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Politique de l'Empire - Page 5

  • Les drones américains

    Les drones américains au Moyen-Orient contre le droit international 

    11 novembre 2013

    IA : L'utilisation de drones pour cibler les « terroristes » ne respecte pas les règles du droit international, et encore moins les normes morales qui sont censées d’encadrer les politiques et les pratiques de nos « démocraties » dans le cadre des soi-disant « guerres humanitaires ». Ben Emmerson, Rapporteur Special des Nations Unies, se plonge sur cette question, en analysant la relation entre anti-terrorisme et droits de l’homme. Ce discours concerne le lancement d’une enquête internationale sur l’impact de l’utilisation de ces machines de mort et autres formes d’élimination programmée à distance sur les civils et sur les droits de l’homme, à l’occasion des actions d’anti-terrorisme et de contre-insurrection. Mais alors, qui provoque la vraie terreur ?

    En Juin de l’année passée, au Conseil des Droits de l’Homme à Genève, un groupe d’états, incluant deux membres permanents du Conseil de Sécurité, ainsi que le Pakistan et un certain nombre d’autres Etats concernés, ont fait une déclaration conjointe demandant de mener une enquête, durant le mandat en cours, sur l’utilisation des drones dans le contexte des opérations anti-terrorisme.
    J’ai déclaré peu après cela que les Etats utilisant cette technologie, ainsi que les Etats qui sont la cible de celle-ci, sont sujets au droit international qui oblige à établir des enquêtes indépendantes et impartiales lorsque quelque attaque d’un drone a selon toute probabilité pu causer des pertes civiles. J’ai aussi indiqué que si ces Etats ne mettaient pas en œuvre des enquêtes suffisamment solides et impartiales, il pourrait s’avérer nécessaire, en dernier recours, que les Nations Unies mènent des enquêtes sur des frappes de drones individuelles.
    L’enquête que je lance aujourd’hui est une réponse directe aux demandes qui m’ont été faites par ces Etats au Conseil des Droits de l’Homme en Juin dernier, ainsi qu’à la préoccupation internationale grandissante au sujet des frappes programmées à distance via l’utilisation des UAVs (Véhicules Aériens sans pilotes, Drones). L’augmentation exponentielle de l’utilisation de la technologie des drones dans une série de contextes militaires et non-militaires représente un défi réel dans le cadre du droit international et c’est à la fois une question de principe, et une réalité politique incontournable, la communauté internationale devrait focaliser son attention sur les standards applicables à ce développement technologique, tout particulièrement son déploiement dans des contextes d’anti-terrorisme et de contre-insurrection, et chercher à atteindre un consensus sur la légalité de son utilisation, et les standards de sauvegardes qui devraient s’y appliquer.
    Le fait est que cette technologie va perdurer, et que son utilisation dans le cadre de conflits est une réalité avec laquelle le monde doit s’accommoder. Il est dès lors impératif de mettre en place des structures opérationnelles appropriées et légales pour réguler son utilisation de telle façon qu’elle respecte les exigences du droit international, y compris les droits de l’homme internationaux, le droit humanitaire international (ou le droit de guerre comme il est couramment appelé), et le droit international des réfugiés.
    Il y a pour l’instant au moins trois théories légales principales en lices pour la primeur sur cette question. Il y a ceux qui considèrent qu’en dehors de situations avérée de conflit armé international, le cadre applicable est le droit de l’homme international, sous lequel il est tout à fait illégal d’engager des frappes programmées à distance sous quelque forme que ce soit. Les standards établis dans l’Alliance des Droits Civils et Politiques, et tout particulièrement les provisions de l’article 6 qui protège le droit à la vie, permet l’utilisation d’une force létale uniquement si c’est strictement nécessaire et dans une optique d’auto-défense immédiate. D’après cette analyse, les Etats désirant passer à l’action contre des éléments suspectés d’être des terroristes et hors du cadre de conflit armé international, doivent d’abord tenter une arrestation, et ensuite utiliser la force létale uniquement si cette personne résiste à l’arrestation et qu’il s’avère strictement nécessaire d’avoir recours à cette solution.
    À l’autre bout de ce spectre d’idées, on retrouve une analyse qui a été promue par les avocats internationaux des Etats Unis, et par John Brennan, nommé à la tête de la CIA par le Président Obama, considère que les démocraties occidentales sont engagées dans un conflit global contre un ennemi sans Etat, sans frontières géographiques sur le terrain, et sans limite de temps. Cette analyse est fortement discutée par la plupart des Etats, et par la majorité des avocats du droit international hors des Etats Unis d’Amérique.
    Une troisième analyse consiste à évaluer si une organisation terroriste est engagée dans un conflit armé interne (ou non-international) contre un gouvernement en particulière, comme les gouvernements du Pakistan, du Yémen et de Somalie ; et ensuite évaluer si et dans quelles circonstances il est légal pour un tierce état d’entrer en guerre dans ce conflit interne armé pour soutenir les forces gouvernementales. Il est clair qu’en termes de droit international, une intervention de la sorte pourrait être légale si elle a lieu sous la demande exprimée par le gouvernement de l’Etat concerné. C’est beaucoup moins évident dans le cas où une nation étrangère comme les Etats Unis utilisent la force militaire sans le consentement de l’Etat concerné.
    Les avocats du droit international sont en désaccord sur la question de savoir si un consentement tacite ou un acquiescement sont suffisants ; ou si le déploiement de la technologie des frappes à distances dans de telles circonstances constitue une violation de la souveraineté de l’Etat dont le territoire en est la cible ; ou si cela pourrait cependant être légal si l’Etat concerné est soit contraire, soit incapable de prendre des mesures contre ces menaces terroristes de la part d’un groupe d’insurrection opérant sur son territoire.
     L’absence d’un consensus sur ces questions très fondamentales de droit international est le centre d’un débat intense aux Nations Unis en ce moment, et sera l’objet d’une série de discussion de haut niveau et de négociations entre Etats et experts dans les années qui viennent, avec pour but de trouver une entente sur ces points de vues fort divergents. La réalité, c’est que le monde est face à un nouveau développement technologique qui n’est pas facilement acceptable dans le cadre légal existant, et aucune des analyses qui ont été émises n’est entièrement satisfaisante ou complète. La situation légale en Afghanistan par exemple, où il y a un conflit armé international reconnu, est très différente de celle des Zones Tribales Administrées Fédéralement au Pakistan, qui est à son tour très différente du Yémen ou du Territoire Palestinien Occupé (OPT). Et même dans un pays comme le Yémen, il pourrait y avoir des zones du pays dans lesquelles certains pourraient voir un conflit armé interne, tandis que dans d’autres zones du pays, ce n’est clairement pas le cas.
    Etant donné la relative facilité avec laquelle cette technologie peut être déployée, et étant donné son coût relativement peu élevé (à la fois économiquement et en termes de risque de vie pour le personnel en service pour l’Etat qui a recours à cette technologie), la question doit désormais être traitée avec fermeté par la communauté internationale. Et par cela, je ne veux pas dire juste un pacte tacite ou vite-fait par des gouvernements derrière des portes closes. Je veux dire que des efforts doivent être faits pour obtenir un consensus parmi les citoyens des gouvernements représentés. Après tout, les Etats qui déploient cette technologie à des fins militaires sont pour la plupart des Etats démocratiques.
    Je voudrais aussi clarifier que ces questions légales ne sont pas confinées à l’usage de drones. En ce qui concerne le droit, elles s’appliquent à toute utilisation de force armée, incluant les avions avec présence humaine et les frappes de missiles pour des éliminations télécommandées. Mais c’est l’usage de ces drones qui a propulsé cette question au sommet de l’agenda international, car ils peuvent être (et l’ont été) utilisés avec une apparente facilité et fréquemment, avec des effets dévastateurs, sans mettre en péril la vie de pilotes. Etant donné que cette technologie est déployée régulièrement sur des cibles qui sont profondément ancrées dans des populations civiles dans des zones tribales du Pakistan et du Yémen par exemple, des voix s’élèvent du fait du taux de risque inacceptable d’avoir des victimes parmi les civils.
    L’objectif central de la présente enquête est de regarder les preuves qui démontrent que des frappes de drones et autres formes de frappes télécommandées à distance ont causé des dommages civils disproportionnés dans certains cas, et d’émettre des recommandations concernant le devoir des Etats de conduire des enquêtes approfondies et impartiales au sujet de ces allégations, avec un égard particulier visant à s’assurer des responsabilités et des remédiations là où les choses sont visiblement allées fortement de travers, avec des conséquences potentiellement graves pour les civils.
    Mon mandat a reçu un nombre conséquent de plaintes se référant à des frappes individuelles, et mon équipe à Genève a commencé à étudier certains incidents.De manière à formuler des recommandations à l’Assemblée Générale à ce propos, j’ai sélectionné une petite équipe d’experts pour m’assister dans ma tâche d’identification des cas où il semble possible que des opérations télécommandées de cette nature aient pu causer des pertes civiles, et à conduire une enquête approfondie sur les preuves disponibles. Nous proposons de nous focaliser sur 25 cas d’études au Pakistan, Yémen, Somalie, Afghanistan, et en Territoire Palestinien Occupé, et d’examiner les preuves en détail en veillant à déterminer si il est plausible que des tueries aient eu lieu en dehors de la loi, ce qui déclencherait obligatoirement une enquête du droit international, qui s’impose à la fois sous la perspective du droit humain international et des droits de l’homme.
    Il n’y a bien sûr pas de substitut aux enquêtes officielles effectives indépendantes par les états concernés. Je n’anticipe pas non plus que cela va résulter dans un dossier de preuves capable de mener directement à l’attribution de responsabilité – criminelle ou civile – légale. Le but de cette enquête est de m’aider à mettre ces allégations plausibles sous le regard des Etats pour une réponse, et de rapporter mes découvertes à l’Assemblée Générale à l’automne 2013, en veillant à faire les recommandations pour d’ultérieures actions au niveau des Nations Unis s’il s’avère que c’est justifié par les découvertes de mon enquête.
    L’enquête sera divisée en trois phases. La première phase, dont la fin est attendue pour fin mai, est le rassemblement de preuves. Durant cette période, mon équipe va travailler avec des avocats, des journalistes et des ONG qui travaillent sur le terrain, ainsi qu’avec des ONG internationales. Je vais aussi consulter directement les Etats concernés via mon bureau à Genève. J’espère mener une série de visites dans des pays incluant le Pakistan, le Yémen et le Sahel. La seconde phase, qui s’étendra de fin mai jusqu’à fin juin, est une phase de consultation durant laquelle je vais recueillir les vues et réponses des Etats concernés à propos des cas d’étude particuliers sur laquelle mon enquête porte. La troisième phase, de fin juin à fin septembre, sera une phase d’évaluation, et d’élaboration de mon rapport final. J’espère présenter mon rapport, ainsi que mes conclusions et recommandations, à l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York en octobre de cette année.
    Je voudrais clarifier que j’approche cette enquête avec un esprit tout à fait ouvert sur les allégations qui ont été portées à mon attention, et que je ne me suis pas encore forgé d’opinion sur les difficiles questions légales qui en dérivent. L’objet de mon mandat est d’établie des faits de manière aussi fiable que possible, gardant à l’esprit les obstacles pratiques significatifs qui existent pour conduire une collecte de preuves fiables sur le terrain au Waziristân, au Yémen, en Afghanistan et en Somalie.
    Cette enquête qui sera coordonnée via le bureau du Rapporteur Spécial de l’Anti-Terrorisme et des Droits de l’Homme à Genève, qui s’occupera de tout engagement avec les Etats Membres des Nations Unies. Par ailleurs, j’ai une équipe ici à Londres qui m’aide à assurer la liaison avec ceux qui ont déjà ou sont toujours en train de mener des enquête sur le terrain. Je peux vous dire que j’ai déjà reçu un volume conséquent d’éléments de preuves pertinentes sous forme de phrases, de photographies ou d’éléments légistes. L’équipe d’enquête qui va m’assister se compose de Abdul-Ghani Al-Iryani, un analyste politique et consultant au développement au Yémen, qui est actuellement leader du Mouvement d’Eveil Démocratique (Democratic Awakening movement), un mouvement politique trans-partisan qui promeut la démocratie et le règne de la loi au Yémen. Dr Nat Cary, un légiste pathologiste de premier ordre avec une expertise spéciale dans l’interprétation des blessures disruptives liées à des explosions : Imtiaz Gul, Directeur Général du Centre Indépendant de Recherche et d’Etudes de Sécurité situé à Islamabad ; le Professeur Sarah Knuckey de la NYU (New York University), co-auteur du rapport « Living Under Drones » ; Lord Macdonald de River Glaven QC, ancien Directeur des Poursuites Judiciaires en Angleterre et au Pays de Galles ; Sir Geoffrey Nice QC, ancien procureur au Tribunal Pénal International pour l’ancienne Yougoslavie, qui a poursuivi Slobodan Milosevic ; Capitaine Jason Wright, Juge-Avocat en service pour l’armée des USA qui assiste l’enquête en sa qualité personnelle ; Justice Shah Jehan Khan Yousafzai, ancien Juge Puiné Senior de la Haute Cour de Peshawar au Pakistan, et Jasmin Zerinini, Ancienne Députée Directeur pour l’Afghanistan et l’Asie du Sud pour le Ministère des Affaires Etrangères de France. Le conseil légal de cette enquête sera basé à Londres. L’équipe d’enquêteurs consultera des experts militaires légistes, ainsi que des experts et des ONG et journalistes du Royaume Uni, des USA et du Pakistan, qui ont une connaissance approfondie de la région et de ses questions sensibles.
    Je travaille aussi en étroite collaboration avec la Forensic Architecture (Architecture Légiste), une organisation qui se spécialise dans la modélisation légiste de conflits militaires dans le but d’établir leur compatibilité avec le Droit Humain International et le Droit Humain.
    De par mes communications initiales avec les Etats concernés, j’ai la sensation optimiste que l’enquête jouira d’une bonne coopération de la part des gouvernements du Pakistan, du Yémen, des Etats Unis et du Royaume Uni.
    Traduit depuis l'anglais par Fabrice Lambert pour Investig'Action

    Droit international Guerre contre le terrorisme 

  • Les drones, nous droguent-ils ?

    Les drones, nous droguent-ils ? Une géostratégie nouvelle mais inquiétante !

    Les militaires se réjouissent et les politiques sont soulagés, alors que les juristes de droit international froncent leurs sourcils et les pacifistes se lamentent ! Voici un résumé des attitudes. Ce phénomène que l’on appelle d’usage militaire, est de plus en plus intensif des avions sans pilotes (aéronefs sans personnel, ou encore autrement dit « drones », « faux bourdons » en anglais). Ces avions correspondent à des aéronefs ou des plateformes volantes télécommandés (voir annexes), contrairement à des robots volants entièrement automatisés. 
     Dans le commerce des jouets, on vend des petits avions légers que l’on peut diriger soi-même. On parlera alors de l’aéromodélisme. Certes, ce n’est pas ce genre de jouet qui suscite autant d’intérêt du grand public. Les drones qui nous préoccupent essentiellement ici, sont ceux qui peuvent emporter une charge utile, destinée à des missions de surveillance, de renseignement, de transport ou surtout de combat de caractère militaire. Ils semblent révolutionner l’art de la guerre.

     « Drôles de drones »[1 ]

     Un système de drones comprend, outre le personnel sur terre ou mer, trois éléments :
      1) les plateformes volantes (bien sûr sans effectif),
      2) les stations au sol (les relais ou les centres de commandes) et
      3) les moyens de communication et de liaisons satellitaires.
    Dans les différents pays du monde, on assiste à des développements variés mais rapides des systèmes de drones. D’après les militaires, leur usage n’est pas encore totalement pensé ou pensable. En fait, on ne peut que difficilement mesurer et évaluer les effets de ces développements sur l’art de la guerre, les politiques, les juristes ou l’opinion publique.
     Ces drones sont en général utilisés au service des forces armées ou de sécurité tels que service secret, police, douane, etc. d'un Etat. La taille et la masse (de quelques grammes à plusieurs tonnes) sont fonction des capacités opérationnelles recherchées. Le pilotage automatique ou à partir du sol permet d'envisager des vols de très longue durée, de l'ordre de plusieurs dizaines d'heures, à comparer aux deux heures typiques d'autonomie d'un avion de chasse.
    Un début d’essor des drones s’observait à l’époque de la guerre de Corée et de la guerre de Viêtnam, respectivement dans les années 1950 et 1960. Plus tard, ce genre d’armes s’est surtout développé aux Etats-Unis d'Amérique (EUA), puis Washington a opéré un transfert technologique en faveur d’Israël. Ce dernier est devenu avec le temps un fabricant, un exportateur et un utilisateur importants de drones à côté de l’armée américaine. En Europe, les drones ont été utilisés lors de l’agression américaine contre la Serbie en 1999. L'utilisation de drones est aujourd'hui devenue courante, en Afghanistan, en Irak, en Corne d’Afrique ou en Israël. Il existe plusieurs types de drones : des systèmes de renseignement stratégiques aux drones de combat. Ceux-ci posent désormais des questions militaires, juridiques et politiques[2] - en particulier lors de missions de combat de drones américains contre n’importe qui gênerait Washington.
     Très approximativement, il existe actuellement quelque 15 000 drones à usage militaire dans le monde, dont la moitié est fabriquée, hébergée et utilisée par les EUA. Ces derniers peuvent les lancer à partir de leurs quelque 800 bases à travers le monde ou à partir de leurs navires dans les océans. Cette concentration du secteur autant que la publicité et les débats qui en sont faits avant tout dans ce pays expliquent que les considérations suivantes se concentreront sur les agissements de Washington et plus particulièrement de l’administration d’Obama. En fait, celle-ci a institutionnalisé et développé l’usage des drones militaires. Il est vraisemblable que, comme de nombreux autres pays, la Russie ou la Chine fait aussi des efforts dans ce domaine.
    Sans doute, Israël est-il particulièrement actif dans ce secteur en tant que fabricant, client et surtout exportateur mais nous ne le traiterons pas ici de ce sujet, faute de données suffisantes. Mentionnons simplement que ce pays est considéré comme le plus grand utilisateur de drones aériens militaires, même si en nombre d’appareils les forces américaines en possèdent plus. Pour Israël, les drones permettent de disposer d’un réseau de surveillance et de frappe presque permanent en Palestine et plus largement au Proche- et Moyen-Orient.
    Avant aborder directement la problématique qui nous préoccupe, voyons dans quel contexte elle se situe.

    Quel contexte, pour quelle arme ?

    Les grandes puissances et les firmes multinationales ont de plus en plus tendance de coloniser le « reste de l’univers » disponible : les profondeurs des mers, mêmes arctiques, et l'atmosphère terrestre, ainsi que le cosmos cybernétique ou virtuel. A défaut de régulations adéquates, ce « reste de l’univers » devient une jungle pour ces acteurs puissants et une source de guerres. Ces puissants ne souhaitent guère une régulation qui les freinerait dans leurs stratégies, notamment dans le domaine de leurs approvisionnements en matières premières et énergétiques. Enfin, l’environnement subit une colonisation sauvage, sans règles ni loi (d’où l’échec de Rio+20).
    Cette sorte de colonisation est à interpréter en fonction d’une série d’autres évolutions fondamentales. La donnée de fond est sans soute le déclin relatif des EUA, la consolidation de la Russie et l’avènement laborieux mais réel de l’UE, ainsi que le renforcement de la Chine et, dans une moindre mesure, de quelques autres pays. La Chine opère une expansion - apparemment économique mais en réalité fort politique aussi - vers l’Asie du sud-est et centrale, vers l’Afrique et vers l’Amérique latine. Les EUA assumant leur déclin visent simultanément deux choses : une zone de libre-échange des deux côtés de l’Atlantique qu’ils espèrent dominer, ainsi que la substitution du bilatéralisme où ils peuvent encore s’imposer au multilatéralisme à la mode depuis la guerre 1939-1945 (d’où l’échec de Doha de l’Organisation mondiale du commerce).
    Le monde est devenu ipso facto multilatéral à l’instar de ce qu’il a été pendant les dernières décennies du 19e siècle. Nonobstant, le but des EUA d’établir des zones de libre-échange est sans doute de « vassaliser » davantage l’UE ou le Japon sur le plan socio-économique ; sur le plan sécuritaire, ce serait déjà réalisé, à défaut d’une armée européenne ou japonaise proprement dite. Il en est de même pour « encercler » davantage la Chine et la Russie. Le Conseil des ministres de l’UE a approuvé le projet en juin 2013. Or, en fonction de cela et à mon sens, l’UE aurait été mieux inspirée en renforçant son alliance stratégique avec la Chine, face à la Russie et surtout, pour d’autres raisons, face aux EUA.
    Il convient enfin de se rappeler que faisant suite à l’accord international de 1982 sur les « zones économiques exclusives » (ZEE), les grandes ou moyennes puissances ont déjà pu énormément étendre leurs territoires maritimes[3]. Ces territoires s’étendent sur 54 millions de km², soit quelque 1/3 des surfaces maritimes en tant que territoires d’outre-mer contrôlés ou éventuellement revendiqués. Ces territoires se composent avant tout d’innombrables îles, archipels ou atolls, notamment dans le Pacifique. Leurs sous-sols contiennent énormément de matières premières et énergétiques.
    Par l’usage intensif des drones entre autres, ces puissances peuvent surveiller et contrôler ces territoires, y attaquer ou y détruire quiconque et toute chose qui leurs paraissent inacceptables. Outre la mobilisation des multinationales privées de mercenaires[4], les écoutes et les enregistrements clandestins des communications à l’échelle mondiale complètent le programme de tentative de regagner une position dominante ou de garder un rang dans le concert des Nations.

    Du point de vue militaire, est-ce une guerre efficace ?

    Lorsqu’on parle de drones, de quoi s’agit-il véritablement ? Les drones sont souvent des aéronefs légers, sans personnel, donc à peu de charge. Ils disposent d’une grande autonomie d’action tant dans la durée de vol que du fonctionnement. La plupart du temps, ils sont lancés et dirigés à partir d’une base terrestre ou d’un navire. Ils ne sont pas encore entièrement automatisés. Le guidage peut cependant aussi s’opérer à des milliers de kilomètres, à supposer que l’on dispose des satellites et de relais terrestres entre ceux-ci. Les drones utilisent, entr’autres, la propulsion électrique par cellules solaires ou par pile à combustible.
    Les drones d'observation, aujourd'hui les plus courants, équipés de caméras normales et infrarouges, de radars, représentent un élément important du renseignement tactique et stratégique. Les drones armés permettent, eux, de réduire au maximum la boucle bien connue des militaires : « Observation - Orientation - Décision - Action ». Cette capacité s’avèrerait particulièrement efficace dans l’assassinat à distance tel qu’il se pratique à travers le monde par les EUA ou Israël. Contrairement à l’administration de Bush II, celle d’Obama accepte les arguments militaires et dès lors a largement recours à l’usage de cette arme.
    Comment gagner une guerre sans faire de victimes dans ses propres rangs ? Comment sécuriser un territoire sans y envoyer de soldats ? Sans doute les drones pourraient-ils y contribuer, car les opérateurs et les pilotes sont à l’abri, à distance, et opèrent par télécommande. En général, les militaires se montrent ainsi favorables aux drones, parce que ceux-ci seraient fiables, endurants et précis dans les localisations et les frappes. Les armes en question permettent un traitement des informations en temps réel et, surtout, elles réduisent radicalement les risques de pertes humaines, en tous cas du côté des attaquants. Or, aux yeux des militaires comme des politiques cela importe car à notre époque les médias et opinions acceptent mal les morts des siens au combat. Depuis la guerre de Viêtnam, c’est le principe de « zéro mort », du moins ce qui s’en avère visible au grand public.
    De plus, les militaires apprécient aussi que le drone puisse survoler un territoire étranger, sans grands risques politiques et diplomatiques. La distinction entre les non combattants et les combattants est aisée. Enfin, les drones apparaissent attrayants, capables de voler longtemps et aptes à effectuer, dans un délai très bref, un raid dans la profondeur du dispositif des combattants ennemis.

    Est-ce une guerre sans limite mais asymétrique ?

    En tant qu’engin militaire, les drones connaissent certaines limites à leurs usages :
    - ils restent sensibles à la météorologie et à l’aérologie. Le nombre d’accidents s’avère non négligeable ;
        - les flux de communications dont ils dépendent et qui leur assurent une grande efficacité sont aussi un facteur de vulnérabilité face à la possibilité d’interférences relativement aisées : des simples - logiciels sont capables d’intercepter, brouiller et pirater des communications satellitaires ;
        - ils agissent de manière relativement prévisible et peuvent être contrés. Ainsi, par exemple, ils seraient fort vulnérables aux rayons lasers. A court terme, la défense anti-drones devrait évoluer,  étape de la « lutte éternelle entre la lance et le bouclier » : des missiles air-air d'avions de combat, des missiles sol-air, capables de combattre des drones ;
        - ils ne peuvent dès lors opérer impunément que dans le cadre d'une supériorité aérienne et technologique importante. Cette supériorité serait assez fragile à plus long terme ;
    - enfin, dans la sécurisation d’un territoire, les drones ne peuvent intervenir qu’au titre d’observateurs ou d’exterminateurs mais échappent à un contrôle véritable.
    Beaucoup de ceux qui subissent la surveillance par drones et les attaques par ces derniers, expriment leur anxiété grandissante. Etre constamment regardé, observé et surveillé d’en-haut/au-dessus de sa tête… Le bourdonnement discret de cet avion sans pilote use les nerfs et épuise l’esprit. Ne pas savoir quand on doit subir une attaque accentue l’anxiété lancinante et durable. Une personne qui subit le phénomène souligne : « les drones, c’est comme être assis à côté de quelqu’un qui joue avec un pistolet chargé. On redoute à chaque instant que le coup parte ». De tous ceci résulte sans doute une accentuation de l’anti-américanisme déjà fort présent dans les pays concernés. L’usage des drones en tant qu’armes contre-insurrectionnelle risquent de cette façon d’amplifier au lieu de diminuer le risque d’insurrection.
    A propos du « terrorisme », les militaires ou les politiques ont souvent évoqué le concept de « conflits asymétriques » dont l’illustration par excellence serait le bombardement des Deux Tours à New York en 2001. Or, en Yougoslavie[5], en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie, à Yémen, en Lybie ou au Mali, la soi-disant « guerre anti-terroriste » (les bombardements, les tortures et bien entendu l’usage des drones militarisés) est bien plus asymétrique au vu des millions de victimes (tués, blessés ou chassés) qu’elle a occasionnées.
    Du reste, on imagine assez mal que Washington accepte que des drones d’un autre pays survolent par exemple New York ou San Francisco. C’est bien la guerre asymétrique où on meurt encore, mais d’un côté seulement. L’usage croissant des drones n’a fait qu’accentuer ce caractère militairement asymétrique, ce qui soulève notamment des questions juridiques.

    Quelques principes ou faits non avérés 

    Depuis les années 1990, Washington a, d’abord implicitement puis explicitement, déclaré la guerre au terrorisme. Le but en aurait été triple :
              1) éliminer ceux qu’il considérait comme les terroristes partout dans le monde, 
              2) contenir les conflits locaux préjudiciables aux intérêts américains et
              3) préserver la sécurité du peuple américain.
    Le premier correspond à vouloir opérer une substitution aux polices locales en sa propre faveur, alors que le second rejette tout respect de la souveraineté des différents pays. Seul, le troisième paraît légitime, par contre. Mais, Washington suppose que le terrorisme soit organisé à échelle mondiale sous le nom Al Qu’Aïda. Or, rien ne prouve que cela soit exact.
    Il serait insupportable aux EUA de savoir que quel que soit l’endroit, des terroristes ou du moins ce que Washington considère comme tels, restent en vie. Pour ce dernier, il faut les éliminer par drones à coûts bas. Politiquement, cette manière d’agir paraît d’ailleurs plus indiquer qu’arrêter et détenir des terroristes suspects. Enfin, il vaut mieux recourir aux drones qu’envahir un territoire étranger et violer la souveraineté d’un pays. Or, si l’on admettait tous ces arguments, les quelques 200 Etats dans le monde pourraient potentiellement se comporter de la même façon. Vers quoi irions-nous ?
    Quel que soit le principe, Obama admet avoir fait assassiner, sans jugement ni légitimité, par des centaines de frappes, plus de 3 000 personnes, sans compter le nombre des « victimes collatérales » (non combattants et enfants) dont le nombre serait faible selon l’administration. Quelle que soit la vérité, beaucoup s’inquiètent plus fondamentalement que l’utilisation d’un outil ne deviennent une stratégie en soi, stratégie qui se substituerait à une véritable stratégie nationale. Quant aux coûts bas, rien ne les confirme comme l’exemple récent de l’Allemagne le montre. Pour quelques 16 drones de combat[6], ce pays s’est engagé dans un programme de plus d'un milliard d'euros, soit € 63 millions la pièce. Il a dû y renoncer pour des raisons techniques, voire budgétaire.
    Washington bénéficierait de la complicité tacite de beaucoup de ses alliés, notamment de celle des dirigeants pakistanais mais aussi celle de l’Europe. Même, il aurait procédé à de « tueries par délégation et de bienveillance » à la demande de ces dirigeants. Que ce soit vrai ou faux, il reste qu’il s’agit d’assassinats par un Etat, aucunement justifiés, sauf par ces initiateurs. Pour ces derniers, ces assassinats seraient même justifiés au titre de prévention ou parfois par préemption. Il suffit que Washington attribue à telle ou telle personne dans le monde une simple « propension à la violence » et croit pouvoir en empêcher l’accomplissement pour que l’assassinat s’impose. Or, la majorité de l’humanité a une telle propension, qu’elle surmonte par soi-même ou sous la contrainte. Il n’en résulte aucun droit de tuer.

    Des interrogations des juristes du droit international 

     D’aucuns envisagent de réguler l’usage des drones pour les assassinats et c’est ce que prétend l’administration d’Obama depuis peu. L’usage serait limité aux cas où
     - le danger d’être attaqué s’avère imminent,
     - la personne soupçonnée et ses aides (familles, collègues, clans, amis, chauffeur, docteur, financier, etc.) sont identifiés,
     - l’arrestation des personnes concernées n’est pas faisable,
     - la frappe mortelle peut se faire sans « dommages collatéraux » excessifs.
    Or, ce sont des organes exécutifs et administratifs qui prendraient en considération ces critères et décideraient de l’opportunité de tuer ou non. Ni le pouvoir judiciaire, ni la présomption d’innocence n’ont de place ici. En outre, on ne voit pas bien comment à partir des pays en jeu, les EUA pourraient être en danger imminent. L’identification des personnes soupçonnées n’est par ailleurs jamais certaine et le nombre de ses « aides » peut avérer quasi infini. De plus, une arrestation est une affaire de police qui en toute logique ne peut être remplacée par un meurtre. Enfin, qui appréciera si les dommages en question sont excessifs ou non ?
    Les opérations par drones déjà évoquées se présentent pour les juristes comme des combats particuliers[7]. En effets, ces combats sont transformés en simple « campagne d’abattage plus ou moins ciblé » dans certains pays déjà cités. Par ailleurs, en raison de la différence démesurée de niveaux technologiques entre l’attaquant et la victime, il y a aujourd’hui encore la quasi impossibilité de toute réciprocité. En réalité, ces pays correspondent en plus à ceux contre lesquels il n’y a pas eu de déclaration de guerre, donc pas « d’état de guerre » dans le langage de la constitution belge.
    La législation internationale de guerre suit un modèle qui semble dépassé en l’occurrence. Une guerre à distance, du moins des actes de guerre, correspond dans notre cas être capable de combattre sans engager un seul de ses propres soldats sur place. Plus de fronts, plus de bataille ligne contre ligne, plus de combattants proprement dit et plus d’opposition en face à face. Dans les attaques aux drones il n’y a plus rien qui ressemblerait au duel de jadis. Le principe d’égalité de droit entre combattants s’effondre. Que peut justifier l’exercice d’un pouvoir national qui supprime des femmes, des hommes et des enfants hors des frontières nationales et hors de guerres ?
    La guerre comme violence armée et légitime se mue ainsi en exécution illégitime hors combat. On observe qu’en cas de guerre, la fin justifie les moyens, alors qu’avec l’usage des drones, le moyen semble imposer la fin en raison de ses nombreux avantages techniques. L’un ne risque rien, tandis que l’autre est tué. Serait-ce la guerre sans risque et même sans combattant ?
    Mais finalement est-ce une guerre ? Non. Une déclaration de guerre passe d’Etat à Etat, Etats que le droit reconnaît comme des égaux. Ce n’est manifestement pas le cas pour aucun des pays mentionnés. Or, sur le plan international, il n’existe non plus un droit policier de poursuite. La déclaration de la « guerre globale contre le terrorisme » de Washington autorise ce dernier à abattre quiconque et partout où il le juge opportun : le monde entier devient un champ de bataille, sans qu’il y ait un champ. Voici un concept que le droit international ne connaît pas.
    Selon les règles de la loi, la stratégie de la chasse à l’homme est d’ordre policier alors que celle opérée par les militaires et suivie de l’assassinat ne s’appuie sur aucune règle. Le statut des homicides par drones semble par ailleurs flotter entre le travail du policier et la prévention de l’assistant social (sic !). L’ennemi se transforme en un être asocial, un terroriste dont il convient de protéger la société civilisé. Si l’arrêter, le juger et le condamner ne sont pas possibles, alors il faut le tuer. Il implique une mesure de sûreté signifiant en l’occurrence l’exécution extrajudiciaire. A supposer que la cible soit la cible visée, quid par ailleurs des « dommages collatéraux », des innocents assassinés ou blessés, des dégâts matériels ?
    Du reste, par tir de roquettes ou de missiles, l’assassinat vise les buts ciblés. Or les cibles ne sont jamais suffisamment visibles. Donc, la décision du tirer à l’Américaine se base en réalité sur les modèles ou les profils de comportements (une analyse des formes de vie) ou des photos du soi-disant terroriste ou groupe de terroristes ou terroristes potentiels. Tuer donc telle ou telle personne sans identification individuelle ! Certes, un terroriste présumé mais assassiné ne conteste pas.
    Rapprocher les lieux où vous circulez et vos fréquentations permettrait de les mettre sur la liste des condamnés par une instance administrative ou exécutive à Washington. Il en résulte que l’imprécision du tir se conjugue avec celle de la cible. Les personnes vaguement visées mais bien touchées sont présumées coupables jusqu’à ce qu’elles soient prouvées innocentes, bien entendu à titre posthume !
    Les questions politiques nombreuses qui restent posées
    Qu’arriverait-il si Washington décidait d’exterminer systématiquement ses ennemis, voire même ses simples adversaires partout dans le monde, en prétextant de sa sécurité ou ses intérêts comme en cas de la « guerre au terrorisme » ? Il pourrait tuer quiconque en Chine, en Russie ou même en UE. Or, ces derniers pourraient aussi le faire sur le sol américain. Que dirait Washington si les Russes abattaient un Tchétchène militant en pleine rue de New York ou si les Chinois en feraient autant avec un Ouighour récalcitrant ? N’est-ce pas la montée de Léviathan ?
    Les drones sont développés pour fonctionner de manière automatique ou presque. Ils pourront bientôt attaquer sur base de programmes préétablis afin de tuer en se référant à de simples « profils de comportements » fort approximatifs. La responsabilité des assassinats n’existerait plus ! Peut-on l’accepter ? Comment réguler la question en droit international de guerre ? Une législation nationale peut-elle justifier le non-respect des lois internationales de la guerre ? L’usage des drones devient de plus en plus discret et l’opinion publique en reste mal informée. N’en résulte-t-il pas inéluctablement une réduction drastique du contrôle démocratique ?
    La Charte de l’ONU interdit l’agression entre les Etats et prescrit le respect de la souveraineté de chacun d’eux. Quel qu’il soit, l’usage des drones s’oppose-t-il à cette interdiction, à cette prescription ? Que peuvent faire actuellement des gens qui subissent la présence des drones en Afghanistan, au Yémen ou en Somalie, contre Washington ? Et, que faire s’il s’agit simplement du « terrorisme international » largement imaginaire, engendré aux EUA ? Quelle sera la situation redoutable lorsque de plus en plus d’Etats acquièrent la technique des drones et enclenchent, avec bon ou mauvais prétexte, des guerres de drones ?
    Le nombre de terroristes vaguement présumés paraît sans limite dans le temps. S’installe-t-on dans une soi-disant guerre sans limitation temporelle ? N’y a-t-il pas de risque que les autorités qui disposent des drones les utilisent contre leurs propres citoyens, même à l’étranger, comme cela fut parfois le cas ces derniers temps ? Ou pis, elles les feraient intervenir pour surveillances et répressions sur le sol national, plus particulièrement contre les manifestants ou les grévistes ?
    Ce dont le président Eisenhower parlait, le « complexe militaro-industriel » légitime-t-il cet « arme du lâche » ? N’y a-t-il pas un danger que les développements industriels en tant que tels[8] suscitent, par le biais de leurs propres logiques de profits, l’usage croissant des drones contre toute opposition que craindrait un pouvoir ? Le chiffre d’affaires de ce « secteur de mort » s’élève dès aujourd’hui à plus € 5 milliards et demain au multiple de ce chiffre. Le débat politico-éthique est largement ouvert mais le temps presse pour pouvoir, ne fut-ce que, réguler le phénomène. Suffira-t-il qu’il soit transparent ?
    Les systèmes de drones armés ne sont-ils pas susceptibles de devenir des moyens de destruction massive, actes potentiels contre l’humanité ? L’ONU ne devrait-elle exiger un moratorium sur l’usage militaire des drones ? Certes, il ne fait pas encore partie des armes interdites par le droit international positif. Ne faut-il pourtant pas les interdire à l’instar des mines anti-personnelles et des armes à sous-munitions ? N’est-il pas urgent de démilitariser simplement les drones en circulation, en les rendant à l’exploitation civile bien utile dans les domaines de la surveillance de la circulation ou des risques de catastrophes naturels, du jeu d’amateurs, de la protection de l’environnement, de la météorologie, etc. ?
    Les protestations contre l’usage militaire des drones se multiplient bien sûr aux EUA et au Pakistan mais également au Royaume-Uni et en Allemagne mais non pas en Belgique mais bien en Iran[9]. De nombreux milieux y participent : certains partis, beaucoup d’Eglises, les mouvements de paix, les associations telles que Pax Christi US, Deutschland et UK[10], Human Rights Watch, MIR/IRG, Drones Campaign Network ou Scientists for Global Responsability[11].
    [1] AgoraVox, Drôles de drones, 20.5.2013.
    [2] Les dimensions éthique, psychique, sociologique et philosophique qui sont négligées ici, par contre sont excellemment traitées par CHAMAYOU, Grégoire, Théorie du drone, La Fabrique, Paris, 2013 & PAJON, Christoph et Grégory Boutherin, Les systèmes aériens opérés à distance : vers un renouveau des rapports homme/machine dans l’art de la guerre ?, in : Documentation Française, La, Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche globale, Paris, 2013.
    [3] En ordre d’importance, les puissances en question sont la France, les Etats-Unis d'Amérique, la Russie, le Royaume-Uni et la Chine. Rappelons qu’une zone économique exclusive est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Elle s'étend à partir de la ligne de base de l'État jusqu'à 200 milles marins (environ 370 km) de ses côtes au maximum.
    [4] Ces multinationales ont des effectifs qui dépassent plusieurs millions de personnes et des équipements nombreux les plus actuels.
    [5] Rappelez-vous des « frappes chirurgicales » des avions de l’OTAN en Serbie !
    [6] Il s’agirait des Global Hawk RQ-4B (USA - Allemagne), voir le tableau dans les annexes.
    [7] Ils rappellent les massacres commis lors de la colonisation en Afrique et aux deux Amériques.
    [8] Les multinationales fournisseurs de ces engins ou des pièces nécessaires ou encore le personnel (les mercenaires privés) pour les faire fonctionner sont notamment Northrop Grumman, Dassault Aviation, Lockheed Martin, General Atomics, Boeing, Raytheon, Rafal Advanced Defense Systems, lAl, Paramount Group, UAV-Engines-Elbit, Aerosud Holdings, Vanguard Defense Industries, Blackwater, Aerovironnement.
    [9] L’Iran proposera dès la rentrée de septembre 2013 des cours de lutte contre les drones à ses collégiens et lycéens. C’est l22 août 2013 que le journal Al Arabiya qui nous l’apprenait : la nation iranienne formera bientôt ses plus jeunes citoyens au maniement de dispositifs de défense aérienne. Sources : english.alarabiya.net , melty
    [10] La question des drones figurait au programme des deux journées de conférence organisées par Pax Christi International à Bruxelles les 29 et 30 juin 2011.
    [11] Voir les nombreuses indications in : BOUTHERIN, Grégory, Les drones, futurs objets d’Arms control  ?, in : Documentation Française, La, Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche globale, Paris, 2013.

     

  • Le régime d’Obama

     

     

    26 septembre 2013

    En vertu d'une pratique bien ancrée, les gouvernements opposés à la domination nord-américaine sont automatiquement qualifiés de « régimes » par les grands médias de communication, par les intellectuels colonisés de seconde zone et par ceux que le grand dramaturge espagnol Alfonso Sastre appelle les intellectuels bien-pensants. En sciences politiques, le terme « régime » a pris une connotation foncièrement négative, dont il était dépourvu à l'origine. Jusqu'au milieu du XXe siècle, on parlait d'un régime féodal, d'un régime monarchique ou d'un régime démocratique pour se référer à l'ensemble de lois, d'institutions et de traditions politiques et culturelles caractéristiques d'un système politique. Or, avec la Guerre froide, puis avec la contre-révolution néoconservatrice, le vocable a acquis un tout autre sens. Actuellement, il est utilisé pour stigmatiser des gouvernements ou des États qui refusent de se plier aux diktats de Washington et auxquels sont collées les étiquettes dépréciatives d'« autoritaire », voire de « tyrannies sanglantes ».

     

     

    Toutefois, sans être particulièrement éclairé, on peut constater l'existence d'États manifestement despotiques que les chantres de la droite n'auraient jamais l'idée de qualifier de "régimes". Qui plus est, la conjoncture actuelle voit apparaître une pléthore d'analystes et de journalistes (dont quelques "progressistes" un tant soit peu distraits) qui ne répugnent nullement à employer le langage établi par l'empire. Dans leur bouche ou sous leur plume, il n'y a pas de gouvernement syrien, mais le "régime de Bachar el-Assad". 

    La même dépréciation s'opère avec les pays bolivariens : au Venezuela, c'est le régime chaviste, en Équateur, le régime de Correa et la Bolivie subit les caprices du régime d'Evo Morales. Le fait que dans ces trois pays ont émergé des institutions ainsi que des formes de participation populaires et de fonctionnement démocratiques supérieurs à celles que connaissent les États-Unis et la grande majorité des pays du monde capitaliste développé est soigneusement passé sous silence. Comme il ne s'agit pas de pays amis des Etats-Unis, leur système politique ne peut être autre qu'un régime.

    L'application de deux poids, deux mesures est manifeste. Les monarchies pétrolières du Golfe, pourtant autrement plus despotiques et brutales que le "régime" syrien, ne se verraient jamais affublées de ce terme. On parle du gouvernement d'Abdul Aziz ibn Abdillah, jamais du régime saoudien, même si l'Arabie saoudite ne dispose pas de parlement, mais d'une simple "Assemblée constitutive", formée d'amis et de parents du monarque, que les partis politiques membres sont expressément interdits et que la gouvernance est exercée par une dynastie qui occupe le pouvoir depuis des décennies.

    Le Qatar présente exactement le même tableau, sans pour autant que le New York Times ou les médias hégémoniques d'Amérique latine et des Caraïbes évoquent le "régime saoudien" ou le "régime qatari". Par contre, le gouvernement de la Syrie – un État pourtant laïque au sein duquel cohabitaient encore récemment plusieurs religions, où existent des partis politiques reconnus légalement et doté d'un congrès monocaméral comprenant une représentation de l'opposition – est taxé de régime. Personne ne le débarrasse de cette étiquette.

    En d'autres termes : un gouvernement ami, allié ou client des États-Unis peut être le pire oppresseur ou commettre les violations des droits de l'homme les plus graves, jamais il ne sera qualifié de régime par l'appareil de propagande du système. À l'inverse, ce terme est systématiquement appliqué aux gouvernements de pays tels que l'Iran, Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, l'Équateur et j'en passe. [1]

    Pour constater cette tergiversation idéologique, il n'y a qu'à voir comment les journalistes de droite désignent le gouvernement américain, qu'ils considèrent comme le nec plus ultra de la réalisation démocratique. Pourtant, l'ancien président James Carter a lui-même dit que dans son pays, il n'y avait pas de démocratie qui fonctionne. Ce qu'il y a, c'est un État policier très habilement dissimulé, qui exerce une surveillance permanente et illégale sur ses citoyens, et dont la principale réalisation des trente dernières années a été de permettre que 1% de la population s'enrichisse comme jamais auparavant, au détriment de 90% de la population. 

    Dans la même ligne critique vis-à-vis de cette cynique ploutocratie que sont les Etats-Unis, le philosophe politique Sheldon Wolin a défini le régime politique de son pays comme étant un "totalitarisme inversé". Selon lui, il s'agit "d'un phénomène qui (…) représente fondamentalement la maturité politique du pouvoir corporatif et de la démobilisation politique des citoyens” [2], à savoir la consolidation de la domination bourgeoise dans les principales situations d'oligopole et la désactivation politique des masses, ce qui provoque une apathie politique, l'abandon de la vie publique – et le dédain à son égard – ainsi que la fuite en avant dans l'approche privatiste vers une consommation effrénée soutenue par un endettement encore plus endiablé.

    Le résultat : un régime totalitaire d'un genre nouveau, une démocratie particulière, en somme, sans citoyens ni institutions, dans laquelle le poids faramineux de l'establishment vide de tout contenu le discours et les institutions de la démocratie pour en faire une pauvre mascarade et les rendre absolument impropre à garantir la souveraineté populaire ou à concrétiser la vieille formule d'Abraham Lincoln définissant la démocratie come "le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple".

    Par la magie de la gigantesque opération de falsification du langage, l'État américain est considérée comme une "administration", soit une organisation qui gère en toute transparence, impartialité et dans le respect de l'état de droit les affaires publiques en fonction de règles et de normes clairement établies. En réalité, comme l'affirme Noam Chomsky, rien de tout cela n'est vrai.

    Les États-Unis constituent un État voyou qui viole comme nu autre le droit international ainsi que certains des droits et des lois les plus importants du pays. Au niveau national, les révélations récentes à propos des pratiques d'espionnage usitées par la NSA et d'autres agences contre la population américaine le prouvent, sans parler des atrocités perpétrées quotidiennement dans la prison de Guantánamo, ni du fléau chronique du racisme [3].

    Par conséquent, je propose que nous ouvrions un nouveau front dans la lutte idéologique et qu'à compter d'aujourd'hui, nous désignions le gouvernement américain par les termes "régime d'Obama" ou "régime de la Maison-Blanche". Il s'agira d'un acte de justice, qui aura également pour effet d'améliorer notre capacité d'analyse et d'assainir le langage de la politique, contaminé et perverti par l'industrie culturelle de l'empire et par sa prolifique fabrique à mensonges.

    Traduction : Collectif Investig'Action

    Source : Atilio Boron

    Notes : 

    [1] Aux États-Unis, cette dualité de critères moraux a une longue histoire. Rappelons-nous la réponse du Président Franklin D. Roosevelt face à des membres du parti démocrate horrifiés par la brutalité des politiques répressives adoptées par Anastasio Somoza au Nicaragua : "Oui, c'est un fils de pute, mais c'est notre fils de pute". L'appellation pourrait s'appliquer aux monarques de l'Arabie saoudite et du Qatar, entre autres. Par contre, Bachar Al Assad n'est pas leur fils de pute, ce qui vaut à son gouvernement le qualificatif de "régime".

    [2] Cf. Democracia Sociedad Anónima (Buenos Aires : Katz Editores, 2008) p. 3

    [3] Pour en savoir davantage sur la violation systématique des droits de l'homme par le gouvernement américain, ou par le "régime" américain, voir : Atilio A. Boron et Andrea Vlahusic, El lado oscuro del imperio. La violación de los derechos humanos por Estados Unidos (Buenos Aires : Ediciones Luxemburg, 2009)

    Barack Obama Démocratie de façade NSA


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  • Affaire Snowden,suite...

     

    Affaire Snowden: la détention de David Miranda fait des vagues

    Scandalisé par la détention de son compagnon David Miranda (d), Glenn Greenwald (g) - ici à l'aéroport de Rio le 19 août 2013 - a promis de faire de nouvelles révélations.
    REUTERS/Ricardo Moraes

    La détention, dimanche 18 août, durant neuf heures d’un collaborateur du Guardian à l’aéroport d’Heathrow provoque un vif émoi en Grande Bretagne et en dehors. Compagnon de l’un des journalistes auquel Edward Snowden a fait des révélations en mai dernier, David Miranda s’est vu confisquer son matériel électronique sous prétexte d’activité « terroriste », une méthode jugée illégale.

     

    La paranoïa suscitée par l’affaire Snowden - cet ancien consultant de la NSA (l’Agence américaine de renseignement) auteur de la fuite de documents ultrasecrets dans les médias - continue d’agiter le monde politique et diplomatique de part et d’autre de l’Atlantique. Dernier épisode en date, la détention dimanche 18 août durant neuf heures par la police anglaise de David Miranda, compagnon et collaborateur de Glenn Greenwald, le journaliste américain du quotidien anglais The Guardian auquel Edward Snowden a divulgué des informations confidentielles à partir de mai 2013.

    Détention illégale

    Alors qu’il transitait par l’aéroport d’Heathrow en provenance de Berlin et en partance pour Rio de Janeiro où il devait retrouver Glenn Greenwald, David Miranda, 28 ans, a été arrêté par la police anglaise en tant que suspect d’activité terroriste, un chef d’accusation qui a permis aux policiers de lui confisquer tous ses appareils électroniques (téléphone portable, ordinateur, clefs USB, DVD, consoles de jeux, etc.) et de le soumettre à un interrogatoire poussé durant neuf heures, soit le maximum prévu par l’article 7 de la loi antiterroriste promulguée en 2000 au Royaume-Uni.

    La nouvelle de la détention de David Miranda, illégale au strict regard des faits, a déclenché un torrent d’indignation. « La rétention de David Miranda était illégale et inexcusable. Il est de toute évidence victime de tactiques de représailles (de la part des gouvernements anglais et américains, ndlr) », s’est par exemple insurgé Widney Brown, un responsable d’Amnesty International cité par l’Agence France-Presse. « L’arrestation est sans justification puisqu’elle concerne un individu contre lequel aucune charge ne peut justifier l’utilisation de cette juridiction », a protesté officiellement le Brésil, pays dont David Miranda est ressortissant.

    Accréditant un peu plus la thèse de représailles ciblées, la Maison Blanche, un rien gênée, a pour sa part reconnu par la voix d’un porte-parole avoir été informée par avance de l’arrestation de David Miranda par la police anglaise. Les États-Unis n’étaient évidemment pas sans savoir que le collaborateur de Glenn Greenwald s’était rendu à Berlin pour y rencontrer Laura Poitras, une réalisatrice américaine travaillant aussi sur les révélations d’Edward Snowden.

    Contre-attaque en règle

    Scandalisé par la tournure des événements, Alan Rudsbridger, le rédacteur en chef du Guardiana révélé dans un article paru ce mardi 20 août, avoir été obligé, sous la menace de lourdes sanctions financières pour son journal et après avoir subi de nombreuses pressions émanant du pouvoir, d'autoriser le mois dernier la destruction de documents fournis par Edward Snowden. « Un des moments les plus bizarres de la longue histoire du Guardian s’est produit », décrit-il dans son article. « Deux experts en sécurité des services secrets ont supervisé la destruction de disques durs dans les sous-sols du journal. »

    De son côté, David Miranda a annoncé qu’il allait engager une poursuite judiciaire contre sa détention par les autorités britanniques. « David Miranda engage des poursuites au sujet du matériel qui lui a été confisqué lors de son interrogatoire dimanche à l'aéroport londonien d'Heathrow et pour la façon dont il a été traité », a déclaré sur la chaîne BBC Alan Rudsbridger. « Il veut récupérer ce matériel et il ne veut pas qu'il soit copié », a ajouté le rédacteur en chef du Guardian. C’est toutefois Glenn Greenwald qui s’est montré le plus vindicatif. « Je vais être bien plus agressif à partir de maintenant », a-t-il déclaré à Rio, où il est basé. « Je vais publier beaucoup plus de documents. (…) J’ai de nombreux documents sur le système d’espionnage britannique. Je pense qu’ils vont regretter ce qu’ils ont fait », a-t-il menacé.

    L’opposition britannique s’est également saisie de l’affaire, le Parti travailliste demandant des explications sur les raisons qui ont poussé les autorités à appliquer la loi antiterroriste à un passager en transit contre lequel aucun chef d’inculpation n’a été notifié. « Cela provoque une consternation considérable et il est nécessaire d’apporter rapidement une réponse », a déclaré Yvette Cooper, la députée travailliste chargé des questions de police, citée par l’AFP. « L’article 7 est une partie essentielle des disposition britanniques sur la sécurité. C’est à la police de décider quand il est nécessaire et approprié de recourir à ces mesures », s’est borné à répliquer le ministère anglais de l’Intérieur par l’intermédiaire d’un porte-parole.

  • NSA: dernières révélations

    Ce que nous apprennent les dernières révélations sur la NSA

    10/08/2013 | 10h06
     
     
     
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    Des gens portent des masquent d'Edward Snowden pendant le témoignage de Glenn Greenwald, au Brésil, le 6 août 2013 (Ueslei Marcelino/Reuters)

     

    Si nul ne doutait des capacités américaines à se doter de tels mécanismes de surveillance, les révélations sur les pratiques de la NSA pointent les failles d’un système américain « schizophrène » : entre surveillance à outrance et promotion de la liberté.

    Impasse. Les Etats-Unis semblaient avoir atteint une sorte de point de non-retour après l’affaire Snowden. En réalité, il se pourrait que ce ne soit qu’un début. Un ancien haut responsable de la NSA – sous couvert de l’anonymat – a confirmé ce jeudi au New York Times l’étendue du filtrage numérique de l’agence de sécurité américaine. Quelques jours plus tôt, le journaliste collaborateur du Guardian au Brésil, Glenn Greenwald, a également prévenu que l’espionnage américain ne se limitait pas à la lutte contre le terrorisme. Il serait également industriel et commercial. On se souvient du programme ECHELON (1999), utilisé pendant de nombreuses années aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande pour intercepter via des satellites les télécommunications commerciales à l’échelle mondiale.

    Glenn Greenwald aurait en sa possession près de 20 000 documents secrets reçus des mains d’Edward Snowden et pourrait les rendre public “d’ici une dizaine de jours”. C’est ce qu’il a déclaré, auditionné par la Commission des relations extérieures du Sénat brésilien sur les révélations de l’ancien consultant de la NSA actuellement en Russie. Mais si Snowden fait office de “détonateur”, il est loin d’être le seul administrateur de systèmes a avoir eu accès à ce types de données. Quatre millions d’Américains sont en effet dotés de la “top secret security clearance”. Autrement dit, 1 Américain sur 50 peut actuellement se procurer les informations confidentielles des renseignements américains. Parmi eux, on dénombre 500 000 entreprises privées comme celle pour laquelle a travaillé l’ancien consultant de la NSA.

    “Avant même d’arriver au grand public, on peut imaginer que de nouvelles fuites pourraient arriver dans les oreilles de puissances étrangères, d’entreprises du renseignement étranger ou d’autres services d’Etat”, estime Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net.

    Pour l’hacktiviste Nicolas Diaz, l’enjeu est de taille : “Les Etats-Unis risquent de perdre la confiance de leurs citoyens et des autres pays avec leur arrogance technologique”. La conséquence d’une “schizophrénie latente entre promotion des libertés fondamentales et surveillance à outrance”, selon lui

    >> A lire aussi : Plainte contre X de la FIDH dans l’affaire Snowden: “La France s’est couchée devant les autorités américaines”

    Du point de vue américain, cet espionnage acharné est “légitimé” depuis le 11 Septembre et le début de la guerre contre le terrorisme mondial initiée par Georges W. Bush. “Près de 300 terroristes ont été arrêtés” grâce à XKeyscore, affiche fièrement le diaporama de formation de la NSA. Et pour les défenseurs de l’agence de sécurité américaine, les récentes menaces d’attentats justifiant la fermeture d’ambassades américaines au Moyen-Orient et en Afrique démontrent plus que jamais la valeur de tels programmes. Sans contester leur utilité dans le démantèlement de réseaux terroristes, Nicolas Diaz déplore tout de même la position de l’administration Obama :

    “Les Etats-Unis sont encore sous la chape de plomb de la famille Bush fondée sur la terreur d’un Etat Policier. Obama continue la politique rampante créée avec le Patriot Act et c’est désemparant…”

    Ce texte législatif voté le 26 octobre 2001 autorise la surveillance de toutes les télécommunications sans aucune autorisation préalable au nom de la défense des intérêts américains contre la menace terroriste. Il vient amender une autre loi, le Foreign Intelligence Surveillance Act (Fisa) qui autorise les agents du renseignement américain à collecter “statutairement [des] informations des renseignements étrangers (…) à partir des fournisseurs de services électronique sous supervision judiciaire”. Malgré quelques modifications en 2007, Fisa rend légal la surveillance de citoyens américains pouvant être en relation avec des cibles terroristes étrangères. Ce que Jérémie Zimmermann considère comme un “emballement du système juridique américain post-11 Septembre qui donne de plus en plus de pouvoirs à la NSA”.

    Ces mêmes prérogatives dont l’ampleur a été mise à nue par les deux derniers programmes espions en date de la NSA : Prism, dévoilé par le Guardian et le Washington Post fin juillet, puis XKeyscore décrypté par le Guardian début août. Ce dernier permettrait à ses analystes de recueillir en temps réel à les métadonnées d’un internaute lambda à l’aide d’un simple formulaire et sans autorisation préalable. Emails, tchats, sites visités, tout pourrait être collecté grâce à 700 serveurs disposés dans le monde entier.

    “Grâce à ces révélations, on a appris que les Etats-Unis sont effectivement postés au niveau de ces ‘backbones’ ou ‘nœuds névralgiques’ numériques, qui fonctionnent comme des péages”, explique Nicolas Diaz.

    En étant présent au niveau de ces passages numériques obligés, les Etats-Unis interceptent ainsi tous les flux d’information qu’ils souhaitent à l’étranger comme sur leur territoire et font ensuite leur tri grâce à la puissance de calcul de Xkeyscore.

    Une surveillance “massive et généralisée”

    Pour ce faire, les agents de la NSA remplissent un formulaire, précisent la période pendant laquelle les informations doivent être stockées (la période de stockage varie selon le poids et l’importance des données concernées, quelques jours tout au plus) en justifiant plus ou moins précisément les motifs de sa recherche. Ils ont ainsi accès à l’ensemble des contenus et les “contenants”, plus connus dans le jargon sous le nom de métadonnées (nom d’utilisateur, adresse, langue…à des messages réceptionnés. Pour Jérémie Zimmermann ces révélations sont bien “la preuve irréfutable du caractère massif et généralisé de cette surveillance” :

    “Jusque là, on n’avait que de très fortes suspicions et on se faisait taxer de complotistes, de paranoïaques. On a aujourd’hui l’assurance que c’est une réalité”, ajoute le porte-parole de la Quadrature du Net.

    Tout internaute est donc susceptible d’être contrôlé. Si de son côté la NSA affirme ne surveiller que des “cibles étrangères”, le fameux témoignage d’un de ses anciens employés au New York Times tue une nouvelle fois dans l’œuf les prétentions de l’agence de sécurité américaine. Selon lui, en effet, la NSA stockerait non seulement les communications d’Américains en contact direct avec des étrangers sous surveillance mais elle filtrerait également tout contenu mentionnant des informations relatives à ces cibles, avant de les “copier” puis de les stocker pendant un laps de temps plus ou moins long, selon l’importance et la taille de telles données. Chargée de réagir à ces nouvelles déclaration, la porte-parole de la NSA, Judith A. Emmel, ressort le même discours :

    “Les renseignements recueillis ne visent pas les Américains mais ‘les puissances étrangères et leurs agents, les organismes étrangers et les terroristes internationaux’.”

    L’agence de sécurité précise que ses opérateurs doivent être sûrs à 51 % que l’individu ciblé soit étranger pour lancer leur traque numérique, dans le cadre notamment de l’autre programme d’espionnage Prism. Un “habillage cosmétique pour dire qu’ils accèdent aux données de tout le monde, tout le temps”, d’après Jéremy Zimmermann : “Quand tu es sûr à 50% de quelque chose, c’est pile ou face +1, tu n’es sûr de rien du tout”, ironise-t-il.

    La collaboration effective des géants d’Internet

    Les révélations successives relatives aux manœuvres de la NSA ont aussi cela d’inédit qu’elles dévoilent la collaboration effective des géants de la recherche sur Internet avec la NSA dans da traque globale des Etats-Unis. Le programme Prism permettrait aux renseignements américains d’utiliser les données issues des plus grands fournisseurs d’accès internet grand public : Google, Yahoo!, AOL, Youtube… Pour autant, un “accès direct” à leur données a très vite été démenti par les principaux concernés.

    “Nous n’avons pas de preuve qu’un contrat imposerait à Google et consorts de laisser les renseignements américains avoir directement accès à leurs serveurs”, confirme Nicolas Diaz.

    Les fournisseurs d’accès semblent jouer sur les mots, alors que la présentation du programme Prism mis en ligne par le Washington Post liste les compagnies concernées.

    “Ces firmes nient avoir un accès direct, mais des accès indirects suffisent… leur démenti est par là-même une arnaque complète”, continue le porte-parole de la Quadrature du Net.

    En France, ces soupçons de collusion ont également été réaffirmés par la FIDH à travers une plainte contre X déposée conjointement avec la LDH devant le procureur de la République française le 12 juillet dernier. Interrogé par les Inrocks, le président d’honneur de la Fédération, Patrick Beaudoin, a lui aussi émis des doutes certains sur cette collusion :

    “L’objet d’une potentielle enquête pourra apprécier si ces multinationales ont été complices ou victimes de ce système comme elles le laissent entendre. Mais je n’imagine pas qu’elles n’aient pu avoir connaissance d’une intrusion des renseignements dans leur logistique.”

    L’accusation peut inquiéter ces prestataires numériques qui se targuent d’une transparence absolue de leurs méthodes et du droit à la liberté numérique de leurs utilisateurs : “Votre vie privée est notre priorité”, rappelait Microsoft dans sa dernière campagne de pub, en mai dernier.

     

     

    Alors que son administration a été récemment sommée de s’expliquer devant le Sénat, Barack Obama viendrait tout juste de recevoir à la Maison Blanche plusieurs représentants de sociétés high-tech, dont Tim Cook (PDG d’Apple) et Vint Cert (vice-président de Google) pour échanger sur les pratiques de surveillance de son gouvernement.