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La nouvelle BD érotique et porno, bandante et stylée

Une bande d’auteurs s’empare de la BD cul et réinvente le genre. Autobiographique, décalée, plus seulement masturbatoire : Rue89 espère vous donner envie.

La BD pour adultes a perdu une de ses vocations premières : la masturbation. Autobiographique ou décalée, elle fait travailler le fantasme et enterre une bonne fois pour toutes les soubrettes et les parties de cul en costume qui la ringardisaient. Les BD érotiques et porno ne se planquent plus au fond des librairies et exhibent désormais des univers graphiques et des scénarios élaborés.

Cette rentrée littéraire s’érotise gentiment sous les plumes et pinceaux de Chester Brown et de ses splendides « 23 prostituées » (Ed. Cornélius).

Préfacée par ce vieil obsédé de Robert Crumb, la BD raconte comment, après une rupture et trois ans d’abstinence, Chester Brown décide de ne plus faire l’amour qu’avec des prostituées. Ici, les corps nus servent l’autobiographie et les réflexions incessantes du héros sur chacune des 23 filles auprès desquelles il cherche du réconfort.

Au final, la BD décrit le métier sans lyrisme et devient un plaidoyer pour la libéralisation de la prostitution.


Extrait de « 23 prostituées » de Chester Brown (p 119) (Chester Brown/Cornelius)

Chester Brown n’est pas un auteur de BD érotique à proprement parler, mais il incarne bien une des évolutions autobiographiques du genre et un érotisme ultracérébral où s’illustrent aussi Loïc Néhou et Frédéric Poincelet dans « Essai de sentimentalisme » (Ego comme X).

Du cul « Kitsch et décalé »

Diamétralement opposé « avec des mises en page très visuelles et très provocantes », Joan Sfar sort un nouvel album, « Tokyo », dans lequel il « essaye de revenir aux choses les plus imbéciles et les plus puissantes qu’on a en bande dessinée, c’est-à-dire le sexe et la violence ».

La BD mêle photos et dessins. Sans avoir rien de pornographique, c’est sans doute l’œuvre la plus sexy de Sfar. Elle mélange histoires de fesses, scénario pompier et gaudrioles en tout genre, et campe des filles en mini-short, des flingues et des crocodiles sur fond de tournage de film porno.

JOANN SFAR ÉVOQUE SA DERNIER BANDE DESSINÉE « TOKYO » (DARGAUD)

Beaucoup plus chaude, la nouvelle collection « BD cul » des Requins Marteaux mise sur des signatures inattendues comme Aude Picault ou Bastien Vivès, très en vogue en ce moment.

Avec une pointe de nostalgie, les albums remettent au goût du jour les petits formats, ces bandes dessinées bon marché imprimées à partir des années 50.

« On trouve aujourd’hui de la BD érotique bien faite et excitante mais c’est difficile de se branler dessus. C’est de la BD qui n’est pas faite pour ça », observe Bastien Vivès, auteur du récent « Melons de la colère ».

C’est le « ton kitsch et décalé » de la collection qui a séduit ce dessinateur né en 1984. Passé l’exercice de style, « le challenge était de ne pas se rater. Il n’y a rien de pire que de produire une BD érotique chiante, pas excitante ».


Extrait des « Melons de la colère » de Bastien Vives (Requins Marteaux)

D’autant qu’« il y a de fortes chances pour que l’adepte de BD érotique et porno satisfasse déjà quelques fantasmes sur Internet ou en consommant des photos, des vidéos ».

Parmi les auteurs actuels, c’est Morgan Navarro (né en 1975) qui conjugue sans doute avec le plus de singularité excitation sexuelle, drôlerie et travail d’auteur.

Son « Teddy beat » pulvérise tous les codes d’un « genre tracé ». Ici, on a affaire à un univers graphique un peu surréaliste, avec des femmes à tête d’ampoule et des personnages animalisés.


Extrait de « Teddy Beat », de Morgan Navarro (Navarro/Requins Marteaux)

L’auteur a reçu le prix de l’audace des mains d’un Art Spiegelman conquis, au dernier festival d’Angoulême.

« On a beau parler d’érotisme, j’ai beaucoup joué avec les codes du porno, il y a des gros plans. Je tenais à faire un truc excitant, bandant.

Teddy beat, c’est pas le gros porc de service qu’on voit dans les films de cul. Mais c’est un bouquin pour lequel je ne me suis pas posé beaucoup de questions.

Le scénario, je me le suis fait dans ma tête depuis des annnées. Ce sont des scénarios de branlette. Pour le reste, j’ai joué pas mal avec le porno moderne pas trop crade, un peu gentil, avec des jolies filles. »

La BD érotique se féminise


Couverture de « Giovanna ! Si ! » (Cassotto/La Musardine)

Morgan Navarro revendique peu de références en matière de BD érotique, mais cite volontiers Giovanna Cassoto(née en 1962), à qui l’on doit « Giovanna ! Si ! » et « Pornostar ».

Avec Aurélia Aurita (« Fraise et chocolat »), Mélinda Gebbie mais aussiNine Antico ou Aude Picault, Giovanna Cassotto fait partie des auteures qui féminisent un genre qui compte encore une écrasante majorité d’hommes.

Selon Vincent Bernière, directeur de la collection Erotix, chez Delcourt et auteur d’une belle « Anthologie de la bande dessinée érotique » (à paraitre le 5 septembre, Beaux Arts éditions), les BD érotiques ou porno des dessinatrices sont souvent « plus cérébrales » ou « à vocation moins masturbatoire que celles des mecs ».

« La BD érotique d’aujourd’hui est un délire cérébral, tu te racontes des histoires et le désir monte. On pourrait croire que la BD érotique débande mais le dessin agit comme du Viagra... Alors non, bien sûr qu’elle bande encore. »


Extrait de « Comtesse », d’Aude Picault (Picault/ Requins Marteaux)

Le manga, dernier bastion de la BD masturbatoire

Finalement, le manga reste aujourd’hui le dernier bastion du porno trash, avec ses codifications et ses sous-genres : du hentai qui prolifère en version animée sur des sites porno comme Redtube ou Youporn au ecchi, plus gentil.

Une flopée de mangas hardcores, ouverts à toutes les pratiques sexuelles circurlent sur Internet.

Bastien Vivès estime qu’« aujourd’hui, du côté du manga, on trouve tout ce qu’on veut ».

« Et c’est hyperciblé, avec des scénarios hyperprécis Si on aime les corps amputés ou je ne sais quoi, on trouve. Moi j’étais à fond sur les gros seins, j’ai trouvé mon bonheur. »

« Il y a souvent la fascination des petites filles qui ne passe pas en France », ajoute Vincent Bernière.

« Au Japon, le dessin permet beaucoup de choses parce que le lecteur fait la différence. »

Assez envoûtante, la série « Step Up Love Story » propose une initiation sexuelle dans un style plutôt soft (mais interdit aux moins de 15 ans). Comme souvent, les corps sont dépourvus de poils pubiens, le dessin d’un sexe en érection se fait volontiers métaphorique (une banane épluchée, une floraison).

En tout, 19 millions d’exemplaires de la série ont déjà été écoulés au Japon et le volume 39 est sorti en France en juillet, aux éditions Pika.


Extrait de « Step up love story » de Katsu Aki (Katsu Aki/Pika)


Extrait de « Step up love story » de Katsu Aki (Katsu Aki/Pika)

En France, la frilosité des éditeurs endigue la majeure partie des productions érotiques et porno de manga.

« Au niveau de la censure, ce sont toujours les éditeurs les plus inquiets », souligne Vincent Bernière. Même si en France, « il y a une liberté totale dont les auteurs ne s’emparent pas tout à fait ».

Les pères du genre sont réédités


Couverture « Le déclic », intégralement rééditée (Manara/Drugstore)

Joann Sfar renvoie aux vieux albums de Métal Hurlant et à RanXerox, héros deTanino Liberatore. Idem pour Morgan Navarro, qui cite aussi Georges Pichard, et sa série « Paulette ».L’écrasante majorité des dessinateurs actuels s’inspirent des pères de la BD érotique.

 

Le fait que de nombreux auteurs des années 70 et 80 connaissent actuellement une seconde jeunesse n’y est sans doute pas étranger. Car la BD adulte – son marché notamment – résiste aussi grâce à un précieux travail de réédition.

Sur leur label Drugstore, les éditions Glénat rééditent un des maîtres de la BD érotique des années 80, Milo Manara (« Le Déclic », « Les Aventures de Guiseppe Bergman »).

Depuis 2009, chez Delcourt, « la collection Erotix réédite des classiques qu’on ne trouvait plus », insiste son directeur Vincent Bernière : des BD qui ont marqué l’histoire du genre, comme celles de Guido Crépax (« Emmanuelle », « Justine » et « Histoire d’O ») ou Magnus (« Les 110 pilules »).


Extrait de « 110 pilules » (Magnus/Delcourt)

Dans un style ouvertement pornographique, on redécouvre aussi un ovni comme« Filles perdues », signé par l’auteur de « Watchmen », Alan Moore et son épouse Melinda Gebbie. Ce trésor de perversion est – après moult déboires d’édition – traduit seulement depuis 2008.


Extrait de « Filles perdues » d’A. Moore et M. Gebbie (p. 44) (Moore-Gebbie/Delcourt)


Extrait de « Filles perdues » d’A. Moore et M. Gebbie (p. 119) (Moore-Gebbie/Delcourt)

En marge de ces rééditions, signalons aussi le travail du label Dynamite, à la Musardine, qui publie des auteurs comme Bruce Morgan ou Ardem ou encore celui des éditions Tabou qui continuent d’élargir leur catalogue.

Internet, découvertes et archives

De manière plus informelle, le Web est aussi devenu une mine d’or en matière de BD adulte.

L’excellente plateforme Grandpapier publie des récits en ligne et des BD sous différents formats numériques. De nombreux auteurs passant sous le radar des éditeurs y présentent leurs créations et chez certains d’entre eux se montrent plutôt inspirés en matière d’érotisme, comme Grisfx ou Big Ben.


Extrait de « Gourmandise », de Grisfx (Grisfx)

Outre les tonnes de manga qui circulent, c’est aussi sur Internet que les nostalgiques célèbrent un des âges d’or de la BD érotique avec les Tijuana Bibles des années 30 .


Extrait d’une « Tijuana Bible » anonyme(DR)

On les appelle aussi « Dirty Comics » ou « Eight pagers », en raison du format des fascicules bon marché, qui circulaient sous le manteau.

Les sites d’amateurs comme Tijuana-Bible ou les blogs de collectionneurssont très riches et archivent cette iconographie vintage géniale, souvent anonyme et satirique, qui détourne notamment les icônes populaires de l’entre-deux-guerres.

Entre créations, rééditions et transmission sur le web, la bande dessinée adulte a donc non seulement de beaux restes, mais aussi de beaux jours devant elle.

 

 

Aurélie Champagne

Commentaires

  • Quel sujet exceptionnelle, j'ai trouvé ce que il cherchais, tout en vous remerciant bon weekend.

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