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SI LE MANGA M’ÉTAIT CONTÉ

27 août 2012

SI LE MANGA M’ÉTAIT CONTÉ

Trait de sparation

Le mangaka Yoshihiro Tatsumi raconte dans une fresque autobiographique la construction du manga moderne et les évolutions culturelles du Japon d’après-guerre



Dans les librairies de prêt des villes japonaises d’après guerre, les mangas sont bien minces. Pourtant, malgré la pénurie généralisée, les magazines publiant ces petites bandes dessinées de quatre cases fleurissent. Pour cinq yens les trois tomes -à lire sur place- nombreuses sont les têtes brunes à se plonger en silence dans la lecture, à même le sol de leur bouquiniste favori. Yoshihiro Tatsumi est de ceux-là. Ces petits ouvrages de papier recyclé tombent dans les mains de ce garçon d’Osaka et déclenchent une passion qui ne le quittera plus. Du haut de ses 10 ans, il exerce sa plume sans relâche, espérant voir son travail publié un jour.


C’est le début d’une carrière de mangaka, retracée dans une somme autobiographique en deux tomes, aujourd’hui publiée en France : Une vie dans les marges raconte la naissance du manga moderne ; c’est aussi, en creux, l’incroyable épopée d’un pays en ruine devenu en un demi-siècle la deuxième puissance mondiale et un foyer culturel majeur.

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NB : la lecture se fait de droite à gauche.


Jeune auteur, Yoshihiro Tatsumi aspire déjà à dépasser les marges classiques du manga traditionnel : caractérisé par un format court, un registre comique, un dessin exagéré et résumé aux traits principaux, ce manga se destine surtout aux enfants. Tandis que la société nippone s’ouvre à la culture occidentale, il parcourt les bibliothèques, s’imprègne des romans de Jules Verne, des pièces de Shakespeare, des aventures sombres d’Arsène Lupin et des récits du genre Hard Boiled, un style américain de polar particulièrement sombre et cru. Le cinéma, nouveau loisir des Japonais dans les années 50, alimente lui aussi son imaginaire ; westerns américains etfilms d’action l’impressionnent et l’inspirent.


Tatsumi expérimente de nouvelles formes et des thèmes jusque là jamais scénarisés dans un manga- monstre envahissant la ville, à l’image de Godzilla ; meurtres et enquêtes ; catastrophes sociales…


« Faire un manga qui ne serait pas un manga », devient son objectif, bientôt partagé par le petit groupe d’auteurs dans lequel il s’insère. Ses acolytes s’appellent Matsumoto, Isojima, Saito… aujourd’hui des grands noms de l’histoire du manga. Tous publient au sein d’Hinomaru Bunko, maison d’édition basée à Osaka et noyau expérimental très prometteur. Ensemble, ils fondent la revue policière Kage, dont Tatsumi sera un temps rédacteur en chef. Malgré les dissensions et les désaccords qui marquent leur cercle, les jeunes mangakas cherchent une nouvelle appellation à leur genre. Tatsumi en est l’inventeur : le gekiga – littéralement, « images dramatiques »- désigne un manga réaliste, détaillant la psychologie des personnages, proposant un dessin travaillé, et un contenu axé sur des thématiques sombres et destinées aux adultes.


Les 800 pages d’Une vie dans les marges révèlent un milieu éditorial et artistique en pleine ébullition. De fréquents apartés historiques éclairent les mutations progressives de la société japonaise : premières victoires sportives, émergence de groupes de musiques, feuilletons radiophoniques à la mode, dernières innovations technologiques, tissent une trame de fond sur laquelle le lectorat comme le milieu des mangakas évoluent. Au fil de ces transformations, le gekiga a été critiqué par certains dessinateurs de mangas. Le genre a même été taxé d’incitation au crime au Japon. Yoshihiro Tatsumi, lui, aura passé sa vie à le défendre.


Victoria Scoffier

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