dans les clubs du quartier gay d'Athènes. Alors que les violences contre les immigrés et les minorités ethniques ne cessent d'augmenter dans tout le pays, les militants du parti Aube Dorée appellent aujourd'hui à s'en prendre aux homosexuels et aux personnes handicapées. 

    Ces nouveaux fascistes défilent en chemises noires avec leurs fusées éclairantes dans les rues d'Athènes, ils terrorisent les minorités ethniques et sexuelles, brandissent un emblème qui n'est rien d'autre qu'une swastikadéroulée, et n'ont que mépris pour les institutions politiques. Et pourtant, dans toute l'Europe, ils ne sont toujours considérés que comme un symptôme de la crise économique grecque.

    Stratégie de diversion

    Il fut un temps où les voyous d'extrême-droite ne s'en prenaient aux immigrés que pendant la nuit. Aujourd'hui, ils opèrent au grand jour, sans crainte des conséquences tant elles sont rares. Le nombre et la gravité des attaques a augmenté ces dernières semaines et si les migrants déposent plainte auprès de la police, ils risquent de se faire arrêter. 

    Non seulement la criminalité contre les immigrés n'est pas considérée comme une priorité, mais en plus bon nombre des militants du parti Aube Dorée sont issus des rangs de la police. Des sondages effectués à la sortie des bureaux de vote en mai 2012 ont montré que dans certaines circonscriptions urbaines, près de la moitié des policiers grecs avaient voté pour le parti raciste qui possède désormais 7% des sièges au Parlement. 

    Les agressions au couteau, les bastonnades et les attaques en moto sont devenues tellement courantes dans certains quartiers de la capitale que les immigrés n'osent plus y aller seuls. Alors que la Grèce abrite depuis longtemps une importante population immigrée – 80% des réfugiés entrent dans l'Union européenne par les ports grecs -, les étrangers venus trouver refuge dans le pays ont aujourd'hui peur pour leurs enfants. D'après un récent rapport de l'ONG Human Rights Watch intitulé "Hate on the streets" [Haine dans les rues], les "autorités nationales – ainsi que les communautés européenne et internationale dans leur ensemble – ont largement fermé les yeux" sur l'augmentation des violences à caractère xénophobe en Grèce. 

    Comme si cela ne suffisait pas, le ministre de l'Ordre public, Nikos Dendias, s'est engagé à lutter contre l'immigration qu'il considère comme une "invasion" et comme une "une bombe" prête à faire exploser "les fondations de la société". Il est intéressant de noter que pour lui, la présence des étrangers représente une menace plus grave que la crise économique, un message qu'il n'hésiterait visiblement pas à placarder sur les murs d'Athènes s'il le pouvait.

    Le retour du discours raciste s'inscrit dans une stratégie de diversion visant à détourner l'attention d'une population amère face à la crise de la dette et du pouvoir politique. Comme bon nombre de gouvernement de centre-droit, la coalition Nouvelle démocratie reprend le discours de l'extrême-droite et attise la xénophobie au lieu de chercher à apaiser l'opinion publique. Les policiers ont la bénédiction de Nikos Dendias pour interpeler, arrêter et expulser les immigrés. Ils ont déjà mené des milliers d'opérations à Athènes et dans les villes voisines dans le cadre d'un programme baptisé (sans ironie) Zeus, dieu de l'hospitalité.

    Vieille technique rhétorique

    Comme bon nombre de groupes fascistes, Aube Dorée affirme représenter la classe ouvrière marginalisée. Le parti se dit l'ennemi d'un système démocratique en faillite et exploite le mécontentement populaire face aux erreurs de la gestion néolibérale. Il se déclare contre l'austérité mais n'a aucun projet économique. Sa stratégie repose uniquement sur la violence, la division et le racisme. Les gouvernements grec et européens semblent toutefois prêts à le tolérer et le voient comme la conséquence sociale d'un programme d'austérité qui ferait consensus. 

    L'Union européenne a été fondée après la Seconde Guerre mondiale afin de créer une union sociale et économique sur un continent dévasté par le fascisme. Dans la Grèce d'aujourd'hui, Aube Dorée est considéré comme un parti politique sérieux quand bien même ses représentants rejettent le processus démocratique et ont tendance à agresser leurs rivaux à la télévision

    Longtemps après l'arrivée des nazis au pouvoir en 1933, bien après l'incendie du Reichstag et la légitimation des violences antisémites par le pouvoir politique, les gouvernements européens sont restés plus inquiets du risque socialiste que de la menace fasciste. Presque jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, il était plus important pour les dirigeants internationaux que l'Allemagne paie ses dettes. L'établissement de parallèles historiques avec le nazisme est une vieille technique rhétorique que les commentateurs de gauche comme de droite ont largement galvaudée à propos d'étiquetages alimentaires et autres mesures de prévention routière drastiques. En l'occurrence, il ne s'agit pourtant pas de rhétorique. 

    De vrais fascistes en chemise brune défilent pour de vrai dans les rues de la capitale, brandissant des swastikas et des flambeaux, mutilant et tuant des étrangers, et les gouvernements du monde entier les regardent avec une effrayante tranquillité tant que les Grecs continuent de payer leur dette à l'élite européenne. Lorsque les leçons de l'histoire sont apprises par cœur sans être comprises, il est facile de les oublier au moment critique. Il est temps pour l'Europe de se souvenir que le prix du fascisme est autrement plus élevé et plus cruel que n'importe quelle dette publique. 

    Traduction : Caroline Lee

  • Mafia et finance...

    Mafia et finance : la crise favorise les liaisons dangereuses

     

    La crise financière a donné l'occasion aux réseaux mafieux de s'infiltrer davantage dans l'écomomie mondiale, en investissant du liquide dans les banques européennes et américaines. C'est ce que démontre Roberto Saviano, l'auteur italien de Gomorra, dans une longue enquête qui suscite de nombreuses réactions.

    30.08.2012 | Lucie Geffroy | Courrier international



    Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexique.

    Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexique.

    A qui profite la crise ? Aux mafias du monde entier, répond Roberto Saviano. Dans deux articles publiés le même jour (lundi 27 août) dans La Repubblica et le New York Times,  le journaliste et écrivain italien montre à quel point la crise financière a fait l'objet d'un business planétaire pour les réseaux mafieux.Retwitté le jour même par l'économiste Nouriel Roubinitraduit en grec et publié dans I Kathimerini, l'article de Saviano a suscité depuis de nombreuses réactions. 

    Que dit l'auteur de Gomorra ? En substance, que les intérêts mutuels des banques et des organisations mafieuses n'ont fait que progresser depuis l'éclatement de la crise financière. 

    La démonstration est limpide. Reprenant une idée développée dès 2009 par Antonio Maria Costa, alors directeur de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, il explique qu'au plus fort de la crise, les "gains des organisations criminelles ont constitué le seul capital d'investissement liquide dont disposaient certaines banques". Comme l'ont montré les études du FMI, entre janvier 2007 et septembre 2008, les banques européennes et américaines ont perdu plus d'un milliard de dollars en titres toxiques et crédits non exigibles. 

    "Il est donc possible de déterminer le moment précis où les organisations criminelles italiennes, russes, balkaniques, japonaises, africaines, indiennes, sont devenues déterminantes pour l'économie mondiale. A savoir : au second semestre de l'année 2008, quand le manque de liquidités est devenu le principal problème du système bancaire, écrit Saviano dans La Repubblica.

    HSBC et les cartels mexicains

    De récents scandales, souligne Saviano dans l'article du New York Times, ont confirmé les relations incestueuses entre "bankers" et "gangsters". Depuis le mois dernier, la justice américaine enquête en effet sur le rôle de la banque britannique HSBC dans une affaire de blanchiment d'argent sale issu des cartels de la drogue mexicains. S'appuyant sur un rapport accablant du Sénat américain, le New York Times a révélé que la filiale mexicaine de HSBC avait transféré 7 milliards de dollars d'argent sale des cartels vers HBUS, la filiale américaine de HSBC. La banque aurait aussi contourné les lois américaines pour transférer de l'argent en direction de régimes soumis à des sanctions américaines, l'Iran, le Soudan et la Corée du nord. Mais HSBC n'est pas la seule. ABN Amro, Barclays, Credit Suisse, Lloyd's ou encore ING ont admis avoir effectué des transactions avec Cuba, la Libye, le Soudan, etc. 

    Dépendantes des liquidités des organisations criminelles, les banques occidentales ont donc massivement et sans complexe blanchi l'argent de la drogue. La City de Londres et Wall Street sont ainsi devenues, selon le journaliste italien, "les deux plus grandes blanchisseuses d'argent sale du monde", bien devant les îles Caïmans, l'île de Man et les autres paradis fiscaux. 

    Ce poids des organisations criminelles sur le système économique en temps de crise nous oblige à renforcer les mécanismes de contrôle sur le secteur bancaire et à approfondir la lutte contre le blanchiment, martèle Saviano. Un appel que les acteurs de la lutte antimafia, notamment en Italie, ont aussi relayé. Cité par La Repubblica, le procureur national antimafia italien Piero Grasso estime que le gouvernement italien doit impérativement réformer ses mécanismes législatifs et que l'Europe doit se doter au plus vite d'un "code pénal antimafia unique". 

    Confirmant l'analyse du journaliste, Piero Grasso précise que les premières auditions des nouvelles commissions antimafia européennes [mises en place en avril dernier] évoquent largement ce processus de blanchiment d'argent sale. "La N'Drangheta [mafia calabraise] a récemment blanchi 28 millions d'euros en quelques heures en acquérant un quartier entier en Belgique", a déclaré il y a peu Sonia Alfano, à la tête de la nouvelle commission anti-mafia du Parlement européen. 

    L'Europe du sud gangrénée

    La Grèce et l'Espagne comptent parmi les pays européens les plus touchés par la crise et ils sont aussi littéralement gangrénés par la corruption et le crime organisé. C'est pourquoi ils constituent deux exemples révélateurs des liens qui se nouent entre mafia, finance et crise, estime Saviano, qui consacre une large partie de son enquête aux deux pays. 

    Au même niveau que la Colombie dans le classement de l'ONG Trasparency international sur l'indice de corruption, la Grèce est une "terre d'investissement mafieux", où une soixantaine de familles mafieuses russes prospère depuis plusieurs années. Or en Grêce comme ailleurs, la crise n'a fait que renforcer la mainmise des réseaux mafieux sur le système bancaire. "A cause de la crise, les Grecs ont dû puiser dans leur épargne : environ 50 milliards d'euros ont ainsi été prélevés dans les banques grecques entre 2009 et 2011. Les possibilités légales de souscrire un prêt venant à manquer, de plus en plus de gens ont recours à des emprunts illégaux", écrit Roberto Saviano. 

    Le journaliste évoque ainsi un gigantesque marché noir de prêts illégaux en Grèce, dont le chiffre d'affaires s'élèverait à 5 milliards d'euros par an. Chiffre qui aurait quadruplé depuis le début de la crise en 2009. En janvier dernier, une organisation criminelle active depuis plus de quinze ans et composée d'une cinquantaine d'"usuriers" a été démantelée à Thessalonique (deuxième ville du pays). Elle prêtait à des taux d'intérêt compris entre 5 et 15 % par semaine et "punissait" les mauvais payeurs. 1 500 à 2 000 personnes auraient été victimes de ce réseau, dirigé par le propriétaire d'un restaurant et deux frères impliqués dans des trafics de drogue. D'après le ministère des Finances grec, la plupart des opérations usurières de ce type sont liées à l'activité de bandes criminelles originaires des Balkans et d'Europe de l'Est. 

    L'autre grand marché noir qui empoisonne les finances de l'Etat grec est celui du pétrole. On estime qu'environ 20 % de l'essence vendue en Grèce provient du marché illégal : il s'agirait d'une essence composée d'un mélange de carburant acheté légalement et de carburant acquis sur le marché noir. Un moyen pour les revendeurs de se faire une marge importante et d'éviter les taxes - une manne financière importante qui échappe à l'Etat.

    L'Espagne, elle aussi, est "colonisée par des groupes mafieux autochtones (les Galiciens, les Basques et les Andalous) et par des organisations étrangères (italiennes, russes, colombiennes et mexicaines), affirme Roberto Saviano. "Historiquement, l'Espagne a toujours été un refuge pour les parrains italiens en cavale. (…) Même si la lutte antimafia espagnole a progressé, le pays offre toujours de grandes opportunités de blanchiment, maximisées par la crise en Europe. Le boom immobilier qu'a connu l'Espagne entre 1997 et 2007 a constitué une manne pour ces organisations, qui ont investi leurs gains dans la pierre ibérique". De plus, selon le journaliste italien, la Grèce et l'Espagne sont les "portes d'entrée des routes de la cocaïne en Europe". Les trafiquants, essentiellement issus des rangs de la Camorra [mafia napolitaine], ont fait de l'Espagne une plaque tournante de leur trafic en direction des pays européens.

    Le "Vegas" espagnol, future plaque tournante ?


    "Dans ce contexte, le projet Eurovegas du magnat américain Sheldon Adelson de construire en Catalogne, en investissant 35 milliards de dollars, un complexe de casinos, d'attractions et de structures touristiques sur le modèle de Las Vegas, risque de transformer ces lieux en un des principaux centre de blanchiment d'argent sale de l'Occident", affirme l'auteur de Gomorra

    Etant donné les intérêts colossaux en jeux, quel est la capacité d'action du pouvoir politique ? Difficile de réduire les Etats à un simple rôle de victime et de spectateur passif. En Afrique, en Amérique latine, dans les Balkans et en Europe de l'est, les entreprises criminelles agissent à une telle échelle qu'il est impossible que les gouvernements ne soient pas partie prenante, estime l'écrivain et chroniqueur d'origine vénézuélienne Moisés Naim dans une tribune de La Repubblica.

    "Roberto Saviano a bien fait de soulever le problème, écrit Moisés Naim,(…) mais je serais un peu moins pessimiste [que lui] sur l'Europe, Espagne et Grèce comprises. La corruption y est très importante, certes, mais on ne peut pas parler d'"Etats mafieux" pour autant. (…). Dans un Etat mafieux, au départ, les criminels s'infiltrent dans le gouvernement, ils s'enrichissent et enrichissent leurs collaborateurs, leurs amis et les membres de leur famille, et exploitent leur influence politique et les liens qu'ils peuvent avoir avec le crime organisé pour cimenter et étendre leur pouvoir".
     
     
  • Les nouveaux chiens de garde


    Extraits de Les Nouveaux chiens de garde, Liber-Raisons d’Agir, 1997

    Les nouveaux chiens de garde

     

    Par Serge Halimi

    La construction de « l’intérêt du public »

    L’intérêt que nous éprouvons pour un sujet nous vient-il aussi naturellement que le prétendent les fabricants de programmes et de sommaires ? N’est-il pas plutôt construit par la place qui précédemment lui a été accordée dans la hiérarchie de l’information ? Lorsque la mort de Lady Diana fut annoncée (Le Monde y consacra trois « unes », TF1 un journal exceptionnellement prolongé qui, pendant 1 heure 31 minutes, ne traita que de ce seul sujet), comment quiconque aurait-il pu ne pas être « intéressé » ? Non pas que la nouvelle soit importante (la défunte n’avait aucun pouvoir, hormis celui de doper les ventes de la presse people), mais parce qu’à force d’entendre parler d’elle – de son mariage avec le prince Charles, de la naissance de chacun de ses enfants, de ses amants, des infidélités de son mari, de ses régimes alimentaires, de sa campagne contre les mines antipersonnel – La princesse était, qu’on le veuille ou non, entrée dans nos vies. On en avait appris davantage sur elle que sur bien des membres de notre entourage.

    Alors, forcément, sa mort nous « intéressa ». Peut-être se serait-on intéressé à d’autres sujets si les médias leur avaient consacré autant de temps et de moyens qu’à ce fait divers-là. Car comment peut-on se soucier de ce qui advient en Colombie, au Zimbabwe ou au Timor-Oriental quand on ignore l’existence de ces pays ? Les libéraux insistent sans relâche sur le rôle économique de l’offre. Sitôt qu’il s’agit d’information et de culture, ils prétendent cependant tout expliquer par la demande...

    Une uniformité très naturelle

    L’oubli du monde est idéologie puisqu’il construit un autre monde. Le« fait divers qui fait diversion » est idéologie puisqu’il attire l’attention sur l’anodin, et la détourne du reste. L’audimat aussi est idéologie. Alors président de la Société des journalistes de France 2, Marcel Trillat a expliqué que, grâce à une enquête d’audience minute par minute, la direction de l’information savait ce qui avait marché et ce qu’il fallait éviter.

    Mais, au jeu du spectacle, le résultat est connu d’avance : « Notre public devra se contenter, le plus souvent, de pensée prêt-à-porter, d’“images dramatiques”, de la langue de bois des têtes d’affiche de la politique et de l’économie. De vedettes du show-biz ou du cinéma venues assurer la promotion de leur dernier chef-d’œuvre en direct à 20 heures. Sans parler du record du plus gros chou-fleur de Carpentras ou des vaches envoûtées dans une étable des Hautes-Pyrénées. Au nom de la concurrence, chacun court pour copier l’autre. » Tout est dit. Nulle cabale ou conspiration : l’audimat est niché dans la tête des responsables de rédaction, soucieux de satisfaire les actionnaires et les annonceurs. L’uniformité devient alors chose très naturelle, rythmée par le balancier du marché.

    La résistance par la lucidité

    Parlant des journalistes de son pays, un syndicaliste américain a observé : « Il y a vingt ans, ils déjeunaient avec nous dans des cafés. Aujourd’hui, ils dînent avec des industriels. » En ne rencontrant que des « décideurs », en se dévoyant dans une société de cour et d’argent, en se transformant en machine à propagande de la pensée de marché, le journalisme s’est enfermé dans une classe et dans une caste. Il a perdu des lecteurs et son crédit. Il a précipité l’appauvrissement du débat public. Cette situation est le propre d’un système : les codes de déontologie n’y changeront pas grand-chose. Mais, face à ce que Paul Nizan appelait « les concepts dociles que rangent les caissiers soigneux de la pensée bourgeoise », la lucidité est une forme de résistance.

  • Anonymous,petit historique

    Anonymous, de l’humour potache à l’action politique

    Noir total : le 18 janvier, une myriade de sites Internet, dont l’encyclopédie contributive Wikipédia, baissaient le rideau pour protester contre le Stop Online Piracy Act (SOPA). Sous couvert de lutte contre le partage de fichiers, ce projet de loi américain voulu par le lobby de l’industrie culturelle rendait possible une large censure de la Toile. Il fut ajourné. Le lendemain, le Federal Bureau of Investigation (FBI) fermait le site de téléchargement Megaupload, déclenchant une riposte du collectif Anonymous : les sites de la Maison Blanche et d’Universal Music, notamment, étaient touchés. De New York au Caire en passant par Tunis, des réseaux virtuels à la rue, une nouvelle culture de la contestation a émergé. Ceux qui l’ont forgée découvrent à la fois l’étendue et les limites de leur pouvoir.

    par Felix Stalder, février 2012

    Spectaculaires, les attaques informatiques menées au nom de la liberté d’expression et de la justice sociale sous l’étiquette « Anonymous » se multiplient. Dernières cibles en date : le site d’ArcelorMittal en Belgique, au début de janvier, pour protester contre la fermeture de deux hauts fourneaux ; le site du cabinet de renseignement privé américain Stratfor, sur lequel ont été dérobées des dizaines de milliers de données personnelles ; le ministère de la défense syrien, en août 2011, ou avant cela, en juin, le site de la police espagnole, après l’arrestation de trois membres supposés d’Anonymous dans ce pays.

    Qui se cache derrière ce masque ? Hackers d’élite, ados ignorants, dangereux cyberterroristes, simples trolls (« perturbateurs ») à l’humour potache ? Aucune de ces définitions n’est fausse, car chacune rend compte d’une facette du phénomène. Cependant, toutes passent à côté de l’essentiel : Anonymous n’est pas un, mais multiple ;

    il ne s’agit ni d’un groupe ni d’un réseau, mais d’un collectif ou, plus précisément, de collectifs qui s’appuient les uns sur les autres.

    A sa manière — extrême —, Anonymous est emblématique des mouvements de contestation qui s’étendent depuis 2011 aussi bien dans le monde arabe qu’en Europe et aux Etats-Unis. Le gouffre qui sépare ceux-ci des systèmes politiques qu’ils contestent se manifeste dans des formes d’organisation radicalement opposées. D’un côté, des structures hiérarchisées, avec des dirigeants habilités à parler au nom de tous par des procédures de délégation de pouvoir, mais dont la légitimité a été affaiblie par la corruption, le favoritisme, le détournement des institutions. De l’autre, des collectifs délibérément dépourvus de chefs, qui rejettent le principe de la représentation au profit de la participation directe de chacun à des projets concrets. Leur diversité permet que la prise de décision se fasse par agrégation rapide de participants sur un sujet précis, plutôt qu’en dégageant une majorité officielle. L’establishment politique juge ces formes d’organisation inintelligibles et exprime sa stupeur face à l’absence de revendications concrètes qu’il pourrait relayer.

    Ces collectifs temporaires — qu’on peut aussi décrire comme des « essaims », swarms en anglais (1) — se composent d’individus indépendants utilisant des outils et des règles simples pour s’organiser horizontalement. Comme le sou- ligne le fondateur du Parti pirate suédois, M. Rick Falkvinge, « tout le monde étant volontaire (...), la seule façon de diriger consiste à emporter l’adhésion d’autrui (2) ». Ainsi, la force du collectif vient du nombre de personnes qu’il regroupe et de l’éclairage qu’il jette sur leurs projets divers et indépendants.

    Un collectif naît toujours de la même manière : un appel à la mobilisation avec, en regard, des ressources pour une action immédiate. Spécialiste des médias sociaux, Clay Shirky a identifié trois éléments indispensables à l’apparition de ce type de coopération souple : une promesse, un outil, un accord (3). La promesse réside dans l’appel, qui doit être intéressant pour un nombre critique d’activistes et dont la proposition doit sembler réalisable. Il peut s’agir, par exemple, d’attaquer tel ou tel site gouvernemental en réponse à la censure. Des outils disponibles en ligne, comme le fameux logiciel Low Orbit Ion Cannon (LOIC), ainsi nommé en référence à La Guerre des étoiles,permettent de coordonner les démarches dispersées des volontaires. L’accord porte sur les conditions que tout un chacun accepte en entrant dans l’espace collectif de l’action.

    « Foutage de gueule ultracoordonné »

    Au fil du temps, les trois dimensions peuvent évoluer et le collectif, grandir, changer d’orientation, se désagréger. Afin qu’il ne disparaisse pas aussi vite qu’il est apparu, il faut un quatrième élément, un horizon commun qui « permette aux membres dispersés d’un réseau de se reconnaître mutuellement comme vivant dans le même univers imaginaire de référence », ainsi que l’écrit le critique d’art et essayiste Brian Holmes (4). C’est ici qu’intervient le fameux masque d’Anonymous. Identité ouverte, résumée par quelques slogans assez généraux, des éléments graphiques et des références culturelles partagées : chacun peut s’en revendiquer — mais cela n’a de sens que si l’on partage le même esprit, le même humour, les mêmes convictions antiautoritaires et la même foi dans la liberté d’expression.

    Le président français Nicolas Sarkozy avait beau appeler de ses vœux, lors du e-G8 de Paris, en mai 2011, un « Internet civilisé », les recoins sombres où tout est possible continuent d’exister. Le site 4chan.org, forum créé en 2003, simple d’un point de vue technique et plébiscité par les internautes, est emblématique de la démarche : on peut y poster textes et images sans s’inscrire, les messages étant signés « Anonymous ». Son forum le plus fréquenté, /b/, n’obéit à aucune règle en matière de contenu. Le site ne mémorise pas les billets : les messages qui ne suscitent aucune réponse sont rétrogradés en bas de liste avant d’être effacés, ce qui arrive généralement en l’espace de quelques minutes. Rien n’est archivé. La seule mémoire qui vaille est celle des internautes. Une logique qui a ses avantages et ses inconvénients : tout ce qui est difficile à retenir et qui n’est pas répété disparaît.

    Pour ne pas sombrer dans l’oubli, quantité de ces messages prennent chaque jour la forme d’appels à l’action — par exemple, une invitation à vandaliser telle page de l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Si l’idée séduit un nombre suffisant d’internautes, un petit essaim s’abat sur la cible. Pour le simple plaisir. La répétition et l’engagement ont créé une culture où disparaissent les individualités et les origines, une tradition du« foutage de gueule ultracoordonné », selon l’expression d’un hacker interrogé par Gabriella Coleman, anthropologue de la culture geek (5).

    En cinq ans, ces internautes sont devenus des Anonymous, terme générique ou avatar d’une identité collective. Leur habitude de l’outrance induite par l’anonymat va de pair avec une profonde méfiance envers toute forme d’autorité tentant de réguler la parole sur Internet, pour des prétextes jugés parfaitement hypocrites comme la lutte contre la pornographie enfantine.

    Ce n’est donc pas un hasard si, au cours de l’hiver 2008, des internautes ont adopté cette identité pour s’attaquer à l’Eglise de scientologie. La guerre avait été déclarée une dizaine d’années auparavant par les hackers ; ceux-ci révélaient fraudes et manipulations, tandis que l’Eglise de scientologie mobilisait des moyens considérables pour faire disparaître les informations gênantes et détruire la réputation des personnes qui la critiquaient. Les Anonymous s’en mêlèrent quand la secte tenta d’empêcher la circulation d’une vidéo de propagande dans laquelle l’acteur Tom Cruise, haut responsable de l’Eglise, semblait mentalement déséquilibré. En réponse à l’inévitable rafale de procès, une vidéo faussement sérieuse des Anonymous annonça la destruction prochaine de la secte. Il s’ensuivit, sur différents forums de discussion, une période de polémiques virulentes, à l’issue de laquelle s’élabora une combinaison spécifique promesse-outil-accord.

    Au-delà des actions en ligne, une journée mondiale d’action fut organisée. Des manifestations eurent lieu le 18 février 2008 dans quatre-vingt-dix villes d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Afin d’échapper aux représailles de la secte, bon nombre de manifestants portaient le désormais célèbre masque de Guy Fawkes, rebelle catholique anglais du XVIe siècle, imitant ainsi le héros de V pour Vendetta, la bande dessinée d’Alan Moore et David Lloyd dont l’histoire se déroule dans un monde totalitaire. Pour la première fois, des membres d’Anonymous se rencontrèrent physiquement, établissant la jonction avec des militants plus traditionnels.

    Ces manifestations demeurèrent le principal objectif politique des Anonymous pendant les deux années qui suivirent. Puis, en septembre 2010, un collectif se forma autour de la campagne Operation Payback. Celle-ci débuta par une attaque contre Airplex Software, société indienne missionnée pour s’en prendre au site d’échange de fichiers The Pirate Bay. La campagne s’étendit aux sites de la Motion Picture Association of America (MPAA) et d’organismes prônant, sous prétexte de lutter contre les échanges de fichiers, le contrôle d’Internet. Cri de ralliement : « Ils parlent de piratage, nous parlons de liberté ! »

    Au cours de ces actions, l’identité politique des Anonymous se précisa ; leurs moyens techniques et leurs stratégies se sophistiquèrent. En décembre 2010, quand WikiLeaks fut empêché de recevoir des dons après avoir publié des câbles diplomatiques (6), Operation Payback refit surface et attaqua les sites de MasterCard, Visa, PayPal et Bank of America. En janvier 2011, les Anonymous intervinrent de façon très organisée en Tunisie, où ils attaquèrent des sites gouvernementaux. Les blogueurs tunisiens y gagnèrent le sentiment de pouvoir compter sur la solidarité internationale.

    Un effet galvanisant

    Tout au long de l’année 2011, les collectifs Anonymous se sont multipliés et ont lancé d’innombrables appels. Il s’agissait parfois d’internautes désireux d’attirer l’attention sur eux ou de tirer profit de modes médiatiques. Mais d’autres collectifs ont fédéré un grand nombre de personnes. Le 23 août 2011, les Anonymous ont diffusé une vidéo appelant à occuper Wall Street, reprenant ainsi une idée que défendaient depuis quelques semaines les Canadiens d’Adbusters.

    L’outrance et l’audace des Anonymous leur permettent d’adopter des slogans — « Le piratage, c’est la liberté » — si forts que pas un acteur politique traditionnel n’oserait y recourir sans craindre de perdre sa crédibilité. Avec un effet galvanisant radical sur des énergies latentes que les mobilisations classiques ennuient. Cependant, quelle que soit sa force, la spontanéité à grande échelle ne peut se mesurer aux institutions établies que sur le mode de la destruction. Cette forme d’organisation n’a pas pour objectif de construire des institutions alternatives. Elle collabore à la formation d’un horizon commun de contestation qui facilitera peut-être l’action future. Elle a déjà fissuré des murs qui semblaient indestructibles. D’autres protestataires transformeront ces failles en ouvertures.

    Felix Stalder

    Enseignant à l’Université des arts de Zurich et chercheur à l’Institut des nouvelles technologies culturelles de Vienne.
  • L’embrouille dans toute sa splendeur

    Parlons Net
    Le bruit et l’odeur (du Nouvel-Observateur)

    Le Nouvel Observateur (2 août 2012) titre :« Obama aurait signé une directive secrète de soutien aux rebelles syriens ».

    « Le président américain Barack Obama a signé un document secret autorisant l’aide américaine aux rebelles syriens, qui tentent de renverser le régime de Bachar el-Assad, ont rapporté des chaînes de télévision américaines mercredi 1 août […] La directive était incluse dans une "conclusion" - un instrument permettant aux services secrets américains (CIA) d’agir clandestinement, ont affirmé NBC et CNN, citant des sources non-identifiées. »

    Du glissement du titre prudent (« aurait signé ») au texte péremptoire (« a signé ») à l’évocation d’un« document secret » (dont on ne sait donc rien) et jusqu’à l’évocation des « services secrets », de la CIA et d’actions « clandestines », on voit bien qu’on est tombés dans le domaine du complot et de laconspiration initiés par « des sources non-identifiées » (1).

    Or, une filiale du Nouvel-Obs (non, pas Sanibroyeur, l’autre : Rue 89) nous a expliqué récemment que le manque de rigueur dans le choix des informations, les penchants complotistes et conspirationnistes sur fond d’anti-impérialisme primaire convoquent insidieusement le négationnisme, une branche de l’antisémitisme.

    Par conséquent, je compte bien que LGS se démarque et ne cite plus jamais NBC, CNN, le Nouvel-Obs, Rue89 (relaxe pour Sanibroyeur).

    Arrière les roses-bruns !

    Théophraste R. (dénonciateur de bruit (de chiotte) et d’odeur).

    (1) Cela ne vous fait pas penser à un sketch de Coluche ?