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  • ITALIE : Le retour des vols à la petite semaine

    ITALIE : Le retour des vols à la petite semaine


    Quand on a faim et que l'argent manque, tout est bon à prendre : grilles d'égoût, décorations dans les églises, pastèques, fromages, poules, haricots... Un journaliste italien a répertorié les rapines qui ont fait les choux gras de la presse locale au mois d'août.

    30.08.2012 | Massimo Calandri | Corriere della Sera

     

    Les auteurs de l’audacieux coup au centre social Rivana Garden [les centres sociaux désignent des sortes d’espaces culturels autogérés et essentiellement fréquentés par les jeunes] ont laissé peu d’indices, indiquent les carabiniers de Ferrara dans leur procès-verbal, mais des indices significatifs. Emballages de glaces industrielles, sachet de chips vide, trois tasses à cappuccino sales, miettes de sandwiches. Ils cherchaient le coffre-fort, ils ont saccagé le garde-manger. 


    Certains dénoncent les sans-papiers qui occupent un immeuble non loin. Lamentations de quartier. La seule certitude, dans cette histoire, est que les voleurs étaient trois désespérés, trois morts de faim. Et qui sait, peut-être que l’un d’eux portait une culotte de golf, comme Capanelle, qu’un autre avait les fines moustaches noires de Ferribotte et que le dernier – Peppe la Panthère ? – avait quelques problèmes d’élocution, comme les trois compères du film Le Pigeon, de Mario Monicelli [comédie culte de la fin des années 1950 qui met en scène trois amis sans le sou]. Histoire typique d’un cambriolage qui tourne à la débandade, dans la chaleur italienne d’un mois d’août pauvre et moite. 

    Les récits de ce type ont noirci les pages des journaux cet été, alors que les rédactions ne savaient plus quoi écrire et s’accrochaient aux notes matinales de la préfecture de police et aux rapports des petits commissariats. De petits crimes qui reflètent l’état précaire d’un pays où, d’après les dernières données du ministère de l’Intérieur, les infractions ont augmenté de 5,4 % cette année pour atteindre 2,7 millions de délits, plus de 200 000 vols en appartement et une augmentation vertigineuse de 21 % (presque 60 % à Forli) des cambriolages de magasins.

    Des grilles d'égoût pour 1000 euros

    Tout est bon à prendre, sans attendre : les grilles d’égout, une chaudière, les aumônes, les décorations des tombes dans les cimetières, les poules, les pastèques, du fromage, des fruits ou des légumes. C’est la faim qui pousse au larcin. Et quand il n’y a pas d’espèces sonnantes et trébuchantes dans la caisse, comme le raconte le journal local La Nuova Ferrara dans son édition du 5 août, on remplit une poubelle de saucisson, de dizaines de paquets de chips, de quelques canettes de bière, de deux machines à café, d’un vieux téléviseur et d’une trancheuse électrique. "Vol de grilles d’égout pour 1000 euros", titrait La Sentinella del Canavese le 13 août. L’histoire se passe à Candia, dans la province de Turin. Deux jours plus tôt, quelqu’un avait vandalisé les bouches d’égout de tout le village, "y compris celle de Via Ivrea, en plein centre, où se trouvent les écoles”. Le méfait a été découvert au petit matin par l’employé de la voirie. "Il faut désormais les remplacer en puisant dans les fonds publics. Mais cette fois, nous allons souder les grilles, on ne pourra plus les voler", prévenait le maire Albertino Salzone.

    "Le Topo Gigio des voleurs derrière les barreaux", Gazzetta di Reggio, 2 août [Topo Gigio est une marionnette animée connue de tous les enfants italiens : une souris, mangeuse de fromages…]. Nous sommes à San Polo, en Émilie-Romagne. Dans un supermarché, les carabiniers ont coffré un citoyen ukrainien de 28 ans, Sergy Burnashov, habitant à Reggio. Son sac à dos contenait une dizaine de morceaux de fromage. Il avait fait du vol de parmesan sa spécialité. Il volait et revendait ses fromages aux restaurateurs de la région, à des familles parfois. Son surnom était inévitable, lui qui flairait son butin : Topo Gigio. Le lendemain, il a été condamné à quatre mois de réclusion et deux cents euros d’amende avec sursis. 

    "La Vierge t’observe : message à l’intention des pilleurs d’église", titrait le 6 août, La Provincia Pavese. À Sannazzaro, dans la petite église de Notre Dame de Lorette, on constate depuis quelque temps la disparition des sous de la quête et des bougies votives. Ainsi, écrit le quotidien local, "une bénévole zélée a accroché dans l’église une pancarte pour mettre en garde quiconque oserait commettre à nouveau de tels actes. Le texte est dissuasif : 'La Vierge t’observe'".

    "L'or rouge"

    Le vol de cuivre mérite un chapitre à part. "L’or rouge" est l’objet de toutes les convoitises sur le marché noir. Signalons par exemple les dizaines de vols dans des cimetières de toute l’Italie, et notamment d’Émilie.
    En août, les chéneaux des chapelles de Rivalta, Ronocesi, Gattinasco, Poviglio, Compiano di Canossa, Jano di Scandiano, Mandrio di Correggio, dans la province de Reggio Emilia, ont également été dérobés.

    Il Mattino di Padova du 6 août fait état du saccage d’une ferme à San Giorgio in Bosco. Butin : vingt pastèques et trente poules. La victime s’appelle Rino Bordignon, agriculteur : "Je me suis dirigé vers le potager, où les pastèques étaient mûres depuis quelques semaines. Certaines pesaient jusqu’à quinze kilos. Ils en ont emporté une vingtaine. Plusieurs ont explosé en route. À côté, dans le poulailler, il y avait des plumes partout". Gênes, Il Secolo XIX, 15 août : trois quarantenaires de Brescia, deux hommes et une femme, ont profité de la vitrine cassée d’une épicerie pour dérober deux sandwiches, un sachet de pâtes, une bouteille de vin et deux kilos de haricots secs. Pris la main dans le sac, ils ont été relâchés le lendemain. "Les auteurs du coup audacieux s’expliquent : 'On avait faim'".
  • Vous avez deux vaches : la première fait de la politique...

    Vous avez deux vaches : la première fait de la politique...

    13.11.1997 | Il Manifesto

    Un groupe d'anciens étudiants de Harvard a organisé sur Internet un débat intitulé : "Vous avez deux vaches, que se passe-t-il ?" En voici les conclusions.

    ANARCHIE Vous avez deux vaches. Soit vous les vendez au juste prix, soit vos voisins tentent de vous tuer pour s'en emparer.

    BUREAUCRATIE Vous avez deux vaches. D'abord, le gouvernement établit comment vous devez les nourrir et les traire. Puis il vous paie pour ne pas les traire. Après quoi, il les prend toutes les deux, en tue une, trait l'autre et jette le lait. Finalement, il vous oblige à remplir des formulaires pour déclarer les vaches manquantes.

    CAPITALISME Vous avez deux vaches. Vous en vendez une et achetez un taureau.

    CAPITALISME DE HONG KONG Vous avez deux vaches. Vous en vendez trois à votre société cotée en Bourse en utilisant des lettres de créance ouvertes par votre beau-frère auprès de la banque. Puis vous faites un échange de dettes contre participations, assorti d'une offre publique, et vous récupérez quatre vaches tout en bénéficiant d'un abattement fiscal pour l'entretien de cinq. Les droits sur le lait de six vaches sont transférés par un intermédiaire panaméen sur le compte d'une société des îles Caïman détenue clandestinement par l'actionnaire majoritaire, qui revend à votre société cotée les droits sur le lait de sept vaches. Au rapport de la société figurent huit ruminants, avec option pour l'achat d'une bête supplémentaire. Entre-temps, vous tuez les deux vaches parce que le feng sui* est mauvais.

    COMMUNISME ORTHODOXE Vous avez deux vaches. Vos voisins vous aident à vous en occuper et vous vous partagez le lait.

    COMMUNISME RUSSE Vous avez deux vaches. Vous devez vous en occuper, mais le gouvernement prend tout le lait.

    DÉMOCRATIE PURE Vous avez deux vaches. Vos voisins décident qui prend le lait.

    DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE Vous avez deux vaches. Vos voisins nomment quelqu'un pour décider qui prend le lait.

    DÉMOCRATIE AMÉRICAINE Le gouvernement promet de vous donner deux vaches si vous votez pour lui. Après les élections, le président fait l'objet d'une procédure d'
    impeachment pour avoir spéculé sur les obligations bovines. La presse rebaptise le scandale "Cowgate".

    DÉMOCRATIE ANGLAISE Vous avez deux vaches. Vous les nourrissez à la cervelle de mouton et elles deviennent folles. Le gouvernement ne fait rien.

    DÉMOCRATIE DE SINGAPOUR Vous avez deux vaches. Le gouvernement vous inflige une amende pour détention non autorisée de bétail en appartement.

    DICTATURE Vous avez deux vaches. Le gouvernement les prend toutes les deux et vous fait fusiller.

    ÉCOLOGIE Vous avez deux vaches. Le gouvernement vous interdit de les traire et de les tuer.

    FASCISME Vous avez deux vaches. Le gouvernement les prend toutes les deux, vous emploie pour vous en occuper et vous vend le lait.

    FÉMINISME Vous avez deux vaches. Elles se marient et adoptent un veau.

    FÉODALISME Vous avez deux vaches. Le seigneur s'arroge une partie du lait.

    POLITIQUEMENT CORRECT Vous êtes en rapport (le concept de "propriété" est symbole d'un passé phallocentrique, va-t-en-guerre et intolérant) avec deux bovins d'âge différent (mais néanmoins précieux pour la société) et de genre non spécifié.

    RÉGIME MILITAIRE Vous avez deux vaches. Le gouvernement les prend toutes les deux et vous enrôle dans l'armée.

    SURRÉALISME Vous avez deux girafes. Le gouvernement exige que vous preniez des leçons d'harmonica.

  • La planète des trois singes

    La planète des trois singes

    Spectateurs tétanisés d’un monde qui crie, qui pleure, qui s’effondre, les dirigeants du monde entier s’adressent les uns aux autres avec des formules délavées, usées jusqu’à l’os, commentant un mode qui n’existe plus, voyant ici des progrès et là des inquiétudes, des préoccupations, des disfonctionnements. Pourtant, où que l’on jette notre regard, où qu’on aille, on ne rencontre que des hommes désespérés, parfois révoltés parfois résignés, qui répètent, à l’infini, à quel point le monde où ils vivent est submergé par l’injustice, la régression et la tyrannie. Tyrannie des marchés, des cleptocrates, des dictateurs, des abuseurs, qui pavanent ayant comme fanion leur bonne santé, leur arrogance et leurs richesses. L’Etat de droit se flétrit là où il existe et n’est même plus un espoir là où il n’existe pas.

    Qui s’étonne du fait que trois mois après les élections mexicaines il n’y a toujours pas de résultats ? Qui s’insurge du fait que dans ce pays l’Etat de droit n’est plus qu’un vœu pieux, miné par les mafias, les cartels et autres Zetas ? Qui se préoccupe vraiment d’un système politique qui ne fait que générer de la corruption ? Préoccupant disent certains dirigeants tandis que le terme juste serait cataclysmique.

    Qui se préoccupe de la situation en Colombie ? Personne. Donc, il suffit que la mafia gère tranquillement un pays, accédant aux plus hautes sphères de l’Etat et de son administration pour qu’il n’y ait rien à signaler.

    Qui s’étonne d’une justice pourrie, aux ordres d’un pouvoir totalitaire et cynique en Russie ? Trop grand, disent les dirigeants occidentaux. Trop puissant. Donc, on fait comme si de rien n’était et on continue nous affaires as usual. Les terres expropriées, les scandales financiers présidentiels, la guerre même, qui accompagnent la préparation des jeux olympiques d’hiver dans ce pays, ne sont que des broutilles…

    Qui voit la déchéance pakistanaise, le règne des services secrets, leur connivence avec les fondamentalistes et le crime organisé qui s’exporte si bien sur tous les continents ?

    Qui soupçonne l’existence même de près de trente mille héroïnomanes sur un million de mauriciens si bien cachés des touristes et qui génèrent des centaines de millions de dollars pour les « associées obligatoires » de grandes enseignes installées offshore ?

    Qui parle encore des centaines de milliers d’américains qui ont perdu leur maison, tandis que les banques, sauvées par les Etats, exigent de ces mêmes Etats de la rigueur budgétaire et les dégradent au sens propre ?

    Qui voit les paysans chinois abandonnés à leur sort, les expropriés - à la manière des dragonnades - habitant les villes, les dix millions par an quasiment forcés à l’exil et qui deviennent les supplétifs de la contrefaçon chinoise qui sape l’économie mondiale ?

    Qui parle de la Libye, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de l’Egypte, du Tchad, de la Mauritanie, des deux Soudans, de la Palestine tandis que tout le monde parle (pour ne rien faire) de la Syrie et éventuellement du Mali ?

    Qui s’émeut vraiment des chômeurs espagnols, grecs, italiens, roumains, hongrois, portugais, qui les prend en compte ?

    Qui parle de l’Etat Albanais, quasiment mafieux, qui truande systématiquement son propre peuple ? Lui aussi est puissant ? Là aussi il n’y a rien à faire, sinon du business  ?

    Qui parle du Tadjikistan, du Kazakhstan, de l’Azerbaïdjan, de l’Ouzbékistan sinon pour leur pétrole et de leurs oligarques –ex voleurs au sein de la loi -, qui rachètent nos clubs sportifs ? 

    Une pub de Coca Cola, prenant en compte la crise, vante (et vend) l’optimisme. Elle, elle croit à ce monde uniformisé et parfait, fait de consommateurs, tout comme les « cigarettiers », qui, ayant installé leurs usines au Luxembourg (because paradis fiscal), l’ont transformé en un havre pour les fumeurs au cœur d’une Europe prohibitionniste légiférant, entre autres lieux, au… Luxembourg. Les grecs, insiste le premier Luxembourgeois, doivent reconquérir leur crédibilité. Dans ce monde désabusé où plus personne ne croit en quoi que ce soit, assommé par des formules cachant (si mal) les coups de force quotidiens sur tout ce qui bouge (encore), il serait bon de rappeler, une fois encore, que la crédibilité ne peut pas être le résultat de chantages, que l’Etat de droit n’est pas un concept sélectif, que la bonne gouvernance n’est pas un working paper onusien, que l’équilibre des comptes n’est pas à la carte, que le concept même de réforme ne doit pas impérativement signifier la misère pour les peuples et la richesse pour les investisseurs du marché. Et qu’enfin, la règle d’or ne doit pas être (comme c’est le cas) synonyme de capitulation devant ces mêmes marchés. 

    Après un long voyage, en Europe, en Afrique et en Asie, force est de constater que les seuls qui ont perdu leur crédibilité, qui apparaissent comme des enfants gâtés voulant préserver leurs jouets aux dépends des peuples, sont justement ceux qui en parlent pompeusement au sein des chancelleries européennes et à Washington. On nous parle d’un mur entre le nord et le sud européen, tandis qu’un autre s’érige entre les dirigeants occidentaux et les peuples du monde entier. J’ai rencontré des égyptiens, des turcs, des chinois, des mexicains ou des tunisiens, bien plus en empathie avec les peuples du sud européen que les dirigeants européens envers leurs propres peuples. Mais j’ai surtout rencontré des citoyens qui observent le psychodrame européen. Incrédules, le regard enflammé, ils ne trouvent pas de mots assez durs pour critiquer nos « élites », leur arrogance et surtout leur inefficacité qui n’a de pareil que leur cynisme. Les nôtres me disait un médecin égyptien sont des autocrates affirmés. On les connaît. Les vôtres se disent démocrates. Mais tous ne connaissent que la force pour imposer le faux et préserver leurs privilèges. 

  • VU DU MAGHREB:L’Europe ne fait plus rêver

    UE et monde L'UE vue d'ailleurs

    VU DU MAGHREB

    L’Europe ne fait plus rêver

    La ville espagnole de Tarifa vue depuis Tanger (Maroc).

    La ville espagnole de Tarifa vue depuis Tanger (Maroc).

    AFP

    De l’autre côté de la Méditerranée, la crise que traverse la zone euro fait pâlir l’étoile de l’UE. Divisée plus que jamais, repliée sur elle-même et en proie aux égoïsmes nationaux, elle a cessé d’incarner un modèle et un objectif, au bénéfice des puissances émergentes.

    C’est avec un mélange de curiosité et d’ironie teintée d’inquiétude que les pays du Maghreb observent les péripéties de la crise européenne. A Alger  comme à Tunis ou à Rabat, l’homme de la rue avoue ne pas très bien comprendre les subtilités des joutes diplomatiques autour de l’austérité à Bruxelles, mais un fait revient tout de même sur toutes les lèvres.

    Il s’agit de la quasi-faillite de la Grèce, situation dont les médias maghrébins rendent compte de manière régulière tout en alertant leurs lecteurs sur les risques d’une contagion à d’autres pays européens dont l’Espagne, le Portugal voire l’Italie et même la France.

    Pour Ali Chafiq, un buraliste algérois, “la Grèce est traitée comme un pays du tiers-monde par ses propres pairs européens. Au Maghreb, cela donne à réfléchir. Je croyais que l’Europe, c’était la solidarité quels que soient les événements ?

    Pour lui, pour comme nombre de Maghrébins, les masques seraient tombés et le vieux continent apparaîtrait désormais tel qu’il est, c'est-à-dire une terre traversée par une ligne de fracture entre pays riches (et égoïstes) du nord et pays pauvres du sud.

    D’encombrants euros

    Mais bien plus que le sort de la Grèce, c’est le possible éclatement de la zone euro et, par conséquent, le risque d’une disparition de la monnaie unique, qui revient dans les conversations. Et pour cause. Dans les trois pays du Maghreb, nombreux sont celles et ceux qui possèdent de la devise européenne en liquide ou bien alors placée dans des banques européennes.

    Plusieurs dizaines de millions d’euros en liquide circulent au Maghreb, notamment dans le secteur informel. Tout le monde a peur de la disparition de l’euro car pour se faire rembourser, il faudra justifier l’origine de ces fonds”, confie un banquier marocain à Casablanca.

    Le problème est particulièrement important en Algérie, pays où existe depuis quarante ans un florissant marché parallèle de devises.

    Les gens qui changent leurs dinars au noir ont de moins en moins confiance en l’euro. Ils préfèrent le franc suisse ou le dollar américain”, explique un cambiste.

    Ce dernier rappelle que la devise européenne s’était pourtant imposée ces dernières années comme valeur refuge, ne serait-ce que parce que les Algériens sont persuadés qu’elle est moins contrefaite que le billet vert. Bien entendu, les détenteurs d’avoirs extérieurs sont eux aussi inquiets.

    Nos clients maghrébins détenteurs de comptes étrangers nous posent des questions. Ils veulent savoir ce qui se passerait concrètement en cas d’éclatement de la zone euro. Mais pour l’heure, nous n’assistons pas à des retraits massifs ou à des virements vers d’autres places comme Londres, Dubaï ou Singapour”, explique, sous couvert de l’anonymat, un banquier parisien en charge de grands comptes étrangers.

    Fin de la tutelle

    Au-delà de l’avenir de l’euro, la crise européenne est aussi l’occasion pour nombre d’élites politiques et économiques maghrébines de faire entendre un discours des plus critiques à l’égard de l’Europe. Témoin, ce diplomate marocain qui insiste sur le fait que son pays, comme ses voisins, “a toujours pris soin de privilégier les relations bilatérales avec les capitales européennes plutôt que de croire à la fable d’une Europe unie et solidaire quant à ses relations avec le sud de la Méditerranée”.

    Ainsi, l’apparent affaiblissement institutionnel d’une Europe dont les contours n’ont jamais été précisément saisis au Maghreb semble donner raison à celles et ceux qui ont toujours douté de la pertinence d’un dialogue régional entre le nord et le sud de la Méditerranée.

    Quand l’Europe va mal, elle se replie sur elle-même et nous prouve bien qu’elle n’a pas les moyens de mener une vraie politique régionale. Qui parle aujourd’hui de l’Union pour la Méditerranée ?”, s’insurge-t-on dans l’entourage du Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia.

    Déjà critiquée par les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, et accusée de favoritisme à l’égard de l’Europe de l’Est, l’Union européenne est aujourd’hui montrée du doigt comme un ensemble menacé d’implosion.

    Du coup, les discours appelant à la “diversification” des partenariats économiques et politiques se font de plus en plus entendre. En Tunisie, le parti au pouvoir Ennahda, comme son homologue marocain du Parti de la justice et du développement (PJD), évoque la nécessité de se tourner vers les “autres pôles de croissance” dont la Chine, les pays du Golfe et le Brésil.

    Un discours prononcé au nom du réalisme politique et de l’efficacité économique mais qui, selon de nombreux militants démocrates laïcs, cache aussi un autre objectif. Celui de se débarrasser d’une encombrante tutelle en matière de respect des droits de l’homme et de la démocratie.

    L’Europe, malgré ses défauts et son égoïsme à l’égard du sud de la Méditerranée, c’est tout de même la promotion vaille que vaille de la démocratie, de l’Etat de droit et de valeurs positives. La grave crise qu’elle traverse aujourd’hui sert aussi à décrédibiliser son message humaniste”, déplore un cadre de l’Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt, principal syndicat du pays).

    SUR LE WEB

  • La nouvelle BD érotique et porno, bandante et stylée

    Une bande d’auteurs s’empare de la BD cul et réinvente le genre. Autobiographique, décalée, plus seulement masturbatoire : Rue89 espère vous donner envie.

    La BD pour adultes a perdu une de ses vocations premières : la masturbation. Autobiographique ou décalée, elle fait travailler le fantasme et enterre une bonne fois pour toutes les soubrettes et les parties de cul en costume qui la ringardisaient. Les BD érotiques et porno ne se planquent plus au fond des librairies et exhibent désormais des univers graphiques et des scénarios élaborés.

    Cette rentrée littéraire s’érotise gentiment sous les plumes et pinceaux de Chester Brown et de ses splendides « 23 prostituées » (Ed. Cornélius).

    Préfacée par ce vieil obsédé de Robert Crumb, la BD raconte comment, après une rupture et trois ans d’abstinence, Chester Brown décide de ne plus faire l’amour qu’avec des prostituées. Ici, les corps nus servent l’autobiographie et les réflexions incessantes du héros sur chacune des 23 filles auprès desquelles il cherche du réconfort.

    Au final, la BD décrit le métier sans lyrisme et devient un plaidoyer pour la libéralisation de la prostitution.


    Extrait de « 23 prostituées » de Chester Brown (p 119) (Chester Brown/Cornelius)

    Chester Brown n’est pas un auteur de BD érotique à proprement parler, mais il incarne bien une des évolutions autobiographiques du genre et un érotisme ultracérébral où s’illustrent aussi Loïc Néhou et Frédéric Poincelet dans « Essai de sentimentalisme » (Ego comme X).

    Du cul « Kitsch et décalé »

    Diamétralement opposé « avec des mises en page très visuelles et très provocantes », Joan Sfar sort un nouvel album, « Tokyo », dans lequel il « essaye de revenir aux choses les plus imbéciles et les plus puissantes qu’on a en bande dessinée, c’est-à-dire le sexe et la violence ».

    La BD mêle photos et dessins. Sans avoir rien de pornographique, c’est sans doute l’œuvre la plus sexy de Sfar. Elle mélange histoires de fesses, scénario pompier et gaudrioles en tout genre, et campe des filles en mini-short, des flingues et des crocodiles sur fond de tournage de film porno.

    JOANN SFAR ÉVOQUE SA DERNIER BANDE DESSINÉE « TOKYO » (DARGAUD)

    Beaucoup plus chaude, la nouvelle collection « BD cul » des Requins Marteaux mise sur des signatures inattendues comme Aude Picault ou Bastien Vivès, très en vogue en ce moment.

    Avec une pointe de nostalgie, les albums remettent au goût du jour les petits formats, ces bandes dessinées bon marché imprimées à partir des années 50.

    « On trouve aujourd’hui de la BD érotique bien faite et excitante mais c’est difficile de se branler dessus. C’est de la BD qui n’est pas faite pour ça », observe Bastien Vivès, auteur du récent « Melons de la colère ».

    C’est le « ton kitsch et décalé » de la collection qui a séduit ce dessinateur né en 1984. Passé l’exercice de style, « le challenge était de ne pas se rater. Il n’y a rien de pire que de produire une BD érotique chiante, pas excitante ».


    Extrait des « Melons de la colère » de Bastien Vives (Requins Marteaux)

    D’autant qu’« il y a de fortes chances pour que l’adepte de BD érotique et porno satisfasse déjà quelques fantasmes sur Internet ou en consommant des photos, des vidéos ».

    Parmi les auteurs actuels, c’est Morgan Navarro (né en 1975) qui conjugue sans doute avec le plus de singularité excitation sexuelle, drôlerie et travail d’auteur.

    Son « Teddy beat » pulvérise tous les codes d’un « genre tracé ». Ici, on a affaire à un univers graphique un peu surréaliste, avec des femmes à tête d’ampoule et des personnages animalisés.


    Extrait de « Teddy Beat », de Morgan Navarro (Navarro/Requins Marteaux)

    L’auteur a reçu le prix de l’audace des mains d’un Art Spiegelman conquis, au dernier festival d’Angoulême.

    « On a beau parler d’érotisme, j’ai beaucoup joué avec les codes du porno, il y a des gros plans. Je tenais à faire un truc excitant, bandant.

    Teddy beat, c’est pas le gros porc de service qu’on voit dans les films de cul. Mais c’est un bouquin pour lequel je ne me suis pas posé beaucoup de questions.

    Le scénario, je me le suis fait dans ma tête depuis des annnées. Ce sont des scénarios de branlette. Pour le reste, j’ai joué pas mal avec le porno moderne pas trop crade, un peu gentil, avec des jolies filles. »

    La BD érotique se féminise


    Couverture de « Giovanna ! Si ! » (Cassotto/La Musardine)

    Morgan Navarro revendique peu de références en matière de BD érotique, mais cite volontiers Giovanna Cassoto(née en 1962), à qui l’on doit « Giovanna ! Si ! » et « Pornostar ».

    Avec Aurélia Aurita (« Fraise et chocolat »), Mélinda Gebbie mais aussiNine Antico ou Aude Picault, Giovanna Cassotto fait partie des auteures qui féminisent un genre qui compte encore une écrasante majorité d’hommes.

    Selon Vincent Bernière, directeur de la collection Erotix, chez Delcourt et auteur d’une belle « Anthologie de la bande dessinée érotique » (à paraitre le 5 septembre, Beaux Arts éditions), les BD érotiques ou porno des dessinatrices sont souvent « plus cérébrales » ou « à vocation moins masturbatoire que celles des mecs ».

    « La BD érotique d’aujourd’hui est un délire cérébral, tu te racontes des histoires et le désir monte. On pourrait croire que la BD érotique débande mais le dessin agit comme du Viagra... Alors non, bien sûr qu’elle bande encore. »


    Extrait de « Comtesse », d’Aude Picault (Picault/ Requins Marteaux)

    Le manga, dernier bastion de la BD masturbatoire

    Finalement, le manga reste aujourd’hui le dernier bastion du porno trash, avec ses codifications et ses sous-genres : du hentai qui prolifère en version animée sur des sites porno comme Redtube ou Youporn au ecchi, plus gentil.

    Une flopée de mangas hardcores, ouverts à toutes les pratiques sexuelles circurlent sur Internet.

    Bastien Vivès estime qu’« aujourd’hui, du côté du manga, on trouve tout ce qu’on veut ».

    « Et c’est hyperciblé, avec des scénarios hyperprécis Si on aime les corps amputés ou je ne sais quoi, on trouve. Moi j’étais à fond sur les gros seins, j’ai trouvé mon bonheur. »

    « Il y a souvent la fascination des petites filles qui ne passe pas en France », ajoute Vincent Bernière.

    « Au Japon, le dessin permet beaucoup de choses parce que le lecteur fait la différence. »

    Assez envoûtante, la série « Step Up Love Story » propose une initiation sexuelle dans un style plutôt soft (mais interdit aux moins de 15 ans). Comme souvent, les corps sont dépourvus de poils pubiens, le dessin d’un sexe en érection se fait volontiers métaphorique (une banane épluchée, une floraison).

    En tout, 19 millions d’exemplaires de la série ont déjà été écoulés au Japon et le volume 39 est sorti en France en juillet, aux éditions Pika.


    Extrait de « Step up love story » de Katsu Aki (Katsu Aki/Pika)


    Extrait de « Step up love story » de Katsu Aki (Katsu Aki/Pika)

    En France, la frilosité des éditeurs endigue la majeure partie des productions érotiques et porno de manga.

    « Au niveau de la censure, ce sont toujours les éditeurs les plus inquiets », souligne Vincent Bernière. Même si en France, « il y a une liberté totale dont les auteurs ne s’emparent pas tout à fait ».

    Les pères du genre sont réédités


    Couverture « Le déclic », intégralement rééditée (Manara/Drugstore)

    Joann Sfar renvoie aux vieux albums de Métal Hurlant et à RanXerox, héros deTanino Liberatore. Idem pour Morgan Navarro, qui cite aussi Georges Pichard, et sa série « Paulette ».L’écrasante majorité des dessinateurs actuels s’inspirent des pères de la BD érotique.

     

    Le fait que de nombreux auteurs des années 70 et 80 connaissent actuellement une seconde jeunesse n’y est sans doute pas étranger. Car la BD adulte – son marché notamment – résiste aussi grâce à un précieux travail de réédition.

    Sur leur label Drugstore, les éditions Glénat rééditent un des maîtres de la BD érotique des années 80, Milo Manara (« Le Déclic », « Les Aventures de Guiseppe Bergman »).

    Depuis 2009, chez Delcourt, « la collection Erotix réédite des classiques qu’on ne trouvait plus », insiste son directeur Vincent Bernière : des BD qui ont marqué l’histoire du genre, comme celles de Guido Crépax (« Emmanuelle », « Justine » et « Histoire d’O ») ou Magnus (« Les 110 pilules »).


    Extrait de « 110 pilules » (Magnus/Delcourt)

    Dans un style ouvertement pornographique, on redécouvre aussi un ovni comme« Filles perdues », signé par l’auteur de « Watchmen », Alan Moore et son épouse Melinda Gebbie. Ce trésor de perversion est – après moult déboires d’édition – traduit seulement depuis 2008.


    Extrait de « Filles perdues » d’A. Moore et M. Gebbie (p. 44) (Moore-Gebbie/Delcourt)


    Extrait de « Filles perdues » d’A. Moore et M. Gebbie (p. 119) (Moore-Gebbie/Delcourt)

    En marge de ces rééditions, signalons aussi le travail du label Dynamite, à la Musardine, qui publie des auteurs comme Bruce Morgan ou Ardem ou encore celui des éditions Tabou qui continuent d’élargir leur catalogue.

    Internet, découvertes et archives

    De manière plus informelle, le Web est aussi devenu une mine d’or en matière de BD adulte.

    L’excellente plateforme Grandpapier publie des récits en ligne et des BD sous différents formats numériques. De nombreux auteurs passant sous le radar des éditeurs y présentent leurs créations et chez certains d’entre eux se montrent plutôt inspirés en matière d’érotisme, comme Grisfx ou Big Ben.


    Extrait de « Gourmandise », de Grisfx (Grisfx)

    Outre les tonnes de manga qui circulent, c’est aussi sur Internet que les nostalgiques célèbrent un des âges d’or de la BD érotique avec les Tijuana Bibles des années 30 .


    Extrait d’une « Tijuana Bible » anonyme(DR)

    On les appelle aussi « Dirty Comics » ou « Eight pagers », en raison du format des fascicules bon marché, qui circulaient sous le manteau.

    Les sites d’amateurs comme Tijuana-Bible ou les blogs de collectionneurssont très riches et archivent cette iconographie vintage géniale, souvent anonyme et satirique, qui détourne notamment les icônes populaires de l’entre-deux-guerres.

    Entre créations, rééditions et transmission sur le web, la bande dessinée adulte a donc non seulement de beaux restes, mais aussi de beaux jours devant elle.

     

     

    Aurélie Champagne