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Un autre regard sur la Syrie

Pourquoi ne pas reconnaître le Rojava ?

 
Carol Mann, sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflit armé, directrice de l’association Women in War est de retour de Syrie. Elle pose un regard critique sur le traitement médiaitique des événements qui ont endeuillé la France et la Tunisie. Et rappelle le silence autour des combats du Rojava.

 

Revenant tout juste d’un voyage au Rojava, au nord-est de la Syrie, je ne peux que m’indigner de la façon dont les médias occidentaux, dont la France, réagissent aux attentats terroristes perpétrés vendredi sur divers partie du globe.



En France, on a surtout souligné ce qui s’était déroulé en Tunisie et en France, pour mettre en exergue, comme l’affirme l’éditorial du Monde du dimanche 27 juin dernier « une réaffirmation ferme unanime et permanente de nos valeurs démocratiques ». Comme si ce lien ne concernait pas d’autres carnages mentionnés au passage, soit le Koweït, la Somalie et plus particulièrement en ce qui concerne la démocratie, celui qui a eu lieu à Kobané, dans le Kurdistan syrien. Ce massacre a fait plus de victimes qu’ailleurs (plus de 200 et autant de blessés) sans compter les 70 personnes qui sont encore otages aux mains de terroristes.



En janvier 2014, la ville de Kobané, on s’en souviendra, a finalement été prise aux forces de l’E.I. par l’armée du Kurdistan syrien appelé « Rojava », région kurde au nord-est de la Syrie, autonome depuis la fin 2013. Elle est dirigée par le Parti d’Union Démocratique (PYD), lié au PKK en Turquie, gérée par un binôme masculin-féminin, Salih Muslim et Asya Abdullah, reçue en février dernier par le Président Hollande sans qu’un quelconque accord d’aide ne s’ensuive. La présence d’hommes et de femmes à la tête de toutes les institutions est une caractéristique du Rojava, y compris dans l’armée où 40% des effectifs sont des jeunes femmes, les fameuses combattantes kurdes tant médiatisées.

Le Rojava non seulement conduit la principale campagne militaire cohérente contre les djihadistes de l’EI (en dépit du manque chronique d’armement). Mais il leur oppose une idéologie démocratique, unique dans cette aire géographique, fondée sur ce qui est appelé le communalisme libertaire (basé sur les théories tardives du penseur anarchiste américain Murray Bookchin), pacifique et égalitaire que le leader turc emprisonné Abdullah Ocalan a adopté depuis quelques années, opérant une reconversion radicale du Marxisme-Leninisme violent qui caractérisait autrefois le PKK. Contrairement au Kurdistan irakien avec lequel les médias confondent le Rojava (délibérément ? on peut se le demander), le PYD ne nourrit pas la moindre ambition territoriale et cherche simplement à être une région autonome dans une Syrie pacifique et démocratique. Ici toutes les nationalités et les religions ont le droit de citoyenneté, à condition de se conformer à la législation égalitaire tout à fait opposée à tous les pays de la région où la Charia et son code de la famille dominent.



Le Rojava constitue le seul rempart militaire et idéologique contre le délire fasciste des jihadistes de l’État Islamique. Pourquoi donc ce silence véritablement mortifère ? Alors que le PKK est toujours sur la liste des organisations terroristes (ce qui n’est plus le cas depuis peu du Hamas), le PYD n’y a jamais figuré. Pourquoi alors ce silence de la part des médias et des pouvoirs, en particulier en France ? C’est que la reconnaissance ouverte du Rojava mettrait en cause les alliances tissées entre la France. Principalement notre grand allié de l’OTAN, la Turquie qui laisse libre passage aux recrues de l’EI qu’ils soutiennent sans discrétion, et les Émirats, ces derniers étant, eux aussi des bailleurs de fonds de l’E.I. ainsi que de nombreuses institutions françaises (le Qatar pour le PSG et les mosquées salafistes entre tant d’autres). Le prix à payer pour une équipe de football se compte en candidats français et françaises pour le Djihad, celles-ci étant toujours plus nombreuses à gagner la Syrie par la Turquie. Des jeunes venus du monde entier rejoignent eux-aussi (mais discrètement) la révolution du Rojava (ce qui sera le sujet d’un article que je publierai prochainement).



Reconnaître le Rojava et l’urgence de l’armer signifierait également l’obligation d’admettre l’échec cuisant de la coalition internationale contre l’E.I. qui, au bout d’un an d’existence, est plus fort que jamais. On a voulu combattre le « terrorisme » (jamais vraiment explicité) comme s’il s’agissait de l’ébola ou d’un tsunami, autrement dit en évacuant toute dimension politique qui mettrait en cause les principaux acteurs, y compris la France et ses partenaires politiques et économiques.
Il faut à présent choisir son camp. Arrêter de faire une publicité sournoise et continue à l’EI en les présentant comme invincibles. Car ils ne le sont pas, loin s’en faut si nos gouvernements veulent bien agir autrement. Au centre des prises de position qui s’avèrent essentielles se situe le choix rationnel des alliances et une réflexion sur notre stratégie géopolitique actuelle fondée sur des priorités économiques quasiment suicidaires. Et en même temps, soutenir le Rojava comme seule option démocratique de la région est centrale à toute solution pacifique pour mettre fin à une série de conflits dans laquelle la planète entière est en train de sombrer.

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