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CANNABIS NOCIF ? PLUTÔT OUI, MAIS...

 

Tentative de synthèse des études scientifiques

Le débat est relancé: faut-il dépénaliser le cannabis? Comme le rappelle Le Monde, cette question enflamme régulièrement les politiques. Après Cécile Duflot en juin dernier, c’est Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale qui se prononce en faveur d’une dépénalisation sur France Inter. Il est vite recadré par le chef du gouvernement. Mais dans ce débat souvent politisé voire idéologisé par les politiques et les médias (les partisans de la dépénalisation ayant tendance à minimiser les risques pour la santé, tandis que leurs adversaires les exagèrent), où en est-on des connaissances scientifiques sur la dangerosité ou non du cannabis? Schizophrénie, risque d'escalade, de cancer, de baisse de QI, dangerosité comparée par rapport à l'alcool: tentative de tour d’horizon des recherches.

Se plonger dans le maquis des études scientifiques sur le sujet du cannabis n'est pas chose facile. Il existe nombre de rapports et d'études, chacune sur des points bien précis et quelques rapports, parfois datés. Tentative de synthèse.

- SCHIZOPHRÉNIE, DÉLIRES, ANXIÉTÉ ?

Risque réel. Une étude publiée en 2011 à Londres par le British Medical Journal et relayée ici par l'AFP, précise que les adolescents et les jeunes adultes consommateurs de cannabis ont davantage de risques de souffrir de troubles psychotiques que ceux qui n'en consomment pas. Des experts allemands et néerlandais ainsi que ceux de l'Institut de psychiatrie de Londres ont suivi 1900 personnes âgées de 14 à 24 ans pendant huit ans. L'étude a montré que ceux qui avaient commencé à consommer du cannabis après le début de l'étude et ceux qui en avaient consommé avant et après avaient davantage de risques de souffrir de troubles psychotiques que ceux qui n'en avaient jamais consommé. "La consommation de cannabis constitue un facteur de risque de développement de symptômes psychotiques", conclut l'étude. cannabis

Une précédente étude publiée en 2007 dans la revue scientifique The Lancet faisait état d'une augmentation du risque de schizophrénie d'environ 40 % chez les consommateurs de cannabis. Selon les chercheurs, ce risque augmenterait avec l'intensité et la durée de la consommation - de 50 % à 200 % pour les gros utilisateurs. Toutefois, les auteurs de ce travail n'ont pas pu démontrer de relation directe de "causalité entre la consommation de cannabis et les affections psychotiques", précise Le Monde, qui relaye l'article. Ils soulignent aussi que s'ils observent bien une augmentation du risque, la fréquence de ces affections, notamment sous forme chronique comme pour la schizophrénie, demeure relativement faible chez les consommateurs réguliers. Michel Reynaud, addictologue (CHU Paul-Brousse) précise au Monde que la fréquence de la schizophrénie dans la population reste constante, alors que la proportion de fumeurs de cannabis ne cesse de grimperélément qui relativise cette étude.

Un rapport réalisé pour l'Obervatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) en 2006 fait état aussi de risques de schizophrénie. Hélène Verdoux, chercheuse à l'Inserm, cite des études conduites dans plusieurs pays européens qui ont montré que l'usage de cannabis augmente le risque de schizophrénie, d'autant plus important '"si l'usage de cannabis débute à l'adolescence'". Pendant longtemps, on a constaté que l'usage de cannabis était plus fréquent chez les personnes atteinte de schizophrénie, en l'expliquant par une automédicamentation des patients, qui soulageait leur mal-être avec du cannabis, explique-t-elle. Mais maintenant, il est avéré que le cannabis a pu être à l'origine de leurs troubles schizophréniques.

- PASSAGE VERS D'AUTRES DROGUES ?

Non prouvé. Aucune étude n'a encore prouvé que la consommation de cannabis entraîne la consommation de d'autres drogues, plus "dures". C'est la "thèse de l’escalade", défendue notamment par le professeur Jean Costentin,pharmacologue, membre de l'Académie de médecinePour lui, c'est sûr, il y a un phénomène d'escalade, même de"polytoxicomanie". "Tous les consommateurs d'héroine ont été des consommateurs de cannabis", explique-t-il à @si. L'inverse est-il vrai ? Si tous les consommateurs de cannabis ne se tournent pas vers l'héroine, c'est qu'ils n'ont jamais eu l'occasion d'en consommer, sinon ils seraient devenus eux aussi accro, assure-t-il. Il détaille une étude, publiée dans la revue "Sciences" qui selon lui le prouve : "sur des souris qui ont subit une manipulation génétique qui fait disparaitre les récepteurs de leur cerveau sensibles au cannabis, alors ces souris ne sont pas du tout dépendantes à l'héroïne", preuve selon lui du lien de dépendance entre cannabis et héroine. Mais cette étude est critiqué ici, ou encore ici dans Libé, qui dénonce une interprétation "fumeuse". Selon Jean-Pol Tassin, neurobiologiste au Collège de France interviewé par Libé, les conditions de l'expérience sur les souris sont fortement discutables, et Costentin "est le seul à défendre cette théorie de l'escalade qui n'a jamais été démontrée, même expérimentalement", souligne-t-il.

Cette théorie de l'escalade est mise en doute aussi par l'Inserm (dans une mise à jour en 2004 du rapport de l'expertise cité précédemment). "A ce jour, en France, aucune donnée disponible ne montre d'augmentation de la consommation d'héroine, néanmoins, les experts estiment que cette question mérite une attention particulière", soulignait le rapport. Des expériences ont eu lieu sur les animaux, et ont pu montrer des liens entre administration de cannabis et sensibilisation à une autre drogue. Pour autant, l'étude précise que ce que l'on constate sur les animaux n'est pas forcément transférable aux êtres humains. "Les modèles animaux utilisés pour ces études ne rendent pas compte de la variété des facteurs psychologiques, sociaux et culturels qui interviennent dans le comportement humain. Seules des études prospectives épidémiologiques ou cliniques chez l'homme pourront étudier la chronologie d'apparition des dépendances selon la séquence tabac-alcool-cannabis/ cocaïne/opioïdes."

- RISQUES DE CANCER ?

Le risque est réel, surtout si l'on consomme du cannabis à haute dose. Dans le rapport destiné à l'OFDT de 2006, la chercheuse de l'Inserm Annie Sasco explique que le THC présent dans le cannabis n'est pas un agent cancérogène en lui-même, mais c'est "la concentration de goudron et de composés cancérogènes dans la fumée d'une cigarette de canabis" qui est plus élevée que celle d'une cigarette de tabac."Toutes les études cas-témoins disponibles à ce jour (...) trouvent que l'usage du cannabis multiplie environ par 3 les risques de survenue d'un cancer du poumon", affirme-t-elle. Et ce après avoir éliminé les autres facteurs pouvant influer, type consommation de tabac.

Selon Costentinle cannabis génèrerait même cinq à sept fois plus de goudrons cancérigènes que le tabac. La consommation de cannabis accroit donc "la fréquence des cancers broncho-pulmonaires et O.R.L. et rendra leur apparition plus précoce", conclut-il.

Une étude de l'Institut de recherche médicale de Nouvelle-Zélande, publiée en 2007 et relayée ici par Reuters estime que fumer un joint de cannabis serait aussi nocif que de fumer 2,5 à 5 cigarettes. "La consommation de cannabis est associée à une dégradation du fonctionnement des bronches, avec obstruction respiratoire, ce qui sollicite davantage les poumons. Les fumeurs de joint souffrent de respiration sifflante, de toux, d'oppression de la poitrine, d'expectorations", précise la dépêche. Cette étude été réalisée sur 339 patients adultes répartis en quatre groupes : les fumeurs de cannabis, les fumeurs de tabac, les fumeurs de tabac et de cannabis, et les non-fumeurs. Chaque participant a été soumis à des examens de tomodensitométrie des poumons (scanner à rayons X assisté par ordinateur) et à des tests respiratoires.

cannabis

 

Une autre étude plus étonnante estime même que fumer du cannabis augmenterait le risque de cancer des testicules. C'est le cas si le patient fume "au moins une fois par semaine, ou régulièrement depuis son adolescence", il double alors "les risques de développer la forme la plus agressive d'un cancer des testicules", estime une étude américaine relatée par le quotidien britannique Guardian.

 

Les chercheurs ont lancé leur enquête après s'être rendu compte que les testicules "sont un des rares organes munis de récepteurs pour la substance active du cannabis, le tétrahydrocannabinol (THC)". Depuis les années 1950, le nombre de cas de cancer des testicules a augmenté de 3 à 6 % par an aux Etats-Unis, au Canada, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande expliquent-il. Or, durant la même période, l'usage du cannabis a augmenté dans les mêmes proportions. Ce sont ces chiffres qui au départ ont conduit les chercheurs à explorer l'hypothèse d'un lien entre cette drogue et le cancer des testicules.

Pour vérifier leur hypothèse, ils ont procédé à une étude épidémiologique : les chercheurs ont interviewé 369 hommes atteint d'un cancer des testicules, âgés de 18 à 44 ans, sur leur consommation de cannabis. Ils ont également interrogé sur le même sujet 979 hommes en bonne santé. Après avoir pris en compte les facteurs liés aux antécédents familiaux de cancer et les facteurs de style de vie, comme le tabagisme et la consommation d'alcool, l'étude conclut que l'usage de cannabis apparaît comme un important facteur de risque pour la maladie.

- BAISSE DU QI ?

Oui, en cas de prise précoce. Une étude neo-zélandaise publiée en août dernier a montré des conséquences sur les capacités intellectuelles du cerveau en cas de prise précoce de cannabis : jusqu'à 8 points de quotient intellectuel en moins à l'âge adulte. Pour cette recherche, les chercheurs ont suivi un millier d'individus pendant vingt ans. Les volontaires ont été interrogés, de façon confidentielle, sur leur consommation et leur dépendance, à cinq reprises : à 18, 21, 26, 32 et 38 ans. Des tests neuropsychologiques ont été pratiqués à l'âge de 13 ans et 38 ans. Un déclin marqué du quotient intellectuel (jusqu'à 8 points entre les deux mesures) a donc été retrouvé chez ceux qui ont commencé leur expérimentation dans l'adolescence, et qui sont ensuite devenus des fumeurs réguliers - au moins quatre fois par semaine -, pendant une longue période. Un arrêt de la consommation ne permet pas de récupérer entièrement ses facultés intellectuelles, précise l'étude.

Des chercheurs précisent toutefois que ce risque est similaire à la prise d'alcool. Interviewé par France 24 sur cette enquête, le docteur Alain Rigaud, psychiatre et président de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), explique : "Toutes les conclusions de cette étude peuvent être appliquées à la consommation excessive d’alcoolLe débit de boisson dès l’âge de 13 ans – à raison de plus d’un verre par jour – pendant 30 ans "conduira de la même façon à perturber considérablement le cerveau, à provoquer des troubles cognitifs graves et à abaisser le quotient intellectuel. Et d'ajouter : "contrairement à l’enquête qui affirme que les personnes commençant à fumer du cannabis à l’âge adulte ne souffrent d’aucun écart intellectuel, la consommation excessive d'alcool même à partir de 40 ans "expose à de sévères dommages physiques et intellectuels en vieillissant."

- EFFETS RÉVERSIBLES ?

En 2001, l’Inserm a réalisé un rapport d’expertise à la demande du gouvernement, une synthèse des recherches effectuées jusqu'à cette date dans le monde entier. Le rapport s'avérait peu alarmiste. Il estimait que la "prise de cannabis altère les performances psychomotrices et cognitives", mais de "manière réversible". Il mentionnait aussi des "troubles de la mémoire à court terme", "des difficultés à se rappeler des mots, des images, des histoires". Il mentionnait enfin des "attaques de panique", "des angoisses de dépersonnalisation", une "psychose cannabique" qui se manifeste par des signes proches de ceux des bouffées délirantes aigues, avec une plus grande fréquence des hallucinations". Mais leur fréquence est faible: elle est estimée à 0,1% dans une étude suédoise, précise le rapport.

LE CANNABIS MOINS DANGEREUX QUE L'ALCOOL ?

Mises bout à bout, ces études - même si chacune d'entre elle peut être nuancée, critiquée par d'autres chercheurs - semblent bien alarmistes. Pour autant, ce n'est pas ce que retiennent les partisans d'une dépénalisation. Marc Valleur, médecin chef du centre médical Marmottan à Paris, spécialisé dans la toxicomanie, assure à @si : "ces études, on les connait, on sait que le cannabis n'est pas un produit anodin". Mais ce ne serait pas le produit le plus dangereux."le cannabis est beaucoup moins dangereux que l'alcool" affirme-t-il. Qui lui n'est pas illégal. Par exemple, chaque année, environ 200 personnes sont hospitalisés pour une addiction à l'alcool dans son hôpital. A peine 2 personnes pour le cannabis.

Dans la classification de la dangerosité des drogues, le cannabis se situe après l'alcool, l'héroine et la cocaine selon Valleur. Cette classification se retrouve dans le rapport Roque (un résumé ici), en 1998, auquel a participé le médecin. Un rapport plus récent, de David Nutt, (un résumé ici), président du Conseil gouvernemental britannique sur l'abus des drogues (ACMD), a conservé la même classification, souligne-t-il. Nutt avait d'ailleurs dû démissionner de son poste après ce rapport. De son côté, Costentin est vent debout contre cette classification. Le cannabis est plus dangereux que l'alcool, assure-t-il. Pour lui, mentionner la dangerosité de l'alcool pour faire accepter le cannabis est une "manipulation". "Il faut faire baisser le taux de consommation de l'alcool, mais il ne faut surtout pas en rajouter avec l'autorisation du cannabis". Le rapport Roque aurait tout simplement été "commandité par le gouvernement Jospin, qui voulait se targuer auprès de la jeunesse de légaliser le cannabis". "On réunit les experts que l'on veut bien réunir", lance-t-il. "Je n'ai pas été convié".

Dépénaliser, donc ? Partisan de la dépénalisation, Valleur a lancé une charte pour appeler à une "autre politique des addictions". "Pour lui, dépénaliser les usages ne veut pas dire supprimer l’interdit sur les drogues : cet interdit, comme le niveau requis de régulation, devrait être réexaminé, produit par produit, objet d’addiction par objet d’addiction." Lui prône par exemple l'interdiction de la consommation de cannabis pour les moins de 18 ans. La nocivité du cannabis, et sa dépénalisation, sont deux débats nécessaires et légitimes. Encore faut-il bien les distinguer.

Mise à jour, mercredi, à 19h30 : ajout de l'interview de Jean Costentin. Mise à jour, vendredi, à 19 heures : précisions concernant l'étude sur "l'escalade", publiée dans la revue Sciences.

 

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