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  • A la Dominique, la croisière n’amuse pas

    Quelques coups de boutou [1] derrière le crâne viennent parachever les derniers élans d’une résistance vaine. Le gommier [2] chaloupe sous le poids de l’animal hissé péniblement à bord : un thon jaune d’une cinquantaine de kilos. Les visages se décrispent alors qu’on recouvre le poisson de feuilles de bananier sèches. Les deux pêcheurs relèvent la tête et s’épongent le front. Face à eux, à une quinzaine de kilomètres, se dessine le profil escarpé de l’île caribéenne de la Dominique. Une dizaine de volcans crevant les nuages à plus de 1 000 mètres d’altitude, des mornes aux pentes abruptes [3], couverts d’une végétation dense, qui tombent à pic dans une mer d’un bleu intense.

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    La baie de Kashakrou (Soufrière) vue depuis le village de Galion. Paysage volcanique typique de l’île.
    © Romain Philippon

    La capitale, Roseau, est une minuscule ville coloniale. Des rues parallèles bordées de vieilles maisons en pierre à un étage laissent rapidement la place à de modestes cases en bois sous tôles. Des enfants à la peau noire brillante remontent la rue dans des uniformes à cravate, les adultes vont au travail dans des chemises bouffantes et pantalons à pli, tailleurs pour les femmes. La pauvreté photogénique des Antilles anglophones…

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    Terrain de football de Pottersville, Roseau.
    © Ro. Ph.

    Des grappes de touristes se promènent dans les rues qui jouxtent le quai sur lequel accostent les bateaux de croisière. Peau blanche, chapeau large, short de bain, sandales. Parfum de crème solaire. L’appareil photographique noir avec téléobjectif se porte en pendentif, le petit appareil compact en bracelet argenté. Quelques hommes arborent un torse nu rougi par le soleil. Des femmes mûres portent un t-shirt flottant sur lequel il est écrit un « No problem » précédé du nom de l’une des îles visitée précédemment par le bateau. A la différence des maisons du centre-ville, la navire à quai peut compter jusqu’à quinze étages. Tel un immeuble de verre du centre-ville de Miami couché sur une barge et accosté le long de l’avenue principale de la capitale du pays le plus pauvre des Petites Antilles.

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    Touristes déambulant le long des stands installés dans la zone fermée.
    © Ro. Ph.

    Le tourisme de croisière débute à la Dominique au milieu des années 1980. Ceux qui ne veulent plus de contact avec l’Occident esclavagiste ont été « pacifiés » par les forces de police du pays fraîchement indépendant. Quelques leaders ont été tués ou emprisonnés. On ne peut désormais plus jeter de pierres sur ces visiteurs blancs [4]. En 1991, il y a déjà à la Dominique chaque année plus de croisiéristes que d’habitants (environ 70 000 habitants aujourd’hui). En 1996, ils sont trois fois plus nombreux. Un pic est atteint en 2010 avec plus d’un demi million de touristes. Mais à la fin de l’année 2010 une grande compagnie maritime déprogramme la venue de quelques-uns de ses navires. Pour la première fois depuis des années, le quai de Roseau restera désert certains mois durant la basse saison. En un an, la fréquentation connaît une baisse de 35 %, présentée localement comme un cataclysme [5].

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    Un groupe de touristes accompagnés par le guide d’une agence vers le minibus qui les emmènera en visite.
    © Ro. Ph.

    Roseau compte deux immeubles. Le premier est gris et austère. Il date visiblement de la fin des années 1970 et rappelle tristement l’architecture soviétique. Il s’agit du siège du gouvernement, probablement construit au moment de l’accession à l’indépendance en 1978. Un double escalier central ouvert mène aux petits bureaux qui hébergent les différents ministères. Deux par palier. En face se trouve un bâtiment jaune climatisé à la façade de verre.

    Deux ascenseurs mènent aux étages qui abritent notamment le bureau des statistiques nationales, les bureaux de l’Eastern Caribbean Bank et le bras exécutif du ministère du tourisme : la Discover Dominica Authority (DDA). Le bureau du directeur de la DDA, Colin Piper, est décoré de plaques dorées vantant la qualité de service, récompenses de compagnies croisiéristes. Quelques trophées en plastique d’employés du mois, une petite collection d’ouvrages touristiques français et anglais sur la Dominique. Le tout sous vitrine. Colin Piper est un jeune homme dynamique, dans la trentaine, de complexion claire. Il porte une chemise, une cravate et un badge. Il a fait ses études aux États-Unis.

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    Un chauffeur de taxi indépendant essaye d’attirer l’attention des croisiéristes puerto-ricains depuis la barrière empêchant l’accès à l’avenue du front de mer (Gauche). Couple de touristes à proximité du marché d’artisanat (Droite).
    © Ro. Ph.

    « Avant, c’était l’île nature », nous explique-t-il. Depuis les années 1980 de nombreux touristes visitent en effet la Dominique différemment. Le lieu est bien connu par les amateurs de tourisme vert et de plongée. Il s’agit de l’île la plus montagneuse et la mieux conservée de la région. Elle compte d’innombrables rivières, des sources chaudes noyées dans la végétation, un lac d’eau bouillante situé au cœur d’un cratère volcanique et des paysages à couper le souffle. A la différence des croisiéristes, les touristes de séjour passent plusieurs jours dans l’île. Ils dorment dans les hôtels locaux, mangent dans les petits restaurants et consomment beaucoup plus. En moyenne, d’après le directeur de la DDA, un croisiériste dépense l’équivalent de 35 euros par jour quand un touriste de séjour dépense plus de 100 euros. Sur une année, les recettes touristiques liées au tourisme de croisière s’élèvent à moins de 12 millions d’euros. Les recettes liées au tourisme de séjour sont sept fois plus élevées. « Quand nous avons commencé la croisière [à grande échelle] certains ont fait beaucoup de bruit » continue Colin Piper...

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    Des chauffeurs de taxi indépendants tentent d’attirer un client isolé qui n’a pas réservé de tour auprès d’une agence.
    © Ro. Ph.

    Car contrairement à ce qu’affirme le directeur de la DDA, ces deux formes de tourisme ne sont pas complémentaires. Loin de là. Ken Hill est directeur d’une petite agence de voyage spécialisée dans les excursions à l’intérieur de l’île. Son entreprise en propose à la fois aux touristes de croisière et aux touristes de séjour. Pour cet homme noir d’une cinquantaine d’années, polo uni à l’effigie de son entreprise, jean et chaussures de randonnée aux pieds, le tourisme de croisière est devenu nécessaire. Mais « les touristes de séjour prennent très mal de voir arriver sur les sites d’intérêt des centaines de visiteurs débarqués des bateaux de croisière », explique-t-il.

    Les premiers marchent, par petits groupes, sac sur le dos, et visitent à un rythme lent des sites réputés pour leur calme et leur végétation extraordinaire. Les seconds descendent du bateau par milliers, se déplacent en cohortes bruyantes et n’ont que quelques heures pour voir les lieux les plus réputés avant de lever l’ancre à 16 heures. Pour eux, le parking des chutes de Traffalgar ou de Emerald Pool se transforment en marché d’artisanat, où dominent les produits made in China et des groupes de musique folklorique surfaits. Le doudouisme a toujours la côte dans ces espaces aux ambiances madras et chapeaux bakoua.

    Ces touristes ne sont pas les seuls à se plaindre de la vue des croisiéristes. Les pancartes « Tourism is everybody business », installées par le gouvernement à l’entrée des villages il y a quelques années, ont rapidement disparu. Il n’en reste aujourd’hui que les moignons métalliques. Seules les publicités télévisées peuvent encore distiller ce message, avant les émissions locales dans lesquelles des personnes à l’accent britannique débattent sans fin des mille et une façons de mieux recevoir les croisiéristes pour qu’ils reviennent toujours plus nombreux.

    Dans la ville un homme à bout s’énerve et insulte un chauffeur qui tente d’attirer quelques touristes : « Magie [6] ! Vous dites que c’est le business de tout le monde mais on ne peut même plus trouver un bus pour aller travailler ! » « Partez tous ! », s’écrie un autre, les yeux exorbités.

    Une partie de la population est visiblement de plus en plus agacée : l’avenue principale de la capitale est fermée à la circulation pour permettre aux croisiéristes de flâner entre les cybercafés et des magasins hors taxes, la circulation et les livraisons sont rendues difficiles et les chauffeurs de bus préfèrent tenter leur chance auprès de ces touristes que de faire les habituels allers-retours entre les villages et la capitale. On les trouve malpolis... Et surtout, on peine à voir les bénéfices de cette activité pourtant très lucrative. Résultat, d’après Yvonne Armour, présidente de la Dominica Hotel and Tourism Association [7], quand ils remontent à bord du navire, les touristes se plaignent des comportements antisociaux de la population…

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    Le port et le centre ville, zone réservée
    La principale avenue de la capitale est fermée et réservée aux touristes lorsqu’un bateau de croisière est accosté en ville. La sécurité veille à ce que les taxis indépendants ne puissent pas pénétrer la zone réservée aux agences (Gauche). Les touristes des bateaux de croisière tels que les verront la plupart des Dominicais, de l’autre coté de la vitre fermée, dans un bus climatisé (Droite). 
    © Ro. Ph.

    Sur le port, nous rencontrons une ancienne vedette de la scène locale de Calypso. Un homme noir, grand et sec, qui approche les 70 ans. Pour survivre, il se mêle aujourd’hui au groupe des taxis indépendants qui tentent de proposer des excursions à ces touristes de croisière, en dehors des circuits pré-vendus par les grosses agences locales. « Le tourisme de croisière est devenu une drogue pour nous... ».

    Ces chauffeurs et guides travaillant à leur propre compte sont devenus en quelques années la bête noire du gouvernement, des agences locales et des compagnies de croisière américaines. « Ils cannibalisent le marché », nous affirme le directeur de la DDA. Daniel Nunez, directeur d’une petite agence proposant des excursions va dans le même sens. La baisse récente de fréquentation de l’île par les paquebots serait liée, entre autres choses, au « harcèlement » des taxis indépendants.

    D’après le ministre du tourisme Ian Douglas ces chauffeurs privés ont pris une part trop importante du marché aux agences locales, ce qui explique la désaffection des compagnies croisiéristes. Ces dernières prennent entre 25 et 35 % de marge sur les excursions qu’ils proposent à terre. En général, lorsque les indépendants prennent plus de 40 % du volume total de visiteurs à ces agences, la compagnie se retire pour chercher des bénéfices plus importants dans les îles voisines…

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    Une touriste américaine devant le bateau de croisière.
    © Ro. Ph.

    Au gouvernement de faire en sorte que cela ne se produise pas. La législation sur la certification pour exercer le métier de taxi indépendant est devenue de plus en plus contraignante ces dernières années. Début 2013, le ministère a été jusqu’à mettre en place l’initiative des « premium access passes » : les jours où un bateau de croisière est à quai, seules les agences peuvent acheter des tickets d’accès aux principaux sites touristiques avant 13h. Quant à l’accès au quai, il est interdit aux taxis indépendants durant la descente des croisiéristes.

    Seules les agences ont le droit de garer leurs véhicules à proximité du navire et leurs agents sont les premiers à pouvoir proposer leurs services, y compris aux plus indécis qui n’ont pas réservé une excursion depuis le bateau. De l’autre côté des grilles, surveillées par des policiers armés de matraques et les agents de sécurité du port, les indépendants doivent attendre leur tour. « On ne ramasse que les petits poissons qui s’échappent du filet », se plaint amèrement le chanteur de calypso.

    Les bénéfices générés par la croisière, à la Dominique comme ailleurs, se répartissent entre les firmes de croisière, les agences de voyage locales qui organisent les excursions dans l’île, les taxis indépendants et les commerçants. Les firmes croisiéristes sont dominées par trois entreprises américaines en situation d’oligopole, qui contrôlent 80 % du marché caribéen (Carnival, Royal Caribbean et Norwegian Cruise Line). Ces compagnies tirent des bénéfices des cabines qu’elles louent sur leur bateaux, des alcools et des attractions vendues à bord (casino, cinéma, soirées, etc.) et des marges sur les excursions proposées par les agences de voyage locales. Ces firmes sont les véritables moteurs du tourisme de croisière et en sont les principaux bénéficiaires.

    Les seules excursions à la Dominique leur rapportent environ 5 millions de dollars [8]. Et une croisière normale représente six escales de ce genre durant la semaine. Les agences de voyage locales sont les autres grandes gagnantes de ce business, qui se négocie en tête à tête avec les compagnies croisiéristes au Seatrade, organisé chaque année à Miami par la Florida Caribbean Cruise Association (FCCA).

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    Un indépendant qui a réussi à pénétrer dans la zone fermée tente discrètement de proposer un tour à un petit groupe de touristes.
    © Ro. Ph.

    Le schéma classique dans la Caraïbe veut qu’une agence locale se place en situation de quasi-monopole, tandis que quelques concurrents plus petits se disputent les miettes. A la Dominique cette agence s’appelle la Whitchurch Limited. D’après la DDA, la firme contrôlerait environ 80 % des excursions. L’agence de voyage n’est d’ailleurs qu’une de ses nombreuses branches d’activité : import-export, services financiers, vente de gros et de détail (nourriture, matériaux de construction)... Pour les seules excursions proposées aux croisiéristes, la Whitchurch réalise un bénéfice net avoisinant les 5,6 millions de dollars [9].

    Lorsque nous avons demandé au ministère du tourisme et à la DDA des lettres d’introduction pour rencontrer et interviewer les responsables des agences de voyage locales, nous avons reçu quatorze enveloppes. Seule manquait la lettre destinée à… Gerry Aird, le directeur général de la Whitchurch Ltd ! Devant notre insistance, nous avons finalement pu nous présenter à lui muni d’un de ces courriers « recommandant fortement [le directeur] de [nous] recevoir et de nous accorder un entretien dans le cadre d’une étude soutenue par la DDA et le ministère du tourisme ». Averti par une secrétaire, un petit homme blanc, en fin de soixantaine, se dirige vers nous d’un pas rapide. Il est visiblement très agacé. Il ressemble furieusement à un béké de l’île voisine de la Martinique. Même teint, mêmes tâches sur la peau qu’on appelle les « fleurs de cimetière ». Il a les yeux clairs, ses cheveux blancs sont rabattus sur le côté et il porte une cravate rouge à fleurs jaunes. La lettre à en-tête de la DDA tremble entre ses doigts fins : « Pourquoi ils ne m’ont pas prévenu ? Nous sommes en contact tout le temps pourtant ! Je n’ai pas le temps ! Demain non plus ! Non, pas en fin de semaine. Nous sommes très occupés (...). Retournez les voir et dites leur de ne pas m’embarrasser ! »

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    Les croisiéristes partent avant tout pour des vacances sur un bateau de croisière. Pas pour les îles. Un touriste prend en photo le bateau.
    © Ro. Ph.

    Contrairement à la Whitchurch, le gouvernement dominicain tire très peu de bénéfices du tourisme de croisière. Certes, il existe des taxes sur l’activité : taxes portuaires, impôts sur les bénéfices des sociétés locales et taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Mais le rapport de force est tout à fait défavorable au gouvernement : la seule compagnie Carnival affiche un chiffre d’affaires annuel de plus de 13 milliards de dollars [10] quand le PNB de la Dominique dépasse à peine les 400 millions de dollars. Résultat, les taxes gouvernementales sont minimes : un total de 2,9 millions de dollars pour 2011. En contrepartie, il faut en premier lieu construire et entretenir les infrastructures portuaires pour accueillir ces géants des mers. Ces infrastructures sont extrêmement coûteuses et endettent le pays.

    Il faut aussi payer les salaires des nombreux fonctionnaires nécessaires à la bonne marche de l’activité et précéder sans cesse les nouvelles demandes pour s’assurer que les compagnies reviendront l’année suivante : renforcer la sécurité des sites, construire et entretenir des routes de bonne qualité vers le port, s’occuper du problème des drogués et des estropiés qui mendient en guenilles dans les rues, installer des poubelles, nettoyer. Les dernières études montrent que les touristes trouvent maintenant l’île trop bruyante...

    Tout dans le rapport annuel des comptes nationaux semble indiquer que l’opération est en fait nulle ou presque. Rares sont les îles tentant le bras de fer avec les compagnies pour augmenter leurs taxes. Les compagnies n’ont d’ailleurs dans ce cas là qu’à faire jouer la concurrence avec les îles voisines. Les retombées pour la population sont donc très faibles et se mesurent à l’aune des quelques emplois gracieusement « offerts ». « Nous pensons que le tourisme dans son ensemble génère 3 000 emplois », nous explique Colin Piper, « mais nous n’avons pas d’études sur la question ».

    Cette estimation large, qui agrège le tourisme de séjour, inclut aussi les centaines de vendeuses vivant très chichement de la vente occasionnelle d’un artisanat bon marché made in China aux couleurs de la Dominique. Elle inclut aussi les nombreux guides et chauffeurs des agences, qu’on appelle occasionnellement, la veille pour le lendemain, et qui gagnent alors en une journée l’équivalent d’une trentaine de dollars. Reste à espérer quelques pourboires car le coût de la vie augmente très rapidement en Dominique. Les emplois générés sont en outre peu qualifiés, les gérants des Duty free et des bars ciblant les touristes sont le plus souvent français ou nord-américains. En dehors de ces étrangers, seule la petite bourgeoisie claire locale a le capital pour investir dans les activités liées au tourisme.

    L’article publié dans le Chronicle du 8 février 2013, sur la baisse de fréquentation récente, n’a pas même la décence de mentionner les quelques retombées pour l’île. La seule chose signalée par le ministère et la DDA : « permettre aux opérateurs de croisières de faire plus d’argent en Dominique » [11] . Pour cela, c’est aux Dominicains qu’on en demande encore et toujours plus : « de la propreté de nos rues à la convivialité de notre population, nous devons faire tous les efforts... » Le tourisme de croisière à la Dominique, à l’image du reste de la Caraïbe, rappelle le titre de cette pièce de Shakespeare : « Beaucoup de bruit pour rien ».

    Déçues, les compagnies se retirent aujourd’hui de l’ïle, espérant trouver des marges plus alléchantes ailleurs...

    Cet article est la synthèse d’un projet de recherche financé par le Ceregmia, Centre d’Etude et de Recherche pluridisciplinaire de l’Université des Antilles et de la Guyane.

    Toutes les photographies sont de Romain Philippon

    Notes

    [1] Une matraque de bois lourd dans le créole des îles des Petites Antilles. Le mot dérive de langues amérindiennes.

    [2] Petite embarcation de pêche traditionnelle qu’on construisait encore récemment dans le tronc de l’arbre du même nom.

    [3] collines formées par les volcans inactifs

    [4] On lira sur cette période l’excellent Bayou of Pigs de Madison Stewart Bell.

    [5] Les chiffres sont ceux de la Caribbean Tourism Organization(CTO) et de la Discover Dominica Authority (DDA).

    [6] Littéralement « foutaises » en créole de la Dominique.

    [7] Lire « 18 % drop in cruise ship calls expected this season », Chronicle, 8 février 2013.

    [8] Les valeurs sont en dollars des États-Unis. Les calculs de bénéfice sont effectués en croisant l’étude de la FCCA sur les recettes touristiques dans la Caraïbe et les comptes nationaux publiés par le Central Statistics Services (CSS) de la Dominique.

    [9] Calcul réalisé en croisant les chiffres des comptes nationaux et des études de la FCCA.

    [10] D’après le rapport annuel de comptes de la compagnie (2009).

    [11] Article du Chronicleop. cit..

     

    vendredi 26 avril 2013, par Bruno Marques et Romain Cruse

     
  • Télé-révision

     

    Ignorer l’inculture dispensée par la télévision est une gageure. Elle s’insinue partout, jusque dans les universités. En deux jours, j’ai été questionné par deux fois par des étudiants sur l’intervention d’Eric Zemmour dans l’émission « On n’est pas couché » du 4 octobre 2014 : « Pétain a-t-il sauvé des juifs ? ». Par deux fois, j’ai donc proposé un rapide aperçu historiographique de la question, en renvoyant aux sources [1]. Le « journaliste » — mais est-ce bien son métier ? — avait pour sa part refusé d’en faire autant au motif qu’il n’était pas universitaire, tout en marquant son désaccord avec un véritable historien, Robert Paxton, parce qu’il faut tout de même prouver qu’on a un peu lu [2]. C’est devenu banal aujourd’hui : n’importe quelle opinion vaut bien l’avis d’un chercheur.

    « Informer, disaient-ils », La valise diplomatique, 16 octobre 2014.L’opinion d’un idéologue d’extrême droite sur une question d’histoire ne méritant aucune attention, la question de circonstance est ailleurs : comment la télévision peut-elle faire un pont d’or à un ignorant ? « La » télévision, puisque selon la logique moutonnière en vigueur, d’autres plateaux l’ont accueilli, de « Ce soir ou jamais » à « C’est à vous ». Il ne suffit manifestement pas que l’intéressé s’agite quotidiennement au café du commerce de la chaîne d’information en continu i>Télé. La télévision, instrument d’inculture : pourquoi s’encombrer de complexité quand on dispose de grandes gueules pour combler ses vides et ses lacunes ?

    Il y eut beaucoup de protestations après la diffusion de cet épisode, à en juger par l’émission suivante lors de laquelle son présentateur, Laurent Ruquier, lut quelques tweets de soutien, avant d’être corrigé par son chroniqueur Aymeric Caron : il y en avait aussi dans l’autre sens. Point de subtilité dialectique ou d’argument inédit, on tomba finalement d’accord sur le pluralisme : « On nous reproche de l’avoir invité... on a été certes les premiers parce qu’on s’est bien débrouillé... mais il va faire de toute façon toutes les émissions, si ça n’avait pas été nous, on serait passé en deux ou en trois. Il valait mieux être les premiers que les derniers » (Laurent Ruquier). N’en déplaise à l’animateur, il était « passé » la veille dans « Ce soir ou jamais ».

    Il semble que l’on puisse justifier les invitations les plus saugrenues au prétexte du « buzz ». Sans aucune remise en question : « je pense qu’on a fait le job » (Léa Salamé, chroniqueuse dans l’émission). Si elle le dit... Et même, on le fait bien car l’émission le permet : « Ce qu’il faut souligner c’est quand même la chance qu’on a eu d’avoir du temps avec lui, ce qui est très rare en télévision et dans les médias, même à la radio, d’avoir du temps pour aller au fond des arguments ; ensuite les téléspectateurs peuvent juger » (Aymeric Caron). Magnifique public, qui peut juger de la solution finale à partir d’un talk-show. Ne manquait plus qu’un vote de paille : « Croyez-vous que Pétain a sauvé des juifs ? ». Si la profession journalistique — ce n’est pas nouveau — déteste particulièrement la critique, le journaliste télévisuel est quant à lui absolument imperméable.

    Inévitables suites. Les gens les plus incompétents peuvent s’exprimer dans la presse. Etre ignorant, cela n’empêche pas de parler, comme l’avoue innocemment l’un d’eux, un sénateur belge, ancien de Médecins sans frontières (donc vraisemblablement de formation médicale), dans les colonnes du Figaro (7 octobre 2014) : « Zemmour ne dit pas que le régime de Vichy n’est pas antisémite. Il écrit que Vichy a cherché à préserver les juifs français au détriment des juifs étrangers. J’ignore si c’est le cas mais le politiquement correct prétend-il maintenant arrêter toute recherche historique qui contredirait sa doxa ? ». S’il ignore, qu’il se taise. Et si des gens s’expriment publiquement sans savoir, pourquoi tout le monde n’en ferait pas autant ? En l’occurrence, le sujet du scandale n’est pas anodin. Dans le climat actuel de confusion qui, par maints aspects, rappelle la France des années 1930, il s’agit bien de réhabiliter Vichy. La science ? Belle inversion, ce serait elle qui serait une doxa et un politiquement correct. Ce révisionnisme n’est jamais que la première marche du négationnisme.

    Des points communs en tout cas, comme de lointains échos d’Erostrate : ce sont des gens incompétents qui s’expriment et raisonnent faux en multipliant les paralogismes — sur les chambres à gaz ou sur les femmes qui, à 90 %, raconte Zemmour, épouseraient des hommes socialement supérieurs à elles (on s’interroge sur le QI de l’energumène capable d’une telle ineptie logique). Tous gagnent leur notoriété grâce au même procédé de scandale médiatique, et se caractérisent enfin par un haut degré de narcissisme. Les gens sans talent et sans savoir font ainsi parler d’eux.

    Lire Pierre Jourde, « La machine à abrutir », Le Monde diplomatique, août 2008.On peut choisir de relativiser en considérant le spectacle télévisuel comme une écume vite oubliée. Sans doute si le micro n’était pas tendu en continu. Ce qui demeure, c’est une manière de traiter les choses comme des questions d’opinion, et non comme des questions de vérité. Comme un sujet de physique doit être traité par des physiciens, une question d’histoire doit l’être par des historiens. Il faut mener une guerre inlassable contre cette télévision obscurantiste et ses faussaires. Ils portent tort aux auteurs de documentaires (diffusés à une heure tardive), aux enseignants, et surtout aux jeunes générations qui sortiront de l’école en prenant les talk-shows pour une manifestation de la pensée et ses Zemmour pour des intellectuels.

    Leur faire la guerre ? Où, quand, comment ? Là commencent les difficultés. Dans les salles de cours évidemment. A condition de ne pas les ouvrir aux imposteurs [3]. Sur les plateaux ? Encore faut-il être invité. Cela en vaut-il seulement la peine ? Désormais, les universitaires sont tellement sur leurs gardes qu’on leur annonce au préalable la composition des plateaux. La plupart des scientifiques déclinent systématiquement les invitations. Adoptant en somme la posture de Pierre Vidal-Naquet à l’égard des négationnistes : le refus de dialoguer, puisque leur seul objectif est de gagner le crédit de ceux qui s’afficheraient avec eux. Ainsi le mépris est-il réciproque. Jamais les médias n’ont aussi mal porté leur nom [4].

     18 octobre 2014, par Alain Garrigou

     

    Notes

    [1] Michaël Marrus, Robert Paxton, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, Paris, 1981 ; André Kaspi, Les Juifs pendant l’Occupation, Seuil, Paris, 1991 ; Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Fayard, Paris, 1983-1985. L’épisode du Conseil des ministres où le maréchal Pétain est intervenu pour aggraver la condition des juifs avait été raconté par du Henry du Moulin de Labarthète dès le lendemain de la guerre –- voir Paul Baudouin, Neuf mois au gouvernement, La Table Ronde, Paris, 1948. L’exhumation du procès verbal, en 1990, l’a confirmé en révélant les annotations manuscrites de Pétain en marge.

    [2] Lire « Robert Paxton : “L’argument de Zemmour sur Vichy est vide” », Rue89, 9 octobre 2014.

    [3] C’est parfois le cas, comme j’ai eu l’occasion de le constater un jour à Sciences Po Paris, où j’étais invité par des étudiants en même temps qu’un certain... Eric Zemmour (que je ne connaissais pas encore).

    [4] Lire Ryszard Kapuscinski, « Les médias reflètent-ils la réalité du monde ? » et Ignacio Ramonet, « Le cinquième pouvoir », Le Monde diplomatique, respectivement août 1999 et octobre 2003.

  • Mourir pour des dessins

     

    mercredi 14 janvier 2015, par Alain Garrigou

    Douze personnes ont été assassinées le 7 janvier 2015 dans l’attaque du journal Charlie Hebdo. Dans les guerres comme dans les attentats, chaque fois que la violence humaine tue volontairement, la question resurgit : pourquoi meurent-ils ? Il en va ainsi depuis que l’on ne peut demander de sacrifices sans leur donner du sens, comme dans les grands conflits depuis la guerre du Péloponnèse jusqu’aux guerres mondiales, et que la sensibilité exige que l’on ne puisse plus se résoudre à des morts pour rien. Les douze personnes prennent place dans la longue série de l’héroïsme civique, tel qu’il s’est construit au 19e siècle dans les révolutions et les luttes pour la démocratie. Comme un irrémédiable scénario tragique de l’histoire, on en retrouve tous les éléments avec d’abord les morts qui se savaient menacés, les collaborateurs de Charlie Hebdo, mais aussi indirectement ceux qui ont perdu leur vie en protégeant les premiers comme les policiers. Il est bien clair que dans la rédaction collectivement visée, à en croire la revendication des tueurs – « On a tué Charlie Hebdo » –, les dessinateurs de presse étaient davantage visés car les dessins parlent un langage universel. Ces hommes et femmes étaient engagés dans une cause dont ils savaient les risques. Ils en payaient les coûts ordinaires de la peur pour soi et les proches, manifestant ainsi un courage physique de longue haleine. Ils ont eu aussi des mots sublimes qui sont à la fois la prémonition et le sens du sacrifice. S’agissant des humoristes de Charlie Hebdo, on n’a que l’embarras du choix. Au XIXe siècle était restée célèbre cette phrase du député Alphonse Baudin, avant qu’il meure sur la barricade le 3 décembre 1851, par laquelle il répliquait à ceux qui lui rappelaient qu’il était bien payé comme parlementaire : « vous allez voir comment on meurt pour 25 francs ».

    Le dernier dessin de Charb

    Cela lui valut l’admiration, comme devrait la susciter le dernier dessin de Charb, directeur de publication de Charlie Hebdo, s’étonnant qu’il n’y ait pas eu d’attentat en France en ce début d’année 2015, un islamiste répondant que pour les vœux, « il avait jusqu’à la fin de janvier ». Le lendemain intervenait la « belle mort » selon les termes qu’on employait aussi au XIXe siècle et qu’on hésite aujourd’hui à employer tant la mort est devenue taboue. Peut-être certaines personnes assassinées n’auraient-elles d’ailleurs pas récusé cette belle mort tant leurs visions ont été pétries d’héroïsme civique.

    On a évidemment remarqué que la revendication d’héroïsme s’était immédiatement exprimée chez les assassins. Quel héroïsme y a-t-il à tuer avec des fusils d’assaut des professionnels de la plume hostiles à la violence ? On aurait tort de succomber aux faiblesses du relativisme. L’héroïsme des djihadistes s’ancre aussi dans l’histoire, mêlant à celui des guerriers le martyre religieux. Or plutôt que de renvoyer dos à dos toutes ces revendications, il faut remarquer que l’héroïsme civique s’est justement constitué contre les héros guerriers et religieux, les premiers rangés par Voltaire au rang de « saccageurs de province », les autres au rang de fanatiques. Les vrais héros, ont pensé les jansénistes puis les philosophes des Lumières, étaient les hommes se sacrifiant pour une juste cause. Ce sont aussi les assassins, les tortionnaires, qui les désignent comme tels. Charlie Hebdo, ce n’est pas faire injure aux victimes qui y ont participé indirectement ou autrement, se distingue par ses dessins et son humour. Les assassins ont ainsi montré ce qui les a dérangés : la caricature et l’humour. De quoi laisser humbles ceux qui ont la plume mais pas le trait pour exprimer les révoltes. De quoi rappeler chacun à ne pas s’abandonner à la colère méchante quand l’humour la soigne, la sert, avec tant d’efficacité. De quoi encourager ceux qui désespéraient de l’utilité de leurs combats de plume dans un monde dominé par le cynisme et le matérialisme.

    Dans cette époque de nihilisme européen qu’avait prophétisée Nietzsche, on s’étonnerait presque quand une société est ainsi ramenée à s’interroger sur ses valeurs. On ne boudera donc pas les paroles d’unanimité et d’union quand il s’agit de défendre la liberté. En même temps, on doit aux victimes et à la vérité d’exercer la raison, sans nécessairement se départir de l’émotion et, dans les luttes d’interprétation inévitables après les événements traumatiques, de poser rationnellement la question : pour quelle cause sont-ils morts ? La liberté d’expression bien sûr, mais en l’exerçant et non en brandissant l’étendard d’un mot abstrait. C’est-à-dire aussi, comme certains l’ont heureusement rappelé, mais comme beaucoup l’ont oublié dans leur unanimisme corporatif ou émotif, en dérangeant beaucoup de monde, à commencer par ceux-là mêmes qui se livrent aujourd’hui aux hommages. En la matière, on entre volontiers dans les morts comme dans un moulin, selon l’expression de Jean-Paul Sartre.

    Or, hommage du fanatisme à la vertu, les assassins ne se sont pas attaqués à n’importe qui. On pardonne à ceux qui, n’ayant pas eu le temps de comprendre, ont repris le refrain du « terrorisme aveugle » malgré l’évidence. Rien de moins aveugle que de s’en prendre à un journal satirique, de gauche comme on ne l’a guère entendu, unanimisme et corporatisme obligeant, et iconoclaste. Avec les anciens comme Cabu et Wolinski sont morts les figures d’une pensée critique ayant formé les esprits depuis les années 1960, et l’ayant entretenue avec leurs cadets en dignes continuateurs de « la pensée 68 », même si, comme souvent, certains s’étaient assagis. Tant mieux si les thuriféraires de la liberté d’expression qui n’avaient pas de mots assez durs pour les gens de Charlie Hebdo s’aperçoivent aujourd’hui que ces dessinateurs de presse et chroniqueurs étaient les meilleurs défenseurs de la liberté d’expression en s’en servant. Et puisque l’attaque de Charlie Hebdo relève de l’assassinat politique, autant que du terrorisme, il faut bien chercher pourquoi ce sont ces gens qui ont été assassinés et non d’autres. Car l’émotion suscitée le 7 janvier 2015 dans les salles de rédaction ne saurait faire oublier que la connivence, la pusillanimité et la soumission caractérisent plus l’ensemble des médias que l’insolence, l’impertinence, l’irrévérence de Charlie Hebdo. On ne saurait oublier que ce journal n’a pas exercé sa dérision seulement à l’égard de ses assassins djihadistes mais aussi à l’égard des autres religions qui lui ont intenté des procès, de tous les pouvoirs, des politiques, qui ne les aimaient guère, de l’orthodoxie libérale comme le faisait Bernard Maris, mais aussi des médias « sérieux ». Quelques commentateurs ont eu l’honnêteté de s’en souvenir.

    Le sacrifice de douze personnes n’aura pas été vain, comme on le disait immanquablement dans un temps où l’héroïsme était amplement célébré. Il nous aura déjà libéré de la fatigue morale et du cynisme mercantile en rappelant qu’en matière de liberté, on ne saurait se contenter d’être des héritiers, comme si tous les combats avaient été menés et gagnés. A l’évidence, il faut des drames pour prouver que la plume reste l’arme des combats contre l’obscurantisme, mais comme Charlie Hebdo le martelait au cours des semaines et des combats, il en est d’autres moins virulents mais peut-être pas moins dangereux. Il faut encore mourir pour des idées. Avec dérision et raison.

     

    Notes

    Cf. Alain Garrigou, Mourir pour des idées. La vie posthume d’Alphonse Baudin, Paris, Les Belles Lettres, 2011.

  • "Le sexe est maltraité par les médias"

    Aurélia Aurita

    En 2006, Fraise et chocolat, journal intime d'Aurélia Aurita, a fait l'effet d'une bombe érotique dans le 9e art. En haut, à dr., retour sur le point G avec Martin Veyron, en 2009, dans Blessure d'amour-propre. Ci-contre, Emmanuelle, de Guido Crepax. Après le livre et le film, la BD fit scandale, en 1978.

    Aurélia Aurita/impressions nouvelles

     

    Avec Fraise et chocolat, Aurélia Aurita a levé un tabou sur la représentation du sexe dans la BD. Explication.

    Qu'est-ce qui vous a incitée à écrire Fraise et chocolat ?

    Ma rencontre avec Frédéric Boilet a tout déclenché. J'ai simplement voulu retranscrire les émotions qui me traversaient. Je voulais lui dire, en BD, que je l'aimais. Au départ, c'était donc juste entre lui et moi. Ensuite, Frédéric m'a encouragée à continuer, à publier mes pages. Comme moi, il se demandait pourquoi ce sujet n'était jamais traité avec plus de simplicité. 

    Aviez-vous des modèles en tête ?

    J'ai été profondément marquée par L'Amant, de Marguerite Duras. Quand je l'ai lu, j'avais l'âge de l'héroïne, 16 ans. A la même époque, j'écoutais aussi Je t'aime... moi non plus. En bande dessinée, j'aime beaucoup le travail de Joe Matt. C'est notamment à lui que je fais référence, quand je parle des "kamikazes de l'autobiographie" dans Buzz-moi. Bien que je ne partage pas sa vision de la sexualité, je lui suis très reconnaissante d'avoir réussi à tirer de son expérience personnelle un récit universel. 

    Comment expliquerces "attaques" que vousrelatez dans Buzz-moi ?

    Le sexe est maltraité par les médias de masse. Il n'y a aucune imagination, on se contente d'endormir les gens avec les mêmes stéréotypes : le sexe comme objet de consommation, de scandale, de misogynie. L'hypocrisie avec laquelle on en parle m'insupporte ! Fraise et chocolat traite du bonheur, mais aussi de la jouissance et des orgasmes d'une femme amoureuse. Aujourd'hui, l'orgasme féminin est loin d'être un thème neutre. C'est même une revendication. Les lecteurs de BD et les critiques restent en grande majorité des hommes, et Frédéric et moi, nous doutions bien que mon livre en irriterait quelques-uns.

     

    Par Gilles Médioni, publié le 28/01/2010 à 08:12
  • La modification du génome humain devient réalité

     

     

    Une nouvelle technique de modification du génome se répand dans les laboratoires du monde entier, facilitant la suppression ou l’insertion de gènes. Une équipe de chercheurs chinois vient de prouver qu’elle peut être appliquée aux embryons humains, et permettre de corriger des défauts génétiques. Et même pourquoi pas de céder à la tentation eugéniste…

    Par Aymeric Pontier.

    Wooden sculputre of genetics science credits Epsos. de (CC BY 2.0)

     

     

    Considérée comme l’une des plus importantes révolutions médicales de ces dernières années, la technique CRISPR-Cas9 donne la possibilité aux chercheurs de modifier le génome avec précision, en employant des « ciseaux moléculaires » capables de cibler des gènes spécifiques dans les cellules.

    Pour ce faire, les scientifiques fabriquent tout d’abord un ARN artificiel (une méthode désormais éprouvée et maîtrisée) correspondant à la séquence d’ADN à découper, puis se servent d’une protéine bactérienne pour lier l’ARN à l’endroit voulu et retirer la séquence problématique. Dans la majorité des cas, cela se traduit par l’inactivation du gène « défectueux ». Il est également possible d’incorporer dans la cellule un ADN similaire à celui qui a été coupé contenant cette fois la « bonne »séquence.

    Depuis sa découverte, des équipes du monde entier se sont approprié cette technique simple et peu coûteuse de modification du génome en la testant sur des bactéries, sur des cellules de plantes et d’animaux ainsi que sur des cellules humaines somatiques en culture. En quelques mois, elle a fait l’objet de plusieurs centaines d’articles dans des revues scientifiques !

    Une équipe chinoise appartenant à l’université de Sun Yat-sen à Guangzhou vient de franchir une nouvelle étape dans cette course technologique en prouvant qu’il est également possible de modifier le génome d’un embryon humain, ce qui ouvre un champ vertigineux de possibilités.

    En utilisant des embryons humains non viables (pour éviter les critiques), les chercheurs ont supprimé un gène responsable de la thassalémie bêta, une maladie héréditaire provoquant une anémie. Sur les 86 embryons utilisés pour l’expérience, le retrait de la séquence d’ADN problématique a fonctionné sur 28 d’entre eux ! Et quelques embryons ont su utiliser la séquence artificielle pour s’auto-réparer.

    Si les essais cliniques (qui requièrent un taux de réussite proche de 100%) sont encore loin, nul doute que cette méthode va être considérablement améliorée dans les années à venir. Et les visées thérapeutiques sont aussi nombreuses qu’enthousiasmantes : la correction de gènes responsables de certaines afflictions héréditaires ou encore de gènes connus pour favoriser l’apparition de cancers ou d’autres maladies.

    Cependant, faciliter à ce point le génie génétique pourrait avoir d’autres applications bien plus sensibles et délicates sur le plan éthique. Par exemple, en employant cette technique sur les cellules germinales qui affectent la descendance, il est théoriquement envisageable de créer dans un avenir proche des êtres humains génétiquement « améliorés » dotés de meilleures capacités physiques ou intellectuelles…