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    Israël : l’odyssée d’un avocat dans un Etat de non-droit 

    18 février 2013

    Le conflit israélo-palestinien est le plus traité par les médias. De nos téléviseurs, nous ne savons différencier l’agresseur de l’agressé, tout nous paraît si complexe. Alexis Deswaef, avocat au Barreau de Bruxelles et président de la Ligue des droits de l’Homme a décidé de se rendre sur place pendant dix jours avec une équipe de juristes spécialisés en droit international. Il en a tiré un livre, « Israël-Palestine : au coeur de l'étau ». Son ouvrage aborde les questions qui font mal : l’occupation militaire, la colonisation civile, le mur d’annexion, les prisonniers politiques, l’exploitation des ressources des territoires palestiniens ou encore le régime d’apartheid en Israël. Pour Investig’Action, Alexis Deswaef est revenu sur son voyage pas comme les autres.
    (1) Contrôle militaire dans la vielle ville à Hébron à l'approche de la colonie de Tel Romeida
    Qu’est-ce qui vous a motivé à effectuer ce voyage en Israël ?
    Nous étions un groupe de juristes spécialisés en droit international. Plusieurs d’entre nous avaient traité des dossiers sur base de la loi dite de compétence universelle, comme la plainte des réfugiés birmans contre Total pour complicité de crime contre l’humanité en Birmanie, mais également un dossier contre les dirigeants du gouvernement israélien suite à l’agression militaire contre la bande de Gaza, l’Opération « Plomb Durci ».
    Dans le même temps, nous suivions la situation du conflit israélo-palestinien.Nous avons beau avoir lu beaucoup sur ce conflit, nous voulions aller sur place pour mieux comprendre. Notre intuition était de dire que c’est par le droit international et l’application de celui-ci que ce conflit pourra se résoudre. Cette intuition est devenue une conviction.
    Quel a été votre premier sentiment lorsque vous avez atterri à l’aéroport de Tel-Aviv ?
    Nous avons beau être prévenus, nous avons beau nous être préparés à cette arrivée, nous attendre à un interrogatoire serré, il faut le vivre pour le comprendre. Effectivement, nous avons été conduits au poste de la police des frontières et avons eu droit à ces interrogatoires croisés. D’abord les plus jeunes du groupe sont interrogés et mis sous pression pour connaître le motif du voyage. Ensuite, les réponses sont confrontées. Après deux heures de stress et une sévère mise en garde couplée à une interdiction de toute activité ou rencontre politique sous peine d’être arrêté et expulsé du pays, nous avons enfin reçu le cachet dans le passeport pour entrer en Israël.
    Quel est l’état des tribunaux de la « seule démocratie » du Moyen-Orient ?
    Durant ces dix jours, le choc a été permanent. Nous avons rencontré de multiples témoins tant israéliens que palestiniens. Les violations des droits fondamentaux des Palestiniens par les Israéliens sont omniprésentes. Ce qui nous intéressait aussi d’examiner là-bas, c’était les recours possibles dont peuvent bénéficier les Palestiniens. Deux exemples me viennent à l’esprit. Le premier était de voir si les exactions commises lors de l’Opération « Plomb Durci » à Gaza avaient pu, devant les tribunaux israéliens, aboutir à des condamnations de militaires israéliens pour mettre fin à cette impunité dans le droit de la guerre et le droit international. Nous n’avons reçu aucune réponse positive à cet égard. Le deuxième exemple concerne la confiscation des terres et des maisons par les colons israéliens dans des quartiers de Jérusalem-Est ou à Hébron en Cisjordanie, mais aussi en Israël avec les terres des bédouins du Néguev confisqués par les Juifs israéliens.
    Les recours que les Palestiniens peuvent introduire devant les juridictions israéliennes, jusqu’à la Cour suprême, sont tout à fait inefficaces. Les cours et tribunaux ne réparent en rien les injustices commises par les Israéliens.Effectivement, les tribunaux en Israël fonctionnent peut-être très bien pour les Israéliens mais ne sont d’aucune utilité pour les Palestiniens vivant en Cisjordanie ou en Israël.
    Même au niveau du droit des enfants palestiniens ?
    Le droit des enfants est préoccupant. Les enfants sont détenus dans les prisons israéliennes et font l’objet de détentions administratives. N’importe quel juriste constatant les conditions de la détention administrative ne peut que s’indigner. C’est une détention arbitraire. Ils sont jugés devant des tribunaux militaires, des sortes de tribunaux d’exception. Les droits des enfants conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant ne sont pas du tout respectés.
    Quel est le quotidien des Palestiniens de Cisjordanie et d’Israël ?
    Le conflit israélo-palestinien n’est peut-être pas le conflit le plus meurtrier au monde. L’horrible exemple de la Syrie est là pour le prouver. Cependant, c’est probablement une des pires situations au monde au niveau des injustices quotidiennes et de l’application du droit. Le quotidien des Palestiniens tant en Cisjordanie, qu’en Israël est absolument inacceptable sur le plan du respect des droits fondamentaux. Cela se caractérise par les contrôles excessifs aux checkpoints, par le risque d’arrestation à tout moment ou par les discriminations dont ils sont victimes. Il faut bien se rendre compte que leur quotidien est un quotidien d’apartheid !
    En Cisjordanie se développe depuis des années une colonisation civile massive protégée par l’occupation militaire israélienne. Les Palestiniens sont freinés, avec ces territoires morcelés, dans leur vie quotidienne, dans leurs déplacements, dans leurs activités économiques, dans leurs démarches pour les soins de santé. Toute activité du quotidien est entravée par cette occupation, sans parler des routes de contournements, des checkpoints, des barrages et des incursions des forces armées israéliennes. Le territoire est divisé en zones A, B et C. La zone A est contrôlée entièrement par l’Autorité palestinienne. Malgré tout, cette zone n’est pas à l’abri d’incursions de l’armée israélienne où encore récemment des ONG en plein cœur de Ramallah ont vu leurs bureaux perquisitionnés et saccagés.
    En Israël, les citoyens arabes israéliens sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Ils n’ont pas accès à toute une série de droits dont les citoyens juifs jouissent. C’est pour cela que nous pouvons parler d’un apartheid à tous les niveaux. Evidemment, c’est en total violation du droit international.
    Malgré tout cela, les défenseurs d’Israël disent que c’est la seule démocratie du Moyen-Orient…
    Israël n’est pas, ou plus, une démocratie pour la simple raison que le gouvernement israélien a mis une autre valeur au-dessus de la démocratie, c’est l’état Juif. Toute leur politique est construite en référence à cet état Juif avec une des composantes de cette politique qui est la politique d’apartheid, mise en place au détriment des citoyens arabes d’Israël, ainsi que des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza.
    Prouvez-nous où Israël viole le droit international ?
    Dans le conflit israélo-palestinien, il est important d’utiliser les bons mots pour décrire la situation. Effectivement, il y a une occupation militaire d’un état car la Palestine l’est devenu. Le droit international interdit d’installer des civils dans le territoire qu’on occupe militairement. L’actualité nous le montre encore, Israël n’arrête pas d’intensifier cette colonisation civile qui fait en sorte que la Palestine ne ressemble qu’à un gruyère, avec quasiment plus de trous que de fromage.
     Il y a aussi la question de la détention arbitraire des prisonniers politiques palestiniens, pas du tout conforme au droit international. Leur « mur de sécurité » constitue en soi aussi une violation du droit international. Ce mur de séparation est en réalité un mur d’annexion.
    Un dernier exemple des violations du droit international est l’exploitation des ressources des territoires palestiniens par l’occupation israélienne. Notamment dans la vallée du Jourdain, nous assistons à un pillage des ressources palestiniennes. Toutes les cultures et les plantations de la vallée du Jourdain sont exportées dans le monde entier sous le faux label Made in Israël. Au niveau de la politique de l’eau aussi, les nappes phréatiques sont pompées par Israël qui fait que la Palestine n’a pas accès à l’eau. La Palestine est contrainte d’acheter son eau à Israël au prix fort.
    Les colonies sont illégales en droit international. La Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) a sorti récemment, en octobre 2012, un rapport sur cette colonisation et la complicité de l’Union Européenne dans ce processus. Le rapport s’intitule ‘La paix au rabais : comment l’Union Européenne renforce la colonisation israélienne’. Il dénonce ce double langage. D’un côté, la communauté européenne condamne la colonisation israélienne en Palestine. Et d’un autre côté, elle importe massivement des produits en provenance des colonies qui portent le label Made in Israël, renforçant ainsi la colonisation illégale. Il faut que cela cesse ! C’est une question de cohérence entre les paroles et les actes. L’Union Européenne devrait aussi dénoncer les accords commerciaux privilégiés qu’elle a noués avec Israël parce qu’il ne respecte pas du tout la « clause droits de l’Homme » prévus dans ces accords.Nous pouvons parler également du boycott qui est plutôt un acte citoyen, non-violent et de protestation, pour créer un électrochoc surtout auprès des dirigeants israéliens mais aussi auprès de la population israélienne pour qu’elle fasse pression sur son gouvernement. Il faut toucher là où ça fait mal, au niveau du portefeuille, pour réveiller les consciences.
    Le gouvernement extrémiste dirigé par Benjamin Netanyahou ne s’arrêtera pas dans son élan s’il n’est pas mis face à ces actes. Est-ce qu’il aurait relancé une agression militaire de la sorte contre Gaza il y a quelques mois si après l’Opération « Plomb Durci » en 2009, il avait été poursuivi devant la Cour pénale internationale tel que le procureur Moreno-Ocampo aurait pu le faire ? Pour des raisons totalement erronées, ce dernier a botté en touche et n’a même pas voulu ouvrir une enquête préliminaire. C’est seulement à partir du moment où des poursuites seront engagés et que les autorités israéliennes devront rendre des comptes, qu’elles comprendront leurs obligations de respecter le droit international. Il faut mettre fin à l’impunité des dirigeants israéliens. A partir de là, nous éviterons de nouveaux actes contraire au droit international.
    Le gouvernement israélien a choisi une voie sans issue. La seule solution au conflit est une solution à deux états démocratiques et viables, en revenant aux frontières de 1967 sur base du tracé de la ligne verte. C’est aussi la seule solution qui puisse garantir la survie d’Israël. Tout le propos que je tiens ne fait pas de moi un ennemi d’Israël. Je devrais plutôt être qualifié d’ami d’Israël et disant tout cela. Dans la voie sans issue qu’il s’est choisi, Israël court à sa perte.
    Vous avez parlé de la mobilisation citoyenne, vous dites dans votre conclusion que l’indignation c’est bien mais que l’action c’est mieux !Vous avez évoqué le boycott, comment peuvent agir les citoyens concrètement ?
    Effectivement, le boycott est un moyen non-violent d’action. Cela consiste à dire d’un produit entaché par des inégalités et des violations du droit international, je ne l’achète pas, je le boycotte. Nous pouvons tout à fait faire le parallèle avec le boycott du régime sud-africain au moment de l’apartheid. Nous avons pu voir que la solidarité citoyenne a pu faire plier un régime raciste.
    Vous dites du boycott que c’est un acte citoyen mais beaucoup d’hommes politiques et journalistes s’indignent de la campagne BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions) comme quoi cette dernière serait illégitime. Le boycott est-il illégal au niveau du droit ?
    Le boycott n’est pas illégal. Tout le monde est libre d’acheter ou de ne pas acheter un produit. Le droit à la liberté d’expression permet encore, jusqu’à preuve du contraire, qu’un citoyen puisse dire publiquement qu’il estime qu’il ne faut pas acheter tel produit pour telle ou telle raison.
    Et en réponse à ceux qui disent que c’est illégal, ces derniers inversent les choses et devraient faire attention. La responsabilité pénale de ceux qui importent des produits qui sont entachés par l'illégalité de la colonisation pourrait être soulevée. Tous les maillons de la chaîne, jusqu’aux distributeurs ici mettant en vente ces produits peuvent être mis en cause. Tirant des bénéfices de produits issus de faits qui violent le droit international, ils sont finalement complices et pourraient être poursuivis pour blanchiment, infraction pénale qui consiste à tirer profit d’une activité tout à fait illégale là-bas et à réinjecter ce profit dans l’économie ici. L’acte illégal n’est pas où l’on pense. Pour un état ou pour les multinationales, c’est très facile de s’attaquer aux citoyens qui boycottent ou qui prônent le boycott, mais ils doivent réaliser qu’une riposte est possible en droit.
    Le conflit vu d’ici parait si compliqué…
    De nombreux lecteurs de mon livre m’avouent que ce conflit vu d’ici leur parait tellement compliqué, qu’on ne sait plus très bien l’origine du conflit et où se situent les responsabilités. C’est pour cela aussi que j’ai mis en annexe une ligne du temps et des cartes qui expliquent le contexte historique et géographique. Cela permet de remettre les choses à leur place. Ces lecteurs me disent que maintenant, quand ils lisent les journaux, ils comprennent mieux ou sont davantage critiques avec ce que les médias leur présentent. L’objectif principal était donc de témoigner. Le pari était un peu fou, de dire en 10 jours, essayons de comprendre même s’il nous faudrait beaucoup plus de temps. Le but du livre est de faire voyager le lecteur avec nous, dans notre minibus en mission à la rencontre de la réalité du terrain.
    Que retenez-vous de ce voyage ?
    J’ai été très impressionné par les rencontres avec ces véritables héros qui luttent pacifiquement pour leurs droits et leur dignité. D’un point de vue personnel, je suis sorti moralement et physiquement épuisé par ce que j’ai vu et entendu. Je suis revenu avec la ferme intention de témoigner des injustices que nous avons vues de nos yeux. En les dénonçant, nous pouvons peut-être contribuer, modestement, à les faire cesser. Faire en sorte que personne ne puisse dire : « On ne savait pas ! ».
    (1ère Photo) Contrôle militaire dans la vieille ville à Hébron à l'approche de la colonie de Tel Romeida
    (2ème Photo) Alexis Deswaef accompagné de Fadwa Barghouti, femme du prisonnier politique et résistant Marouane Barghouti, dans son bureau de Ramallah
    Propos recueillis par Mouâd Salhi pour Investig’Action michelcollon.info
    Alexis Deswaef sera présent à la Foire du Livre le vendredi 8 mars entre 17h et 18h au stand "Couleurs Livres"

    Boycott Droit international Israël-Palestine 


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  • N’aie pas peur, tata Véro

    N’aie pas peur, tata Véro 

    16 mars 2013

    Le passage de Véronique Genest à l'émission de Laurent Ruquier a secoué la blogosphère. L'interprète de Julie Lescaut a confirmé son islamophobie et confessé des positions extrêmes sur le conflit israélo-palestinien. Mais que celui qui n'a jamais flippé lui jette la première pierre.

    — Tu as vu, chérie ? Julie Lescaut avoue qu'elle est islamophobe. Je me disais bien aussi, commissaire depuis vingt ans sur TF1...
    — Mais non mon amour, c'est Véronique Genest qui s'explique chez Ruquier.
    Ma chère Véronique, permets-moi de te tutoyer. Depuis le temps que tu partages nos vies à travers la petite lucarne, tu fais un peu partie de la famille. Il faut reconnaitre, tata Véro, que tu dégages une sympathie naturelle, quelque peu écornée ces derniers temps certes, mais que peu de gens peuvent revendiquer. Certains s'y essaient parfois, maladroitement. Angela Merkel peut bien mettre des boucles d'oreilles fantaisie et étirer quelque peu ses babines d'ordinaire figées, les Grecs ne s'y trompent pas. Raymond Domenech pourrait balancer des blagues grivoises en troisième mi-temps de ligue alsacienne, il garderait cet air blafard qui fascine tant les fabricants d'anxiolytiques. Mais chez toi, tata Véro, c'est inné. Tu as même écrit un livre de régime dans lequel tu préconises de ne se priver de rien. Autant dire que ton capital sympathie pèse lourd.
    C'est ce qui explique sans doute que les chroniqueurs de Laurent Ruquier ne t'ont pas réduite en charpie malgré les quelques absurdités que tu as pu glisser sur le plateau. Il t'a suffi de reprendre un verre d'eau et de brandir ton état de fatigue avancé pour sauver les meubles d'une interview qui aurait pu tourner à l'expulsion définitive du PAF. Ce ne fut pas facile. Ça aurait pu être pire. Sur les réseaux sociaux en revanche, les commentaires se sont faits plus virulents. Ta prestation de samedi soir a fait le buzz, souvent accompagnée de noms d'oiseaux que ma morale d'ornithologue m'interdit de reproduire ici. Mais, autant te le dire tout de suite, je ne t'écris pas ces quelques lignes pour hurler avec les loups. Bien au contraire.
    C'est vrai, tu as dit que tu étais islamophobe. Mais tu as surtout reconnu que tu avais peur. Comme on peut craindre les araignées ou les ascenseurs, toi, tu redoutes les musulmans. En reconnaissant ouvertement ta peur, tu as déjà franchi un cap important. Beaucoup n'en sont pas capables, du genre à trembloter tout dégoulinant en haut d'un escabeau en demandant : « Quoi, le vertige ? ». Pas toi, tu assumes ta phobie, tous tweets dehors. Aussi, l'important à présent n'est pas de combattre l'objet de ta peur, mais ta peur elle-même.
    Ma fille a peur du noir en ce moment. J'écris bien du noir et non des noirs. Ça aurait peut-être été plus facile pour établir une analogie avec tes propres angoisses, mais tu vas rapidement comprendre où je veux en venir, ne t'inquiète pas. Ma fille a peur du noir donc. Elle s'imagine que, tapis dans l'obscurité de sa chambre, d'effroyables monstres n'attendent qu'à perturber son sommeil d'ange. Nous savons bien qu'à part une garde-robe, un lit et quelques jouets, rien n'occupe le petit espace où chaque soir, elle sombre dans les bras de Morphée. Et pourtant, la petite n'est pas tranquille. Son imagination la travaille, prend le pas sur la raison. Un peu comme toi et l'Islam. Pour rassurer ma fille, je laisse la porte entrouverte afin que la lampe du palier projette sur son lit un réconfortant filet de lumière. J'espère de même que tu m'ouvriras un peu ton esprit pour que je puisse éclairer ta lanterne.
    Dans une interview au Parisien, tu déclares : « Bien sûr que je ne parle que des extrémistes. Mais je vois les infos, les appels à rétablir la charia, les foules en liesse dans la rue, parfois, quand il y a des attentats. Alors oui, l’islam me fait peur ». C'est bien le problème. Tu parles de quelque chose que tu ne connais pas vraiment, mais que ton esprit ne semble pouvoir approcher que par le prisme des médias. Or, tu es bien placée pour savoir que la presse se plait à sacrifier la platitude de la réalité sur l'autel du sensationnalisme. Tes déclarations en ont fait les frais. Tu connais l'adage : les trains qui arrivent à l'heure, ça n'intéresse personne. Mais une locomotive qui déraille et fait 18 morts... C'est pareil avec les musulmans. Un brave type qui vit sa foi tranquillement comme des millions d'autres a peu de chance de voir s'ouvrir les portes du 20h. En revanche, il suffit qu'un cagoulé agite sa ceinture d'explosifs aux cris d'Allah Akbar pour que l'audimat grimpe en flèche. Quand on a du temps de cerveau disponible à refourguer à Coca-Cola, le choix entre les deux profils est vite fait.
    Sur le plateau de Laurent Ruquier cependant, tu ne t'es pas totalement affichée comme une vulgaire mécréante apeurée par son ignorance. Tu as prétendu avoir lu le Coran. Samia Sassi et Mouss Diouf, deux anciens collègues de la série Julie Lescaut, t'en auraient offert chacun un exemplaire. On imagine déjà l'effroi qu'ont pu susciter de telles révélations auprès de la France profonde. Ainsi donc, des intermittents du spectacle contribuent à l'islamisation du pays entre deux prises sur les plateaux de TF1. Mais Samia Sassi a formellement démenti ces allégations depuis. De son côté, Mouss Diouf n'aura pas le loisir de revenir sur ta déposition. On espère juste qu'il n'est pas occupé à faire des triples saltos arrière au fin fond de sa tombe.
    Tu affirmes néanmoins avoir lu le Coran. Deux fois. Et ce que tu as pu y lire t'a flanqué la trouille. Il faut reconnaitre que certaines sourates sont plutôt flippantes. Mais as-tu déjà lu la Bible, la Torah ou le Talmud ? Ça ne dégouline pas d'amour à chaque page comme un roman de Cartland. En fait, tout dépend de la manière d'interpréter ces livres. Aussi, pourquoi réduire l'Islam à une poignée d'enragés coupeurs de mains, alors qu'on accepte l'idée que l'Église catholique puisse regrouper des composantes aussi diverses que l'abbé Pierre et les allumés qui incendient des cliniques d'avortement ? Tu avoues toi-même ne viser que les intégristes, mais c'est tout l'Islam qui te fait peur. Pour surmonter tes craintes et pousser plus loin la réflexion, je te recommande vivement la lecture de « L'Islam imaginaire » de Thomas Deltombe.
    Enfin, il y a tes considérations sur le conflit israélo-palestinien. Visiblement, sous ta chevelure flamboyante, la hasbara[1] s'est nichée une place douillette aux côtés de ton islamophobie assumée. Il faut bien reconnaitre qu'avec Jonathan-Simon Sellem, le candidat que tu te proposes de suppléer aux législatives partielles, tu es aux premières loges. À propos du webzine sioniste qu'il a fondé, JSS News, les internautes les plus taquins se plaisent à dire que le « J » est facultatif. C'est rude, je te le concède. Tout comme cet article sur la disparition de Stéphane Hessel, titré avec finesse : "Hessel : il puait des bras, il pue le mort ! 
    Il paraît, tata Véro, que tu lis beaucoup pour aller au fond des choses. Je t'invite donc à laisser un peu de côté tes brochures du CRIF pour t'ouvrir à d'autres horizons. C'est avec plaisir que je t'enverrai un exemplaire d'« Israël, parlons-en ». Oh, j'imagine bien que dans ton entourage, on te glissera que ce vulgaire pamphlet va te brûler les doigts. Qu'il mérite de caracoler au rayon « best-sellers » des librairies islamiques, aux côtés de « Mein Kampf ». Ou bien encore qu'il réunit une belle brochette d'antisémites, qui sentent des pieds et qui feraient passer les jeunesses hitlériennes pour des supporters du Maccabi Haïfa. Alors de grâce, ne t'arrête pas à ces étiquettes, tout comme je l'ai fait avec toi.
    Tant qu'on y est, je te recommande aussi la lecture du récent « Palestine, l'État de siège ». Il réunit des interviews de Noam Chomsky et d'Ilan Pappé. À propos du premier, le New York Times questionne : « C'est le plus important intellectuel de notre époque. Mais pourquoi dit-il toutes ces horreurs sur la politique étrangère des États-Unis ? » Comme je dis toujours, la réponse est dans l'énoncé. Le second est un historien israélien qui ne partage pas l'idée que la Palestine est une fiction. Et il ne manque pas d'arguments. Tu verras que cette histoire de terre sans peuple pour un peuple sans terre, c'est comme une pub Findus. Ça sonne bien, mais on n'y croit plus une seule seconde.
    Soyons clairs tata Véro, je ne m'attends à ce que tu deviennes, du jour au lendemain, une figure de proue de la campagne BDS[2]. Mais si tu pouvais déjà dire un peu de moins de conneries, ça nous ferait des vacances. Je t'embrasse.
    Source : Investig'Action
    Notes :

    [1] Propagande israélienne, ndlr
    [2] Campagne Boycott, désinvestissement et sanctions qui vise à exercer des pressions politiques, économiques et académiques contre Israël.

    Islamophobie  - Israël-Palestine  - Veronique Genest 

     
  • Les deux manières de se perdre

    Les deux manières de se perdre

    par Benoît Bréville, avril 2013

    La rengaine se récite sans peine : nous vivons dans un village planétaire où les nouvelles technologies, le commerce, la finance, mais aussi l’information, le sport et la culture ont fait voler en éclats les barrières nationales. Mobilité, fluidité, adaptabilité, le tiercé semble paré de toutes les vertus et chaque métier peut désormais revendiquer le label « sans frontières ». Médecins, pharmaciens, reporters, électriciens, architectes, archivistes... « On ne donne pas cher des professions et associations qui oublieraient sur leur carte de visite ce “Sésame, ouvre-toi” des subventions et des sympathies. “Douanier sans frontières”, c’est pour demain (1) », ironise un intellectuel français.

    Pourtant, loin du « décloisonnement » tant vanté, des séparations de toutes sortes (physiques, culturelles, symboliques...) continuent de fragmenter les sociétés. Dans les villes, les nantis se barricadent dans des gated communities, lotissements-bunkers et résidences privées où alarmes, vigiles, digicodes et caméras de surveillance veillent à leur quiétude ; ils protègent la réputation de leurs écoles grâce à une carte scolaire aux contours rigides qui enferme les jeunes des quartiers populaires dans des « zones urbaines sensibles » au découpage géométrique.Lors de ses loisirs ou sur son lieu de travail, il est rare qu’un cadre supérieur croise un ouvrier : au sein d’un même pays, l’entre-soi domine, le fossé social se creuse.

    Quant aux frontières nationales, elles n’ont pas davantage disparu. Au centre de multiples conflits territoriaux, elles se sont même étendues — depuis 1991 et l’implosion de l’URSS, plus de vingt-sept mille kilomètres de frontières ont été créés dans le monde, venant s’ajouter aux deux cent vingt mille kilomètres déjà existants — et renforcées. Aux quatre coins de la planète, des dizaines de milliers de policiers et de militaires, fusil en main, empêchent le passage d’intrus. Entre l’Ouzbékistan et le Kirghizstan, l’Inde et le Bangladesh, le Botswana et le Zimbabwe, les Etats-Unis et le Mexique, des murs se dressent pour écarter les voisins indésirables.

    Mais ils n’arrêtent pas les migrations : ils les filtrent. Minutieusement gardée, avec sa barrière haute de cinq mètres, ses mille huit cents tours de surveillance et ses vingt mille agents de sécurité, la frontière américano-mexicaine est aussi la plus souvent franchie au monde, en toute légalité, avec plus de cinquante millions de passages par an. Même le mur israélien, construit pour encercler le peuple palestinien, abrite trente et un points de passage (2). Puisqu’il est impossible d’empêcher le mouvement des hommes, faut-il lever toute entrave à la liberté de circulation ?

    Soulever cette question peut conduire à découvrir d’étonnantes convergences. Soucieux de préserver un droit humain fondamental, une grande partie des altermondialistes plaident pour une « politique ouverte de l’immigration », afin d’en finir avec des contrôles jugés aussi inutiles et dangereux que coûteux et inefficaces (3). A l’opposé du spectre politique, les porte-voix du néolibéralisme proposent la même réponse, mais avec d’autres arguments. Selon eux, la disparition progressive des frontières économiques, à grand renfort d’accords de libre-échange et autres unions douanières, doit s’accompagner d’une libéralisation des mouvements de population. Une telle mesure permettrait à l’économie mondiale de « s’enrichir de 39 000 milliards de dollars en vingt-cinq ans (4) », prophétise même l’économiste Ian Goldin, ancien vice-président de la Banque mondiale. C’est même au nom du « développement des entreprises » que le patronat britannique s’est opposé au gouvernement conservateur, son allié habituel, quand celui-ci a proposé de limiter les flux migratoires (5)...

    La convergence entre banquiers d’investissement et militants progressistes s’explique en partie par l’ambivalence des frontières, qui partagent les peuples et les cultures en même temps qu’elles les rassemblent et les préservent ; qui sont source de guerres, mais constituent des espaces d’échanges, de négociations, de rencontres culturelles, diplomatiques, commerciales. Menaçantes et protectrices, elles cristallisent les « deux manières de se perdre » définies par Aimé Césaire, « par ségrégation murée dans le particulier et par dilution dans l’universel (6) ».

    Benoît Bréville

    (1) Régis Debray, Eloge des frontières, Gallimard, Paris, 2010.

    (2) Michel Foucher. «  Actualités et permanence des frontières  », Médium, n° 24-25, Paris, 2010.

    (3) Attac, Pour une politique ouverte de l’immigration, Syllepses, Paris, 2009.

    (4) Ian Goldin, Geoffrey Cameron et Meera Balarajan, Exceptional People : How Migration Shaped Our World and Will Define Our Future, Princeton University Press, 2011.

    (5) «  Immigration : les patrons britanniques mécontents  », Les Echos, Paris, 29 septembre 2010.

    (6) Lettre d’Aimé Césaire à Maurice Thorez, 24 octobre 1956. Publiée dans Black Revolution, Demopolis, Paris, 2010

  • La soif d’eau de Wall Street

    Au début de l’année dernière, j’ai publié un article dans Foreign Policy expliquant comment Wall Street se fait de l’argent sur le dos de ceux qui souffrent des affres de la faim. J’ai procédé à l’historique des marchés financiers des produits alimentaires et relevé que les prix du maïs, du soja, du riz et du blé ont battu des records à trois reprises au cours des cinq dernières années [« How Goldman Sachs Created the Food Crisis »,Foreign Policy, 27 avril 2011.]. J’ai scruté les impacts du changement climatique et des biocarburants sur les marchés à terme des céréales et j’en ai déduit que le système mondial des prix des produits alimentaires qui, jadis, bénéficiait aux agriculteurs, aux boulangers et aux consommateurs a été sapé par les dérivés financiers créés par les banques d’investissement.

    Ces fonds de matières premières ont effectivement détruit la fonction traditionnelle de « découverte des prix » pour les échanges à terme du blé sur les places de Chicago, de Kansas City et de Minneapolis, et ont fait de ces marchés des machines à générer des profits pour les banques et les fonds d’investissement, tout en orientant à la hausse le prix de notre pain quotidien [1].

    Bien que l’on ait promis une réglementation globale des dérivés financiers sur les aliments, les années passent et rien de concret n’a encore été réalisé. A Washington D.C., les abus sur les marchés de matières premières et d’autres trafics ont accouché de 30 000 pages de réglementations nouvelles : la loi dite « réforme de Wall Street de Dodd et Frank » et la loi de 2010 sur « la protection du consommateur ».

    Comme on pouvait s’y attendre, la mise en œuvre de ces lois a été contestée devant les tribunaux et ainsi provisoirement suspendue. Même si ces textes s’appliquent au-delà de la Beltway [2], les échappatoires ne manquent pas pour les grosses banques. En conséquence, il est prudent de se dire que la ressource globale sera le prochain produit financier dérivé. Y a-t-il plus alarmant, plus grave que la catastrophe qui permettra de parier sur les aliments des humains ?

    Qu’en est-il de l’eau ?Retour à la table des matières

    Les spéculateurs peuvent déjà parier sur la neige, le vent et la pluie, au moyen de contrats à terme, pouvant être négociés — vendus et achetés — à la Bourse « Chicago Mercantile Exchange ». La valeur du marché de la météorologie a cru de 20 % entre 2010 et 2011. Mais ce secteur demeure chétif : il représente seulement 11,8 milliards de dollars. Il n’en demeure pas moins que ce type de transactions à terme prouve que la fièvre qui s’est emparée de Wall Street transforme mère nature en mère de tous les casinos.

    Certains environnementalistes pensent que mettre un prix sur l’eau douce serait le meilleur moyen pour sauver le capital hydrique de la planète. Plus cher elle coûtera, moins nous gaspillerons la ressource.

    La financiarisation de précieuses ressources sous-tend une initiative internationale hébergée par le programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) et soutenue par l’Union Européenne, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Hollande, la Norvège, la Suède et le Japon : il s’agit de « The Economics of Ecosystems and Biodiversity » (TEEB).

    Le TEEB vise à calculer jusqu’au dernier trillion de dollars, de rials ou de renminbi, la valeur des écosystèmes. Le mouvement PES « paiement pour les services environnementaux » (rendus par les écosystèmes) se réfère quant à lui à des choses comme l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons.

    On compte, parmi les partisans de ce concept, la Banque mondiale et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Selon le rapport de 2010 du TEEB : « L’accent mis par la société moderne sur le marché des composants du bien-être et notre dépendance quasi totale vis-à-vis des prix du marché pour attribuer la valeur signifient que nous ne mesurons et ne gérons les valeurs économiques échangées qu’à travers les marchés. »

    La faculté de Wall Street à tirer des profits de la bulle alimentaire, l’incapacité de Washington à réglementer les dérivés (financiers) globaux et la forte tendance à faire de la nature une marchandise, au moyen d’instruments du type TEEB et PES, ont convergé cet été vers un seul et unique foyer : la sécheresse qui s’est abattue sur les Etats Unis.

    Une avalanche de prédictions sociales et environnementales sinistres a accompagné cette sécheresse : en 2035, trois milliards d’êtres humains seront affectés par le stress hydrique, le manque d’eau deviendra chronique, les incendies de forêt se déclareront partout, les moussons deviendront imprévisibles et la fonte des neiges décroîtra de manière drastique, étant donné le nombre d’hivers suffocants.

    Or, dans le même temps, l’eau est devenue essentielle pour un spectre de plus en plus large d’industries, allant de la houille blanche à la fracturation hydraulique, de la brasserie à la fabrication des semi-conducteurs. La nappe phréatique est en train de s’effondrer en Asie aux dires des hydrologues. Les politologues voient moult querelles pointer à l’horizon au sujet de la propriété et de l’utilisation des cours d’eau de l’Himalaya et quiconque fore un puits dans le Nebraska sait que l’aquifère de l’Ogallala, dans le centre-ouest des Etats-Unis, est en train de baisser de manière inquiétante.

    Les conséquences sont effroyables : destruction d’écosystèmes, extinction d’un nombre incalculable d’espèces, risques de conflits régionaux et internationaux, telles les fort redoutées « guerres de l’eau » du XXIe siècle. Que se passera-t-il quand l’Ethiopie érigera des barrages sur le Nil ? Ou quand le Yémen deviendra le premier pays dont l’eau aura été épuisée ? Une réponse courte s’impose : rien de bon.

    Tirer profitRetour à la table des matières

    Les investisseurs de tous horizons adorent les ambiances apocalyptiques. A travers les interstices de la violence et du chaos, il reste de l’argent à ramasser. De nos jours, les plus gros profits ne viennent pas de la vente ou de l’achat de choses bien réelles (comme des maisons, du blé ou des voitures), mais bien de la manipulation de concepts éthérés, tels le risque et les dettes collatérales. La richesse coule des instruments financiers qui transcendent la réalité.

    Investir dans l’indice boursier « eau » est aujourd’hui recherché comme jamais. Il existe plus de cent indices [3] pour suivre et apprécier la valeur des titres et les actions des entreprises engagées dans le business de l’eau comme les services publics, l’assainissement et le dessalement. Nombreux sont ceux qui procurent de confortables dividendes (cf « Invest in Water ETFs »).

    D’où la pression qu’exercent la Banque mondiale et le FMI, toujours à l’affût pour étendre les marchés boursiers pour leurs milliards de dollars de crédit et pour amener les pays à privatiser leurs ressources.

    Ces dernières incluent les lacs, les cours d’eau, les retenues et réservoirs d’eau d’Argentine, de Bolivie, du Ghana, du Mexique, de Malaisie, du Nigéria et des Philippines (Lire, par exemple, « Water Privatization Conflicts »).

    Quelle meilleure garantie de prospérité qu’une ruée de multinationales décidées à générer des revenus à partir de quelque chose qu’elles sont seules capables de gérer ? Ainsi, cet été, alors que les champs de maïs d’Ukraine et du Kansas flétrissaient, alors que la pénurie de bacon faisait les gros titres des journaux et à l’heure où les producteurs de lait nourrissaient leurs vaches avec des confiseries, un nouveau message pointait : la prochaine grande matière première dans le monde ne sera ni l’or, ni le blé, ni le pétrole.

    Ce sera l’eau. L’eau exploitable et utilisable. Bien qu’amasser les actions et les intérêts dans les entreprises cotées soit une bonne chose, l’eau générera à coup sûr de juteux profits. Mais ne serait-il pas plus efficace de traduire l’eau en espèces sonnantes et trébuchantes ? Peut-être, complotent les arbitragistes et les spéculateurs, un marché de l’eau — comparable à celui de l’or ou des céréales —, un marché à terme qui assurerait la livraison ou la réception de volumes d’eau pour une date prochaine déterminée pourrait être envisagé. On y négocierait l’eau à terme comme du cash.

    Sous certains aspects, l’eau est un candidat possible pour des contrats à terme sur le marché des matières premières. En premier lieu, elle satisfait aux conditions de fongibilité — l’eau pompée d’un lac, d’un cours d’eau ou d’un torrent est pratiquement la même que celle provenant d’un iceberg, d’un aquifère ou celle recueillie dans un baril d’eau de pluie.

    Bientôt, elle satisfera aussi à la deuxième condition de marchandisation : elle devient de plus en plus… liquide, convertible en cash. Bien évidemment, l’eau est globale. La gestion des bassins versants est un sujet brûlant, tant pour la Volta que pour le fleuve Sénégal [4]. D’un point de vue monétaire, que le fleuve soit le Guadalquivir espagnol, le Rhône français, le Niger ou le Sacramento californien ne fait aucune différence.

    Les prévisionnistes financiers réalisent que, à l’instar des matières premières traditionnellement négociées tels les métaux précieux, l’eau exploitable du futur sera si rare qu’il faudra l’extraire comme un minerai, la traiter, la conditionner, l’embouteiller et, plus important encore, la déplacer et la transporter à travers le monde. Ils savent pertinemment que la demande ne tarira point. L’idée maîtresse d’un marché à terme global de l’eau réside derrière ce concept .

    Jouer grosRetour à la table des matières

    Dans l’histoire de l’eau et de la monnaie, le Rubicon a été franchi en l’an de grâce 1996. L’irrigation par l’eau des Westlands, en Californie, sert à produire un milliard de dollars d’aliments par an. Avec ses deux mille mètres carré, il s’agit du plus grand district d’agriculture irriguée des Etats-Unis. En 1996, le district a créé une messagerie électronique qui permet aux fermiers de vendre ou d’acheter leurs droits sur cette eau à partir de leurs ordinateurs.

    Négocier des droits sur l’eau à partir de son portable est ainsi une réalité. A l’instar des matières premières qui pouvaient être, par le passé, vendues ou achetées à la Bourse de Chicago ou de Kansas City et qui sont, à l’heure actuelle, couramment manipulées par des docteurs en mathématiques pour des fonds d’investissement au Connecticut.

    Si l’eau devenait un produit boursier, elle rejoindrait le brut Brent, le carburant d’aviation et l’huile de soja et pourrait être négociée n’importe où, n’importe quand et par n’importe qui.

    Se faire de l’argent à partir du robinet signifie que l’eau douce peut se voir attribuer un prix, peu importe l’endroit où elle est négociée — un prix global qui peut faire l’objet d’arbitrages à travers les continents. Ceux qui vivent à Mumbaï ou dans le centre-ville de Manhattan et qui constatent une hausse de la valeur de l’eau dans l’économie mondiale spéculeront sur cet « actif » sous-évalué. Leurs investissements orienteront alors partout à la hausse le prix [5].

    Une calamité affectant l’eau en Chine ou en Inde — l’inflation des prix de produits alimentaires, l’instabilité politique et la crise humanitaire qui en résulteront à coup sûr — se répercutera par une hausse des prix de Londres à Sydney. C’est ainsi que les banquiers engrangent des profits.

    Les économistes ont déjà commencé à concevoir des marchés à terme globaux de l’eau munis de tous les attributs : stock-options, trocs, échanges… Les compagnies d’assurance contre les inondations achèteront certainement des actions afin d’atténuer le risque financier.

    Chaque société commerciale qui travaille en zone inondable participera probablement à ce marché. De même, les agriculteurs désireux de se prémunir contre les dégâts causés par la sécheresse ou d’éventuelles inondations ne manqueront pas d’y prendre également part. Tout comme les pêcheurs et les exploitants de gaz de schiste. Quant aux spéculateurs, nous savons qui ils seront.

    Actuellement, personne ne s’adonne à une quelconque activité sur le marché à terme de l’eau, mais ce dernier ne mettra pas longtemps pour affirmer son existence. Lorsque l’Etat du Texas a enregistré 10 milliards de dollars de pertes économiques du fait de la récente sécheresse, des universitaires se sont mis à échafauder des théories pour indexer l’eau du Rio Grande dans un marché à terme [6]. Après les inondations qui ont affecté la Thaïlande l’an dernier et qui se sont soldées par des pertes économiques s’élevant à 46 milliards de dollars, la Bourse thaïe (Thailand’s Securities and Exchange Commission) a étudié la possibilité de développer des dérivés financiers indexés sur les précipitations et les barrages [7]. Le fabricant de semi-conducteurs Intel pourrait être intéressé : la boue et les saletés auraient arrêté sa production de puces électroniques en Thaïlande, occasionnant des pertes économiques de l’ordre d’un milliard de dollars.

    Un véritable commerce global dans le cadre d’un marché à terme de l’eau devra néanmoins attendre que les financiers s’accordent sur l’adoption universelle d’une mesure du stress hydrique. D’ici là, les marchés à terme de l’eau se manifesteront comme des phénomènes sporadiques traduisant des inquiétudes locales. Ainsi, par exemple, dans une Australie affectée par la sécheresse, sur le marché à terme de Sydney (Sydney Futures Exchange), tout est prêt pour accueillir des transactions sur l’eau. Il en va de même dans les districts de Medinipur et de Tumkur des Etats du Bengale-Occidental et du Karnataka en Inde. La mousson est en effet de plus en plus imprévisible : une bourse sud-asiatique d’un marché à terme de l’eau a été conçue pour être commercialisée à la Bourse de Delhi (Delhi Stock Exchange) [8].

    Les transactions à terme engloberont aussi bien les cours d’eau les plus purs que les effluves à peine légaux des usines produisant des déchets solides. Les théoriciens suisses des matières premières ont commencé à mettre sur pied des marchés où se traiteront des transactions à terme de la ressource provenant des eaux usées. Pour ses auteurs, ce concept est un marché à terme éthique de l’eau (voir le site de Prana sustainable water).

    A mon avis, il s’agit davantage d’une plateforme financière pour vendre de l’eau traitée au plus offrant. Dans tous les cas, les contrats à terme apparaîtront suite à l’estimation de la pénurie relative d’eau ou de son abondance. Cette estimation se fera sur la base d’un index des niveaux de l’eau derrière les barrages, les précipitations moyennes ou d’autres indicateurs et indices. Finalement, l’instrument financier aura la même structure de base que les index de fonds qui ont amené des niveaux de spéculation sans précédent sur le marché mondial des céréales et augmenté la volatilité, celle-là même que les transactions à terme devaient à l’origine museler.

    Après tout, si l’industrie du gaz naturel peut payer plus pour l’eau que les producteurs de soja, alors elle pourra se l’accaparer. Les répercussions d’un marché à terme global de l’eau peuvent à peine être imaginées. Parier sur l’eau se fera clairement aux dépens des récoltes et augmentera les prix alimentaires mondiaux au-delà des pics enregistrés au cours des cinq dernières années.

    La bonne nouvelle est que, contrairement aux tentatives avortées de réglementation des marchés dérivés des produits alimentaires, il est encore temps de faire quelque chose dans le cas de l’eau.

    De nombreux exemples d’estimation de la valeur de l’eau en dehors du champ de la marchandisation pure existent. Un cas d’école en la matière : la gestion du bassin de la Ruhr en Allemagne. La ressource fluviale est gérée non par la main invisible des marchés, mais par un organisme politique appelé Association de la Ruhr. Des villes, des départements, des industries et des entreprises de la région sont représentés par des délégués et des associés. Un total de cinq cent quarante-trois parties prenantes négocient les droits pour les prises d’eau (extraction) et les charges imposées à la pollution. Cette politique peut paraître biscornue, mais elle fonctionne. Malheureusement, il en est ainsi en démocratie.

    Nulle panacée à l’horizon pour satisfaire les besoins mondiaux en eau. Surtout pas les dérivés financiers globaux, qui ont prouvé qu’on ne peut leur faire confiance, comme on l’a vu avec ces titres garantis par les hypothèques [9].

    On leur fera d’autant moins confiance qu’il s’agit de notre ressource la plus précieuse. Lancer un marché à terme de l’eau créerait seulement encore plus de folie financière, folie qui semble résister à toute tentative de réglementation. Pour le moment, tuons dans l’œuf ce business avant qu’il n’éclose.

    Voir aussi :Retour à la table des matières

    - L’émission de la télévision publique allemande « Monitor » a diffusé un excellent reportage sur les menaces de privatisation de l’eau de l’eau en Europe. (sous-titres en anglais pour l’instant). 
    - Un article de Ricardo Petrella publié dans la Libre Belgique, critiquant le projet de nouveau programme d’action élaboré par les services de la Commission européenne, « The Blue Print ».

    - Le groupe de travail de l’European Water Movement sur la politique de l’eau de l’UE va également bientôt publier une analyse critique du « Blueprint ».

    Ce texte de Frederick Kaufman a été traduit de l’américain par Larbi Bouguerra. L’article d’origine, en anglais, a été publié dans Nature, la première revue scientifique mondiale, vol. 490, 25 octobre 2012, p. 469-471.

    Notes

    [1] Lagi, M., Bar-Yam, Y.,Bertrand, K.Z. & Bar-Yam, Y. Preprint, « The Food Crises : A quantitative model of food prices including speculators and ethanol conversion », 2011.

    [2] NdT : Le périphérique de la capitale fédérale

    [3] Lire Moya, E., « Water funds tempt investors with booming growth », The Guardian, 8 août 2010.

    [4] Lire « A handbook for integrated water resources management in Basins » (PDF).

    [5] Lire Keim, B., « Speculation Blamed for Global Food Price Weirdness », Wired Science, 6 mars 2012.

    [6] Brookshire, D.S., Gupta, H.V. & Matthews, O.P. (eds) Politique de l’eau dans l’Etat du Nouveau Mexique (RFF Press Water Policy Series, 2011).

    [7] Lire « Worst Floods in 70 Years May Prompt Thai Water Futures Trade », Anuchit Nguyen, Bloomberg, 14 décembre 2011.

    [8] Ghosh, N. Commodity Vision 4, 8-18 (2010).

    [9] NdT : Il semblerait que l’auteur vise les fameux « subprimes » qui ont jeté hors de leur maison des millions d’Américains.

  • Stéphane Hessel, François Hollande et la Palestine

    Stéphane Hessel, François Hollande et la Palestine



    vendredi 8 mars 2013, par Alain Gresh

    Au cours des obsèques de Stéphane Hessel organisées le 7 mars, le président de la République François Hollande a rendu hommage à l’homme. Il s’est pourtant permis, fait à ma connaissance sans précédent dans de telles circonstances, de prendre ses distances à l’égard de Hessel. Sur quel thème ? Les sans-papiers ? Les inégalités sociales ? L’injustice de l’ordre international ? Non, sur aucun de ces thèmes sur lesquels, pourtant, la politique actuelle du gouvernement est bien différente de celle préconisée par Hessel. Un seul sujet a suscité ses réserves, celui de la Palestine :

    « Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple palestinien, susciter, par ses propos, l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus. La sincérité n’est pas toujours la vérité. Il le savait. Mais nul ne pouvait lui disputer le courage. »

    Une nouvelle fois, le président a cédé aux nombreuses pressions : il ne faut rien faire qui puisse susciter l’ire du gouvernement israélien. On savait déjà que la personne qui écrit les discours du président était un dirigeant du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Une confusion des genres qui ne peut qu’alimenter les discours antisémites rampants : les juifs sont partout, ce sont eux qui dictent la politique de la France. On savait aussi que Richard Prasquier, président du CRIF, dans un éditorialdaté du 27 février, avait fortement critiqué Hessel, l’accusant d’être « avant tout un maître à ne pas penser ».

    Mais, au-delà de ces pressions, il y a le refus persistant de tous ceux, au gouvernement comme dans l’opposition, de prendre en compte une réalité simple : c’est le gouvernement israélien qui refuse toute négociation de paix sérieuse et qui poursuit une politique de colonisation et de répression contre les Palestiniens — une réalité que Stéphane Hessel avait plusieurs fois soulignée, notamment lors de son voyage à Gaza. A la fin de son mandat, le président Sarkozy avait fini par reconnaître que M. Benjamin Nétanyahou était un « menteur ». Le président Hollande se comporte encore comme si on pouvait « convaincre » ce premier ministre d’aller vers une paix véritable. Mais qui peut sincèrement croire un seul instant que le gouvernement israélien acceptera de se retirer de l’ensemble des territoires occupés en 1967, y compris Jérusalem ?

    Par ailleurs, le gouvernement français ferme les yeux sur le fait que le parti même de M. Nétanyahou est composé d’hommes et de femmes que, dans tout autre pays, on qualifierait de « fascistes ». Comme il ignorera demain que le parti Maison juive, qui s’apprête à entrer dans la coalition gouvernementale en Israël, est un parti fasciste et raciste. Paris, qui n’a pas de mots assez durs pour critiquer le Hamas, cautionne ainsi les partis politiques israéliens d’extrême droite.

    Quant à la politique de colonisation persistante du gouvernement israélien, Paris se borne à des condamnations purement verbales, sans jamais prendre aucune mesure de sanction. Au contraire, la coopération bilatérale (et européenne) avec Israël dans tous les domaines — économique, politique, militaire et même policier — nous ramène à l’année 1956, quand le gouvernement socialiste de Guy Mollet s’alliait à Israël contre l’Egypte de Gamal Abdel Nasser, « un Hitler au petit pied ».

    Partout dans le monde, le gouvernement n’a qu’un mot à la bouche, celui des droits humains et de leur défense, partout sauf en Palestine. Il est ainsi resté bien silencieux sur le dernier rapport de l’Unicef consacré au traitement des enfants palestiniens. Voici comment Libération présentait ce rapport :

    « Les “mauvais traitements” des mineurs palestiniens dans le système de détention militaire israélien sont “répandus, systématiques et institutionnalisés”, affirme dans un rapport rendu public mercredi le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef).

    “Dans aucun autre pays les enfants ne sont systématiquement jugés par des tribunaux militaires pour mineurs qui, par définition, ne fournissent pas les garanties nécessaires au respect de leurs droits”, souligne le rapport.

    L’Unicef évalue à “environ 700 chaque année le nombre d’enfants palestiniens de 12 à 17 ans, en grande majorité des garçons, arrêtés, interrogés et détenus par l’armée, la police et les agents de sécurité israéliens”.

    “Ces mauvais traitements comprennent l’arrestation d’enfants chez eux entre minuit et cinq heures par des soldat lourdement armés, le fait de bander les yeux des enfants et de leur lier les mains par des attaches en plastique”, selon le rapport, qui cite également “les aveux forcés, l’absence d’accès à un avocat ou à des membres de la famille pendant l’interrogatoire”. »

    Comment expliquer ce silence ? Les enfants palestiniens ne seraient-ils pas des enfants comme les autres ? Stéphane Hessel avait simplement témoigné de ces mauvais traitements.

    Lors de l’inhumation de Stéphane Hessel, Michel Rocard affirmait : « Ceux qui l’ont critiqué feraient mieux de faire leur examen de conscience. » Serait-ce un appel à M. Hollande ?