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Europe - Page 3

  • Le djihadisme vu d’Europe

     

    De Londres à New Delhi, de Washington à Paris, ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre les djihadistes en Syrie ou en Irak. Violents mais pas spécialement dévots. Les Occidentaux sont surreprésentés dans ces groupes. Explications.
    • 3 SEPTEMBRE 2014
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    Photomontage de Denis Scudeller pour Courrier international

    Un djihad très français
    “La nouvelle génération de néodjihadistes français” – dont Mohammed Merah, l’auteur des attentats de Toulouse en 2012 – est “un produit du printemps arabe et du système d’éducation publique français”, selon Mathieu Guidère. Ce professeur français d’études islamiques écrivait en mai sur le site britannique The Conversation : ils ont “hérité d’un mélange explosif d’esprit révolutionnaire français et d’une reconnaissance de la rébellion comme symbole de liberté”. Pour eux, “le printemps arabe fut un tournant. Tout sentiment d’infériorité que pouvaient avoir les jeunes d’origine maghrébine était remplacé par une fierté intense” vis-à-vis des rébellions dans leurs pays d’origine. “L’échec du gouvernement français à intervenir et à fournir une aide substantielle au peuple syrien a poussé de nombreux jeunes gens à agir eux-mêmes” poursuivait Mathieu Guidère. 

    Un califat jusqu’en Bosnie ?
    A l’annonce de la mort du wahhabite bosniaque Emrah Fojnica, tué lors de l’attentat suicide qu’il avait commis en Irak le 7 août, son père a promis de mettre en ligne la vidéo de son “martyre” afin d’“inciter les jeunes à rejoindre le djihad pour le califat”. “La violence affichée par les extrémistes n’est pas fortuite, elle fait partie de la stratégie d’instauration de l’Etat islamique”, estime Vlado Azinović, politologue à l’université de Sarajevo et auteur du livre Al-Qaïda en Bosnie-Herzégovine. Mythe ou menace réelle ? [non traduit]. Il ajoute que les combattants de l’Etat islamique deviennent les idoles des jeunes de 15-16 ans. “Vu que le califat affiche l’intention d’étendre l’Etat islamique à partir de la Syrie et de l’Irak, à travers la Turquie, la Grèce, l’Ukraine et la Bosnie-Herzégovine, jusqu’en l’Espagne, ces jeunes n’ont plus besoin de partir pour la Syrie. Ils peuvent combattre pour l’Etat islamique chez eux, sans se déplacer”*, affirme Azinović. Depuis longtemps, les médias de Bosnie-Herzégovine attirent l’attention sur les liens entre Muhamed Porča, l’imam radical installé à Vienne, en Autriche (lire p.28), et la communauté wahhabite bosniaque vivant dans le village de Gornja Maoča [nord-est de la Bosnie] d’où les jeunes s’en vont combattre en Syrie et en Irak, le sourire aux lèvres, comme s’ils partaient à Disneyland. 

    Snjezana Pavic
    Publié le 28 août 2014 dans Jutarnji list Zagreb (extraits) 

    * On estime que 150 moudjahidin originaires de Bosnie-Herzégovine se trouvent actuellement en Syrie et en Irak, alors qu’une cinquantaine sont rentrés au pays. Ce sont eux qui inquiètent le plus les autorités bosniennes. 

    Au Danemark, pas de profil type Plus de 100 Danois ont participé aux combats en Syrie depuis que la guerre a commencé, en mars 2011. Au moins 15 de ces djihadistes y ont perdu la vie. Mais s’il s’agit du conflit qui attire le plus de Danois, ces derniers n’ont pas beaucoup de points communs, constate le quotidien Politiken. Le journal a étudié de près 11 cas et constate que même si ces djihadistes sont issus de l’immigration, et s’ils sont presque tous nés au Danemark, leurs racines ne sont pas syriennes, mais plutôt turques, pakistanaises et somaliennes. Il s’agit majoritairement d’hommes qui ont été radicalisés très jeunes au Danemark et qui sont ensuite partis en Syrie par conviction religieuse et idéologique. Pour le reste, constate Politiken, “ils viennent d’un peu partout au Danemark, ils ont des intérêts complètement différents, n’ont pas fait les mêmes études et ne sont pas issus des mêmes milieux sociaux”. 

    Leur guerre d’Espagne
    “Si [l’écrivain britannique] George Orwell rentrait aujourd’hui [au Royaume-Uni] après avoir combattu lors de la guerre civile en Espagne, il serait considéré comme un terroriste”, constatait George Monbiot dans The Guardian en février. Le chroniqueur y déplorait que de nos jours les Britanniques combattant Bachar El-Assad et son “régime de torture et d’assassinat à grande échelle” risquent d’être emprisonnés à vie, “même ceux qui ne cherchent qu’à défendre leurs familles”.
    Pour appuyer sa démonstration, l’auteur citait l’attentat suicide du Britannique Abu Suleiman Al-Brittani, qui avait fait exploser un camion devant une prison à Alep, permettant la libération de 300 individus emprisonnés par Assad. “Nous savons qu’au moins 11 000 personnes sont mortes dans ce type de prisons et que beaucoup y ont été torturées à mort. […] Or, ne devrions-nous pas plutôt saluer cet acte de courage extraordinaire ? Si Al-Brittani avait été un militaire de l’armée britannique, on lui aurait peut-être décerné une médaille posthume.” 

    ENQUÊTE
    Une addiction à la violence
    Les djihadistes d’origine britannique sont parmi les recrues de l’Etat islamique “les plus vicieuses”, estime Shiraz Maher. Dans une tribune publiée dans le Daily Mail, ce chercheur londonien en matière de radicalisation explique qu’aujourd’hui “tout romantisme initial qu’ils pourraient nourrir sur une aventure dans le désert ou tout idéalisme sur leur vocation à protéger des musulmans sont vite remplacés par une inhumanité sans pitié et par une glorification totale de la terreur”. Le chercheur ne mâche pas ses mots : “Souvent, on dit que ces jeunes Britanniques ont subi un lavage de cerveau. Je n’aime pas utiliser ce terme car cela les décharge trop facilement de la responsabilité de leurs actes. Ils savent très bien ce qu’ils font. Ils ont sciemment décidé de s’immerger dans une histoire sanglante de vengeance et de pouvoir, dans laquelle ils entendent écraser leurs ennemis, détruire les valeurs occidentales et faire triompher leur version pervertie et totalitaire de l’islam.” Shiraz Maher, qui a conduit des entretiens avec des djihadistes britanniques, souligne “un changement fondamental dans leur attitude”. Si l’année dernière “ils évoquaient souvent leurs motivations humanitaires, leur envie de soulager les souffrances des Syriens ordinaires, aujourd’hui ils sont obsédés par l’établissement d’un califat, un Etat islamique. Et leur fanatisme religieux s’est intensifié en même temps que leur addiction à la violence. Ils sont devenus plus agressifs, plus impitoyables, plus déshumanisés.” 

    OPINION
    Pourquoi tant de haine ?
    “Maintenant que l’Etat islamique compte plus d’individus nés en Grande-Bretagne que l’armée britannique ne compte de musulmans, nous sommes nombreux à nous demander ce qui fait qu’ils [les djihadistes nés en Grande-Bretagne] nous détestent autant”, observe Ed West dans The Spectator. “On ne comprend pas, nous [les Britanniques de souche] avons toujours été très corrects [vis-à-vis des Britanniques d’origine étrangère]”, ironise le commentateur dans l’hebdomadaire britannique. “Nous avons importé des immigrés peu qualifiés issus des sociétés les plus fermées et les plus conservatrices au monde pour qu’ils fassent des boulots sous-payés dans nos industries vouées à disparaître, leurs enfants ont pu grandir dans un entourage touché par le chômage, ensuite nous leur avons appris que notre culture était sans valeur et que l’histoire [coloniale] de notre pays était souillée par le sang de leurs ancêtres [notamment pakistanais et indiens], puis nous les avons incités à se replier dans leur religion en accordant des subventions aux membres les plus sectaires et les plus réactionnaires de leur communauté.” Et il conclut : “Qu’avons-nous fait de mal ?” 

    CARTOGRAPHIE

  • Enfin, le crime paie

    Billets de la part de Dominique Manotti

     
    Ainsi, Eurostat recommande aux Etats européens d’intégrer dans leur PIB l’argent de la prostitution, de la drogue etc… Le problème n’est déjà plus : va-t-on le faire ? Mais : comment le faire ? Eurostat a déjà rédigé tout un protocole pour ceux qui ne sauraient pas s’y prendre. Voir le texteici (Cela vaut vraiment la lecture).
    Cette intégration du crime permettrait de doper la croissance, paraît-il, au moins en apparence. L’Italie le fait déjà, l’Angleterre aussi, et chez nous, quelques hommes politiques très bien pensants et UMP soutiennent la mesure, mais qu’on se rassure, ils continuent à prôner l’emprisonnement des petits dealers et consommateurs de drogues diverses. Peut être ne rapportent ils pas assez ?
    Je dois dire que, malgré tout ce que j’ai écrit sur le crime comme rouage de la machine de l’ordre social, et non comme aberration exogène, je ne m’attendais pas à une légitimation aussi ouverte et aussi rapide des grandes machines criminelles.
    Au même moment, l’amende infligée à la BNP par la justice américaine est l’application stricte de la loi du plus fort, la loi de l’Ouest, le revolver sur la tempe.
    J’adore les commentateurs français qui parlent de l’indépendance de la justice américaine. Les juges de New York sont élus. Les élections approchent. Les banques depuis la crise des subprimes sont mal vues des Américains, et n’ont pas été sanctionnées. Sanctionner une banque sera populaire, et si elle est étrangère, ce sera tout bénéfice : 10 milliards de dollars de profit pour l’économie américaine et l’élimination d’un concurrent étranger bien implanté en Iran au moment où le gouvernement américain s’apprête à lever l’embargo sur ce pays. Une décision prise en toute indépendance, évidemment.
    Une seule conclusion : si je veux rester dans le coup, il va falloir sacrément muscler mes romans. Je risque d’avoir quelque retard sur Eurostat et les juges de New York.

     

    CrimeFest à Bristol

     
    En cette mi-mai 2014, j’ai participé à Bristol au CrimeFest, une manifestation très « british ». Pas du tout un festival comme nous en connaissons en France, mais une convention, dans un grand hôtel, avec dîner de gala, robes de soirée et costumes sombres, essentiellement fréquentée par des « professionnels » du roman criminel, auteurs, éditeurs, critiques, universitaires. Tables rondes, rencontres multiples, cette convention est organisée tous les ans par la Crime Writers Association, la même association qui décerne chaque année les Daggers Awards, les prix littéraires les plus prisés pour ce genre littéraire. Surprise de mesurer la puissance de ce mouvement associatif sans commune mesure avec ce qui existe en France, et surprise de découvrir à quel point le monde anglo-saxon reste refermé sur lui même.  J’ai participé à une table ronde Euro Polar (voir ce compte rendupar une universitaire anglaise). Trois Scandinaves, moi, et des Anglais. La Grèce était représentée par un auteur anglais, résident en Grèce et écrivant sur la Grèce. Comme si Dona Leon représentait le Noir italien. Parmi les nombreuses questions venant de la salle, l’une d’entre elles était dans le même registre : qu’est ce que je pense des auteurs anglais qui font des polars qui se passent en France ? Pour atténuer le choc de la différence des cultures, la médiation par un Anglo-Saxon semblait encore très importante pour les participants à cette table ronde.
    Nous avons encore fort à faire dans le domaine du dialogue entre les cultures. 
    Je suis contente d’être allée respirer l’air de Bristol, et merci à mon éditeur anglais qui m’a permis de le faire. Je renouvellerai l’expérience autant que je le pourrai.
     

    Soirée agitée au 36

     
    L’épisode du viol présumé d’une touriste canadienne au 36 quai des Orfèvres par un capitaine et un major de la BRI fait beaucoup de bruit. L’émotion est proportionnelle au prestige des « grands flics » du 36. Si le viol fait l’objet de l’enquête, la beuverie qui l’a précédé, dans un pub d’abord, puis dans les locaux du 36, est avérée.
    Le 12 avril 2014, quinze jours avant les faits, je participais à un débat avec le juge Fernand Kato sur le thème « crimes et erreurs judiciaires » dans le cadre du festival de littérature noire de Mulhouse. Je parlais de mon roman « Bien connu des services de police ». Dans le cours du débat, j’évoque ce qui, à mes yeux, est un des traits les plus marquants de la culture policière, la pratique du faux témoignage par les policiers lorsque l’un des leurs est impliqué. Mon interlocuteur proteste avec vigueur. Il n’a jamais été confronté à de telles pratiques, dit il. Un peu plus tard, j’évoque l’alcoolisme, l’usage abusif de l’alcool, dont les causes sont multiples mais les effets ravageurs. Nouvelle protestation. Peut être avant 2003, soutient mon interlocuteur, mais depuis le problème est réglé, plus d’alcool dans la police.
    Dans l’épisode actuel, nous avons les deux, et dans un des corps les plus prestigieux de notre police, un des corps où la qualité des hommes et la force et la présence de de la hiérarchie sont avérées. 
    Je ne sais pas ce que pense le juge Kato aujourd’hui. Pour ma part, j’espère que le caractère hors norme de ce fait divers fera avancer la réflexion. Le corporatisme puissant dans la police sur lequel fleurit la culture du faux témoignage est une tare dans un régime démocratique. Une tare entretenue, encouragée par tous ceux dont la mission est d’encadrer, contrôler une police démocratique, les supérieurs, les juges, les institutions. Sans parler du ministre lui même qui accepte ou revendique de se faire appeler « le premier flic de France ». Il agit au nom des citoyens, pour les citoyens, pas au nom des flics pour les flics.
    La critique n’est pas facile à entendre. Pour ma part, chaque fois que j’ai eu à discuter de « Bien connu… » en public avec des responsables policiers, ils considéraient ce roman comme une caricature inutile. Sauf une fois, en Allemagne, à Bonn, un débat à l’initiative de la police allemande.
    On peut aussi ajouter que le corporatisme policier n’est pas une exception. Corporatisme enseignant, des médecins, des avocats, des taxis, le corporatisme semble bien être un principe d’organisation de notre société. 
     

    Ausbruch

     
    L'Evasion vient d'être traduit en allemand et publié aux éditions Ariadne-Krimi.

     

    La robe rouge

     
    Librairie Eureka Street, à Caen, le 27 mars 2014.
    Une soirée de rencontres chaleureuse, de ces moments où on a le temps de parler, de questionner, de creuser. La discussion glisse vers les personnages féminins. Je constate que j’ai eu du mal à les faire vivre, dans mon premier roman, Sombre Sentier, et peut être dans les suivants. Pour des raisons que je m’explique mal.
    Une lectrice me dit qu’elle garde le souvenir de la robe rouge d’Anna Beric. J’en suis émue. Cette robe rouge, je l’ai croisée dans une vitrine à Venise, elle m’a touchée, elle a provoqué une émotion inexplicable. Des années après, cette émotion passe dans un roman, une lectrice la ressent et la garde en mémoire des années après. C’est le bonheur d’écrire, c’est le bonheur de vous rencontrer, merci Madame.
     

    L'Ukraine : question de principe ?

     
    Je ne suis pas une spécialiste des relations internationales, simplement une citoyenne, incapable de comprendre la façon dont se déroule aujourd’hui le débat sur l’Ukraine dans mon pays.
    La défense de « l’intégrité territoriale de l’Ukraine » contre l’invasion russe serait une question de principe. Bon. Quels principes ?  Pourquoi « l’unité territoriale » de l’Ukraine » est-elle un principe ? Il n’y a pas si longtemps nous faisions le contraire avec la Yougoslavie. Reconnaissance immédiate de l’indépendance de la Slovénie, puis les autres ont suivi, Croatie, Bosnie, Kosovo. On n’a pas demandé l’avis des Serbes en l’occurrence. Plus près de nous, il va y avoir un référendum sur le statut de l’Écosse. Il a lieu en Écosse. Les Anglais ne votent pas, que je sache. L’unité territoriale de l’Ukraine ne renvoie à aucun principe immuable, mais simplement à une analyse conjoncturelle précise. Très bien, alors qu’on me l’expose, que je puisse au moins comprendre, si ce n’est donner mon avis.
    Côté américain, la référence aux « grandes valeurs » est carrément surréaliste. J’entends Obama parler d’ingérence russe contraire au droit international. Je ne rêve pas, il s’agit bien du président du pays qui a envahi et détruit l’Irak, au mépris du même droit, en s’appuyant sur un énorme mensonge d’État, dont personne n’était dupe, sauf les citoyens (et la presse) américains ? Il s’agit bien du président qui conduit une politique d’assassinats « ciblés » par drones interposés qui a fait à travers le monde plus de 3000 morts dans les trois dernières années ? Avec l’accord de qui ? En référence à quel texte du « droit international » ? Mais Obama a la réponse : les États-Unis ont le droit d’envahir et de tuer, et eux seuls, parce qu’ils sont une « nation exceptionnelle » (sic).
    Europe et États-Unis s’appuient ensemble sur la défense d’un autre grand principe : la défense de la démocratie. On pourrait argumenter en disant qu’on ne la ressort que lorsque cela nous arrange, cela est évident pour tout le monde puisque certaines des pires dictatures sont nos alliés fidèles. N’oublions pas non plus que nous avons appuyé avec enthousiasme Eltsine, enfin nous avions trouvé un vrai démocrate russe. Eltsine a pillé la Russie de façon magistrale, et laissé un souvenir si catastrophique au peuple russe que la rupture avec l’ère Eltsine constitue la base de la popularité de Poutine en Russie.
    Mais ce n’est pas le plus important. Le plus important est de réaliser enfin que ce système démocratique, chez nous, dans notre pays, est complètement à bout de souffle, que nous n’avons aucun modèle en état de marche à exporter. Et les Américains non plus. Abstention de masse, rôle dominant de l’argent dans la vie politique, creusement des inégalités, élections truquées en cas de besoin (vous vous souvenez : la Floride et Bush ?). Chez nous en cas de besoin, quand un résultat gène, on n'en tient tout simplement pas compte (référendum sur l’Europe en 2005, la seule fois où on a eu un vrai débat de masse sur l’Europe). 
    Alors, reste la liberté d’expression comme joyau de notre démocratie. Précieuse, c’est vrai, et je n’ai aucune envie de vivre en Russie. Mais je ne la trouve pas non plus en pleine forme cette liberté d’expression chez les « Occidentaux ». L’autocensure et la pensée unique ont remplacé la censure, c’est indolore et bien plus efficace. 
    Si nous renonçons à l’évocation des grands principes, vides de sens, pouvons nous raisonner de façon concrète, et évoquer par exemple la question des sanctions ? Formidable. Sanctions économiques. Décidées par les Américains. Appliquées par les Européens. Boycottons les Russes. Ce sera très lourd pour l’économie russe et l’économie européenne. Cela tombe bien, au moment où les États-Unis nous proposent un traité de libre échange léonin. Plus nous aurons de difficultés économiques, plus la diplomatie américaine nous coûtera cher, moins nous serons en situation de négocier ou de refuser ce traité. Les pétroliers américains ont déjà fait savoir qu’ils peuvent nous fournir en gaz de schiste, si nous le signons. Ce que notre président d’ailleurs rêve de faire au plus vite. Et hors de tout débat démocratique. Mais il ne peut évidemment être question de débat et de choix démocratiques sur des questions aussi importantes, qui vont déterminer le sort de nos sociétés pour des dizaines d’années. Pour des questions aussi importantes, soyons sérieux, négociations entre technocrates, loin de toute publicité.
     

    Madoff sur scène

     
    Vendredi 21 février, à Florange, à la Passerelle, première représentation théâtrale du « Rêve de Madoff ». Un monologue d’une heure, interprété par Patrick Roeser, mis en scène par Roland Macuola, avec la compagnie Les Uns Les Unes. J’y ai assisté, avec une grosse pointe d’inquiétude. Pas le trac de l’acteur, mais pas loin. Un texte très littéraire, qui parle économie, comment allait il être reçu ? Etait-ce possible de le jouer ? Car il ne s’agissait pas de le lire à haute voix, mais bien de le jouer, de passer d’un mode d’expression à un autre, il s’agissait d’une mise en vie. Belle réussite. J’ai reconnu mes phrases, mais ce n’était plus mon texte, c’était celui de Patrick Roeser, et c’était passionnant. Il a saisi son public, et ne l’a plus lâché un instant. Gagné. A la fin, après les applaudissements chaleureux du public, les spectateurs que j’ai rencontrés me disaient : l’économie, la Bourse, l’escroquerie Madoff, la passion américaine pour le fric, tout est devenu clair ! Pas sûr… Mais c’est la magie du théâtre, quand le spectateur est embarqué, il peut bien traverser tous les océans. 
    De mon côté, j’ai eu le sentiment que, grâce au travail de la troupe, le texte tenait le choc, sans faiblir. Et j’en ai été heureuse.
     

    Dieudonné censuré. Et après ?

     
    Donc le gouvernement a apparemment gagné la partie contre Dieudonné, celui ci a déclaré retirer de son spectacle les horreurs antisémites qui s’y trouvaient. Des horreurs qui ne m’ont jamais fait rire, au contraire ; quand je vois le succès qu’elles recueillent, elles m’angoissent sur l’état de la société dans laquelle je vis.
    Mais le succès remporté par le gouvernement ne me rassure nullement. Au contraire. J’y vois une menace potentielle grave contre nos libertés. Le racisme et l’antisémitisme sont des composantes de fond de nos sociétés européennes, ils vivent comme une sorte de kyste endormi dans le tissu social qui explose dans les périodes de crise. Le kyste est en train d’exploser un peu partout en Europe, sous des formes diverses, et la question est de savoir comment nous allons réagir. Le gouvernement a choisi l’interdiction du spectacle de Dieudonné. La mesure a au moins l’intérêt de réveiller un débat sur le racisme totalement atone. Quand on parle de l’antisémitisme, il est parfois fait référence à l’histoire, à la montée du nazisme, sous une forme étonnement tronquée : j’ai lu ou entendu qu’il serait impossible de laisser s’exprimer un antisémitisme dont la libre expression dans les années 30 aurait permis le triomphe d’Hitler. Cet argument me semble reposer sur un contre sens. Le triomphe du nazisme ne repose pas sur la seule liberté laissée à l’antisémitisme de s’exprimer, mais sur les ravages en Europe de la boucherie de la guerre de 14-18, sur l’absence de vision européenne du traité de Versailles et son aspect bêtement revanchard, puis sur la violence de la crise de 1929, et l’incapacité des hommes politiques au pouvoir en Europe de la gérer. C’est sur ce socle en béton que l’antisémitisme a flambé, et avec lui les idéologies fascisantes dans toute l’Europe, y compris en France. Il me semble qu’il faut donc d’abord s’interroger sur les raisons qui amènent l’antisémitisme de Dieudonné à attirer aujourd’hui un large public jeune et très divers, qu’il n’aurait pas attiré il y a vingt ans.
    Quel est le socle sur lequel prolifère le kyste de l’antisémitisme de Dieudonné ? Je ne suis pas une spécialiste, mais d’après ce que j’ai entendu dans son public, les ratés dans la façon dont nous avons soldé l’ère coloniale, les différents traitements réservés aux différentes sortes de racisme, le soutien indéfectible que l’Occident a apporté à l’État d’Israël dans sa façon d’absorber les territoires palestiniens, en créant des réserves, puis en les réduisant progressivement jusqu’à leur extinction programmée, en copiant la façon dont les États Unis ont traité les Indiens d’Amérique du Nord, la façon dont certains réduisent toute critique de la politique de l’État d’Israël à de l’antisémitisme, la crise profonde dans tout le Moyen Orient à laquelle l’Occident a largement contribué, sont des facteurs idéologiques et culturels qui flambent sous l’effet de la crise économique. S’attaquer à l’expression de ce malaise et non pas aux causes qui le font prospérer est une entreprise dangereuse et peut être perdante. Nous sommes déjà dans une crise sérieuse de notre régime démocratique, tout le monde le perçoit. Nos hommes politiques professionnels forment une caste, nos institutions fonctionnent mal et de façon opaque, la construction européenne est antidémocratique dans son fonctionnement quotidien comme dans ses grands rendez vous (souvenez vous, entre autres, du référendum de 2005…), le dégoût et l’abstentionnisme montent, et les inégalités et la misère s’accroissent sous l’effet des solutions libérales et déflationnistes que nous apportons à la crise économique, comme en 1929. Mêmes causes, mêmes effets.
    On voit mal comment la gestion actuelle de l’affaire Dieudonné pourrait rendre des forces et de la crédibilité à l’idée démocratique dans toute la société française. Comment elle pourrait aider à mettre en place une bataille de masse, une mobilisation populaire contre le racisme et l’antisémitisme. En la matière, ma référence est le combat des Dreyfusards, au tournant du siècle dernier. Cette bataille là a vraiment fait bouger les lignes dans la société française, pour une trentaine d’années, parce qu’elle reposait sur un énorme effort intellectuel et sur des mobilisations dans le tissu même de la société. Le choix de la politique d’interdiction ne va pas dans ce sens. Elle se heurtera à la multiplicité des canaux existants pour que s’exprime l’épidémie antisémite, et est lourde de menaces. Bientôt les rappeurs ? Ce n’est pas si vieux, souvenez vous. Interdit de dire du mal de la police. Et ces salauds de soixante-huitards qui ont eu le culot de dire qu’il est interdit d’interdire ? Je l’ai entendu dire déjà dans des émissions de débats autour du spectacle de Dieudonné : ce dont nous avons besoin, c’est d’un retour à l’ordre généralisé. Moi, quand le ministre de l’Intérieur se charge de délimiter le périmètre des libertés - de mes libertés – au nom de la morale – de sa morale - je m’inquiète pour mon avenir.
     

    Η απόδραση

     
    L'évasion vient d'être traduit en grec par les éditions Εκδόσεις του Εικοστού Πρώτου
     

    Bonn. Débat avec la police

     
    Un membre du directoire de la police de Bonn chargé de la culture m’avait invitée à venir parler de Bien Connu des Services de Police dans le cadre d’un cycle de conférences sur le polar. Je ne savais pas du tout en quoi cela pouvait consister, mais j’ai accepté immédiatement. J’étais curieuse. La conférence a lieu le 4 décembre 2013 au siège de la préfecture de police de Bonn. L’animateur de la rencontre, responsable de la PJ de Bonn, vient nous chercher à l’hôtel, mon éditrice allemande et interprète et moi. Il est sympa et décontracté. A la préfecture, l’accueil est chaleureux. Non, l’invitation n’est pas une erreur, oui les responsables policiers ont lu « Bien connu… ». Iris et moi nous installons à la tribune, devant une grande salle vide de 230 sièges, vaguement inquiètes. Les portes s’ouvrent, et la salle se remplit instantanément. Pas un siège de vide. Quel public ? Des policiers, en nombre, et des citoyens de la ville qui viennent régulièrement à ces rencontres. Dans cette salle, à ce moment là, la police n’est pas un univers clos, replié sur lui même, et qui sélectionne avec soin des intervenants acquis d’avance à sa cause. Ce n’est peut être pas tout, mais ce n’est pas rien, si l’on veut avancer en direction d’une police ouverte sur la société toute entière. Je passe sur l’organisation de la conférence, impeccable, « allemande » dirait un bon Français. Ouverture en musique par un orchestre de policiers, du jazz, parce qu’il y en a dans mes livres me dit le responsable de la culture, puis deux heures et demie de débat et lecture, avec une pause musique et une pause café-soupe. Après une présentation rapide, nous passons à la lecture d’une longue scène dans laquelle, à partir du vol hypothétique d’un téléphone portable, dans une confusion complète, deux équipes de policiers en intervention se canardent au lance-grenade, bilan 8 blessés dans les forces de police. La discussion s’engage immédiatement avec la salle. Les sources ? Rapport à la réalité ? Toute une série de questions que je rencontre dans la plupart des débats auxquels je participe sur ce roman. Un public franchement intéressé, et pas agressif. Après les premières questions, en viennent d’autres : si la situation est si difficile entre police et population dans les « banlieues », pourquoi, quelles sont les causes du malaise, qu’est ce que ce malaise dit de la société française toute entière ? Un vrai débat. Une seule question n’a pas eu de réponse, celle que l’animateur lui même a adressé à un policier de la Sécurité Publique de Bonn : Des scènes comme celles qui émaillent « Bien Connu… » se produisent elles aussi à Bonn ? Le policier ne répond pas. Il évoque la difficulté à exercer son métier. Certes… Donc, même avec des trous d’air, un vrai débat sur le fonctionnement de la police, avec des écrivains qui peuvent être critiques, des citoyens, dans le cadre d’une préfecture de police, avec des policiers en exercice, est possible. Et contribue à détendre l’atmosphère de part et d’autre. En Allemagne. Pas en France. Au moment où sort l’enquête Polis-autorité, dans laquelle deux chercheurs mettent en lumière l’ampleur du divorce entre la police et la population. Après bien d’autres signaux d’alarme dont on n’a pas voulu tenir compte, il serait grand temps de s’attaquer au problème.
     

  • Traité de libre échange USA - UE

     
     

    13 novembre 2013

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    L'année 2013 semble être une année trépidante pour le lobby des multinationales ainsi que pour les défenseurs du libre-échange. Alors qu’ils s'activent frénétiquement d'une conférence mondiale sur le libre-échange à une autre, telles des abeilles butinant de délicieuses orchidées, leurs efforts commencent à porter leurs fruits.

     

    Rien que le mois passé, les dirigeants de 12 pays dont les Etats-Unis, l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Mexique, ont promis de signer le Trans-Pacific Partnership (TPP) d'ici la fin de l'année. Pendant ce temps, de l'autre côté de la planète, l'Europe a signé un traité majeur de libre-échange avec les Etats-Unis, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Malgré le scandale des allégations selon lesquelles la NSA (agence de sécurité nationale) et le GCHQ (centre d'interception des télécommunications étrangères) auraient mis sur écoute des dirigeants européens, la majorité des membres de l'UE sont déterminés à s'assurer que les retombées de ce scandale n'affectent pas les négociations actuelles du TTIP. Ce traité réunirait alors les pays qui concentrent à eux seuls la moitié du PIB de la planète dans une vaste zone de libre-échange.

     

     

    Cependant le président du Parlement Européen, Martin Schultz, a déclaré qu'il serait peut-être nécessaire de suspendre temporairement les négociations. En fait, ce n’est pas qu’il se soucie du danger de conclure un partenariat étroit avec un pays dont les actions récentes ont bafoué toute notion de confiance mutuelle et de coopération. C’est parce qu’il craint que la poursuite des négociations dans le climat actuel entraîne un mouvement plus général d'opposition au libre-échange :

     

     

     

     

    « Si les faits continuent à prendre de l'ampleur, je crains que les opposants à l'accord de libre-échange ne deviennent majoritaires » a déclaré M. Schultz lors du sommet de l'UE de la semaine dernière. « Je conseille donc de suspendre les négociations dans l'immédiat et de réfléchir à comment éviter qu'un tel mouvement d'opposition se développe ». Tout ceci soulève une question : pourquoi cet engouement soudain pour plus de libre-échange ? Et qui plus est : pourquoi toute cette discrétion ? Pourquoi nos dirigeants tentent-ils désespérément de reconfigurer les méga-structures légales du marché mondial sans même prendre la peine de consulter leurs électeurs ou du moins leur en dire davantage quant au bénéfice à tirer des négociations ?

     

    Après tout, même les statistiques officielles sont claires : les bénéfices à tirer de ces accords sont, dans le meilleur des cas, quasiment nuls. Dans le cas du TTIP, l'UE et les Etats-Unis peuvent s'attendre à recevoir à terme (peut-être après une période d'une dizaine d'années) 100 milliards d'Euros pour augmenter leurs PIB respectifs. Ce sont des sommes qui, il fut un temps, étaient considérées comme astronomiques et pouvaient signifier quelque chose. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui du moins plus depuis que la Fed (Réserve fédérale) et la Bank of England (Banque d'Angleterre) ont mené le système bancaire mondial à recourir à la planche à billets dans des proportions jamais atteintes auparavant.

     

    Pendant ce temps, dans la région Asie-Pacifique, on s'attend à ce que l'accord TPP ouvre des perspectives nouvelles pour les affaires, qu'elles soient petites ou grandes alors que de nouveaux réseaux d'échange se créent entre les économies dont les taux de croissance sont les plus élevés au monde.

     

    Néanmoins même si les bénéfices de ce nouvel accord commercial sont supposés être gigantesques, ils ne peuvent pas être divulgués au public pour le moment. Comme l'a précisé récemment le représentant américain du commerce, Ron Kirk, à l'agence Reuters : à ce stade des négociations il paraît prématuré de rédiger un texte préliminaire afin de recueillir l'avis du public. Mais il n'est pas exclu « qu'il y ait, à un moment donné, lorsque nous nous serons mis d'accord sur le texte comme nous l'avons fait pour d'autres accords, un texte préliminaire ». Le message ne peut être plus clair : comme disait feu le grand BillHicks : « Retournez vous coucher, Amérique, Europe, Asie et Australie : nos gouvernements contrôlent la situation. »

     

     

    Le véritable ordre du jour

     

    Pour les quelques insomniaques qui demeurent encore éveillés, le but du jeu dans cette ère nouvelle du libre-échange (ou plutôt de protection du pouvoir absolu des multinationales) devient de plus en plus claire. Selon Andrew Gavin Marshall, ces nouveaux accords n'ont pas grand chose à voir avec le véritable « commerce » mais concernent, au contraire, l'extension des droits et des pouvoirs des grandes multinationales : les multinationales sont devenues des entités économiques et politiques qui rivalisent avec les plus grandes économies nationales et ont de ce fait revêtu un caractère « cosmopolite ».

     

    Selon un classement publié par Global Trends pour 2012, 58% des 150 entités économiques les plus importantes au monde sont des multinationales. Parmi elles, les principales entreprises pétrolières, de gaz naturel et d'exploitation minière, les banques et les assurances, les géants de la télécommunication, les géants de la grande distribution, les fabricants automobile et les entreprises pharmaceutiques.

     

    L'entreprise qui arrive en tête du classement est la Royal Dutch Shell, qui a enregistré en 2012 un chiffre d'affaires dépassant les PIB de 171 pays faisant d'elle la 26ème puissance économique au monde. Elle arrive devant l'Argentine et Taïwan malgré le fait que Shell n'emploie que 90.000 personnes. En effet, le chiffre d'affaires cumulé des cinq plus grandes compagnies pétrolières (Royal Dutch Shell, ExxonMobil, BP, Sinopec et China National Petroleum) équivalait à 2,9 % du PIB mondial en 2012.

     

    Devrions-nous paraître surpris par ces gigantesques multinationales privées qui en veulent toujours plus pour elles et de ce fait, en laissent moins pour les autres ? Après tout, l'augmentation du chiffre d'affaires est leur raison d'être ; c'est ce qui fait battre leur cœur de sociopathes. « En agissant au travers d'associations d'industries, de lobbies, de groupe d'experts et de fondations, les multinationales mettent en œuvre de vastes projets visant à concentrer les pouvoirs économiques et politiques transnationaux entre leurs mains » écrit A.G. Marshall. « Avec l'ambitieux projet de mise en place d'une zone de libre-échange Europe-Amérique, nous assistons à la mise en place d'un projet international sans précédent, nouveau et global de colonisation corporatiste transnationale »

     

    A la base de ce modèle se trouve la notion selon laquelle les profits et les retours sur investissement priment sur les inquiétudes quant à l'intérêt général. De ce fait, comme le souligne Open Democracy, les règlements de différends entre les investisseurs sous l'effet du TTIP permettraient aux multinationales basées en Europe et aux Etats-Unis de prendre part à (ou de déclencher) des guerres d'usure afin de limiter le pouvoir des gouvernements des deux côtés de l'Atlantique :

     

     

    Or, des milliers d'entreprises européennes et américaines ont des filiales de l'autre côté de l'Atlantique ; grâce au TTIP ces entreprises pourraient engager des procédures en dommages et intérêts par le biais de leurs filiales afin de contraindre leur propre gouvernement à renoncer à édicter des lois qui les dérangent.

     

    Avec une ironie écœurante, un nombre croissant de pays remettent en question voire même abandonnent les arbitrages entre investisseurs justement en raison des retombées négatives sur l'intérêt général. En effet, de puissants lobbies en Europe et aux Etats-Unis y compris Business Europe (la fédération européenne des employeurs), la Chambre américaine du Commerce, AmCham EU et le Transatlantic Business Council font pression pour l'introduction de l'arbitrage dan le TTIP.

     

    Et comme vous le savez, ils obtiendront tout ce qu'ils souhaitent !

     

     

    Le dernier effort

     

    Comme pour la signature de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) et la création du GATT (Global Agreement on Tariffs and Trade) qui deviendra plus tard l'OMC (Organisation Mondiale du commerce) il n'y aura aucune consultation populaire sur les conséquences potentielles du traité.

    Feu Sir James Goldsmith nous avait mis en garde contre le GATT, l’ALENA et la souveraineté des Etats membres qui se fondrait dans l'UE elle-même. Dans cette interview étrangement prophétique avec Charlie Rose en 1994, il avait déclaré que la mise en application de ces traités mènerait à l'élimination de millions d'emplois occupés par la classe moyenne et à la destruction de l'agriculture (comme on l'a vu au Mexique) et du commerce de proximité. Et qui, en connaissance de cause, mis à part nos maîtres corporatistes et leurs fidèles alliés, voterait de telles mesures ?

     

    Néanmoins, la dernière génération de traités commerciaux dépasse largement ce qui avait été envisagé pour l’ALENA ou le GATT. Ce que les instigateurs de ces traités cherchent à obtenir c'est le transfert du peu de souveraineté nationale que détiennent encore les Etats pour la transférer dans les QG de gigantesques conglomérats internationaux. En résumé, c'est le coup de grâce de ce coup d'Etat. Pas une balle ne sera tirée. Cependant tout le pouvoir sera concentré entre les mains d'individus et tout cela sera facilité par nos élus qui, en signant ces traités, renoncent à la responsabilité qui est la leur, à savoir de représenter et protéger les intérêts des électeurs.

     

     

    Par exemple, une fuite récente sur le texte du TPP nous révèle que les nouvelles dispositions limiteraient le pouvoir que détiennent les gouvernements pour intervenir en matière de service public, de transports, de santé ou d'éducation. Ces mesures viseraient également à restreindre l'accès partiel ou total à ces services fondamentaux.

    Mais ceci n'est que la pointe de l'iceberg. Comme on l'apprend sur Alternet le traité entraînerait également les conséquences suivantes : les droits d'auteur pour tous les contenus émanant des grosses sociétés seraient garantis pour une durée surprenante de 120 ans. Le traité permettrait également de transformer les fournisseurs d'accès internet en Big Brother en un véritable pouvoir policier capable de contrôler l'activité des utilisateurs, de supprimer du contenu et de priver les utilisateurs de l'accès à internet. Il autoriserait aussiBig Pharma à continuer à exercer son monopole sur les tarifs des brevets, ce qui lui permettrait de bloquer la circulation de médicaments génériques moins chers.

    Les gouvernements n’auraient plus d’autorité en matière de régulation des exportations de pétrole ou de gaz naturel vers les pays membres du TPP. Cela aurait pour conséquence une intensification massive du processus destructeur des forages à travers le monde. Les géants de l'énergie pourraient alors exporter du gaz naturel en provenance de et vers n'importe quel pays membre sans qu'aucun gouvernement ne puisse émettre son avis quant aux conséquences sur l'environnement et l'économie des communautés locales ou sur les intérêts nationaux respectifs.

    Les taxes sur les transactions (comme la Robin Hood Tax– taxe sur les transactions financières) auxquelles sont soumis les spéculateurs qui déclenchent régulièrement des crises financières et économiques à travers le monde, seraient interdites. Le traité permettrait également de restreindre les réformes « pare-feu » qui séparent les opérations bancaires des particuliers des opérations d'investissement à haut risque. Enfin ce traité serait l'occasion pour les « to-big-to-fail » (grandes entreprises dont la faillite serait catastrophique pour l'économie selon les gouvernements qui sont prêts à les soutenir cas de pépin) de se soustraire aux lois nationales visant à limiter leur taille.

     

    Ce ne sont ici que quelques exemples des propositions qui sont parvenues aux oreilles du public uniquement grâce à l'acte courageux d'un informateur (ou ce que l'administration Obama nomme : un terroriste). Mais qui nous dira ce qui se trame dans notre dos dans les salles de conférence des hôtels les plus luxueux du monde ?


    Pourtant ce qui ne fait aucun doute c'est que la dictature des multinationales est quasi en place. L'horloge tourne et à moins que les peuples de toutes les nations d'Est en Ouest et du Nord au Sud ne prennent conscience des agissements de leurs gouvernements, il sera bientôt trop tard. Les nouvelles règles seront rendues légales et nous vivrons une nouvelle dystopie (contre-utopie) présentant une certaine ressemblance avec le totalitarisme inversé comme l'avait prédit Sheldon Wolin. Une contre-utopie dans toutes les directions et aussi loin que l'oeil de Big Brother puisse voir.


    Traduit de l'anglais par Carolina Badii pour Investig'Action

    Source : Raging Bullshit

     

     

     

    Marché transatlantique

     
  • « Les djihadistes aux yeux bleus » qui inquiètent tant l’Europe


    DÉCRYPTAGE
    03/08/2013 à 11h43

     

    Camille Polloni | Journaliste Rue89


    Le Français Raphaël Gendron, soupçonné d’avoir rejoint Al-Qaeda et tué lors de combats en Syrie (LAURIE DIEFFEMBACQ/AFP)

    Dans des circonstances très particulières, le magazine américain Foreign Policy est parvenu à rencontrer deux djihadistes européens venus combattre le régime de Bachar el-Assad en Syrie, aux côtés d’Al Qaeda.

    L’un est un « Européen de souche » converti à l’islam, l’autre est né musulman (ni d’origine européenne, ni d’origine arabe). Ils dissimulent leur visage dans des foulards pour ne pas être reconnus, et ont posé leurs conditions :

    • Ni leur nom, ni leur pays de résidence ne doivent être cités ;
    • L’entretien se déroulera dans un lieu non précisé, « quelque part dans le nord de la Grande Syrie » (Syrie, Liban, Palestine, Irak, Jordanie).

    Pour des raisons de sécurité, les journalistes ont décidé d’envoyer un Syrien de confiance poser les questions qu’ils avaient préparées. L’entretien (filmé) se déroule en anglais, puisque ces Européens ne parlent pas arabe couramment. Le magazine parle de « djihad aux yeux bleus » (« blue-eyed jihad »).

    « Nous installerons la charia »

    Abu Talal, « un blond aux yeux bleus » cagoulé, pose avec sa Kalachnikov. Il fait partie de l’Etat islamique en Irak et en Syrie, une scission du Front Al Nosra affiliée à Al Qaeda en Irak. C’est la branche jihadiste la plus radicale des rebelles syriens.

    Abu Talal, venu pour des raisons religieuses aider les combattants de l’Armée syrienne libre à renverser le régime, explique :

    « Nous ne tuons pas des innocents, comme le font les troupes de Bachar. Le monde entier pense que la charia est mauvaise, mais ce n’est pas vrai. Nous aidons les gens... Et nous installerons la charia, quoi qu’il en soit. »

    Le deuxième combattant, Abu Salman, se présente comme un franc-tireur spécialiste de l’électronique :

    « Je coopère avec n’importe quel groupe qui a besoin de moi. Je n’en ai pas rejoint un en particulier. Vu la nature de mon travail, tout le monde a besoin de moi. »

    Il préfère tout de même « les meilleurs combattants de l’islam », c’est-à-dire les groupes les plus radicaux. Abu Salman dit être passé illégalement en Syrie par la Turquie. « Tout le monde prend cette route », même si « cela devient plus difficile » pour les étrangers à cause des contrôles accrus.

    Pour lui, même si les membres de l’Armée syrienne libre sont « de bons combattants », les Etats-Unis soutiennent « les pires éléments » en son sein. Ceux qui « ne se battent même pas pour la démocratie, mais qui volent juste de l’argent ».

    Les deux hommes sont convaincus que les Américains finiront par intervenir dans le conflit syrien et utiliseront des drones – comme au Yémen et au Pakistan – contre les djihadistes.

    Et si les groupes proches d’Al Qaeda gagnaient la guerre, « que se passerait-il ensuite pour les minorités chrétiennes, alaouites, chiites ? » demande Foreign Policy. « Ils devraient accepter » le nouvel état des choses « ou partir ».

    « Une potentielle menace terroriste »

    Au-delà de ces témoignages, le magazine s’attarde sur les controverses que suscitent les djihadistes étrangers en Syrie.

    « Certains Syriens reprochent aux djihadistes européens de souiller la pureté de leur révolution, tandis que le régime de Bachar el-Assad les brandit comme la preuve d’une infiltration étrangère de radicaux, et que les services de renseignement occidentaux les voient comme une potentielle menace terroriste. »

    Le risque serait qu’après avoir reçu une formation militaire, ces djihadistes de retour dans leur pays commettent des attentats. C’est la crainte d’une « filière syrienne » qui succéderait à d’autres terrains d’entraînement (Afghanistan, Bosnie, Tchétchénie...).

    D’après les estimations récentes du New York Times, plus de 600 combattants venus d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Australie sont entrés en Syrie depuis 2011.

    14 enquêtes judiciaires en France

    La DCRI et la DGSE parlent « de 180 à 200 Français ». Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, dans une interview à Libération, a détaillé les chiffres en mai :

    « Outre les 50 Français encore sur place et les 40 en transit pour la Syrie, les 30 autres revenus dans l’Hexagone sont sous haute surveillance. »

    Plusieurs interpellations d’individus soupçonnés de préparer leur départ en Syrie – ou d’acheminer d’autres combattants – ont eu lieu récemment en France. Une source judiciaire citée par l’AFP indique :

    « Quatorze enquêtes judiciaires relatives à des infractions terroristes en lien avec la Syrie sont actuellement en cours à Paris et cinq informations judiciaires ont déjà été ouvertes. Au total, ces enquêtes concernent 36 personnes mises en cause. »

    Les autorités s’inquiètent aussi de la présence de quelques Français aux côtés des djihadistes lorsqu’ils occupaient le nord-Mali.

    Jeudi, Manuel Valls et son homologue belge, Joëlle Milquet, ont appelé dans un communiqué conjoint à « mieux lutter au niveau européen contre les départs vers la Syrie et les autres zones de conflit ».

    Pour faire face à « ce phénomène qui prend une dimension inédite en Europe », les deux ministres de l’Intérieur se déclarent favorables à un système de « passenger name record » européen, permettant d’enregistrer les données des voyageurs aériens.

    L’hypothèse avait pourtant été rejetée en avril par la commission Libe (des libertés civiles, justice et affaires intérieures) du Parlement européen. Les ministres de l’Intérieur ou de la Justice de neuf pays (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Suède) ont écrit à la commission pour la faire changer d’avis.

  • ITALIE • Une ministre noire

    ITALIE  Une ministre noire pour revenir sur la loi anti-immigrés

    D’origine congolaise, la nouvelle ministre italienne de l’Intégration est la première femme de couleur au gouvernement. Depuis sa nomination et encore plus depuis qu'elle veut assouplir les lois anti-immigration votées par la droite en 2002,  elle est victime d'insultes racistes.
    Cécile Kyenge compte abroger la loi de 2002 sur l'immigration - Andreas Solaro/AFPCécile Kyenge compte abroger la loi de 2002 sur l'immigration - Andreas Solaro/AFP
    Dès le premier jour de sa nomination, Cécile Kyenge a fait l'objet d'insultes, notamment dans les commentaires de certains sites d'information en ligne qui annonçaient la nouvelle. Depuis quelques jours, ce sont carrément des hommes politiques qui profèrent des remarques racistes à son encontre. "C'est un choix de merde", a déclaré Mario Borghezio, député européen de la Ligue du Nord. "La ministre Kyenge doit rester chez elle, au Congo. C'est une étrangère dans ma maison", a de son côté déclaré Erminio bosco, un ex-sénateur de la Ligue du Nord. 

    A tel point que le chef du gouvernement a pris soin de prendre sa défense. "Cécile Kyenge est fière d'être noire et nous sommes fiers de l'avoir dans notre gouvernement comme ministre de l'Intégration", ont affirmé dans un communiqué conjoint Enrico Letta et le vice-président du Conseil, Angelino Alfano (droite).

    "La nouvelle ministre de la Coopération internationale et de l’Intégration du gouvernement Letta, Cécile Kyenge Kashetu, née en République démocratique du Congo, souhaite assouplir les lois anti-immigration, rapporte Il Fatto Quotidiano. Dans sa ligne de mire, la loi Bossi-Fini : voté en 2002, ce texte encadre très strictement l’entrée des étrangers, facilite les reconductions à la frontière et institue l’usage des centres de détention des immigrés clandestins.

    Elue du Parti démocrate aux législatives de février 2013, Cécile Kyenge était déjà le premier député noir dans l’histoire italienne (élue conjointement à Khalid Chaouki, premier député maghrébin) ; elle est aujourd’hui la première ministre noire. "J’ai été surprise de cette nomination", déclare-t-elle, "mais elle est significative : elle montre que finalement, en Italie, les choses commencent à changer. Ce pays est aussi fait de personnes qui viennent d’autres nations, qui ont une autre couleur de peau mais qui vivent ici et forment, toutes ensemble, un corps unique de citoyens." C’est pour eux, pour "les invisibles, les sans-droits, les sans-voix" que "je parlerai comme ministre", ajoute-t-elle.

    Etendre la citoyenneté

    Diplômée de médecine et de chirurgie et spécialisée dans l’ophtalmologie, Cécile Kyenge "se bat depuis 2004 pour faire entrer ‘le métissage au Parlement’", explique le journal Il Fatto Quotidiano, sur le site duquel la nouvelle ministre avait accepté d’ouvrir un blog quelques jours avant sa nomination. Elle a commencé sa carrière politique avec une priorité en tête : "changer la loi Bossi-Fini".

    "La charge qui m’est confiée par Enrico Letta est un pas décisif pour changer concrètement le pays, tant sur le plan légal, avec l’abrogation de la loi Bossi-Fini, que culturel", affirme la ministre au Fatto Quotidiano. "On compte sur toi", lui ont répondu de nombreux internautes sur les réseaux sociaux.  La Ligue du Nord ne l'entend pas ainsi. "Nous sommes déterminés à mener une opposition totale à la ministre de l’Intégration, symbole d’une gauche angélique et hypocrite, (...) qui ne pense qu’aux droits et jamais aux devoirs des immigrés", a fait savoir la formation régionaliste au discours musclé sur l'immigration. Ajoutant, par la voix de son secrétaire Matteo Salvini : "Qu’elle vienne dans certaines villes du Nord voir comment l’immigration de masse a réduit les Italiens à une minorité dans leurs quartiers."