Quatre personnalités "pro-palestiniennes" ou "anti-sionistes" ont été visées en quelques mois par une pratique appelée le "swatting" : les forces de l’ordre sont envoyées chez la victime par de faux appels téléphoniques. Pour Pierre Stambul, président de l’Union Juive Française pour la Paix, visé le 9 juin, le hacker franco-israélien Ulcan serait derrière ces attaques à distance. Ce dernier nie toute implication (mais est félicité pour l'agression par ses partisans sur Facebook).
"Il était 3h50 du matin lorsque les policiers du RAID sont rentrés de force chez la voisine et ont pointé un pistolet sur elle en criant «on cherche M. Stambul». [...] J’ai immédiatement été plaqué au sol, tutoyé, insulté, menotté avec des menottes qui vous blessent les poignets et se resserrent dès que l’on bouge." raconte à Politis Pierre Stambul, co-président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), organisation juive pro-palestinienne et anti-sioniste. La cause de cette intervention particulièrement musclée du Raid, dans la nuit du 8 au 9 juin ? Un appel à la police d’une personne qui s’est faite passer pour Stambul et qui assurait avoir tué sa femme. Une pratique appelée "swatting" (de l'anglais SWAT, nom des forces d'élite américaines) dont le but était ici d’empêcher une réunion publique que Stambul devait animer le lendemain, pour le compte de l’UJFP et l’association BDS France (qui défend le boycott d’Israël), sur le thème : "Antisemitisme/antisionisme : à qui profite l’amalgame ?" (réunion à laquelle il a finalement pu participer).
Pierre Stambul a décrit la scène et montré les dégâts causés par le Raid à France 3
Contacté par @si, Stambul assure avoir été blessé lors de cette "visite" des forces d’élite de la Police nationale : "Je sors de chez le médecin. J’ai un énorme hématome au pied qui m’empêche quasiment de marcher". Menotté par les forces de l’ordre, qui pouvaient pourtant constater que sa femme était toujours en vie, il a par ailleurs passé sept heures en garde à vue, suspecté d'être à l’origine des fausses déclarations.
Il rapproche son agression de celles subies par d’autres personnalités proches de sa mouvance, dont l’autre co-président de l’UJFP, Jean-Guy Greilsamer, chez qui la police est venue le 2 mars, ou une membre de l’UJFP, Pessi Borell, trois jours plus tard. Le lendemain du swatting de Stambul, c’était enfin au domicile parisien de l’ancien député et ex-président de l’association France-Palestine Solidarité Jean-Claude Lefort que la police frappait (mais ce dernier n’était alors pas chez lui).
UN CANULAR "TRÈS BIEN MONTÉ"
Tous attribuent plus ou moins directement la responsabilité au hacker franco-israélien ultra-sioniste Grégory Chelli, alias Ulcan, sans pouvoir le prouver pour le moment. "Ulcan ne gagnera pas, on part à Toulouse dans un petit moment", lançait ainsi, à chaud, Stambul. "J’ai alors pensé à un individu ultra-sioniste et très agressif qui depuis Israël a utilisé le même mode opératoire", estimait de son côté Greilsamer peu de temps après son agression.
Mais Pierre Stambul va plus loin en évoquant une complicité des autorités israéliennes, dans le contexte d’une "hystérie israélienne autour du boycott". Pour arriver à cette conclusion, il s’appuie sur la technique employée par la personne à l’origine de l’attaque. Selon le préfet de Marseille, Laurent Nuñez, la police a procédé à un contre-appel, c’est-à-dire qu’ils ont rappelé le téléphone de Stambul pour s’assurer que le premier appel venait bien de lui. Or, c’est de nouveau la personne à l’origine de la fausse alerte qui a répondu. Une technique plus complexe que le simple fait d’appeler en camouflant son numéro avec celui d’une autre ligne ("spoofing"), et qui prouverait selon Stambul les moyens importants à la disposition d’Ulcan.
Le préfet y voit plutôt la marque de pirates doués. En rappelant, les policiers "sont retombés sur le même individu - une manipulation possible pour des personnes sachant manier certaines techniques de piratage -, qui leur a cette fois-ci dit que sa femme était morte [et qu'il attendait la police] avec un fusil. C'est ce contre-appel qui a déclenché l'opération du Raid", détaille ainsi le préfet, cité par Le Figaro.
Cette technique du contre-appel, insuffisante dans le cas de Stambul, avait été imposée aux commissariats par le ministère de l’Intérieur suite à une précédente vague d’appels du même type en juillet 2014, qui visaient spécifiquement le journaliste de Rue89 Benoit Corre (sur notre plateau ici), dont le père est mort d’une crise cardiaque quelques jours après l’irruption des forces de l’ordre chez lui, mais aussi le fondateur de Rue89, Pierre Haski. Pour Laurent Nuñez, cité par Mediapart, Stambul a donc été victime d’un "canular très bien monté" par un "hacker" pour l'instant encore non identifié. Concernant l’implication d’Ulcan, Nuñez a admis que l’incident correspond à ce dont est capable Chelli, "autant sur le mode opératoire que sur les cibles".
"ULCAN NIE FORMELLEMENT TOUT LIEN AVEC CETTE AFFAIRE"
Pourtant, Ulcan lui-même a nié "formellement tout lien avec cette affaire", au site JSS News, proche de la droite israélienne. Il accuse même Stambul d'avoir prévenu lui-même la police pour faire sa promotion. Également évoqué comme suspect lors de "canulars" contre deux animateurs de l’émission Touche pas à mon poste (D8) et celui d’un Youtubeur jeu vidéo, Ulcan avait déjà indiqué ne pas en être le responsable. Il n’écartait toutefois pas que ces agressions émanent d’utilisateurs de son tchat "Viol vocal", estimant n’être pas responsable de ce qui s’y passait : "Je ne suis pas l'auteur des swattings de TPMP, ni de celui de BIBIX. Je ne suis pas non plus responsable des 6000 membres de vvocal.com, tout comme Bill Gates n'est pas responsable de tous les appels passés via Skype."
Cependant, les "fans" d’Ulcan sur Facebook sont tous persuadés que Chelli est bien derrière le "swatting" de Pierre Stambul et rivalisent d’insultes contre le président de l’UJFP. Des félicitations auxquelles Ulcan ne répond à aucun moment pour nier son implication.
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Surtout, ce n’est pas la première fois qu’Ulcan nie être à l’origine d’attaques… même s’il revendiquait dans un premier temps les avoir commises. Ainsi, après plusieurs semaines où il narguait ouvertement les équipes de Rue89 et revendiquait le harcèlement, il avait finalement nié être à l'origine du hacking du site et avait minimisé la gravité des attaques contre les journalistes (@si vous en parlait ici). Un rétropédalage qui pourrait être lié aux nombreuses procédures en cours qui le visent toujours en France.
Un évènement en particulier pourrait également expliquer son changement de comportement : selon Mediapart, "fin octobre 2014, le hacker a été arrêté et placé en garde à vue, puis relâché après 48 heures d'interrogatoire par les policiers d'Ashdod (Israël), où il réside. L’ambassade d’Israël en France venait de publier un communiquéassurant aux autorités françaises leur volonté de coopérer dans le traitement judiciaire de cette affaire, même si les deux pays ne disposent d'aucune convention d'extradition." Un élément déjà donné par France Info en octobre dernier.
Problème : Le Point a depuis démenti cette information. "Contrairement à ce qui a pu être relayé il y a quelques mois, Ulcan n'a fait l'objet d'aucune mesure de garde à vue en Israël où il est réfugié", écrit ainsi l'hebdo. Surtout, contacté par @si, le journaliste de France Info à l’origine de l’information confesse que "s’il avait bien pu recoupé l’information à l’époque", il n’est plus forcément "certain" de ce qu’il avançait. "J’avais eu des informations par la suite sur le fait qu’il avait été arrêté, mais pour des motifs totalement différents des affaires françaises. Mais c’était invérifiable et je n’ai jamais eu le fin mot de cette histoire, donc je suis passé à autre chose."
En plus des canulars téléphoniques, Ulcan a aussi revendiqué l’attaque de plusieurs sites, dont France Info, France Inter, Mediapart mais aussi @rrêt sur Images. L'occasion de revoir notre émission sur l'affaire Ulcan : "Benoit, ils ont dit que tu étais décédé !"
MAJ 17 juin 2015 : Ajout du démenti du Point et de la réaction de journaliste de France Info sur une possible arrestation de Chelli à Ashdod.