Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Azel Guen : Décryptage de l'Actu Autrement - Page 45

  • Mexique:Les responsables de la tuerie des étudiants démasqués

    MEXIQUELe maire et son épouse, le couple "impérial" d'Iguala

    L'ancien maire d'Iguala et son épouse sont désignés comme les commanditaires de la violente répression contre les étudiants de l'école d'Ayotzinapa. L'enquête révèle la généalogie encombrante d'un couple étroitement lié aux réseaux mafieux.
    Le maire d'Iguala, José Luis Abarca, et son épouse María de los Angeles Pineda Villa à Chilpancingo, en mai 2014 - AP / Alejandrino GonzalezLe maire d'Iguala, José Luis Abarca, et son épouse María de los Angeles Pineda Villa à Chilpancingo, en mai 2014 - AP / Alejandrino Gonzalez
    Démission

    Le gouverneur de l'Etat du Guerrero, Angel Aguirre, a annoncé sa démission le 23 octobre. Les manifestants, mobilisés depuis plus d'une semaine, réclamaient son départ, l'accusant de négligence dans la gestion de l'affaire des étudiants disparus le 26 septembre. Lors d'une conférence de presse, il a déclaré : "Dès les premières heures, le gouvernement de l'Etat [du Guerrero] a pris des mesures pour arrêter les policiers directement impliqués ainsi que d'autres individus identifiés comme parties prenantes",rapporte Animal Político. Un témoignage de bonne foi qui n'a pas convaincu les foules.

     

     

    José Luis Abarca, l'ancien maire d'Iguala [dans l'Etat de Guerrero], et son épouse María de los Angeles Pineda Villa ont été désignés par le procureur général de la République comme les commanditaires d'une "répression violente" contre les étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa [disparus le 26 septembre à Iguala].

    Tous deux sont en fuite et recherchés depuis le 22 octobre, et sont "présumés responsables d'actes illicites", selon les termes du procureur.

    María de los Angeles Pineda Villa était le principal agent du gang Guerreros Unidos, de l'aveu même de membres de cette organisation criminelle, indique le ministre de la Justice Jesús Murillo Karam. Elle servait d'intermédiaire entre cette organisation et l'équipe municipale, avec l'aval de son époux José Luis Abarca, l'ancien maire d'Iguala.

    Selon les témoignages d'habitants de cette commune, la mairie était, de facto, tenue par José Luis Abarca et son épouse María de los Angeles Pineda Villa, d'où leur surnom de "couple impérial". Certains affirment même que c'était elle qui prenait les grandes décisions municipales.

    Lors d'une conférence de presse [le 22 octobre], Jesús Murillo Karam a indiqué que le couple avait ordonné l'interdiction de la manifestation étudiante, en marge de la fête, au prétexte qu'elle coïncidait avec la présentation, par María de los Angeles Pineda Villa, du rapport d'activités de l'organisme de protection de la famille qu'elle présidait.

    La "première dame municipale" avait par ailleurs révélé son intention de se présenter à la mairie d'Iguala, ce qui aurait déplu aux étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa.

    Un édile douteux

    José Luis Abarca a prêté serment le 30 septembre 2012 et pris la fuite le 30 septembre 2014. Pendant sa brève gestion, il a fait l'objet de nombreuses plaintes pour népotisme, trafic d'influence et même assassinat. Le maire en cavale est originaire d'Arcelia (Guerrero). Lui et sa femme sont arrivés il y a de nombreuses années à Iguala. La famille de José Luis Abarca vendait des chapeaux et des robes de mariée. Lui-même s'est lancé dans le commerce de l'or avant de devenir, au cours des dix dernières années, chef d'entreprise aux côtés de sa femme.

    C'est sans aucune expérience politique qu'il a remporté les élections de juin 2012.

    Du côté de son épouse, un rapport du Centre d'investigation et de sécurité nationale (Cisen) avait déjà confirmé que les frères et la mère de María de los Ángeles Pineda entretenaient des liens étroits avec les Guerreros Unidos.

    Intitulé "Etat de l'enquête sur les faits de violence survenus dans la ville d'Iguala", ce rapport interne, daté du 1er octobre, révèle que le maire est parvenu à corrompre l'état-major du Parti de la révolution démocratique (PRD) aux échelons national et de l'Etat de Guerrero, à travers divers mécanismes tels que des versements d'argent liquide et des dons en nature destinés au fonctionnement de ces instances.

    Une famille en lien avec les cartels

    Il apparaît en outre que l'un des beaux-frères de José Luis Abarca,  Salomón Pineda Villa El Molón, a fait un séjour dans une prison de haute sécurité de Matamoros [Etat de Tamaulipas], le Centre fédéral de réadaptation sociale [Cefereso]. Libéré en juin 2013, le beau-frère a aussitôt repris ses activités criminelles, devenant à Iguala le chef local des Guerreros Unidos.

    Deux autres beaux-frères de l'ancien maire d'Iguala, Alberto Pineda Villa El Borrado y Mario Pineda Villa "El MP", ont été à la solde du cartel des Beltrán Leyva [dont le chef a été arrêté le 1er octobre] pendant de nombreuses années. Ils ont fini par prendre leurs distances avec ce cartel et l'ont payé de leur vie. Enfin la belle-mère de l'ancien maire d'Iguala, Maía Leonor Villa Orduño, est également liée à feu Arturo Beltrán Leyva [tué en 2009 par les militaires de la marine mexicaine]. Elle a été son agent et son prête-nom.

  • La CIA et ses expériences sur les "souris/humains"

    La CIA n’a pas seulement torturé, elle a procédé à des expériences sur des êtres humains

     

    guantanamo-2-300Par Lisa Hajjar, le 16 décembre 2014

    Qualifier les techniques d’interrogatoire de la CIA comme étant en violation de l’éthique médicale et scientifique est peut-être le meilleur moyen d’obtenir que les coupables aient à répondre de leurs actes.

    L’expérimentation humaine était un aspect central du programme de torture de la CIA. La nature expérimentale des techniques d’interrogatoire et de détention est clairement évidente dans le résumé de synthèse du rapport d’enquête du Comité du Sénat [US] sur le Renseignement, malgré des omissions (sur lesquelles la CIA a insisté) destinées à opacifier les lieux où se trouvent ces laboratoires de science de la cruauté, ainsi que les identités des auteurs.

    Il y avait deux psychologues recrutés par la CIA à la barre de ce projet d’expérimentation humaine, James Mitchell etBruce Jessen. Ils ont conçu des protocoles d’interrogatoire et de détention qu’ils ont, parmi d’autres, appliqué à des personnes emprisonnées dans les « black sites » (sites noirs’, ndlr), des endroits secrets gérés par l’agence.

    Dans sa réponse au rapport du Sénat, la CIA justifia sa décision de recruter le binôme : « Nous croyons que leur expertise était tellement unique que nous eussions été négligents de ne pas les avoir sollicités, lorsqu’il est devenu clair que la CIA allait s’engager sur le terrain inconnu du programme ». Les qualifications de Mitchell et de Jessen n’étaient pas centrées sur de l’expérience dans la conduite d’interrogatoires, des connaissances spécialisées sur al-Qa’ida ou un savoir culturel ou linguistique approprié. Ce qu’ils avaient, c’est de l’expérience dans l’US Air Force dans l’étude des effets de la torture sur des prisonniers de guerre états-uniens, ainsi que la curiosité de découvrir si les théories de « désespoir acquis » dérivées d’expériences sur les chiens pouvaient fonctionner avec des êtres humains.

    Afin d’appliquer ces théories, Mitchell et Jessen ont supervisé ou se sont personnellement livrés à des techniques dont l’intention est de produire « l’extrême faiblesse, la désorientation et l’effroi » (debility, disorientation and dread, ndlr). Leur « théorie » comportait une relation particulière entre le moyen et la fin qui n’est pas très bien comprise, comme Mitchell l’expliqua crânement lors d’une interview sur Vice News : « La raison d’être du flic méchant est de faire en sorte que le type parle au flic gentil ». En d’autres termes, les « techniques poussées d’interrogatoire » (EIT, Enhanced Interrogation Techniques, ndlr) (l’euphémisme de l’administration Bush pour la torture) ne produisent pas des informations utiles par elles-mêmes ; plutôt, elles produisent les conditions de soumission totale qui faciliteront l’extraction de renseignements utilisables.

    Mitchell, comme l’ancien Directeur de la CIA Michael Hayden et d’autres qui ont défendu le programme de torture, plaide qu’une erreur fondamentale du rapport du Sénat est le heurt induit entre les moyens (supplice de la baignoire, « ré-hydration rectale », des semaines ou des mois de nudité dans l’obscurité totale et l’isolement, et d’autres techniques conçues pour briser les prisonniers) et les fins – la collaboration fabriquée qui, affirment ces défenseurs [du programme de torture], a permis le recueil de renseignements abondants qui ont garanti la sécurité des citoyens des USA (cette affirmation est amplement et résolument contredite dans le rapport).

    Comme Les États-Uniens depuis le Beltway (coulisses du pouvoir à Washington, ndlr) jusqu’aux États-Unis profonds débattent – encore – de la légitimité et de l’efficacité des « interrogatoires poussés », il nous est remis en évidence que la « torture » a perdu sa marque d’infamie moralement répréhensible et de comportement criminel. Ceci était clair au cours des primaires présidentielles du Parti Républicain en 2012, où plus de la moitié des candidats ont juré de réintroduire le supplice de la baignoire, et aujourd’hui c’est en plein étalage. À Meet the Press (une émission TV US, ndlr) par exemple, l’ancien Vice-Président Dick Cheney, qui, fonctionnellement parlant, était tout en haut de la hiérarchie de prise de décision sur le sujet de la sécurité nationale durant les années Bush, a annoncé qu’il « le ferait encore dans la minute ».

    Personne n’a du rendre de comptes pour des actes de torture, au-delà d’une poignée de poursuites engagées contre des troupes de grade inférieur et des sous-traitants. Effectivement, l’impunité a virtuellement été garantie par le truchement de divers arrangements faustiens, parmi lesquels des mémos juridiques de « bouclier doré » écrits par des avocats du gouvernement pour la CIA ; l’immunité à postériori pour les crimes de guerre insérée par le Congrès dans la Loi de Provisions Militaires de 2006 ; la confidentialité et le secret qui entourent toujours le programme de torture, tel qu’il transpire des omissions du rapport du Sénat ; et l’attitude incitant à « regarder de l’avant, pas en arrière » qu’a conservé le Président Obama à travers chaque vague de révélations publiques depuis 2009. Une majorité aux USA, semble-t-il, en est venue à accepter l’héritage de la torture.

    La « guerre contre la terreur » n’est pas la première excursion de la CIA dans le domaine de l’expérimentation humaine. À l’aube de la Guerre Froide, des scientifiques et des médecins allemands ayant des parcours nazis d’expérimentations sur les êtres humains ont reçu de nouvelles identités et ont été amenés aux États-Unis au cours de l’Opération Paperclip. Pendant la Guerre de Corée, alarmés par la rapidité choquante avec laquelle les prisonniers de guerre US s’effondraient et se laissaient endoctriner par leurs geôliers communistes, la CIA commença à investir dans des recherches sur le contrôle mental. En 1953, la CIA a mis en place le programme MK-ULTRA, dont la phase la plus précoce comprenait de l’hypnose, des électrochocs et des drogues hallucinogènes. Le programme évolua vers des expériences de torture psychologique qui adaptaient des éléments des modèles soviétiques et chinois, dont la station debout prolongée, l’isolement prolongé, la privation de sommeil et l’humiliation. Ces leçons devinrent bientôt une « science » appliquée, au long de la Guerre Froide.

    Pendant la Guerre du Vietnam, la CIA développa le programme Phoenix, qui combinait la torture psychologique avec les interrogatoires brutaux, l’expérimentation humaine et les exécutions extrajudiciaires. En 1963, la CIA produisit un manuel intitulé « Interrogatoire de Contre-Espionnage Kubark » (« Kubark Counterintelligence Manual », ndlr) pour guider les agents dans l’art d’extraire des renseignements de sources « résilientes », par la combinaison de techniques visant à produire « l’extrême faiblesse, la désorientation et l’effroi ». Comme les communistes, la CIA évita les tactiques qui ciblent violemment le corps en faveur de celles qui ciblent l’esprit, en attaquant systématiquement tous les sens humains afin de produire l’état désiré de collaboration. Le programme Phoenix fut incorporé dans le cursus de l’École des Amériques, et une version du guide Kubark remise à jour, produite en 1983 et intitulée « Manuel d’Exploitation de Ressources Humaines » (« Human Resources Exploitation Manual », ndlr), fut diffusée vers les services de renseignement des régimes de droite en Amérique Latine et en Asie du Sud-Est, au cours de la « guerre globale contre le communisme ».

    Au milieu des années ’80, les pratiques de la CIA devinrent l’objet d’enquêtes parlementaires au sujet d’atrocités soutenues par les USA en Amérique Centrale. Les deux manuels tombèrent dans le domaine public en 1997 à la suite d’une procédure en FOIA (Freedom of Information Act, loi sur la liberté de l’information aux USA, ndlr) de la part duBaltimore Sun. Cela aura semblé être une instance unique.

    Mais nous y revoici. Ceci nous ramène à Mitchell et Jessen. Du fait de leur expérience en tant qu’instructeurs dans le programme militaire SERE (Survival, Evasion, Resistance, Escape – survie, évitement, résistance, évasion, ndlr), après le 11 septembre 2001 ils furent contactés par des hauts fonctionnaires du Pentagone, et par la suite par des avocats qui voulaient savoir si ces techniques SERE pouvaient être appliquées par ingénierie inversée sur des suspects de terrorisme afin de les forcer à parler.

    Le chemin depuis les hypothèses abstraites (SERE peut-il être appliqué par ingénierie inversée ?) jusqu’à l’usage autorisé du supplice de la baignoire et des boîtes de confinement traverse en plein milieu du domaine de l’expérimentation humaine. Le 15 avril 2002, Mitchell et Jessen arrivèrent à un black site en Thaïlande pour y superviser l’interrogatoire d’Abou Zubaydah, le premier « détenu de haute valeur » que la CIA avait capturé [dans le cadre de la « guerre contre la terreur » du Président Bush]. En juillet, Mitchell proposa davantage de techniques coercitives au QG de la CIA, et beaucoup d’entre elles furent approuvées dès la fin juillet. Dès lors jusqu’à la mise au rencart du programme en 2008, au moins trente-huit personnes furent soumises à des tourments psychologiques et physiques, et les résultats furent méthodiquement documentés et analysés. Il s’agit là de la définition textuelle de l’expérimentation humaine.

    Mon propos n’est pas de minimiser l’illégalité de la torture ou des impératifs légaux pour que les criminels répondent de leurs actes. Plutôt, parce que le concept de torture a tellement été disputé et rebattu, je suggère que les aveux des responsables seront davantage publiquement acceptables si nous recadrons le programme de la CIA dans le domaine de l’expérimentation humaine. Si nous le faisons, il deviendra plus difficile de trouver des excuses pour, ou de prendre la défense des coupables en tant que « patriotes » qui ont « agi de bonne foi ». Malgré le fait que la torture soit devenue comme un test de Rohrschach au sein de l’élite politique qui joue avec l’opinion publique pendant les talk-shows du dimanche matin, l’expérimentation humaine ne dispose pas d’une telle communauté d’avocats et de défenseurs.

    Lisa Hajjar

    Traduction : Will Sumer

     

    Sou

  • Russie/UE: guerre de l'énergie

    7 décembre 2014

    L’observation des réactions à l’annulation du projet South Stream a été jubilatoire, mais elle nécessite d’être expliquée très attentivement. Afin de comprendre ce qui est arrivé, il est d’abord utile de revenir sur la façon dont les relations russo-européennes se sont développées au cours des années 1990.

    Le gaz russe va bifurquer vers la Turquie, au Sud, au lieu d'aller vers l'Europe, à l'Ouest

    Le gaz russe va bifurquer vers la Turquie, au Sud, au lieu d’aller vers l’Europe, à l’Ouest

    A l’époque, il ne faisait aucun doute que la Russie deviendrait le grand fournisseur d’énergie et de matières premières de l’Europe. C’était la période de la grande ruée vers le gaz, quand les Européens anticipaient des fournitures russes illimitées et infinies. L’accroissement du rôle du gaz russe dans le mélange énergétique européen a permis à l’Europe de se défaire de son industrie au charbon, de diminuer ainsi ses émissions de CO2 et par ailleurs d’intimider et donner des leçons au monde entier, pour qu’il fasse pareil.

    Cependant, les Européens n’imaginaient pas que la Russie ne leur fournirait que de l’énergie. Ils croyaient fermement que cette énergie russe serait extraite pour eux, et par les sociétés énergétiques occidentales. Après tout, c’était la tendance générale dans la plupart des pays en cours de développement. L’Union européenne qualifie cette méthode de sécurité énergétique (un euphémisme pour justifier l’extraction énergétique dans d’autres pays, sous le contrôle de ses propres entreprises).

    Mais cela ne s’est pas passé ainsi. Bien que l’industrie pétrolière russe ait été privatisée, elle est néanmoins restée principalement entre les mains de Russes. En 2000, peu après l’arrivée de Poutine au pouvoir, la tendance de privatiser l’industrie pétrolière s’est inversée. Une des principales raisons de la colère de l’Ouest a été l’arrestation de Khodorkovski, la fermeture de Ioukos, puis le transfert de ses actifs à la société pétrolière d’État Rosneft, marquant ainsi l’inversion de la politique de privatisation de l’industrie pétrolière.

    Dans l’industrie gazière, le processus de privatisation n’a jamais vraiment démarré. Les exportations de gaz ont continué à être contrôlées par Gazprom, préservant sa position de monopole d’État dans l’exportation de gaz. Depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir, la position de Gazprom comme monopole d’État a été complètement sécurisée.

    Une grande partie de la colère de l’Ouest à l’égard de Poutine s’explique par le ressentiment européen et occidental, de son refus, ainsi que de celui du gouvernement russe, d’éclater les monopoles énergétiques russes et d’ouvrir (c’est un euphémisme) l’industrie aux avantages des entreprises occidentales.

    Un bon nombre d’allégations de corruption, portées régulièrement contre Poutine personnellement, ne sont destinées qu’à insinuer qu’il s’oppose à l’ouverture de l’industrie russe de l’énergie, ainsi qu’à l’éclatement et à la privatisation de Gazprom et de Rosneft, parce qu’il a un intérêt personnel investi en eux, et, dans le cas de Gazprom, qu’il en est en fait le propriétaire. Si l’on examine en détail les allégations spécifiques de corruption portées contre Poutine (comme je l’ai fait), cela devient évident.

    L’ordre du jour visant à forcer la Russie à privatiser et à briser ses monopoles énergétiques n’a jamais disparu. C’est pourquoi Gazprom, malgré le service essentiel et fiable qu’elle assure à ses clients européens, est assujettie à tant de critiques. Quand les Européens se plaignent de la dépendance énergétique de l’Europe à la Russie, ils expriment leur ressentiment d’avoir à acheter du gaz à une seule société d’État russe (Gazprom), et non pas aux sociétés occidentales opérant en Russie.

    Ce ressentiment est lié à la conviction, très ancrée en Europe, que la Russie est, en quelque sorte, dépendante de l’Europe, aussi bien comme client énergétique, que comme fournisseur de finances et de technologie.

    C’est cette combinaison de ressentiment et d’excès de confiance qui se cache derrière les tentatives européennes répétées de légiférer sur les questions énergétiques, afin de forcer la Russie à ouvrir son secteur de l’énergie.

    La première tentative a été ladite Charte de l’énergie, que la Russie a signée, mais a finalement refusé de ratifier. La dernière tentative de l’Union européenne était le dit Troisième paquet énergie. Ce paquet a été présenté comme un développement de la loi anti-concurrence et anti-monopole de l’Union européenne. En réalité, comme chacun le sait, il s’adressait à Gazprom, qui est un monopole, mais bien évidemment pas européen.

    Tel est l’arrière-plan du conflit sur South Stream. Les autorités de l’Union européenne ont insisté pour que South Stream se conforme au troisième paquet énergie [1], bien que celui-ci n’ait vu le jour qu’après que les accords-cadres ont été conclus.

    Conformément au troisième paquet énergieGazprom devait fournir le gaz, mais n’aurait eu ni la propriété de celui-ci, ni le contrôle du gazoduc destiné à l’acheminement.

    Si Gazprom avait accepté cela, il aurait reconnu de fait l’autorité de l’Union européenne sur ses opérations, ce qui aurait constitué, sans aucun doute, le précédent d’une série de futures exigences de changement de ses méthodes d’opération. En fin de compte, cela conduirait à des exigences de changement dans les structures de l’industrie de l’énergie, en Russie même.

    Ce qui vient d’arriver est que les Russes ont dit non. Plutôt que de poursuivre le projet en se soumettant aux exigences européennes, comme s’y attendaient les Européens, les Russes, à l’étonnement de tout le monde, se sont retirés de l’ensemble du projet.

    Cette décision était complètement inattendue. Alors que j’écris cet article, l’air est surchargé de plaintes colériques de la part des pays de l’Europe du sud-est, qui n’ont pas été consultés, ni même informés à l’avance de cette décision. Plusieurs hommes politiques en Europe du Sud-Est (Bulgarie en particulier) s’accrochent désespérément à l’idée que l’annonce russe n’est qu’un bluff (ça ne l’est pas) et que le projet peut encore être sauvé. Du fait que les Européens s’agrippaient à l’idée d’être la seule alternative comme clients pour les Russes, ils ont été incapables de prévoir cette décision et ils sont maintenant incapables de l’expliquer.

    eu-gaz-russie-imports

    Il est primordial d’expliquer pourquoi South Stream est important pour les pays de l’Europe du sud-est et pour l’économie européenne dans son ensemble.

    Toutes les économies du sud-est européen sont en mauvais état. Pour ces pays, South Stream était un projet d’investissement et d’infrastructures vital, assurant leur avenir énergétique. En outre, les frais de transit qui s’y rattachaient auraient assuré une importante source de devises étrangères.

    Pour l’Union européenne, le point essentiel est qu’elle est dépendante du gaz russe. Il y a eu des vastes discussions en Europe sur la recherche d’approvisionnements alternatifs. Les progrès dans ce sens se sont révélés, tout au plus, médiocres. Tout simplement, les fournitures alternatives n’existent pas en quantité nécessaire pour remplacer le gaz que l’Europe reçoit de la Russie.

    Courageusement a été évoquée la livraison de gaz naturel liquéfié venant des États-Unis, pour remplacer le gaz fourni par pipeline de la Russie. Non seulement le gaz étasunien est de manière inhérente plus coûteux que le gaz des pipelines russes, ce qui frapperait durement les consommateurs européens et affecterait la compétitivité européenne, mais il est peu probable qu’il soit disponible en quantité suffisante. Mis à part les probables effets modérateurs de la récente chute des prix du pétrole sur l’industrie de schiste des États-Unis, compte-tenu de ses antécédents de consommateur d’énergie vorace, ce pays consommera la plus grande partie sinon la totalité de l’énergie de schiste qu’il produira. Par conséquent, il est peu probable que les États-Unis puissent exporter grand-chose vers l’Europe. Il n’y a même pas les installations pour le faire, et si jamais elles devaient être construites, il faudrait un bout de temps.

    Les autres sources possibles de gaz de l’Union européenne sont pour le moins problématiques.

    La production de gaz en mer du Nord est en baisse. Les importations de gaz d’Afrique du nord et du golfe Persique sont peu susceptibles d’être disponibles dans les quantités nécessaires, loin s’en faut. Le gaz iranien n’est pas disponible pour des raisons politiques. Bien que cela puisse éventuellement changer, il est probable que les Iraniens (comme les Russes) décideront de diriger leur flux d’énergie vers l’Est, l’Inde et la Chine, plutôt que vers l’Europe.

    Pour des raisons évidentes de géographie, la Russie est la source de gaz la plus logique et la plus économique pour l’Europe. Toutes les autres alternatives impliquent des coûts économiques et politiques qui les rendent rédhibitoires.

    Les difficultés de l’Union européenne à trouver des sources alternatives de gaz ont été cruellement exposées dans la débâcle de l’autre soi-disant projet de gazoduc, Nabucco, pour l’acheminement du gaz du Caucase et d’Asie centrale vers l’Europe. Bien que le projet ait été discuté pendant des années, sa construction n’a jamais démarré, car, économiquement, il n’était pas rationnel.

    Pendant ce temps, alors que l’Europe parle de diversifier ses approvisionnements, c’est la Russie qui matérialise des accords.

    La Russie a scellé un accord clé avec l’Iran pour l’échange de pétrole iranien contre des produits industriels russes. La Russie a également accepté d’investir massivement dans l’industrie nucléaire iranienne. Si les sanctions contre l’Iran sont levées, ce jour-là les Européens trouveront les Russes déjà sur place. La Russie vient de conclure un accord massif de fourniture de gaz avec la Turquie (dont nous parlerons plus loin). Éclipsant ces accords il y a eu cette année la conclusion entre la Russie et la Chine de deux énormes contrats de fourniture de gaz.

    Les ressources énergétiques de la Russie sont énormes, mais pas infinies. Le deuxième accord avec la Chine et celui qui vient d’être fait avec la Turquie, fait pivoter vers ces deux pays le gaz qui était précédemment affecté à l’Europe. Les volumes de gaz impliqués dans l’accord turc correspondent presque exactement à ceux précédemment destinés à South Stream. L’accord turc remplace South Stream.

    Ces offres démontrent que la Russie a pris cette année la décision stratégique de réorienter son flux énergétique à l’écart de l’Europe.

    Même si les effets prendront du temps avant de se faire sentir, les conséquences pour l’Europe seront sombres. L’Europe cherche à combler un sérieux déficit énergétique, et ne sera en mesure de le faire que par l’achat d’énergie à un prix beaucoup plus élevé.

    Les accords passés par la Russie avec la Chine et la Turquie ont été critiqués, et même ridiculisés à propos du faible prix obtenu pour son gaz, par rapport à celui payé par l’Europe.

    La différence réelle du prix n’est pas aussi importante que certains le prétendent. Cette critique ne tient pas compte du fait que le prix ne constitue qu’une partie des relations d’affaires.

    En redirigeant son gaz vers la Chine, la Russie cimente les liens économiques avec le pays qu’elle considère désormais comme son allié stratégique clé, et qui a (ou qui aura bientôt) l’économie la plus importante et la croissance la plus forte du monde. En redirigeant son gaz vers la Turquie, la Russie consolide une relation naissante avec la Turquie et devient maintenant sa plus importante partenaire commerciale.

    La Turquie est un allié potentiel clé pour la Russie, consolidant la position de cette dernière dans le Caucase et la mer Noire. C’est aussi un pays de 76 millions d’habitants, avec un produit intérieur brut de 820 milliards de dollars en 2013 et une forte croissance, qui, ces deux dernières décennies, s’est de plus en plus aliénée et éloignée de l’Union européenne et de l’Ouest.

    Par contre, en déroutant son gaz loin de l’Europe, la Russie s’éloigne d’un marché gazier économiquement stagnant et qui lui est (comme les événements de cette année l’ont démontré) irrémédiablement hostile. Personne ne devrait être surpris que la Russie renonce à une relation qui lui a procuré un flot ininterrompu de menaces et d’abus, combinés avec des leçons moralisatrices, des ingérences politiques et maintenant des sanctions. Aucune relation, d’affaires ou autre, ne peut fonctionner de cette façon et celle existant entre la Russie et l’Europe n’y fait pas l’exception.

    Je n’ai rien dit à propos de l’Ukraine, parce que, à mon avis, cela a peu d’incidence sur ce sujet.

    South Stream était au départ conçu pour répondre aux continuels abus de l’Ukraine, de par sa position de pays de transit (abus qui vraisemblablement continueront). Ce fait a été reconnu par l’Europe, autant que par la Russie. C’est parce que l’Ukraine a de manière persistante abusé de sa position de pays de transit que le projet South Stream a obtenu, bien qu’avec réticence, l’approbation officielle de l’Union européenne. Fondamentalement, l’Union européenne, tout autant que la Russie, avait besoin de contourner l’Ukraine, pour sécuriser ses approvisionnements en énergie.

    Les amis de l’Ukraine à Washington et à Bruxelles n’ont jamais été heureux à ce sujet, et ont constamment fait pression contre le projet South Stream.

    Il faut souligner que c’est la Russie qui a retiré le bouchon sous South Stream, tout en ayant le choix d’aller de l’avant, en acceptant les conditions des Européens. En d’autres termes, par rapport à South Stream, les Russes considèrent les problèmes posés par le transit à travers l’Ukraine comme un moindre obstacle que les conditions imposées par l’Union européenne.

    South Stream aurait pris des années à construire et son annulation n’a par conséquent aucune incidence sur la crise ukrainienne actuelle.

    Les Russes ont décidé qu’ils pouvaient se permettre d’annuler le projet, estimant qu’il était plus avantageux pour leur pays de vendre ses ressources énergétiques à la Chine, à la Turquie et à d’autres pays en Asie (des projets gaziers sont en cours avec la Corée et le Japon, et peut-être aussi avec le Pakistan et l’Inde) plutôt qu’à l’Europe. Considérant la question ainsi, pour la Russie, South Stream a perdu son intérêt. C’est pourquoi, avec la manière directe qui les caractérise, les Russes, plutôt que d’accepter les conditions des Européens, ont préféré saborder le projet.

    Ce faisant, les Russes ont relevé le bluff. En l’occurrence, la Russie loin de dépendre de l’Europe comme client énergétique, a été contrariée, peut-être irrémédiablement, par l’Europe, dont elle est le partenaire clé économique et le fournisseur d’énergie.

    Avant de terminer, j’aimerais dire quelque chose sur ceux qui pâtissent le plus de toute de cette affaire. C’est le cas des pygmées politiques corrompus et incompétents qui prétendent gouverner la Bulgarie. Si ces gens avaient un minimum de dignité et d’orgueil, ils auraient dit à la Commission européenne, quand elle a soulevé le Troisième paquet énergie, d’aller se faire voir. Si la Bulgarie avait clairement affiché son intention d’aller de l’avant avec le projet South Stream, il aurait sans aucun doute été construit. Il y aurait eu évidemment une sacré bagarre au sein de l’Union européenne, parce que la Bulgarie aurait ouvertement bafoué le Troisième paquet énergie, mais elle aurait agi selon ses intérêts nationaux et n’aurait pas manqué d’amis au sein de l’Union européenne. Au bout du compte elle aurait eu gain de cause.

    Le Premier ministre bulgare Plamen Oresharski en bon élève heureux, au centre des sénateurs américains John McCain, Ron Johnson (à sa gauche) et Chris Murphy à sa droite), le 8 mai 2014 (photo : Gouvernement bulgare)

    Le Premier ministre bulgare Plamen Oresharski en bon élève heureux, au centre des sénateurs américains John McCain, Ron Johnson (à sa gauche) et Chris Murphy (à sa droite), le 8 mai 2014 (photo : Gouvernement bulgare)


    Au lieu de cela, sous la pression de personnes comme le sénateur John McCain, les autorités bulgares se sont comportées comme les politiciens provinciaux qu’ils sont, et ont essayé de courir après deux lièvres à la fois, l’Union européenne et la Russie.

    Le résultat de cette politique imbécile a été d’offenser la Russie, son allié historique. Ainsi, le gaz russe, au lieu d’approvisionner et de transformer le pays, s’écoulera désormais vers la Turquie, son ennemi historique.

    Les Bulgares ne sont pas les seuls à avoir agi d’une façon si timorée. Tous les pays de l’Union européenne, même ceux qui sont historiquement liés avec la Russie, ont soutenu divers paquets de sanctions de l’Union européenne contre les Russes, malgré les doutes qu’ils ont exprimés au sujet de cette politique. L’année dernière, la Grèce, un autre pays avec des liens étroits avec la Russie, est sortie d’un accord, pour vendre sa société de gaz naturel à Gazprom (qui offrait le meilleur prix), parce que l’Union européenne l’a désapprouvé.

    Cela évoque une morale plus générale. Chaque fois que les Russes agissent de la manière qu’ils viennent de le faire, les Européens réagissent avec perplexité et colère, et il y a beaucoup de cela en ce moment.

    Les politiciens de l’Union européenne, qui prennent les décisions à l’origine des actions russes, semblent agir convaincus que c’est très bien pour l’Union européenne de sanctionner à volonté la Russie, mais que cette dernière ne fera jamais la même chose à l’Union européenne. Quand la Russie le fait, il y a de l’étonnement, toujours accompagné d’un flot de commentaires mensongers à propos du comportement agressif de la Russie, qui agit contrairement à ses intérêts ou affirmant qu’elle aurait subi une défaite. Rien de tout cela est vrai, comme la colère et les récriminations qui se propagent actuellement dans les couloirs de l’Union européenne (dont je suis bien informé) en témoignent.

    En juillet 2014, l’Union européenne a cherché à paralyser l’industrie pétrolière russe en sanctionnant l’exportation de la technologie de forage pétrolier. Cette tentative échouera certainement, car la Russie et les pays avec qui elle négocie (dont la Chine et la Corée du Sud) sont parfaitement capables de la lui fournir.

    En revanche, par le biais des accords conclus cette année avec la Chine, la Turquie et l’Iran, la Russie a porté un coup dévastateur à l’avenir énergétique de l’Union européenne. Dans quelques années les Européens commenceront à découvrir que faire la morale et s’adonner à des bluffs, a un prix. Peu importe, en annulant South Stream, la Russie a imposé à l’Europe la plus efficace des sanctions que nous ayons vues cette année.

    Alexander Mercouris

    Note

    [1] Présenté en janvier 2007, le troisième paquet énergie a été adopté le 13 juillet 2009. Il concerne notamment, dans le domaine du gaz et celui de l’électricité (Wikipédia, français)

    Source : The Importance Of The Cancellation Of South Stream (vineyardsaker, anglais, 03-12-2014)

    Pour approfondir

    Déjà publié d’Alexander Mercouris

    Source: vineyardsaker.fr/

    Publié par : http://arretsurinfo.ch

  • Sexualité et enfance

    Sexualité et enfance : l’académie de Nantes recommande de cacher un livre aux parents

    Le rec­to­rat de l’académie de Nantes recommande des lec­tures à étudier en cachette, signale Directmatin. La fiche de lec­ture aca­dé­mique du livre jeu­nesse Que font les petits gar­çons ? de Nikolaus Heidelbach encou­rage en effet les ensei­gnants à ne pas lais­ser les élèves rap­por­ter à la mai­son cet album.

    L’académie craint que ce livre « dérange », car abor­dant deux sujets ordi­nai­re­ment « tabous » dans la lit­té­ra­ture jeu­nesse : « la mort et la sexua­lité ». Ce « cata­logue assez scan­da­leux de l’activité des petits gar­çons » peut donc être lu en classe, mais en évitant dans la mesure du pos­sible que les parents l’apprennent.

    « Impératif » que l’album ne soit pas emmené à la maison

    « Il est impé­ra­tif que la phase de décou­verte ait lieu en classe et que les albums ne soient pas emprun­tés pour être emme­nés à la mai­son. Les réac­tions très néga­tives de cer­tains adultes à l’égard du livre pour­raient com­pro­mettre son exploi­ta­tion », est-il indi­qué en gras dans la notice de recom­man­da­tion de lec­ture, repé­rée par des internautes.

    La décou­verte a sus­cité un débat sur les réseaux sociaux et l’indignation de nom­breux parents d’élèves. Un parent dénonce notam­ment « un manque de loyauté inima­gi­nable », et se demande « quelle confiance accor­der à une ins­ti­tu­tion qui pré­tend nous cacher ce qu’on donne à lire à nos enfants ». Cette polé­mique tombe mal, alors que le minis­tère de l’Éducation natio­nale s’est fixé comme prio­rité d’améliorer les rela­tions entre l’école et les familles.

    Le rec­to­rat a rapi­de­ment retiré de son site la fiche de lec­ture, datée de juin 2004, afin de « ne pas mettre d’huile sur le feu », mais le docu­ment cir­cule encore sur Internet :

     

     

    Addendum E&R

    Quelques illustrations tirées du livre :

     

     

  • Pierre Torres (Journaliste, ancien otage en Syrie)

    « J'ai commis l'erreur de collaborer avec les services de l'antiterrorisme français »

    Le Monde | 17.09.2014 à 08h37 • Mis à jour le 17.09.2014 à 12h41 | Par Pierre Torres (Journaliste, ancien otage en Syrie)

    Juin 2014, me voilà au siège de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) avec mes anciens co-otages. Nous sommes face à plein de gens sûrement très importants qui nous expliquent en chœur qu'ils ont Nemmouche et qu'il était peut-être l'un de nos geôliers en Syrie. Ils précisent que, en théorie, ils ont la possibilité de le garder encore des jours et des jours mais que bon, comme ils l'ont déjà depuis un moment, ils vont devoir le refourguer aux Belges.

    Lire aussi (édition abonnés) : Le djihadiste Mehdi Nemmouche, geôlier des ex-otages en Syrie

    On sait que la police peut à peu près tout faire avec ceux que l'on soupçonne d'être terroristes, mais là, il y aurait urgence et il faut que nous rappliquions dare-dare pour déposer. Certes, l'oiseau en question n'est pas près de s'envoler et quand bien même il aurait participé à mon enlèvement, quoi qu'il arrive, il n'est pas tout à fait près de sortir de prison. Mon témoignage n'a donc non seulement aucun intérêt pratique à ce moment-là, mais il n'en a aucun dans l'absolu.

    GRAVITÉ DE LA SITUATION

    Parmi nos hôtes d'importance, Camille Hennetier, procureure, qui dirige le parquet antiterroriste. Elle nous promet qu'aucune instruction ne sera ouverte contre ce suspect, au sujet de notre enlèvement, tant qu'un danger pèsera sur les otages occidentaux. Elle attendra que la crise soit finie. Elle comprend la gravité de la situation. Elle nous rassure.

    Trois mois s'écoulent jusqu'à ce qu'une lecture audacieuse de l'actualité pousse on ne sait qui à décréter que le temps était venu de révéler le contenu de nos dépositions. Qu'il est facile d'être audacieux lorqu'on n'est pas en Syrie enfermé entre quatre murs !

    Depuis l'assassinat de James Foley, le 19 août, de nombreuses informations ont fuité et de nombreux mensonges ont été proférés. Cela au détriment des familles de ceux encore détenus en Syrie. Les mensonges peuvent émaner de n'importe qui, pas les fuites. Ou plutôt si, nos dépositions ont pu fuiter par n'importe quel bout de l'antiterrorisme français mais pas sans l'aval et l'intérêt de tous.

    Aux questions telles que : « Reconnaissez-vous Medhi Nemmouche ? Est-il le sarcastique et pétulant jeune homme que l'on dit ? », il me faut répondre par une autre question : pourquoi le parquet, la Direction générale de la sécurité intérieure ou on ne sait quel juge, donnent-il accès à des dépositions qui, un jour ou l'autre, seront légalement rendues publiques ? Lequel d'entre eux a-t-il perdu à Action ou vérité ?

    OPÉRATION DE PROMOTION

    Cela relève évidemment de l'opération de promotion. Promotion de quoi ? Nous ne le savons pas encore – promouvoir la nouvelle loi antiterroriste en discussion au Parlement, démontrer que « les services » servent à autre chose qu'à mettre en examen des adolescentes de 14 ans « pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » –, nous verrons bien. Ce qui est certain, c'est que la seule chose qui puisse justifier la mise en danger des autres otages, c'est que quelqu'un ou quelque institution policière a vu là la possibilité de se faire mousser.

    Du point de vue des organisateurs de cette fuite, l'opération a bien fonctionné. « Jeune-délinquant-Arabe-Syrie-attentat-France-terrorisme-antiterrorisme », toute l'artillerie sémantique est déballée afin de finir de nous convaincre que nous avons toutes les raisons d'avoir peur. Nemmouche n'est pas un monstre. C'est un sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire. Ses raisons d'aller en Syrie se rapprochaient probablement plus de celles qui, à un certain degré, mènent des adolescents américains à abattre toute leur classe ou certains de nos contemporains à participer à une émission de télé-réalité, qu'à une quelconque lecture du Coran. Ce qu'il incarne, c'est une forme particulièrement triviale de nihilisme. Il est, à cet égard, un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites humiliations, stigmatisations et injustices. L'empilement sans fin de nouvelles lois antiterroristes en est l'une des facettes.

    Lire aussi : Mehdi Nemmouche : ce que l'on sait de son parcours

    In fine, tout le discours antiterroriste est ce qui auréole un Nemmouche de gloire. Sans cela, il aurait été considéré pour ce qu'il est, un pauvre type qui assassine des gens pour passer à la télé. En retour, on peut donner toujours plus de pouvoirs aux policiers et aux juges de l'antiterrorisme. Pouvoirs qui ne permettront évidemment pas d'arrêter plus de Nemmouche mais qui, en revanche, resserrent encore un peu plus le maillage policier et le contrôle de la population.

    Ces nouvelles prérogatives concernent des restrictions de circulation et d'expression pour certaines personnes dont le profil sera considéré à risque par un ou plusieurs Big Brothers bienveillants : la possibilité pour des parents d'inscrire leurs enfants aux fichiers des personnes recherchées ; une association de malfaiteur à une seule personne – un humour auquel Nemmouche sera des plus sensibles. Et, glissé subrepticement dans le tas, un arsenal de pénalisation de la cybercriminalité qui s'attaquera davantage à des initiatives de libre information comme WikiLeaks, plus qu'à des poseurs de bombe sur Internet.

    J'admets avoir commis une erreur en collaborant avec le service de police politique qu'est l'antiterrorisme. Cela va à l'opposé des positions et des combats que représente mon engagement de journaliste. Je m'en excuse auprès des familles de ceux que cette négligence a mis en danger.

     

    • Pierre Torres (Journaliste, ancien otage en Syrie)