So Foot a dix ans. Lancé en 2003 sous les rires goguenards de certains spécialistes de la presse, le mensuel a réussi un étonnant pari : secouer la presse sportive et imposer un ton en marge des canons traditionnels. A coups de reportages, d'enquêtes et de distance par rapport au milieu du foot. Et au prix, selon certains, d'une certaine exploitation des pigistes.
+ 13 % ! C’est la progression de la diffusion, sur un an, de So Foot. Une performance pour laquelle de nombreux éditeurs de presse quotidienne, de magazines ou de presse spécialisée signeraient les yeux fermés. Mieux, pour la dixième année consécutive,So Foot a gagné des lecteurs d’une année sur l’autre. Dans un contexte généralisé de crise de la presse, de ventes en berne, et de disparition annoncée du papier, comment le mensuel a-t-il réussi cette prouesse ?
A en croire son fondateur, Franck Annese, rien de plus simple. "Un soir nous nous sommes dits avec deux copains de l’ESSEC (Guillaume Bonamy et Sylvain Hervé, qui à la différence de Annese n’ont pas de fonctions éditoriales dans le magazine, NDR) que nous avions envie de faire un magazine de foot, qui ne ressemble pas à un magazine de foot", se souvient Annese. Après deux numéros zéro et 450 euros de mise de départ, So Foot est lancé. L’astuce de départ : négocier avec l’imprimeur trois tirages d’avance, soit une économie momentanée de 60 000 euros. Pas mal pour démarrer.
Lancé en 2003, So Foot séduit aujourd’hui quelques 50 000 lecteurs par mois. 15 000 abonnés et 35 000 acheteurs en kiosques.
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Une société rentable désormais. Le tout avec très peu de publicité. "Si on se fie à la logique des achats médias en France, c’est normal. Par exemple, Sport&Style, ils ont 50 pages de pub parce qu’ils sont distribués avec L’Équipe, mais personne ne le lit. Les annonceurs préfèrent mettre de la publicité dans un magazine de mode qui n’est pas lu, plutôt que dans un canard de foot qui fait 50 000 ventes. Les gens qui font les achats médias, c’est des gens qui ne vont jamais dans les kiosques. Ils n’ont aucune notion de la réalité de la presse en France", balance Annese.
Franck Annese, fondateur et directeur de So Foot
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Le kiosque, c’est justement l’une des autres astuces de la bande de So Foot. "En fait, So Foot, c’est l’opposé de toutes les simagrées que l’on nous raconte sur la presse, détaille Annese. Nous ne considérons pas le lecteur comme un client qui aurait envie de telle ou telle chose. Au contraire même, nous faisons le journal que nous avons envie de lire". Loin des préceptes enseignés dans les écoles de journalisme. Et Annese de poursuivre : "Mes clients, ce ne sont pas mes lecteurs. Ce sont les kiosquiers. C’est vis-à-vis d’eux qu’il faut faire du marketing pour expliquer le projet et pour leur donner envie de mettre le magazine en avant". So Foot est actuellement disponible dans 14 000 points de vente dans l’hexagone. Et sur Paris, Annese assure "qu’il connaît personnellement la moitié des kiosquiers". Faire connaître le journal à ceux qui le vendent et dans les pages dudit journal faire exactement ce dont on a envie, voilà donc le créneau de So Foot. |
"Ce mag n’est pas fait par des journalistes sportifs, mais par des passionnés de foot. Par des gens qui ont envie de traiter le football comme un sujet de société en évitant l’écueil qui aurait été de faire des trucs chiants et larmoyants", raconte le fondateur. Il résume : "il faut faire des journaux qui nous font kiffer. Si on se marre à les faire, d’autres se marreront à les lire". Simple, finalement. Mais au final, qu’est ce qui différencie vraiment So Foot de feu Onze Mondial, de l’historiqueFrance Football ou encore de l’Equipe Mag ? Sur ce point précis, Erik Neveu, le sociologue des médias, qui sera l'invité de notre prochaine émission, a un avis.
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UN JOURNAL DE SPORT QUI N'EST PAS FAIT PAR DES JOURNALISTES SPORTIFS
Le premier numéro de So Foot, ou plutôt son numéro zéro, est paru pendant la Coupe du Monde asiatique de juin 2002…sans une seule ligne sur l’évènement. L’anecdote peut faire sourire, mais elle en dit long sur la façon dont les "Sofooteux" envisagent leur magazine. Ce qui différencie ce journal des titres existants est définitivement son ton : décalé, ironique, quasi satirique parfois. Et son approche. "Considérer le foot comme un fait culturel implique d’en parler différemment. Sans tomber dans le cliché de la recette nous aimons bien la règle des trois H", glisse Annese. Les 3 H ? "Humour, humain, histoire. Nous pensons chacun des angles avec cette trilogie. Il doit y avoir une histoire à raconter, des histoires humaines et si possible contenant un peu d’humour. Nous ne portons pas de jugement sur les choses, nous ne donnons pas de point de vue moralisateur. Nous sommes tous des journalistes et nous aimons les histoires". Raconter des histoires, voilà une logique assez proche de celle de la revue XXI, lancée après So Foot.
Le ton, mais aussi la place faite aux reportages ou à l’enquête : voilà également ce qui démarque le mensuel. Ainsi, dans le dernier numéro, les journalistes sont partis, entre autres, au Brésil, au Monténégro, en Suisse, en Roumanie, en Italie, en Turquie, en Colombie, à Chypre, dans la banlieue parisienne ou encore à Aix en Provence. Ces reportages et ces enquêtes au long cours coûtent cher. Chaque numéro de So Foot coûte environ 245 000 euros à produire. "C’est un choix. Ce que nous mettons ici, nous ne le mettons pas ailleurs. Mais c’est que qui fonde notre identité", confie Annese. Ainsi, le modèle économique, s’il est professionnel tient aussi un peu du fanzine. Il y a 200 pigistes réguliers par an, les conférences de rédaction sont "épiques" selon les dires de l’un des participants mais cette structure légère (à peine dix permanents) permet aussi les voyages aux quatre coins du monde.
Le ton, les reportages, mais aussi les enquêtes. So Foot a été le premier journal français à s'intéresser en profondeur au racisme dans le football, aux entourloupes des agents de joueurs, au dopage, mais aussi à enquêter sur l'état du championnat tchétchène, sur la rivalité politique entre la Lazio de Rome (droite) et l'AS Roma (gauche), ou encore sur les liens entre quelques clubs libanais et le Hezbollah. Bref, So Foot tape partout, enquête sur tout et même sur des sujets aussi loufoques que les travelos du Bois de Boulogne : gagnent-ils davantage quand le PSG gagne ? C'est ce mix qui a plu au lectorat. C'est ce mix là aussi qui rend parfois la relation au milieu institutionnel du foot plus complexe.
THIERRY HENRY ET PATRICE EVRA REFUSENT DE PARLER
En effet reste une interrogation : avec son statut atypique, quel est le rapport entretenu par So Foot avec le milieu du foot : agents de joueurs, clubs, et joueurs ? Après enquête auprès de l’entourage de certains clubs ou joueurs, il ressort que l’image du magazine est plutôt bonne. Quoique regardée avec un brin de méfiance. "So Foot a acquis une vraie dimension, c’est un magazine plaisant à lire. Evidemment qu’il faut compter avec lui, mais pour des choses décalées et sans perdre de vue que l’on peut toujours s’y faire tacler, même lorsque l’on ouvre les portes", confie à @si, le directeur de la communication d’un grand club de Ligue 1. Côté So Foot le son de cloche est le même."Globalement, les gens nous prennent au téléphone. Mais le Oui comme le Non sont en général très francs", sourit Annese.
Un journaliste du mensuel renchérit "Nous ne sommes pas au quotidien dans la relation aux clubs et aux joueurs, nous n’allons pas aux conférences de presse et nous ne sommes pas dans l’attribution de notes ou de bons points, du coup cela peut à la fois fluidifier certaines relations, mais aussi les compliquer". Clairement, un agent de joueur, un joueur, ou un club de foot, ont comme tous les personnages publics des séquences de communication : il vaut mieux apparaître lors d’une période faste que lors d’une période de blessure, idem pour ce qui est des transferts etc…Problème : cet agenda – dont So Foot se "contrefout"- peut tendre les relations. Ainsi, par exemple, un journaliste del’Equipe raconte. "Un jour j’ai interviewé un international français, il était très tendu, j’essaye de comprendre pourquoi, je lui demande, il me dit : je me méfie des journalistes, l’autre jour il y en a un de So Foot à qui j’ai fait confiance qui me l’a fait à l’envers". Sous entendu : qu’il ne s’est pas mué en porte voix. Impossible toutefois de connaître le nom de ce joueur en colère. Certains joueurs ou ex-joueurs refusent d'ailleurs toujours de parler à So Foot. C'est notamment le cas de Thierry Henry et de Patrice Evra.
LA VRAIE-FAUSSE INTERVIEW DE LILY ALLEN : UNE CAGADE MÉMORABLE
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Dans ce tableau quasi idyllique aucun raté ? Il y en a au moins un, mémorable. En 2009, la chanteuse Lily Allen est interviewée par une journaliste pigiste du mensuel. L'entretien est publié et Lily Allen décide de saisir les tribunaux britanniques en arguant que l'interview n'avait jamais eu lieu et que la journaliste avait "tout inventé". "Nous étions dans une situation très compliquée. C'était parole contre parole", admet Annese qui a malgré tout pris la défense de sa journaliste. Au final, le conflit s'est arrangé à l'amiable mais la petite histoire a coûté 100 000 euros à So Foot. L'interview a-t-elle réellement eu lieu ? Au sein du magazine, les avis sont partagés. Tous, en tout cas, ont un doute. Résultat : depuis cet épisode la règle est d'enregistrer toutes les interviews. |
Autre interrogation : le site de So Foot. S'il fonctionne bien, est dans un entre deux. "En fait, avec le site on est dans une situation particulière, détaille un journaliste. Nous sommes dans une logique de flux d'actualité, et en même temps ce n'est pas ce qui fait l'identité de So Foot. Du coup, on essaye de faire des choses drôles et décalées". Ainsi, sur le site, les passionnés de foot peuvent trouver des classement des 100 meilleurs joueurs de l'histoire, des vidéos, des vannes, et des informations traitées de manière éditorialisée sur le marché des transferts. Plus proche de l'immédiateté et du travail classique d'un site d'actualité sportive. Pour le moment, le site coûte environ 30 000 euros par mois et n'a pas encore atteint le seuil de rentabilité. |
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Une autre critique qui revient souvent à l'encontre de So Foot est la façon dont les pigistes sont payés au lance-pierres. Cet aspect a d'ailleurs été évoqué en janvier 2013 par Libération dans un portrait plutôt élogieux de Franck Annese. "La pige reste le scandale de ses canards : il paye 60 euros la page. Autrement dit peanuts et pipi de chat, un montant si ridicule qu’il serait plus honnête d’admettre que bosser pour So Foot ne permet pas de bouffer", écrit ainsi Mathieu Palain avant de donner la parole à un pigiste "déçu de son chèque" qui décrypte le fonctionnement du canard et d'Annese. "Son fonctionnement, c’est "je te dis oui pour le tour du monde mais ne me demande pas de bien te payer", raconte à Libé ce collaborateur de So Foot. Et là-dessus, Annese répond de manière claire et vive. "On n'exploite pas les pigistes. Ils sont payés 65 euros le feuillet et pas la page, c'est autant qu'à Libération ou aux Inrocks. Je n'accepte donc pas que l'on me fasse des leçons là-dessus, surtout quand ceux qui les font payent autant ou moins que nous. Si Elle et Télérama viennent me dire que nos pigistes sont sous - payés, j'accepte. Venant des autres, c'est vraiment scandaleux".
Si la réussite globale de So Foot est plutôt saluée par les autres médias, certains journalistes sportifs ou autres ricanent lorsque l'on évoque avec eux le sujet. "Franchement, quand je vois leurs articles je ne me dis pas qu'ils réinventent la presse sportive. Ils sont dans une niche, avec un ton décalé qui démontre un certain talent, mais à part ça c'est un peu court", tacle un journaliste de l'Equipe.
QATARGATE : UN SCOOP RATÉ ?
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Il ajoute : "Ce n'est pas dans So Foot que l'on a parlé du Qatargate (le scandale selon lequel le Qatar aurait acheté l'attribution de le Coupe du Monde 2022 avec la complicité de Michel Platini et Nicolas Sarkozy, nous vous en parlions ici), mais dans France Foot". Devant cette critique, Annese rigole. "En fait nous avions sorti les mêmes informations un an auparavant dans le numéro avec Mario Balotelli en Une. Nous avions les documents etc, mais en effet, il n'y a pas eu le même retentissement". En fait, les deux ont raison. Lors du rachat du PSG par les qataris en juin 2011, So Footavait évoqué la réunion entre Nicolas Sarkozy, le prince du Qatar, Tamin bin Hamad al-Thani, Michel Platini, président de l'UEFA, et Sébastien Bazin (Colony Capital, à l'époque, propriétaire du Paris SG en proie à de grosses difficultés financières et proche de Nicolas Sarkozy).
Mais où France Football va plus loin, c'est qu'il fait la Une sur l'information, qu'il est partie prenante du monde du football et surtout qu'il publie des documents notamment des mails internes à la FIFA, des témoignages d'anciens salariés de l'institution etc... De fait, là où So Foot a évoqué la réunion, France Foot a apporté des éléments supplémentaires.
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Dans la discussion avec une autre journaliste, une autre critique apparaît : le relatif désintérêt de So Foot pour les questions sensibles du foot et notamment la place prépondérante de l'argent. Là-dessus, Annese a une réponse, tranchée. "D'abord, à chaque fois que nous avons eu des éléments nouveaux sur les zones d'ombres des flux d'argent dans le foot, nous avons traité le sujet". Pour lui "passer son temps à pourfendre l'argent roi dans le foot est une posture intellectuelle vaine". C'est pour cela que "le mag n'en parle pas tous les mois". Et il conclut dans un sourire :"Si on veut vraiment moins d'argent dans le foot, on éteint sa télé et on arrête de le regarder ou alors, on change le système capitaliste. Moi je suis pour, mais cela passe par une révolution".
La révolution, So Foot se contente pour le moment de la faire dans ses méthodes, son ton et son approche culturelle du sport. Pour les dix ans du magazine, certains médias ont célébré cet anniversaire. Des médias amis bien sûr. AinsiLibération avec qui So Foot a fait plusieurs cahiers thématiques lors des Euro ou des Coupes du Monde, à travers un petit papier et un portrait d'Annese, (non sans critiques, on l'a vu). De même, pour les Inrocks qui sur le web ont consacré un papier au modèle So Foot. Enfin, il faut signaler aussi un article de l'Expansion - pas forcément un media ami - qui entrait lui aussi dans les coulisses de l'aventure.
SO FOOT FAIT DES PETITS
Dans dix ans, peut-être écrirons nous aussi sur les autres réussites d'Annese. Outre So Foot, l'éditeur a lancé Doolittle (un magazine trimestriel de mode culture et société sur le monde de l'enfance dédié aux parents), Pedale (qui sort une fois par an au moment du tour de France) vrai magazine de journalistes sur le vélo. Mais aussi et surtout So Film, réplique de So Footsur le monde du cinéma. Le pari : s'extraire de la promo, suivre des acteurs sur le long cours et raconter des histoires humaines sur le cinéma. L'idée de base est simple :"sortir de l'idée selon laquelle un mag de ciné est obligé de faire sa Une sur un blockbuster américain", souligne Annese. Au bout d'un an le titre écoule 18 000 exemplaires par mois. Situé entre l'historique Les Cahiers du Cinéma et le leader du groupe Lagardère Première.
Dernier projet en date : un quinzomadaire de société, car Annese confie ne plus "croire au rythme hebdomadaire" qui aura pour but de "raconter la vie et le monde", loin de la trilogie "Le Point, l'Express, L'Obs qui se ressemblent et ne parlent à personne". Sortie prévue pour la rentrée 2014.
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Les années 1980-1990 ont connu Jean-François Bizot créateur de Nova et d'Actuel, inspirateur de toute une génération de journalistes. Et si dans la personne d'Annese, les années 2000-2010, avaient elles aussi découvert l'inventeur d'un nouveau style de presse ?