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Gouvernement français:décryptage - Page 25

  • Kadhafi aurait été assassiné par un agent secret français

     D’après le quotidien italien Il Corriere della Sera, le colonel Kadhafi aurait été tué par un agent secret français avec la complicité de Damas. Pourquoi ? Parce que le dictateur libyen menaçait de faire des révélations sur le financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007. Pour le régime syrien, il s’agissait de resserrer les liens avec la France.

    Le président français Nicolas Sarkozy recevant Mouammar Kadhafi à l'Elysée le 10 décembre 2007.Le président français Nicolas Sarkozy recevant Mouammar Kadhafi à l'Elysée le 10 décembre 2007.AFP
    Ce serait donc un “agent étranger”, et non les Brigades révolutionnaires libyennes, qui aurait tué Muammar Kadhafi d’une balle dans la tête le 20 octobre 2011, près de Syrte. Ce n’est pas la première fois que la version officielle de la mort du Colonel est mise en doute en Libye ou à l’étranger. Mais cette fois, c’est Mahmoud Jibril lui-même, ancien Premier ministre du gouvernement transitoire et aujourd’hui pressenti pour diriger le pays après les élections parlementaires du 7 juillet [son parti a obtenu la majorité], qui relance l’hypothèse d’un complot ourdi par des services secrets étrangers. “C’est un agent étranger infiltré dans les Brigades révolutionnaires qui a tué Kadhafi”, a déclaré ce dernier lors d’un entretien accordé à la chaîne de télévision égyptienne Dream TV, au Caire, où il participait à un débat sur le “printemps arabe”.

    

Un barbouze était donc présent au moment du lynchage de Kadhafi par les rebelles. Au sein des cercles diplomatiques occidentaux présents dans la capitale libyenne, la théorie officieuse la plus répandue est que, si des services étrangers sont effectivement impliqués, “alors il s’agit presque certainement des Français”. Et d’ajouter : “Le fait que Paris ait voulu éliminer le colonel Kadhafi est un secret de polichinelle.” Le raisonnement est bien connu : dès les premiers signes de soutien de l’OTAN à la révolution, en grande partie sous l’impulsion du gouvernement de Nicolas Sarkozy, Kadhafi a menacé de révéler les détails de ses liens avec l’ancien président de la République, à commencer par les millions de dollars versés pour financer sa campagne électorale en 2007. “Sarkozy avait toutes les raisons de faire taire le raïs au plus vite”, nous ont répété samedi 29 septembre des sources diplomatiques européennes à Tripoli. Une thèse renforcée par des révélations obtenues par le Corriere della Sera il y a quatre jours à Benghazi.

    

La trahison de Bachar El-Assad


    Là-bas, Rami El-Obeidi, ancien responsable des relations avec les agences de renseignements étrangères pour le compte du Conseil national de transition jusqu’à mi-2011, nous a révélé comment l’OTAN avait pu localiser la cachette de Kadhafi après la libération de Tripoli par les révolutionnaires entre le 20 et le 23 août 2011. “À l’époque, on pensait qu’il s’était enfui dans le désert, en direction de la frontière sud de la Libye”, explique Obeidi. Mais en réalité, il s’était réfugié dans son fief de Syrte avec son fils, Mutassim, qui dirigeait les dernières troupes encore en état de combattre. Obeidi ajoute : “Là, le raïs a essayé de communiquer, grâce à son téléphone satellite Iridium, avec certains de ses fidèles qui avaient trouvé refuge auprès de Bachar El-Assad, en Syrie. Parmi eux, il y avait notamment son disciple chargé de la propagande télévisée, Youssef Shakir. Et c’est justement le chef d’État syrien qui a transmis le numéro de téléphone satellitaire de Kadhafi aux services secrets français.” La raison ? “En échange, Assad aurait obtenu de Paris la promesse de limiter les pressions internationales sur la Syrie en vue de faire cesser la répression contre le peuple en révolte.” Localiser le téléphone satellite et son propriétaire aurait ensuite été un jeu d’enfant pour les experts de l’OTAN. Si cette thèse venait à être confirmée, nous pourrions en déduire que ce fut la première étape vers la fin tragique du dictateur, quelques semaines plus tard.

  • La vie des Nord-Africains à Paris en 1955

    PORTFOLIO | 15 PHOTOS

     

    Des cours de français pour Algériens, des jeux d'enfant dans la boue des bidonvilles, la pause au café... C'est ce que racontent les photos prises par Pierre Boulat en 1955. Un témoignage unique qui montre, bien avant les années noires de la guerre d'Algérie, la ségrégation imposée par l'Etat français à ces "Français musulmans d'Algérie", selon les termes administratifs de l'époque. Né en 1924 et mort en 1998, Pierre Boulat a consacré sa vie à la photo, devenant après-guerre un des plus grands photoreporters publié par Life, Paris-Match, le TimeNational Geographic...Certaines de ces photos sont exposées jusqu'au 19 mai à la Cité de l'immigration, dans le cadre deVies d'Exil, 1954-1962, des Algériens en France pendant la guerre d'AlgérieA voir aussi, sur Mediapart, l'entretien vidéo avec Monique Hervo: la guerre d'Algérie vue d'un bidonville de Nanterre.

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    En 1955, ce que l'on appelle communément la guerre d'Algérie (1954-1962) venait de commencer. Dans le quartier de la Goutte d'Or à Paris, la police fait face à des Nord-Africains à l’angle des rues de Chartres et de la Charbonnière.

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    Dans un bidonville de Nanterre. La commune comptait dix-sept bidonvilles où étaient regroupées quelque 
    10 000 personnes. © Pierre Boulat / Cosmos

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    Dans le bidonville de Nanterre. D'abord ce furent les hommes qui arrivèrent dans une France qui manquait alors de main d'œuvre. Puis, ils firent venir leur famille pour les protéger de la guerre. © Pierre Boulat / Cosmos

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    Une partie de dominos dans le café Maure de la rue Maitre Albert. © Pierre Boulat / Cosmos

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    Avant l'embauche, vérification des papiers.

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    Des immigrés prennent des cours de français.

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    Le marché au troc à la Porte de Saint-Ouen, au nord de Paris, où s'étalle aujourd'hui le marché aux Puces. 
    © Pierre Boulat / Cosmos

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    A Courbevoie devant des ouvriers métallurgistes, une danseuse du ventre récolte quelques billets dans le soutien-gorge. Elle fait tous les soirs la tournée des cafés. © Pierre Boulat / Cosmos

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    Fouille au corps dans le bidonville de Nanterre. Gendarmes et policiers contrôlaient à la première occasion ceux qu’ils appelaient les « bicots ». Il n’y avait pas de tension, les Arabes étaient calmes, éberlués, un peu peinés. Mais l’escalade commençait.

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    A Billancourt, une paillasse pour trois et l’on se relaie. © Pierre Boulat / Cosmos

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    Coupe de cheveux dans un café. © Pierre Boulat / Cosmos

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    Mr Abdel Krim Bouzekkar, gardien d’usine, a « réussi ». Il a fait venir sa famille et grâce au prêt de l’Association d’aide aux familles nord-africaines il a pu acheter cet appartement qu’il paiera en vingt ans.

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    Foyer pour les travailleurs algériens après le nettoyage du bidonville de Gennevelliers.

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    Repas dans un foyer. © Pierre Boulat / Cosmos

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    Vendeur des quatre saisons dans une rue.

    TOUS LES COMMENTAIRES

    Vivre au paradis...

    Remarquable, Giulietta. Ça me rappelle le foyer Sonacotra où les immigrés étaient entassés quand je les rencontrais en 1975 à Epinal. Entassés, exploités, mais tellement accueillants et chaleureux. 

    A Chevalier

    Je ne suis pas de cette génération qui a connu cette période, mais ma grand-mère m'a raconté, cette condition de vie,  même si elle vivait dans une autre région et à une autre période.

    Le film vivre au paradis m'a marqué.

    https://www.youtube.com/watch?v=NLyvOuXQRCA

     

    il y a aussi le superbe doc de yasmina ben guigui "mémoires d'immigrés"

     

    A Massasté

    Son démenti ne change rien à mon opinion sur elle.

    Je mets au même niveau d'opportunisme Yamina Benguigui, Rachida Dati, Fadela Amara...

    Quel rapport avec le documentaire "Mémoires d'Immigrés"..??

    J'ai aimé "Z..." et ne me suis jamais préoccupée de la vie privée de Costa-Gavras..

    J'ai aimé "La Belle et la Bête" sans "juger" (!!) Jean Cocteau...

    Et vous avez beaucoup de mérite d'avoir su remettre en question cette peur de l'autre !

    Koikidi

    Ceci explique, pourquoi des enfants pouvaient dire à d'autres enfants, dans la cour de récré :   "on ne joue pas avec les arabes"..

    Les arabes n'allaient pas à l'école avec nous. si je me souviens bien il n'y avait pas d'enfants.

    Koikidi

    Je ne parle pas spécialement de cette période.

    Début des années soixante, nous habitions une HLM près des terrains vagues entre la Porte de la Chapelle et la Porte d'Aubervilliers à Paris.Le périf n'était pas tout à fait terminé.

    J'ai connu aussi ce genre de propos, que ma mère me tenait... 

    Depuis, j'ai appris aussi.

    en 1955 les conditions d'existence des petits Français n'étaient pas trés différente des immigrés. voir ces photos avec l'évolution de 2012 est une vision fausse

     

    Ce que je vois aussi, sur ces photos, c'est qu'on sourit.  C'est un point de vue un peu réducteur évidemment, mais il est une certaine pauvreté moins sinistre qu'une certaine aisance où l'avenir se voile. Ce qui compte souvent c'est de savoir si on descend, si on monte ou si l'on est sur un plateau; la vue n'est pas la même. 

    Les français musulmans... en Algérie "française" c'était les "indigènes" et ils n'avaient pas les mêmes droits que les coloniaux.

    Les français n'ont pas fini de se pardonner le mal qu'ils ont fait aux algériens...

    Au CE2 en 1951 dans une classe d'une école des Frères du nord de la France on se disputait la première place mon copain Hamza et moi avec qui je rentrais de l'école pendant que son père été pompiste à l'aéroport d'Alger.

     Mais j'aimerais qu'un économiste sérieux m' explique sans tabou si ce ne fut pas une erreur de plus de nos irresponsables politique que d'avoir fait venir, pas aux dépens de leur train de vie à eux,  trop de Maghrébins, et encore plus après les accords d'Evian de 1962, ce qui permettait de sous-payer les ouvriers d'ascendance « européenne » qui auraient accepté certains boulots pénibles plus justement payés.

     Oui ou non, en 2012 la France est-elle surpeuplée et physiquement surpolluée avec trop de chômeurs, dont pas mal de descendants des immigrés maghrébins des années 1945-1965 qui sont nos concitoyens à part entière avec théoriquement les même droits que les autres, y compris les mêmes avantages sociaux que leurs parents et grands parents ce qui est normal ? Mais des avantages qui ne correspondent pas à autant de cotisations salariales, donc payés avec de l'argent qui n'est pas disponible pour réduire la misère de trop nombreux Français de souche qui vivent difficilement.   

     

    EVOLSPIR demande : Oui ou non, en 2012 la France est-elle surpeuplée et physiquement surpolluée avec trop de chômeurs, dont pas mal de descendants des immigrés maghrébins des années 1945-1965 [...] ? 

    Physiquement polluée par les chômeurs, on croit rêver !

    Le véritable polluant, celui qui détruit le lien social, c'est celui pour qui Égalité et Fraternité seraient des mots qu'il faudrait oublier afin, sans doute de  réduire la misère de trop nombreux Français de souche

    Les ouvriers d'ascendance  "européenne"  auraient-ils un droit de préséance sur les autres ?

    Serait-ce là l'enseignement des écoles des Frères du nord de la France ?

    Enfin, ça fait drôle de trouver sur Médiapart, ce discours au relents"bleu Marine" que la banalisation ne rend pas moins nauséabonds. 

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    Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'autant de cotisations salariales??? Moi, française de souche, j'ai bossé à l'étranger, et pour des étrangers sans convention avec notre douce France, moyennant quoi ces annes ne comptent pas dans ma retraite. S'il y a moins de cotis', il y a moins de retraite. Quant aux sous dépensés pour un étranger, il convient de rappeler à toute fins utiles qu'un étranger est un type qui ne coûte pas un traitre sou de formation. Un enfant ça coûte des sous à la nation. Or, ils arrivent tous chauds tous rôtis, adultes et sans enfance coûteuse.

    Le capitalisme actuel vit d'un taux de chômage structurel hallucinant. Mais étrangers et nationaux sont logés à la même enseigne, et les travaux faits par le personnel semi esclave des illégaux continue d'exister même en période de chômage et de sous-emploi.

    J'en déduis que Verslui se trompe d'ennemi, se trompe de misère, se trompe de beaucoup de choses en pensant que trop d'étrangers sont là. Les économistes du système savent très bien que le taux d'étrangers actuellement est plus bas qu'il n'a été, que les français ont fait peu d'enfants pendant une époque et que la population avait donc besoin du sang neuf injecté par les étrangers, et que le système actuel n'a nullement l'intention d'en finir avec le travail illégal et le trafic d'hommes, même s'il montre les dents occasionnellement.

    Algériens, Roms, Juifs...même combat pour la liberté et l'acceptation de leurs identités...et cela bien avant 1945 tout comme aprés...Hélas.

    Savoir qu'aujourd'hui, il existent encore des êtres dit " bien pensants " qui sont antisémites et osent l'écrire...dans quel démocratie sommes nous depuis tant de temps ?

    André

     

    Pendant ce temps, , une autre partie de la Méditerranée faisait la moue à la moitié de la Méditerranée , sans douter que entre le Nord et le Sud , il n'y a aucune barrière de mort ou de vie mais seulement un gommage de magnitude entre zéro et mille degrés de chaleur humaine .

     
  • La police et les Algériens

    La police et les Algériens : continuités coloniales et poids de la guerre d’indépendance

    par Françoise de Barrosle 17/10/2012
     
    Comment expliquer le traitement des Algériens par la police parisienne au milieu du XXe siècle ? Au terme d’une enquête fouillée, le livre d’Emmanuel Blanchard décrit le rôle des transferts en métropole de structures, de carrières et de pratiques coloniales, et souligne le poids du contexte de la guerre d’indépendance dans la genèse de la violence policière.
    Recensé : Emmanuel Blanchard. 2011. La police parisienne et les Algériens (1944-1962), Paris : Éditions du Nouveau Monde.

    Dossier : L’empreinte de la guerre d’Algérie sur les villes françaises


    Pour Emmanuel Blanchard, le 17 octobre 1961 est « une date à part dans l’histoire du maintien de l’ordre à Paris au XXe siècle » (p. 378), ne serait-ce qu’en raison de la violence physique extrême utilisée par l’ensemble des forces de police (CRS, gardes mobiles, gardiens de la paix, compagnies de districts notamment) dont atteste son bilan : au minimum, plusieurs dizaines d’Algériens tués et près d’un millier de blessés graves, non seulement par balle, mais aussi par noyade, matraquage et étouffement. Bien que traité dans le dernier chapitre de son livre, ce déchaînement de violence est l’un des points de départ de l’enquête menée par l’auteur sur les pratiques de la préfecture de police de Paris à l’égard des Algériens entre 1944 et 1962. Cette monographie peut dès lors se lire dans deux perspectives. La première est une sociologie de la police à la croisée de la sociologie des professions, du travail, de l’administration et des usages légitimes de la violence physique. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle embrasse autant les pratiques des « agents de terrain » que celles des préfets de police et, autant que les sources le permettent, celles des Algériens eux-mêmes. C’est toutefois à une autre perspective que l’on s’attachera ici : les circulations impériales à l’intérieur d’un espace incluant territoire métropolitain et espaces colonisés. Pour rendre justice à l’apport de ce travail à cette seconde perspective, il convient de distinguer trois niveaux : les structures, les carrières et les pratiques. La qualité d’analyse d’Emmanuel Blanchard permet, à chacun de ces niveaux, de qualifier les processus de continuité à l’œuvre, avec leurs limites et des nuances, et de mettre en évidence, in fine, le rôle joué par les situations guerrières.

    Des structures d’encadrement pour Algériens : continuités historiques et transferts géographiques

    Depuis l’entre-deux-guerres jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance au moins, la préfecture de police de Paris (PPP) dédie des structures aux Algériens de façon permanente, à l’exclusion des années 1945-1953. Cette continuité apparemment simple pose toutefois déjà la question de son critère : celui du territoire ou celui du temps.

    En effet, la création en 1925 d’une Brigade nord-africaine (BNA) et d’un « service d’assistance aux indigènes nord-africains » (SAINA) à la préfecture de la Seine correspond à une extension en métropole du statut de colonisé des Algériens. Cette brigade est supprimée en 1945 lorsque le statut organique de l’Algérie adopté alors accorde aux Algériens résidant en métropole une complète égalité juridique avec les autres Français. La création en 1953 d’une « Brigade des agressions et violences » (BAV) au sein de la police judiciaire est la solution que trouve le préfet de police pour contrôler puis réprimer spécifiquement les Algériens, en dépit de cette égalité juridique. Elle revient, donc, à une continuité dans le temps de discriminations coloniales juridiquement caduques.

    Le début de la guerre d’indépendance lève définitivement l’équivoque sur le statut colonisé des Algériens, même en métropole, et, dès lors, les structures que la PPP multiplie à leur endroit à partir de 1957 relèvent à nouveau d’une continuité en métropole de structures créées en Algérie pour la guerre de décolonisation. Ainsi sont créés en 1958 le « service de coordination des affaires algériennes » (SCAA), transposition du centre de renseignement et d’action de la préfecture de Constantine, qui servait à faire travailler ensemble policiers et militaires ; des « sections d’aide technique aux français musulmans d’Algérie » (SAT-FMA), sur le modèle des sections administratives spécialisées (SAS) d’Algérie, pour assurer un contrôle social, policier et politique des Algériens sur une circonscription donnée ; et une « Force de police auxiliaire » (FPA), pendant des harkas chargées en Algérie de protéger les personnels des SAS. Ils sont complétés en 1959 par le Centre d’identification de Vincennes (CIV), l’un des lieux parisiens les mieux identifiés du véritable « archipel carcéral » constitué en métropole par des Centres d’assignation à résidence surveillée (CARS) à destination des seuls Algériens, à l’instar des centres de détention mis en place en Algérie par les militaires chargés, à partir de 1955, de pouvoirs de police.

    Des carrières administratives impériales : parcours géographiques, compétences spécifiques et expériences répressives

    En l’absence de structures ad hoc entre 1945 et 1953, l’encadrement propre aux Algériens de l’entre-deux-guerres se maintient a minima grâce à une minorité des personnels de la BNA et du SAINA qui continuent de travailler à leur contact pour le compte de la PPP ou de la préfecture de la Seine. Lorsque, dès 1950, de nouveaux postes de spécialistes de la population algérienne, les « conseillers sociaux », sont créés, ils sont recrutés en fonction de compétences linguistiques en arabe ou en berbère, d’attaches personnelles avec l’administration et/ou la société coloniale algérienne, voire d’une appartenance aux corps de sous-officiers des troupes coloniales et de solides recommandations de personnalités en lien avec l’appareil colonial en Algérie. Les recrutements pour les structures mises en place à partir de 1958 établissent des liens encore plus étroits avec l’appareil colonial : les SAT-FMA et les services d’identification du CIV sont composés exclusivement d’officiers des Affaires algériennes, les FPA essentiellement d’Algériens. Mais avant la guerre d’indépendance, le recrutement « colonial » n’est pas systématique dans les nouvelles structures. En particulier, il est très minoritaire à la BAV en raison de son recrutement local, alors que la police nationale recrute sur l’ensemble des départements métropolitains et algériens. Les effectifs de la BAV étant nettement supérieurs à ceux des « conseillers sociaux » qui opèrent à la même époque, on peut même conclure à une minorité numérique des personnels policiers issus des sociétés coloniales, ou les connaissant personnellement, parmi l’ensemble de ceux qui sont affectés à la police des Algériens à Paris.

    En revanche, si l’on considère les niveaux hiérarchiques supérieurs, depuis les ministres de l’Intérieur jusqu’aux préfets de police, les dimensions coloniales sont continues, mais de significations très variées. Elles vont, pour les ministres, de la simple « prise en compte des intérêts des colons », fondée sur des liens effectifs ou une proximité idéologique, jusqu’à de véritables spécialisations administratives pour les préfets. Ces derniers, en tant que spécialistes du maintien de l’ordre, ont ainsi systématiquement occupé les fonctions de gouverneur général de l’Algérie, dès le XIXe siècle. Toutefois, cette permanence du lien avec l’Algérie ne dit rien de sa nature, et donc de l’interprétation que l’on peut faire des « carrières coloniales » quant aux pratiques qu’elles induisent. Ainsi, le métropolitain d’origine Maurice Papon est converti à la « guerre psychologique contre-révolutionnaire » en Algérie et à la répression coloniale violente au Maroc, tandis que son contemporain André Dubois, « algérien sur trois générations », refuse un poste de préfet d’Alger qui aurait pu l’obliger à assumer une politique insuffisamment libérale. Emmanuel Blanchard invite ainsi à ne pas homogénéiser artificiellement des affectations en Algérie, ou dans tout autre espace colonisé, et à analyser l’administration en colonie comme un espace social et professionnel à part entière, qui, s’il peut être « connecté » à l’espace métropolitain, n’en est pas moins diversifié, voire relativement complexe, surtout lorsqu’on examine les pratiques elles-mêmes.

    Pratiques discriminatoires, pratiques répressives : quelles continuités ?

    Continuités de structures, de personnels et de carrières sont indissociables des continuités de pratiques, car des continuités de pratiques coloniales sont souvent déduites de continuités de structures et/ou de carrières. Or, le constant souci de l’auteur de chercher à saisir les pratiques à l’égard des Algériens montre que les liens entre structures, personnels et pratiques sont à géométrie variable.

    Les pratiques discriminatoires de la BNA, puis celles des « conseillers sociaux » de la préfecture de la Seine, consistaient à utiliser l’aide sociale et sanitaire pour surveiller et réprimer les Algériens. On pourrait dès lors les considérer comme une duplication en métropole du contrôle des populations indigènes assuré en Algérie au moyen des communes mixtes dans lesquelles ces tâches aussi étaient mêlées – d’autant que les Algériens font également l’objet de descriptions qui recyclent en partie des « savoirs » acquis auprès d’« experts coloniaux » extérieurs à la PPP. Mais l’auteur souligne que cette association fait partie de longue date des méthodes policières à l’égard d’autres populations stigmatisées, comme les prostituées ou les « vagabonds ». D’autres traitements stigmatisants, comme le misérabilisme ou la criminalisation de leurs activités politiques dans les discours et statistiques censés les décrire, voire la mise en carte, le fichage et la racialisation, ne sont pas non plus réservés aux Algériens : prostituées, « nomades », ou « juifs » les ont également subis.

    Emmanuel Blanchard contextualise de la même façon l’usage de certaines violences physiques (coups, privation de nourriture ou de sommeil, bris de biens personnels à l’occasion d’interrogatoires) qui relèvent aujourd’hui de la torture définie juridiquement. Il rappelle, en effet, que les normes policières professionnelles métropolitaines de l’après-1945, y compris dans la police judiciaire, prônaient très officiellement un tel niveau de violence aujourd’hui proscrit. Enfin, la banalisation des armes à feu et de leur usage au cours de la Seconde Guerre mondiale avait répandu les exécutions sommaires à l’encontre des « gangsters » à la fin des années 1940. L’usage des armes à feu en dehors du cadre légal de la légitime défense ne commencera à se réduire qu’à la fin des années 1950, au moment où il se développe à l’encontre des Algériens. Discrimination et une certaine violence physique parfois extrême ne sont donc pas réservées aux seuls Algériens par les policiers parisiens du milieu du XXe siècle. Elles ont cependant pour effet global de constituer un discours public solidement négatif à leur égard, largement diffusé dans l’opinion par la presse, alors qu’il ne pénètre pas les pratiques professionnelles de la police judiciaire ou des renseignements généraux.

    En revanche, à partir de 1958, les pratiques répressives dont les Algériens sont l’objet à Paris sont aussi spécifiques que celles qu’ils subissent en Algérie depuis 1955 : non seulement des exécutions sommaires et des tortures « à l’algérienne », c’est-à-dire avec des « instruments », mais avant tout la détention administrative, c’est-à-dire arbitraire, sans limite réelle de durée, et dans des conditions matérielles plus qu’éprouvantes. Les proportions et leur degré de systématisation sont certes moindres qu’en Algérie, mais leurs caractéristiques les distinguent des pratiques policières métropolitaines modales par leur distance aux libertés publiques, garanties en métropole par la soumission du travail policier à celui de la justice et donc à des règles juridiques protectrices des individus. Les exécutions sommaires et les cas de torture ne peuvent être quantifiés, faute d’archives, même si un faisceau d’éléments permet d’établir qu’ils étaient courants. En revanche, les archives permettent de constater que l’internement « illégal » a concerné une grande partie des Algériens de la région parisienne : 67 000 pour la seule année 1960 et uniquement dans le CIV ! Le caractère massif de cet internement abusif est rendu possible par la pratique de rafles tout aussi massives des Algériens.

    Au-delà de l’identification et de l’analyse de ces pratiques contraires aux règles du travail policier qui s’imposent à la même époque en métropole pour les « Européens », Emmanuel Blanchard montre qu’elles ne sont pas l’apanage des personnels directement issus de l’appareil répressif algérien que Maurice Papon recrute à la PPP. Ou plutôt, les effets de leurs pratiques, à commencer par celles du préfet de police, modifient sensiblement le cadre des pratiques de l’ensemble des personnels de la PPP au contact des Algériens. Les méthodes illégales d’arrestation et d’interrogatoires avec torture de la FPA diffusent l’idée que « tout est permis » et alimentent, de fait, les enquêtes des personnels sans « spécificité algérienne » et censés continuer à respecter les règles de procédure. Surtout, Maurice Papon réclame et obtient en 1958 une modification décisive du cadre juridique qui encadre jusqu’alors le travail policier pour imposer un couvre-feu aux Algériens, permettre leur internement administratif sur simple arrêté préfectoral et pour autoriser, en pratique, de leur tirer dessus à vue. Si, avant même l’arrivée de Maurice Papon, la hiérarchie de la PPP ne contrôle plus depuis plusieurs années l’usage que les policiers font de leurs armes, Papon légalise cette violence mortelle à l’encontre des seuls Algériens.

    La répression du 17 octobre s’inscrit dans cette modification progressive des règles de l’utilisation de la violence physique par les forces de police, avec un degré supplémentaire dans le dispositif lui-même et l’encadrement des agents. En effet, ces derniers n’étaient faits en rien pour disperser un rassemblement public interdit (la méthode « normale » de maintien de l’ordre en métropole au XXe siècle), mais plutôt pour rafler et tuer un maximum de personnes. De ce fait, la gestion par la police – tous corps et niveaux hiérarchiques confondus – de la contestation par les Algériens de l’interdiction qui leur était faite de pénétrer dans les espaces publics s’assimile à la répression exercée contre des initiatives similaires « d’indigènes » à Alger en 1960 ou au Maroc au début des années 1950.

    L’analyse minutieuse proposée par Emmanuel Blanchard ne conduit donc pas à s’enfermer dans une logique « internaliste » des pratiques : elle montre, au contraire, tout ce que ces pratiques doivent aux contextes historiques et sociaux précis dans lesquels elles s’inscrivent, puisqu’elles ne se déduisent pas des seules trajectoires ou origines de leurs auteurs.

    Un contexte guerrier déterminant

    Le contexte guerrier de la période étudiée est déterminant dans l’évolution des pratiques policières à l’égard des Algériens. En premier lieu, les structures, les pratiques ainsi qu’une bonne partie des personnels que Maurice Papon met en place à partir de 1958 à la PPP sont autant coloniaux que militaires et, qui plus est, d’une forme militaire inventée pendant la guerre d’Indochine pour lutter contre les guérillas : elle associe personnels policiers et militaires pour mener un travail de renseignement et de répression qui déroge aux règles professionnelles à la fois de la police métropolitaine et de l’armée. Le préfet Papon ne fait aucun secret de sa volonté de transformer la police parisienne en armée « contre-révolutionnaire » dirigée contre les Algériens.

    Mais la guerre d’indépendance a des effets plus généraux sur la PPP. Tout d’abord, à la fin des années cinquante, se combinent les retours en métropole des premiers appelés avec les difficultés de recrutement à la préfecture de police qui poussent cette dernière à favoriser considérablement le recrutement de ces anciens appelés, dans un moment de fort renouvellement de ses personnels – si bien que, à cette époque, une part importante des nouveaux gardiens de la paix parisiens, eux-mêmes en nette augmentation, sont susceptibles d’avoir une expérience non pas tant de l’Algérie que de la guerre d’indépendance et donc de ses violences extrêmes. Pour les générations antérieures de policiers, c’est la Seconde Guerre mondiale qui assure une forme de socialisation guerrière : usage des armes à feu bien au-delà de la légitime défense, norme d’arrestation remplacée par celle de l’exécution, conservation de nombreuses munitions. Ces socialisations guerrières sont renforcées par le fait que, à partir de janvier 1958, les indépendantistes prennent pour cible les policiers parisiens, entraînant une forte insécurisation de ces derniers. La radicalisation généralisée des violences policières à l’encontre des Algériens voulue par la politique de Maurice Papon à partir de mars 1958 s’alimente ainsi également à des circulations guerrières parmi les policiers et les indépendantistes.

    Enfin, et peut-être surtout, le contexte guerrier domine au niveau politique. À partir de 1957, le pouvoir politique est menacé par l’armée et dépend donc plus étroitement de la police pour ne pas être renversé par la force. Puis il dépend de la police pour faire en sorte que le FLN soit en position de faiblesse dans les négociations. Ces impératifs politiques définis par la guerre conditionnent la nomination de Maurice Papon à la tête de la préfecture de police en tant que « théoricien et praticien de la “guerre contre-révolutionnaire” » (p. 316) et l’approbation de sa politique par le président du Conseil et le président de la République. Avant cette période de mise en cause du régime politique lui-même, c’est le début de la guerre d’indépendance qui permet à la PPP d’obtenir les moyens juridiques nécessaires au développement de la mise en carte des Algériens commencée en 1950, par la création en 1955 d’une carte nationale d’identité rendue obligatoire en 1956 pour toutes les demandes d’autorisation de voyage. Ce n’est pas le moindre des mérites de la démonstration d’Emmanuel Blanchard de montrer que l’administration n’est pas toujours déconnectée de l’espace politique.

    Si les plus hautes institutions politiques ont rendu possible l’évolution des pratiques de la police parisienne vers celles de la « guerre contre-révolutionnaire », l’opinion publique métropolitaine, au travers de journaux et de certains groupes plus ou moins organisés (commerçants, mouvements sportifs), a, en revanche, pu contribuer à empêcher Maurice Papon de mettre en œuvre plus largement encore à Paris les méthodes qu’il avait expérimentées à Constantine.

    Le colonial en question

    À tous points de vue, le livre d’Emmanuel Blanchard est un précieux outil pour ceux qui travaillent sur les problématiques impériales. Sur le plan formel, tout d’abord, grâce à la qualité de l’appareil critique : dense, précis et actualisé. Surtout, dans le domaine du maintien de l’ordre, il permet de cerner précisément les contours et les contenus des circulations impériales.

    Ainsi, il identifie certaines continuités dans le temps entre des structures spécifiquement dédiées à l’encadrement et au contrôle des Algériens à Paris avant-guerre et les pratiques de certains agents préfectoraux des années cinquante. Mais cette forme d’encadrement, ainsi que d’autres pratiques discriminatoires, n’est pas propre aux Algériens, sauf en ce qu’elle se fait au travers de personnels censés les « connaître » du fait de leurs expériences en Algérie. En revanche, les particularités réelles du contrôle policier des Algériens après-guerre (qui ne sont pas utilisées à l’égard d’autres « clientèles » policières) sont toutes liées au contexte de guerre anti-guérilla qui se déploie à Paris à partir de 1958. Ces pratiques extrêmement violentes sont certes promues et initiées par certains transferts de personnels depuis l’Algérie, des militaires et Maurice Papon principalement. Mais seules les conséquences plus larges de la guerre d’indépendance ont rendu possible et surtout efficiente leur action. La guerre a à la fois élevé le niveau de violence physique parmi l’ensemble des policiers parisiens, dans leurs conditions de travail et dans leur expérience personnelle avant d’intégrer la PPP, et rendu indispensable aux pouvoirs politiques l’usage hors limite de cette violence.

    Il est ainsi tentant de conclure, pour cette période qui commence en 1957, que les circulations d’hommes et de pratiques entre l’Algérie et la métropole sont du registre guerrier autant que colonial, tout comme le cadre politique d’ensemble. In fine, il faut souligner que cette élévation extraordinaire du niveau de la violence physique en métropole a été légalisée et encouragée à l’encontre des seuls Algériens par des autorités politiques métropolitaines. Le caractère sélectif du public soumis à cette extraordinaire violence physique et légale semble montrer que l’on n’échappe pas, pour caractériser les pratiques coloniales, à leur organisation raciale, quel que soit le caractère « colonial » de leurs auteurs.

  • BAC de Marseille : l’omertà

    SOCIÉTÉ

    BAC de Marseille : l’omertà

    16 octobre 2012 à 19:26
    (Dessin Alain Brillon)
    Par DOMINIQUE MANOTTI Auteure de polars

    Il y a trois ans, j’ai publié un roman noir, Bien connu des services de police (1), qui était une chronique de la vie quotidienne d’un commissariat dans une ville du 9-3, avec sa BAC, évidemment. Lorsque je l’ai écrit, j’ai eu le souci constant de ne jamais forcer le trait, de rester mesurée pour avoir une toute petite chance d’être crédible. Il n’empêche. Pendant près de deux ans, j’ai rencontré mes lecteurs pour discuter de ce livre. A chaque rencontre, sans exceptions, revenaient des remarques comme : «C’est vrai ce que vous racontez ? On ne peut pas y croire !» ; «Non, ce n’est pas possible, pas chez nous, pas à ce point.»Parfois, rarement, des policiers en exercice participaient aux rencontres. Leur avis était unanime : «Vous caricaturez à partir de brebis galeuses très rares et très isolées, qui sont des cas non significatifs.»

    Je dois reconnaître que, sous les coups de la BAC de Marseille-Nord, des lecteurs que je rencontre maintenant me disent : «Finalement, vous aviez raison.» Quand tout un service dérape lourdement pendant des années, il n’est plus possible de parler de brebis galeuses. Mais une autre question se pose : comment la société française a-t-elle fait pour éviter pendant aussi longtemps de voir, de regarder, de reconnaître les problèmes moraux, sociaux, politiques que lui posait le fonctionnement de sa police ? Etaient-ils si profondément cachés qu’il était impossible de soupçonner leur existence ? Non. J’ai travaillé à partir de sources accessibles à tous : des témoignages d’habitants des quartiers, de victimes de bavures, et à partir du suivi de nombreux procès dans lesquels des policiers étaient partie prenante. L’état des lieux est parfaitement connu, et toléré pour des raisons diverses, de la hiérarchie intermédiaire qui n’est pas composée d’imbéciles. La question peut être reformulée ainsi : pourquoi l’information disponible sur les dysfonctionnements de la police ne circule-t-elle pas largement dans la société ?

    Je propose quelques réponses très polémiques. C’est le but du jeu, non ? D’abord, un problème avec la majorité des journalistes, la masse d’entre eux qui fait l’opinion. Leur source d’information majeure, souvent unique, sur les affaires qui impliquent la police, est la police elle-même, par l’intermédiaire de porte-parole officieux que sont les syndicats policiers. Le résultat est celui qu’on peut attendre avec de telles méthodes. Nul. Les chercheurs en sciences sociales. J’ai été très surprise de voir l’accueil fait à l’analyse très critique et très documentée que Didier Fassin (2) a publié l’an dernier sur le fonctionnement d’une BAC de la région parisienne, qui recoupait presque point par point ce qui constituait la matière de mon propre roman. La réaction des «chers collègues» a été : «C’est peut-être vrai, on a des doutes, mais si c’est vrai, il ne peut s’agir que d’un cas isolé.» Les spécialistes de la police ont-ils perdu tout recul par rapport à l’objet de leur étude ? En tout cas, ils n’ont pas rempli de façon satisfaisante leur rôle de signal d’alerte. Les juges. Là, les responsabilités sont très lourdes. La justice a couvert presque systématiquement et par tous les moyens à sa disposition les dérapages policiers face à la population. Pour me faire bien comprendre, je prends un exemple. En 1997, un policier d’une BAC, à Fontainebleau, abat d’une balle dans la nuque un jeune de 16 ans au volant d’une voiture en fuite. Il plaide la légitime défense. En 2001, la Cour de cassation confirme la légitime défense, en se référant à un arrêt de la Cour de 1825 qui donne, pour les policiers, une définition très extensive de la légitime défense. Les juges savent, et choisissent. Ce choix de politique judiciaire est le pivot du sentiment d’impunité qui fonde toutes les dérives policières, en particulier celles des BAC.

    Enfin, et ce n’est pas la moindre des raisons, la façon dont les policiers eux-mêmes voient leur profession. Le corps de la police doit être opaque face à l’extérieur et soudé à l’intérieur. Quelques règles de vie : un policier doit toujours être solidaire de tous ses collègues, quelles que soient les circonstances, il ne doit jamais témoigner contre un de ses collègues, et ne jamais avouer une faute. Le faux témoignage, rédigé en groupe de préférence, est un mode de fonctionnement courant dans la police, et pour ma part, dans les procès que j’ai fréquentés, je ne l’ai jamais vu sanctionné par la justice. Cette solidarité à toute épreuve a un nom : c’est l’omertà mafieuse. Tous ceux qui prennent part au fonctionnement de l’institution policière (hiérarchie policière, juges) en connaissent la réalité, mais l’ensemble de ces dysfonctionnements explique que l’information n’irrigue pas, comme elle le devrait, la société «civile». Sauf dans des moments de crises ouvertes comme aujourd’hui avec la BAC de Marseille. Les auteurs de romans noirs ont encore de beaux jours devant eux.

    (1) Folio, 2010. (2) «La Force de l’ordre», Seuil, 2011.

  • CANNABIS NOCIF ? PLUTÔT OUI, MAIS...

     

    Tentative de synthèse des études scientifiques

    Le débat est relancé: faut-il dépénaliser le cannabis? Comme le rappelle Le Monde, cette question enflamme régulièrement les politiques. Après Cécile Duflot en juin dernier, c’est Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale qui se prononce en faveur d’une dépénalisation sur France Inter. Il est vite recadré par le chef du gouvernement. Mais dans ce débat souvent politisé voire idéologisé par les politiques et les médias (les partisans de la dépénalisation ayant tendance à minimiser les risques pour la santé, tandis que leurs adversaires les exagèrent), où en est-on des connaissances scientifiques sur la dangerosité ou non du cannabis? Schizophrénie, risque d'escalade, de cancer, de baisse de QI, dangerosité comparée par rapport à l'alcool: tentative de tour d’horizon des recherches.

    Se plonger dans le maquis des études scientifiques sur le sujet du cannabis n'est pas chose facile. Il existe nombre de rapports et d'études, chacune sur des points bien précis et quelques rapports, parfois datés. Tentative de synthèse.

    - SCHIZOPHRÉNIE, DÉLIRES, ANXIÉTÉ ?

    Risque réel. Une étude publiée en 2011 à Londres par le British Medical Journal et relayée ici par l'AFP, précise que les adolescents et les jeunes adultes consommateurs de cannabis ont davantage de risques de souffrir de troubles psychotiques que ceux qui n'en consomment pas. Des experts allemands et néerlandais ainsi que ceux de l'Institut de psychiatrie de Londres ont suivi 1900 personnes âgées de 14 à 24 ans pendant huit ans. L'étude a montré que ceux qui avaient commencé à consommer du cannabis après le début de l'étude et ceux qui en avaient consommé avant et après avaient davantage de risques de souffrir de troubles psychotiques que ceux qui n'en avaient jamais consommé. "La consommation de cannabis constitue un facteur de risque de développement de symptômes psychotiques", conclut l'étude. cannabis

    Une précédente étude publiée en 2007 dans la revue scientifique The Lancet faisait état d'une augmentation du risque de schizophrénie d'environ 40 % chez les consommateurs de cannabis. Selon les chercheurs, ce risque augmenterait avec l'intensité et la durée de la consommation - de 50 % à 200 % pour les gros utilisateurs. Toutefois, les auteurs de ce travail n'ont pas pu démontrer de relation directe de "causalité entre la consommation de cannabis et les affections psychotiques", précise Le Monde, qui relaye l'article. Ils soulignent aussi que s'ils observent bien une augmentation du risque, la fréquence de ces affections, notamment sous forme chronique comme pour la schizophrénie, demeure relativement faible chez les consommateurs réguliers. Michel Reynaud, addictologue (CHU Paul-Brousse) précise au Monde que la fréquence de la schizophrénie dans la population reste constante, alors que la proportion de fumeurs de cannabis ne cesse de grimperélément qui relativise cette étude.

    Un rapport réalisé pour l'Obervatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) en 2006 fait état aussi de risques de schizophrénie. Hélène Verdoux, chercheuse à l'Inserm, cite des études conduites dans plusieurs pays européens qui ont montré que l'usage de cannabis augmente le risque de schizophrénie, d'autant plus important '"si l'usage de cannabis débute à l'adolescence'". Pendant longtemps, on a constaté que l'usage de cannabis était plus fréquent chez les personnes atteinte de schizophrénie, en l'expliquant par une automédicamentation des patients, qui soulageait leur mal-être avec du cannabis, explique-t-elle. Mais maintenant, il est avéré que le cannabis a pu être à l'origine de leurs troubles schizophréniques.

    - PASSAGE VERS D'AUTRES DROGUES ?

    Non prouvé. Aucune étude n'a encore prouvé que la consommation de cannabis entraîne la consommation de d'autres drogues, plus "dures". C'est la "thèse de l’escalade", défendue notamment par le professeur Jean Costentin,pharmacologue, membre de l'Académie de médecinePour lui, c'est sûr, il y a un phénomène d'escalade, même de"polytoxicomanie". "Tous les consommateurs d'héroine ont été des consommateurs de cannabis", explique-t-il à @si. L'inverse est-il vrai ? Si tous les consommateurs de cannabis ne se tournent pas vers l'héroine, c'est qu'ils n'ont jamais eu l'occasion d'en consommer, sinon ils seraient devenus eux aussi accro, assure-t-il. Il détaille une étude, publiée dans la revue "Sciences" qui selon lui le prouve : "sur des souris qui ont subit une manipulation génétique qui fait disparaitre les récepteurs de leur cerveau sensibles au cannabis, alors ces souris ne sont pas du tout dépendantes à l'héroïne", preuve selon lui du lien de dépendance entre cannabis et héroine. Mais cette étude est critiqué ici, ou encore ici dans Libé, qui dénonce une interprétation "fumeuse". Selon Jean-Pol Tassin, neurobiologiste au Collège de France interviewé par Libé, les conditions de l'expérience sur les souris sont fortement discutables, et Costentin "est le seul à défendre cette théorie de l'escalade qui n'a jamais été démontrée, même expérimentalement", souligne-t-il.

    Cette théorie de l'escalade est mise en doute aussi par l'Inserm (dans une mise à jour en 2004 du rapport de l'expertise cité précédemment). "A ce jour, en France, aucune donnée disponible ne montre d'augmentation de la consommation d'héroine, néanmoins, les experts estiment que cette question mérite une attention particulière", soulignait le rapport. Des expériences ont eu lieu sur les animaux, et ont pu montrer des liens entre administration de cannabis et sensibilisation à une autre drogue. Pour autant, l'étude précise que ce que l'on constate sur les animaux n'est pas forcément transférable aux êtres humains. "Les modèles animaux utilisés pour ces études ne rendent pas compte de la variété des facteurs psychologiques, sociaux et culturels qui interviennent dans le comportement humain. Seules des études prospectives épidémiologiques ou cliniques chez l'homme pourront étudier la chronologie d'apparition des dépendances selon la séquence tabac-alcool-cannabis/ cocaïne/opioïdes."

    - RISQUES DE CANCER ?

    Le risque est réel, surtout si l'on consomme du cannabis à haute dose. Dans le rapport destiné à l'OFDT de 2006, la chercheuse de l'Inserm Annie Sasco explique que le THC présent dans le cannabis n'est pas un agent cancérogène en lui-même, mais c'est "la concentration de goudron et de composés cancérogènes dans la fumée d'une cigarette de canabis" qui est plus élevée que celle d'une cigarette de tabac."Toutes les études cas-témoins disponibles à ce jour (...) trouvent que l'usage du cannabis multiplie environ par 3 les risques de survenue d'un cancer du poumon", affirme-t-elle. Et ce après avoir éliminé les autres facteurs pouvant influer, type consommation de tabac.

    Selon Costentinle cannabis génèrerait même cinq à sept fois plus de goudrons cancérigènes que le tabac. La consommation de cannabis accroit donc "la fréquence des cancers broncho-pulmonaires et O.R.L. et rendra leur apparition plus précoce", conclut-il.

    Une étude de l'Institut de recherche médicale de Nouvelle-Zélande, publiée en 2007 et relayée ici par Reuters estime que fumer un joint de cannabis serait aussi nocif que de fumer 2,5 à 5 cigarettes. "La consommation de cannabis est associée à une dégradation du fonctionnement des bronches, avec obstruction respiratoire, ce qui sollicite davantage les poumons. Les fumeurs de joint souffrent de respiration sifflante, de toux, d'oppression de la poitrine, d'expectorations", précise la dépêche. Cette étude été réalisée sur 339 patients adultes répartis en quatre groupes : les fumeurs de cannabis, les fumeurs de tabac, les fumeurs de tabac et de cannabis, et les non-fumeurs. Chaque participant a été soumis à des examens de tomodensitométrie des poumons (scanner à rayons X assisté par ordinateur) et à des tests respiratoires.

    cannabis

     

    Une autre étude plus étonnante estime même que fumer du cannabis augmenterait le risque de cancer des testicules. C'est le cas si le patient fume "au moins une fois par semaine, ou régulièrement depuis son adolescence", il double alors "les risques de développer la forme la plus agressive d'un cancer des testicules", estime une étude américaine relatée par le quotidien britannique Guardian.

     

    Les chercheurs ont lancé leur enquête après s'être rendu compte que les testicules "sont un des rares organes munis de récepteurs pour la substance active du cannabis, le tétrahydrocannabinol (THC)". Depuis les années 1950, le nombre de cas de cancer des testicules a augmenté de 3 à 6 % par an aux Etats-Unis, au Canada, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande expliquent-il. Or, durant la même période, l'usage du cannabis a augmenté dans les mêmes proportions. Ce sont ces chiffres qui au départ ont conduit les chercheurs à explorer l'hypothèse d'un lien entre cette drogue et le cancer des testicules.

    Pour vérifier leur hypothèse, ils ont procédé à une étude épidémiologique : les chercheurs ont interviewé 369 hommes atteint d'un cancer des testicules, âgés de 18 à 44 ans, sur leur consommation de cannabis. Ils ont également interrogé sur le même sujet 979 hommes en bonne santé. Après avoir pris en compte les facteurs liés aux antécédents familiaux de cancer et les facteurs de style de vie, comme le tabagisme et la consommation d'alcool, l'étude conclut que l'usage de cannabis apparaît comme un important facteur de risque pour la maladie.

    - BAISSE DU QI ?

    Oui, en cas de prise précoce. Une étude neo-zélandaise publiée en août dernier a montré des conséquences sur les capacités intellectuelles du cerveau en cas de prise précoce de cannabis : jusqu'à 8 points de quotient intellectuel en moins à l'âge adulte. Pour cette recherche, les chercheurs ont suivi un millier d'individus pendant vingt ans. Les volontaires ont été interrogés, de façon confidentielle, sur leur consommation et leur dépendance, à cinq reprises : à 18, 21, 26, 32 et 38 ans. Des tests neuropsychologiques ont été pratiqués à l'âge de 13 ans et 38 ans. Un déclin marqué du quotient intellectuel (jusqu'à 8 points entre les deux mesures) a donc été retrouvé chez ceux qui ont commencé leur expérimentation dans l'adolescence, et qui sont ensuite devenus des fumeurs réguliers - au moins quatre fois par semaine -, pendant une longue période. Un arrêt de la consommation ne permet pas de récupérer entièrement ses facultés intellectuelles, précise l'étude.

    Des chercheurs précisent toutefois que ce risque est similaire à la prise d'alcool. Interviewé par France 24 sur cette enquête, le docteur Alain Rigaud, psychiatre et président de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), explique : "Toutes les conclusions de cette étude peuvent être appliquées à la consommation excessive d’alcoolLe débit de boisson dès l’âge de 13 ans – à raison de plus d’un verre par jour – pendant 30 ans "conduira de la même façon à perturber considérablement le cerveau, à provoquer des troubles cognitifs graves et à abaisser le quotient intellectuel. Et d'ajouter : "contrairement à l’enquête qui affirme que les personnes commençant à fumer du cannabis à l’âge adulte ne souffrent d’aucun écart intellectuel, la consommation excessive d'alcool même à partir de 40 ans "expose à de sévères dommages physiques et intellectuels en vieillissant."

    - EFFETS RÉVERSIBLES ?

    En 2001, l’Inserm a réalisé un rapport d’expertise à la demande du gouvernement, une synthèse des recherches effectuées jusqu'à cette date dans le monde entier. Le rapport s'avérait peu alarmiste. Il estimait que la "prise de cannabis altère les performances psychomotrices et cognitives", mais de "manière réversible". Il mentionnait aussi des "troubles de la mémoire à court terme", "des difficultés à se rappeler des mots, des images, des histoires". Il mentionnait enfin des "attaques de panique", "des angoisses de dépersonnalisation", une "psychose cannabique" qui se manifeste par des signes proches de ceux des bouffées délirantes aigues, avec une plus grande fréquence des hallucinations". Mais leur fréquence est faible: elle est estimée à 0,1% dans une étude suédoise, précise le rapport.

    LE CANNABIS MOINS DANGEREUX QUE L'ALCOOL ?

    Mises bout à bout, ces études - même si chacune d'entre elle peut être nuancée, critiquée par d'autres chercheurs - semblent bien alarmistes. Pour autant, ce n'est pas ce que retiennent les partisans d'une dépénalisation. Marc Valleur, médecin chef du centre médical Marmottan à Paris, spécialisé dans la toxicomanie, assure à @si : "ces études, on les connait, on sait que le cannabis n'est pas un produit anodin". Mais ce ne serait pas le produit le plus dangereux."le cannabis est beaucoup moins dangereux que l'alcool" affirme-t-il. Qui lui n'est pas illégal. Par exemple, chaque année, environ 200 personnes sont hospitalisés pour une addiction à l'alcool dans son hôpital. A peine 2 personnes pour le cannabis.

    Dans la classification de la dangerosité des drogues, le cannabis se situe après l'alcool, l'héroine et la cocaine selon Valleur. Cette classification se retrouve dans le rapport Roque (un résumé ici), en 1998, auquel a participé le médecin. Un rapport plus récent, de David Nutt, (un résumé ici), président du Conseil gouvernemental britannique sur l'abus des drogues (ACMD), a conservé la même classification, souligne-t-il. Nutt avait d'ailleurs dû démissionner de son poste après ce rapport. De son côté, Costentin est vent debout contre cette classification. Le cannabis est plus dangereux que l'alcool, assure-t-il. Pour lui, mentionner la dangerosité de l'alcool pour faire accepter le cannabis est une "manipulation". "Il faut faire baisser le taux de consommation de l'alcool, mais il ne faut surtout pas en rajouter avec l'autorisation du cannabis". Le rapport Roque aurait tout simplement été "commandité par le gouvernement Jospin, qui voulait se targuer auprès de la jeunesse de légaliser le cannabis". "On réunit les experts que l'on veut bien réunir", lance-t-il. "Je n'ai pas été convié".

    Dépénaliser, donc ? Partisan de la dépénalisation, Valleur a lancé une charte pour appeler à une "autre politique des addictions". "Pour lui, dépénaliser les usages ne veut pas dire supprimer l’interdit sur les drogues : cet interdit, comme le niveau requis de régulation, devrait être réexaminé, produit par produit, objet d’addiction par objet d’addiction." Lui prône par exemple l'interdiction de la consommation de cannabis pour les moins de 18 ans. La nocivité du cannabis, et sa dépénalisation, sont deux débats nécessaires et légitimes. Encore faut-il bien les distinguer.

    Mise à jour, mercredi, à 19h30 : ajout de l'interview de Jean Costentin. Mise à jour, vendredi, à 19 heures : précisions concernant l'étude sur "l'escalade", publiée dans la revue Sciences.