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France - Page 29

  • Qui sont les Françaises qui pratiquent la fessée ?

     

    Renée Greusard | Journaliste Rue89
     

    Une fessée entre deux femmes (Vintagespank.com)

    Quand on parle avec des sadomasochistes, on a parfois l’impression que certains d’entre eux se considèrent comme une élite du sexe. Quand je l’avais interviewée pour cet article sur le SM, la fondatrice du forum d’informations et de prévention « BDSM ou abus », Isa, m’avait raconté comment avait été accueillie son initiative. Avec « le mépris qu’on peut accorder à des provinciaux qui ne savent pas de quoi ils parlent ».

    Sur son blog Sexactu, Maïa Mazaurette raconte aussi :

    « L’aristocratie est présente dans le sexe comme elle est présente dans le regard déçu d’un ami tellement littéraire qui ne comprend pas pourquoi vous lisez Game of Thrones.

    Concrètement, j’ai rencontré plein de sadomasos qui se foutaient de la gueule du sexe “vanille” [expression qui désigne les personnes qui ne pratiquent pas le sadomasochisme, ndlr] (dont les pratiquants le leur rendent bien, au passage). »

    Pour résumer ce sentiment voire le caricaturer, on pourrait dire que ce que l’on sent c’est qu’il existe un sentiment de distinction fort. Que certains pratiquants du SM estiment qu’ils sont sortis d’une norme, celle des ploucs au missionnaire gentillet, pour s’élever à des pratiques difficiles d’accès, réservées à quelques élus.

    5% des femmes le pratiquent

    VOIR LE DOCUMENT

    (Fichier PDF)

    Je me suis souvent demandé dans quelle mesure cette distinction existait vraiment, si elle était sociologiquement identifiable. L’enquête (voir ci-contre) diffusée jeudi par l’Institut français d’opinion publique (Ifop) donne quelques éléments de réponses.

    Commandée par le magazine Femme actuelle, cette étude portait initialement sur « Les Françaises et le “ mommy porn ” “ avec l’idée de mesurer les fantasmes et la réalité.

    Pour la réaliser, 1 008 femmes représentatives de la population féminine française, âgée de 18 ans et plus, ont été interrogées.

    On y apprend d’abord que le SM, s’il s’est un peu développé reste une pratique confidentielle : 5% des femmes disent le pratiquer contre 3% en 1985. Ce qui semble s’extraire de l’étude, c’est que sans s’approprier l’étiquette de sadomasochistes, les françaises en picorent certaines pratiques :

    • 35% ont déjà fait l’amour en étant ‘dominées’ (9% aimeraient bien) ;
    • 32% ont déjà dominé leur partenaire (11% en ont envie) ;
    • 24% ont déjà reçu une fessée de leur partenaire (tandis que 4% le fantasment) ;
    • 15% ont déjà donné une fessé à leur partenaire (6% en ont envie) ;
    • 36% ont déjà griffé ou mordu leur partenaires.

    La frontière de la fessée est générationnelle

    Pour ce qui est des affinités politiques. Plus on va vers le FN, plus on se donne des fessées. Alors que la moyenne nationale des femmes ayant déjà reçu une fessée est de 24% (contre 8% en 1985), on trouve 28% des femmes proches du parti d’extrême droite qui en ont déjà pris une. Ailleurs, elles sont :

    • 12% au Front de Gauche ;
    • 21% à l’UMP et 21% au PS, ex æquo ;
    • 22% chez Europe Ecologie-Les Verts.

    Niveau milieu social, on se fesse moins chez les cadres (22%) que chez les CSP- (30%), mais plus chez les Bac+2 (27%) que chez les personnes qui n’ont pas le bac (20%).

    La frontière de la fessée est surtout générationnelle : près de la moitié (48%) des femmes de moins de 25 ans en ont déjà reçu une contre 7% des 65 ans et plus.

    On observe la même frontière dans l’envie de se faire dominer. Seules 10% des 65 ans et plus sont prêtes ‘à se soumettre à tous les désirs de leur partenaires’, contre 26% des moins de 25 ans. La moyenne est de 15%.

    Politiquement, on note aussi des différences dans les réponses à cette question. Sont prêtes à se faire dominer :

    • 13% de celles du PS et du MoDem ;
    • 14% des femmes proches du Front de Gauche ;
    • 16% de celles de l’UMP ;
    • 21% de celles du FN.

    Voilà, sur ce, on vous laisse vous lâcher sur les blagues d’usage.

  • AFFAIRE DEPARDIEU •Bienvenue en Russie

    AFFAIRE DEPARDIEU Bienvenue en Russie, Gérard Renévitch !

    A la suite de Gérard Depardieu, ne pourrait-on inviter d'autres grosses fortunes à venir renflouer les caisses de l'Etat russe ?, ironise un journaliste sur son blog. Les milliers d'autres candidats à la citoyenneté russe peuvent bien attendre.
     
    Gérard Depardieu dans le téléfilm Raspoutine, sorti en 2011 - DRGérard Depardieu dans le téléfilm Raspoutine, sorti en 2011 - DR

    Si on nous avait dit, à l'époque où, enfants, nous nous esclaffions devantLa Chèvre, en suivant les aventures de Pierre Richard et Gérard Depardieu, que c'était un acteur de chez nous qui jouait dans ce film ! Un acteur russe qui aurait depuis longtemps conquis le cœur des Français, devenant l'un des chouchous de ces amateurs de cinéma exigeants. En voilà un rebondissement.

    En principe, à présent qu'il bénéficie de la citoyenneté, Gérard Depardieu devrait se voir accorder le titre d'artiste émérite de Russie, au minimum, puisque la citoyenneté lui a été délivrée d'office en vertu de son apport considérable à la culture et au cinéma russe, nous a-t-on dit. Il serait curieux qu'un acteur à la contribution aussi notable ne soit pas élevé au rang d'artiste émérite, voire plus. Il devrait donc recevoir des distinctions et des médailles, car un artiste émérite sans distinction ni médaille, c'est tout simplement inconcevable.

    Il pourra ensuite organiser sa vie quotidienne. Nous croiserons Gérard au supermarché, poussant son chariot, ou à la clinique, faisant la queue pour une prise de sang, ou encore dans les bureaux des services sociaux, car chez nous, il a déjà atteint l'âge légal de la retraite ! Nous l'appellerons à la manière russe, non pas d'un familier "Gérard", mais de façon respectueuse, Gérard Renévitch, puisque son père s'appelait René.

    Il mènera ici une vie de rêve, sans être embêté par un stupide impôt à 75 %. Ses millions seront taxés à 13 %, comme pour tous les Russes. Je pense que Gérard Renévitch va se plaire en Russie. Reste à savoir pourquoi nous faisons cela. Je suis conscient que Poutine aime beaucoup Depardieu, mais tout de même, ça fait un peu bizarre.

    Distribution de passeports russes aux riches

    Tout le monde sait que l'acteur a laissé tomber la France parce qu'il refusait de payer des impôts élevés. Je ne trouve pas cela franchement admirable. Certes, 75 % [au-delà de 1 million d'euros], c'est beaucoup, mais cette attitude signifie qu'il préfère l'argent à sa patrie, alors que dans notre pays, le patriotisme est devenu la valeur suprême du moment ! Et d'un claquement de doigts, nous accorderions la citoyenneté à un homme qui fuit les impôts et pour qui l'argent est plus important que la patrie ? Peut-être espérons-nous en tirer un bénéfice ?

    Des milliers de personnes ne peuvent obtenir la citoyenneté malgré leurs racines russes, leur parfaite maîtrise de la langue, le fait qu'elles soient nées en Union soviétique et leur souhait de vivre et de travailler dans notre pays. Depardieu ne présente aucune de ces caractéristiques. Même s'il est sans doute prêt à travailler chez nous. Gérard Renévitch pourrait ainsi jouer dans des séries télé, tourner des publicités ou apparaître dans des soirées d'entreprises. Cela lui rapporterait bien plus qu'en France, tout en lui coûtant à peu près six fois moins en impôts.

    Ce serait bien qu'il fasse aussi venir d'autres grosses fortunes françaises, comme François Pinault, qui ne pèse pas moins de 9 milliards d'euros. Vous imaginez un peu, si ses impôts à lui venaient alimenter nos caisses ? Nous allons distribuer des passeports russes à tous ceux qui ont beaucoup d'argent et ne veulent pas payer d'impôts chez eux ! Quant aux russophones sans le sou, qui ne sont pas amis avec Poutine et ne peuvent rien apporter à notre équipe [olympique] à Sotchi [pour les JO d'hiver 2014], ils n'ont qu'à patienter quelques années, ça leur laissera le temps de rassembler tous les papiers nécessaires.

  • L’agriculture biologique prise au piège

    BUSINESS

    L’agriculture biologique prise au piège de la grande distribution

    PAR SOPHIE CHAPELLE (10 DÉCEMBRE 2012)

    Les produits biologiques ont envahi les rayons des supermarchés. Mais derrière l’étiquette « bio », on trouve aussi des gigantesques fermes, une main d’œuvre sous-payée et sans droits, des aliments importés de l’autre bout du monde. Les produits chimiques en moins, le label bio en plus. Des dérives de « l’industrie du bio » dénoncées par le journaliste Philippe Baqué dans son ouvrage La Bio entre business et projet de société. Entrez dans les coulisses du nouveau business mondial.

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    Basta ! : On trouve de plus en plus de produits biologiques dans les rayons des supermarchés. Mais la surface agricole cultivée en bio stagne à 3 % en France. Comment expliquer ce décalage ?

    Philippe Baqué [1 : On assiste depuis 15 ans à un développement fulgurant de l’agriculture biologique. Environ 40 millions d’hectares seraient certifiés bio aujourd’hui dans le monde, selon l’Agence Bio (soit l’équivalent de l’Allemagne et de la Suisse, ndlr). Les deux tiers de ces surfaces sont des prairies qui appartiennent à de grandes exploitations, où paissent des troupeaux qui pour la plupart ne sont même pas vendus en bio. C’est le cas en Argentine où 90 % des 4,4 millions d’hectares labellisés bio sont des terres consacrées à l’élevage de moutons appartiennant à d’immenses fermes.

    En dehors de ces prairies, la majeure partie des surfaces certifiées bio appartiennent à de grandes exploitations, spécialisées dans des monocultures d’exportation – soja, huile de palme, blé ou quinoa. Cette agriculture biologique certifiée se développe surtout en Amérique latine (+26% entre 2007 et 2008), en Asie (+10 %), en Afrique (+6 %), sur des terres où les habitants ne consomment pas, ou très peu, leurs propres productions [2]. Celles-ci sont exportées vers l’Europe, le Japon et l’Amérique du Nord. Cette agriculture bio reproduit le modèle économique agro-industriel dominant qui met les paysans du Sud au service exclusif des consommateurs du Nord et les rend de plus en plus dépendants.

    Sur quelle stratégie commerciale se fonde ce « bio-business » ?

    C’est une véritable OPA de la grande distribution, qui a vu dans le bio un marché qu’elle devait investir à tout prix. Aujourd’hui, en France, 50 % des produits bio sont vendus dans les grandes surfaces. C’est énorme ! Les hypermarchés basent leur stratégie sur la « démocratisation » des produits biologiques. Cela se traduit par de grandes campagnes publicitaires, comme celle d’Auchan qui propose 50 produits à moins de un euro. Ce qui conduit au développement d’une agriculture biologique industrielle intensive, avec l’importation d’une grande quantité de produits à coûts réduits. La France est ainsi devenue importatrice de produits bio, après en avoir été exportatrice.

    Dans le secteur des fruits et légumes, la grande distribution reproduit dans le bio ce qu’elle fait dans le secteur conventionnel. Elle participe à la spécialisation de bassins de production : la province d’Almería en Andalousie s’est ainsi spécialisée dans les légumes ratatouille (tomates, poivrons, courgettes, aubergines...), la région de Huelva dans les fraises. On trouve les mêmes produits dans la plaine d’Agadir au Maroc ou dans le sud de l’Italie. Les producteurs sont mis en concurrence sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Si le coût des tomates d’Andalousie est trop élevé, on ira en chercher au Maroc. Le seul coût qui peut être ajusté, c’est celui de la main d’œuvre agricole, exploitée à outrance, immigrée et sans droit.

    Cette stratégie commerciale n’est-elle pas en contradiction avec la réglementation européenne ? Le droit du travail est-il soluble dans l’agriculture biologique ?

    La nouvelle réglementation européenne concernant l’agriculture biologique, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, a été taillée sur mesure pour favoriser le développement de cette agriculture industrielle et intensive, et la mise en concurrence de ces bassins de production. Elle se réduit à des principes agronomiques, techniques, et ne fixe aucun critère social. La main d’œuvre n’est pas du tout prise en compte, pas plus que les tailles des fermes.

    La question du transport est aussi évincée. Le fait que des tomates d’Andalousie ou des carottes d’Israël soient exportées par des norias de camions dans toute l’Europe n’entre pas en contradiction avec la réglementation européenne. Nous citons l’exemple du soja bio importé du Brésil, qui provient d’énormes exploitations de 5 000 à 10 000 hectares, conquises sur des forêts primaires dans l’État du Mato Grasso. La réglementation n’interdit pas que des produits bio soient cultivés sur des terres récemment déboisées ! Même chose pour l’huile de palme bio massivement importée de Colombie : des paysans ont été violemment chassés de leurs terres pour pouvoir lancer cette culture.

    N’y a t-il pas un risque que le consommateur trompé se détourne des produits bio ?

    Si cette logique se poursuit, les gens finiront par ne plus s’y reconnaître. On est très loin de l’esprit des fondateurs et de la charte de 1972 de l’organisation internationale de la bio (IFOAM), avec des principes agronomiques très forts, mais aussi écologiques, sociaux et politiques. Il était question de transparence, de prix équitable, de solidarité, de non-exploitation des pays du Sud, de fermes à taille humaine, diversifiées et les plus autonomes possible, de consommation de proximité... Aujourd’hui, les cahiers des charges officiels de la bio ont totalement échappé aux paysans, même si les organisations professionnelles sont invitées à en discuter. Au final, ce sont des techniciens à Bruxelles, soumis à tous les lobbies, qui définissent cette réglementation. Et interdisent aux États d’adopter une réglementation plus stricte. Il y a un risque véritable que la bio soit totalement vidée de son sens.

    Heureusement, des marques et mentions ont un cahier des charges plus rigoureux que la réglementation européenne. A l’instar de Nature et Progrès, Demeter, BioBreizh ou Bio Cohérence, qui se démarquent clairement de la bio industrielle. Certains producteurs ne veulent pas de la certification européenne et ont contribué à la mise en place de systèmes de garantie participatifs : un contrôle fondé sur la confiance, en présence d’un consommateur et d’un producteur. S’ils détectent quelque chose qui ne fonctionne pas bien, ils voient avec le paysan comment l’aider à améliorer ses pratiques. C’est une logique d’échange et de solidarité.

    Vous ne voulez pas diaboliser ces agriculteurs, dites-vous. Ceux qui sont dans le système de la bio industrielle peuvent-ils en sortir ?

    Les paysans deviennent des sous-traitants. Ils sont tenus par des contrats avec les toutes-puissantes coopératives agricoles. La filière des élevages intensifs de poulets bio, dominée par des coopératives comme Terre du Sud, MaïsAdour ou Terrena, illustre cette évolution. Dans le Lot-et-Garonne par exemple, Terre du Sud a récemment recruté des producteurs, souvent endettés, pour faire du poulet bio. Elle leur garantit des contrats avec la grande distribution et la restauration collective. La coopérative aide à trouver les financements, fournit les bâtiments, le matériel, les conseils de ses techniciens... En contrepartie, le producteur signe un contrat d’intégration : il s’engage à acheter à la coopérative les poussins, la totalité des aliments pour ses volailles, ainsi que les produits phytosanitaires et médicaux [3]. Il doit vendre toute sa production à la coopérative qui est la seule à déterminer les prix.

    Un exemple : le producteur signe pour un élevage de 40 000 poulets. Il doit investir 250 000 euros. La coopérative l’aide à obtenir 50 000 euros de subventions, le reste provient d’un prêt du Crédit agricole. Endetté dès le départ, le paysan est entièrement soumis à la volonté des coopératives qui peuvent décider du jour au lendemain de convertir son exploitation dans une autre production, si elles jugent que celle du poulet bio n’est plus assez rentable.

    Dans chacune de ces filières industrielles – volailles, soja, café, huile de palme, fruits et légumes – existe-t-il des alternatives biologiques locales ?

    Dans chaque pays où nous avons voyagé, nous rendons compte de cette autre agriculture biologique en rupture avec le système agro-industriel, qu’elle soit certifiée ou pas. J’ai été très marqué par une rencontre avec un producteur à Almería (Andalousie), la plus grande région de concentration de serres au monde. Ses parents ont été pris dans cet engrenage de production de fruits hors-saison destinés à l’exportation. Pendant plusieurs années, il a refusé de cultiver. Il a beaucoup voyagé pour rencontrer d’autres agriculteurs en bio. Aujourd’hui, en plein milieu de cette mer de plastique, sur deux hectares de serres et deux hectares en plein champs, il fait de l’agriculture biologique paysanne, produisant un grand nombre de variétés à partir de semences paysannes et vendant uniquement aux consommateurs andalous. Partout, les résistances abondent. Avec une très grande richesse dans les formes – ferme familiales, coopératives, communautés, groupements – ou les méthodes de culture – cultures associées, systèmes d’agroforesterie, permaculture...

    Le changement des pratiques ne passe-t-il pas aussi par une réflexion autour de la distribution  ?

    Le système des Amap (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) a encouragé l’activité de milliers de maraîchers en France. Les groupements d’achats se développent aussi de façon spectaculaire. Dans le Lot, par exemple, ce sont des personnes bénéficiaires du RSA qui ont décidé de se regrouper afin d’accéder à une alimentation biologique locale. Avec une critique assez radicale de la grande distribution et l’envie d’une relation directe avec les producteurs. Dans l’Aveyron, un groupement a aidé l’un de ses membres à s’installer comme producteur de pâtes locales. Une réflexion plus globale autour de l’alimentation s’amorce.

    La question du prix est-elle essentielle ?

    Des prix de plus en plus bas, la défense du pouvoir d’achat, c’est le combat de la grande distribution. Mais on ne parle jamais du vrai prix des produits « conventionnels », de ce qui n’apparait pas. Pour une tomate « conventionnelle » produite de façon industrielle en Espagne, on ne parle pas du coût du transport, de son coût environnemental, des aides publiques dont cette production bénéficie. Et encore moins des coûts sanitaires dus aux pesticides. Si on prend tout en compte, et que l’on réduit les marges des intermédiaires et des supermarchés, le prix d’une tomate biologique ne serait pas si éloigné du prix d’une tomate conventionnelle. Il n’est pas normal non plus que ce soit les producteurs bio qui paient la certification. Ce devrait être aux pollueurs de payer. Et les maraîchers travaillent 14 heures par jour, six ou sept jours par semaine. Il est essentiel de payer leur travail au juste prix.

    L’agriculture biologique peut-elle être porteuse d’un projet de société ?

    L’agriculture biologique n’est pas une fin en soi. Elle s’inscrit dans un mouvement général basé sur le respect de l’humain et de la nature. On assiste à une querelle d’experts, pour savoir si l’agriculture biologique pourra nourrir ou non la planète en 2050. L’agriculture biologique ne pourra pas nourrir la planète si nous ne changeons pas de système politique. Si nous n’arrêtons pas le transfert massif de populations paysannes vers les bidonvilles des mégalopoles. Si nous n’arrêtons pas de transformer leurs terres en monocultures industrielles destinées à nourrir les élevages des pays riches ou les véhicules. Si nous ne sortons pas de ce capitalisme financier, le plus sauvage à avoir jamais existé. La bio doit nous amener à envisager une société beaucoup plus juste que celle dans laquelle nous vivons. Il existe aujourd’hui un mouvement social diffus et encore peu organisé, mais porteur d’un nouveau projet de société, à l’instar de la lutte du Larzac ou celle de Notre-Dame-des-Landes. Une agriculture biologique ne peut être que paysanne. Si elle est livrée à l’industrialisation, elle ne fera qu’accélérer la disparition du monde paysan.

    Propos recueillis par Sophie Chapelle

    @Sophie_Chapelle sur twitter

    Crédits photo : Philippe Baqué /AlterraviaLes ouvrières de la bio

    A lire : La Bio entre business et projet de société, sous la direction de Philippe Baqué, éditions Agone, 432 pages, 22 euros.

    Notes

    [1] Philippe Baqué est journaliste indépendant, collaborateur du Monde diplomatique, dePolitis, de Silence, de Témoignage Chrétien, auteur du livre Un nouvel or noir (Paris Méditerranée, 1999) et réalisateur de films documentaires : Carnet d’expulsion, de Saint-Bernard à Bamako et Kayes ; Melilla, l’Europe au pied du mur ; L’Eldorado de plastique ;Le Beurre et l’argent du Beurre. Il a coordonné l’ouvrage collectif La Bio entre business et projet de société, paru aux éditions Agone en 2012.

    [2] Chiffres cités par le rapport annuel de l’Agence Bio Les chiffres clés de l’agriculture biologique, la Documentation française, 2010.

  • L’année 2012 en patates

     

    Voici le traditionnel best of de l'année 2012 en patates.

    En janvier, l'actualité était numérique avec la fermeture du site de partage Megaupload et le lancement des offres de téléphonie de Free.

    En févrierFrançois Hollande jouait la carte Mitterrand, the Artist emportait l'oscar du meilleur film et Whitney Houston nous quittait.

    En mars, la campagne des présidentielles se met en pause après les tueries de Toulouse, Nicolas Sarkozy et François Hollande sont déjà presque certains de figurer au second tour et l'iPad 3 se fait attendre.

    En avril, l'actualité c'était la campagne, la campagne et encore la campagne.

    En mai, François Hollande est devenu Le président de tous les Françaisdu coup on a enfin pu parler d'autres choses comme du G8, de la fin de la semaine de 4 jours ou de la journée mondiale des geeks.


    En juin, les législatives ont accouché de quelques triangulaires et l'équipe de France n'a pas brillé lors de l'Euro.

    En juillet, on a découvert le boson de Higgs et c'était super. Du coup, j'ai failli acheter des panneaux solaires.

    En aoûtc'étaient les vacances pour presque tout le monde. Heureusement, il y avaitles jeux olympiques et la sonde Curiosity sur mars pour remplir nos journaux.

    En septembre, la France passait le cap des 3 millions de chômeurs et les Etats-Unis nous copiaient avec leur propre  campagne présidentielle.

    En octobre, l'Europe décrochait le prix Nobel de la paix, Facebook comptait 1 milliard d'amis et Microsoft sortait une nouvelle version de Windows.

    En novembreObama était réélu président, la France entamait son virage de la rigueur et l'UMP se choisissait (presque) un président.

    Et pour bien finir l'année, en décembre, c'était la fin du monde.

    Un grand merci à tous ceux qui ont suivi ce blog en 2012 pour sa 6ème année.
    Rendez-vous en 2013 pour de nombreux nouveaux dessins légers sur l'actualité.
    Et n'oubliez pas, l'album souvenir de l'année passée est toujours disponible en librairie !

     

     

     
  • Conso alternative

    LE GRAND ENTRETIEN30/12/2012 à 16h16

    Conso alternative : « Les classes moyennes ont changé de valeurs »

    Sophie Caillat | Journaliste Rue89

    Rencontre avec l’auteure d’un livre porteur d’espoir : partout dans le monde, des citoyens s’organisent pour subvenir à leurs besoins et inventer une autre société.

    A l’heure où la phrase de Margaret Thatcher « There is no alternative » (au libéralisme, à la rigueur budgétaire) n’a jamais été autant dans la bouche des dirigeants, il est bon de rappeler la réponse de Susan George : « There are thousands of alternatives ».

    La journaliste Bénédicte Manier est partie de la deuxième assertion et, pendant deux ans, est allée voir ce qui fait bouger la société civile, les graines de changement semées partout et qui inventent un « autre monde possible ». Elle en a ramené un livre passionnant, « Un million de révolutions tranquilles »(Editions Les liens qui libèrent), qui fourmille d’utopies réalisées.

    Des assemblées villageoises qui gèrent l’eau en Inde aux banques citoyennes en Espagne, elle décrit le fonctionnement de quelques-unes des solutions susceptibles de contourner la grande machine capitaliste.

    Rue89 : Qu’est-ce qu’une « révolution tranquille » exactement ?

    Bénédicte Manier : Ce sont des changements locaux, qui se mettent en place silencieusement pour résoudre les problèmes auxquels la population est confrontée – chômage, pauvreté, malnutrition, dégâts sur l’environnement... –, défis que les pouvoirs publics semblent impuissants à résoudre. Alors les citoyens décident d’agir eux-mêmes. Et aujourd’hui, on assiste à un foisonnement d’initiatives sur tous les continents, de solutions locales facilement transférables d’un pays à l’autre.


    Couverture du livre de Bénédicte Manier

    En agriculture, on voit émerger de nouvelles zones d’autosuffisance alimentaire, avec des réformes agraires menées par les habitants eux-mêmes ou la régénération d’écosystèmes grâce à l’agroforesterie et au bio. En Afrique, en Asie, en Amérique latine, des coopératives créent de l’emploi et sortent de la pauvreté des milliers d’oubliés de la croissance.

    Une autre façon d’habiter les villes a aussi émergé, avec partout l’essor de coopératives de logement et de l’agriculture urbaine (New York, par exemple, compte 800 jardins partagés). Contre la spéculation, des filières d’épargne citoyennes se sont développées.

    Pour les exclus du système de santé, des citoyens américains ont ouvert 1 200 cliniques gratuites. Contre la « malbouffe », les consommateurs japonais ont adhéré par millions aux « Teikei » (les Amap locales) et aux coopératives d’achat direct aux fermiers. Ils ont aussi créé leurs propres services (crèches, emplois familiaux...). Dans des domaines très variés, la société civile reprend ainsi en main les enjeux qui la concernent et devient un vrai moteur du changement social.

    De quand datent ces initiatives ?

    Certaines d’il y a vingt ans, mais depuis une dizaine d’années, les changements sont devenus très visibles dans le domaine de la consommation. Les classes moyennes des pays industrialisés ont largement adopté la « consommation collaborative », qui consiste à acheter moins, mais mieux, et entre soi : on achète d’occasion, on partage, on loue, on troque, on répare au sein d’ateliers participatifs, on échange des services sans argent...

    En bref, on développe les « 4 R » (réduire, réutiliser, réparer, recycler). On se tourne aussi vers le local et le bio, pour savoir ce qu’on mange et soutenir l’économie de proximité. Et en imposant ces nouveaux comportements, la société civile a en partie réorganisé la distribution et amorcé une transition vers des modes de vie plus économes et plus écologiques.

    C’est ce qu’on appelle le « penser global, agir local », que Coline Serreau avait décrit dans son dernier film ?

    Exactement. C’est une évolution profonde : les gens se rendent compte que le modèle de développement actuel a trouvé ses limites et souhaitent d’autres logiques que le tout-marchand. En soutenant une coopérative locale ou uneAmap, en échangeant dans un système d’échange local (SEL) ou en plaçant son épargne dans l’économie solidaire, le citoyen contribue à une activité économique qui répond mieux à ses valeurs.

    Est-ce aussi ce qu’on appelle l’économie de la débrouille ?

    Oui, mais pas seulement. L’« économie de la débrouille » donne l’impression que c’est uniquement déclenché par la crise. En réalité, cela fait plusieurs années que les classes moyennes ont silencieusement changé de valeurs. Par exemple, quand une petite partie d’entre elles se détache des banques commerciales pour aller vers des circuits financiers solidaires, c’est parce qu’elles cherchent du sens et veulent voir leur argent servir à autre chose que la spéculation. Ce changement d’aspiration date d’avant la crise et celle-ci n’a fait que l’accentuer.

    Quels sont les profils concernés ?


    Bénédicte Manier (DR)

    On a affaire à des générations très connectées, très informées, conscientes des grands enjeux et qui ne se retrouvent plus dans l’hyperconsommation, mais davantage dans des comportements conviviaux et coopératifs.

    Les consommateurs sont ainsi devenus des acteurs des filières ; en partageant leurs outils de bricolage, leurs maisons (Couchsurfing) ou en organisant leurs propres circuits de livraison de colis par covoiturage, ils mettent en place une économie collaborative, ce qu’explique Anne-Sophie Noveldans son livre « Vive la co-révolution ».

    Les logiciels libres notamment sont issus de cette coopération transversale. C’est une forme de déclaration d’indépendance vis-à-vis de l’économie classique, qui se fait sans vraiment d’idéologie, mais plutôt avec pragmatisme. C’est finalement une génération post-mondialisation, qui en a adopté les outils (Internet, smartphone), mais qui les met au service d’actions citoyennes participatives et décentralisées.

    Décroissants, créatifs culturels, sous quelle bannière les regrouper ?

    Certains sont dans l’une ou l’autre tendance, mais beaucoup n’entrent dans aucune. Les créatifs culturels sont ceux qui dans les années 1990 ont créé une autre manière d’être au monde, en étant davantage dans l’être que dans l’avoir. Mais aujourd’hui, le changement s’est élargi à d’autres groupes sociaux. Je ne me hasarderais pas à quantifier, mais visiblement le changement concerne une bonne partie des classes moyennes.

    Deux livres parus en 2010 aux Etats-Unis ( « Consumed : Rethinking Business in the Era of Mindful Spending » et « Spend Shift : How the Post-Crisis Values Revolution Is Changing the Way We Buy, Sell, and Live ») ont montré que 72% des habitants des pays industrialisés ont adopté des modes d’achat plus écologiques et plus sociaux, et que 55% des ménages américains ont mis en place une consommation « démondialisée », en adhérant à des valeurs d’autosuffisance, de « do it yourself » ou d’achat sur les marchés fermiers locaux.

    Quelle peut être la traduction politique de tout cela ?

    Ces changements silencieux se font en dehors des groupes constitués, c’est typique des sociétés en réseaux où l’on se regroupe entre voisins ou en groupes informels aidés par les réseaux sociaux. Il n’y a pas de relais politique : les citoyens ont plus ou moins intégré l’idée qu’on ne change pas le monde avec un parti politique, ce qui exprime une sorte de fatigue de la démocratie, comme l’explique Pierre Rosanvallon.

    Et ils ne descendent plus dans la rue. La contestation des Indignés et du mouvement Occupy Wall Street a d’ailleurs trouvé ses limites et ces groupes se réinvestissent maintenant dans les initiatives concrètes. Les Indignés espagnols créent par exemple des coopératives de logement et des systèmes d’échange gratuit de services. On n’est plus dans la protestation, mais dans le passage à l’acte.

    Est-ce que le nouveau réseau social Newmanity est susceptible de leur donner plus d’occasions de se rencontrer et plus d’écho ?

    Il est intéressant de voir se développer des réseaux sociaux davantage liés à ce changement d’aspirations. Cette nouvelle génération de réseaux va au-delà de la simple mise en relation, pour proposer du sens : elle propose de partager les mêmes valeurs éthiques. Et si Newmanity diffuse ces initiatives de changement, il va sans doute accélérer leur progression, notamment par une logique de « translocal », une reproduction d’un territoire à un autre.

    Parmi les acteurs importants, il y a le Québec. Qu’a-t-on à apprendre de lui ?

    Les coopératives d’habitants se sont beaucoup développées là-bas, car la société civile a créé des structures de professionnels qui aident les gens à transformer des bâtiments désaffectés en habitats coopératifs, ou à concevoir des immeubles écologiques et conviviaux où on habite ensemble en mutualisant les charges. Les logements sont à l’abri de la spéculation et sont loués nettement en dessous du marché. Au Québec, on en compte 1 200, qui logent 50 000 personnes.

    Elles se sont aussi développées en Allemagne, en Angleterre, en Suède, aux Etats-Unis... mais peu en France, pays très réglementé et plus colbertiste. Les« Babayagas » ont ainsi eu beaucoup de mal à créer une forme d’habitat coopératif : parce qu’il n’entre dans aucune case administrative, elles ont dû passer par un office HLM. De même, il est difficile ici de créer des coopératives d’énergies renouvelables, notamment parce qu’il faut revendre son électricité à EDF, qui a baissé ses tarifs de rachat. L’individualisme joue aussi sans doute un rôle.

    Les initiateurs de l’expérience des éoliennes citoyennes en Pays de Vilaine ont ainsi ramé pendant dix ans ! Mais ailleurs, ça se développe : au Danemark, 86% des parcs éoliens appartiennent à des coopératives de citoyens. Et en Allemagne, une quarantaine de villages sont déjà autonomes en électricité et se la revendent entre eux, préfigurant ce que Jeremy Rifkin appelle la Troisième révolution industrielle.

    Quels sont les projets les plus avancés en France ?

    Chez nous, ce qui marche bien, ce sont les circuits courts, les monnaies locales, la consommation collaborative ou, dans une certaine mesure, l’épargne solidaire, avec par exemple Terre de liens pour sauver les fermes de terroir. Mais une coopérative financière comme la NEF reste bien moins importante que les grandes coopératives d’épargne américaines (les « credit unions »), ou que la Coop57– coopérative catalane grâce à laquelle les particuliers financent directement l’économie solidaire locale –, ou encore que les banques sociales et écologiques comme la Triodos Bank des Pays-bas ou la Merkur Bank du Danemark.

    « Un million de révolutions tranquilles » peuvent-elles faire une grande révolution ?

    Je décris une évolution des mentalités lente mais réelle, qui va certainement se développer car elle est portée par les classes moyennes, ces « trendsetters » qui fixent les normes de demain. Est-ce qu’un jour tout cela atteindra une masse critique ? Je n’en sais rien, mais on est certainement dans une transition. Les citoyens vont plus vite que les politiques, et ils inventent de nouveaux comportements parce qu’ils ont envie de vivre mieux. Ce mouvement « bottom up » est certainement amené à se développer.

    Comme dirait Pierre Rabhi, changer le monde nécessite de changer soi-même, non ?

    Les gens ont déjà cette intuition que les théoriciens de la décroissance comme Rabhi, Latouche, Viveret, les penseurs de la transition, Rob Hopkins, formulent. Ce sont des initiatives encore minoritaires, mais qui se multiplient maintenant d’un bout à l’autre de la planète, montrant que quelque chose est en train de bouger à la base de la société. Quand des habitants commencent à transformer l’habitat, l’agriculture ou d’autres les aspects de la vie quotidienne, on est peut-être en train de passer à une autre époque.