Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Monde - Page 2

  • SwissLeaks : qui est immoral ?

    SwissLeaks : qui est immoral ? L’évadé fiscal ou l’État prédateur ?

    Publié le 11 février 2015 dans Fiscalité

    Qui doit être pénalisé ? Le riche qui protège ses intérêts d’une rapine légalisée à son encontre, masquée sous les oripeaux de la démocratie, ou l’État rapace ?

    Par Vincent Bénard.

    Bristol born escape artist Roslyn Walker credits  Paul Townsend (CC BY-ND 2.0)

    Bristol born escape artist Roslyn Walker credits Paul Townsend (CC BY-ND 2.0)

     

    Le déclenchement de l’affaire « SwissLeaks », du nom de la liste des évadés fiscaux ayant bénéficié d’un « abri » au sein de la filiale helvétique de la banque HSBC, nous promet une semaine chargée en diatribes anti « méchante finance », « vilains évadés fiscaux », et « affreuse Suisse », qui privent les États de leurs justes recettes pour lutter contre les effets de la crise, évidemment causée par l’avidité de l’ignoble monde de l’argent sans visage. Le nom d’un acteur à la mode a été jeté en pâture aux médias et à la twittosphère qui le traînent dans la boue parce qu’il a voulu mettre de côté 80 000 euros dans les années 90… Bonjour le niveau.

    Et le pire est qu’une grande masse des Français approuve cette rhétorique et ce clouage au pilori républicain, sans discussion. C’est dire si le lavage de cerveau de nos compatriotes, à base de « consentement à l’impôt » et de « fierté de disposer de services publics », a bien fonctionné.

    Il y aurait beaucoup à dire, techniquement, sur la question (je n’ose dire « le problème ») de l’évasion fiscale, voire de la fraude, et du bénéfice économique qu’il y a à ne pas transférer des sommes d’argent d’agents économiques ayant prouvé qu’ils pouvaient créer beaucoup de valeur vers l’institution la plus inefficace, à savoir le secteur public en général, et l’État en particulier. Mais je vais aujourd’hui m’en tenir à l’aspect « moral ».

    Osons poser la question : le fraudeur fiscal, riche de surcroît, est-il immoral ?

    Regardons ce que paie celui dont le talent (je ne parle pas de l’escroc, du faux chef d’entreprise accro aux subventions, ou du politicien, ici), lui permet de jouir d’un revenu individuel supérieur à  151 000 Euros, barème 2015. Ce qui est appréciable, mais pas non plus extravagant.

    Chaque euro de gain supplémentaire lui sera ponctionné, tout d’abord, du couple CSG CRDS, qui lui prendra environ 8%. Puis de 45% des 92% restants au titre de l’IRPP. Depuis 40 ans, ce taux a fluctué entre 45% (point bas…) et 75% (il y a encore peu…). Voilà donc grosso modo 50% qui partent au fisc.

    Mais si ce niveau de revenu vous a permis, au cours des ans, d’acquérir un capital supérieur au seuil d’imposition à l’ISF, vous allez ajouter à cela un impôt calculé sur votre fortune (moins le seuil), jusqu’à 1,5%. Compte tenu des très faibles rémunérations actuelles du capital, l’ISF en représente donc une grande part, qui se cumule avec l’IRPP. À diverses époques, depuis les débuts de l’ISF, ont parfois existé des mesures de non prélèvement au-delà d’un certain pourcentage de revenu, sans quoi certaines impositions réelles auraient dépassé 100%. Mais en tout état de cause, un taux d’imposition marginal réel supérieur à 75% ou encore pire, n’est pas rare, et ce avant d’avoir payé les taxes locales, et la TVA sur ce que le disponible permet de consommer.

    En contrepartie, près de 50% des ménages ne paient aucun IRPP, et les 10% de foyers les plus aisés (revenu par tête supérieur à 53.000 euros) paient en 2012, 74% de la somme totale collectée au titre de cet impôt (source). Inutile de préciser que concernant le produit de l’ISF, la différence est encore plus flagrante.

    Autrement dit, l’immense majorité de ceux qui paient peu ou ne paient pas l’impôt le plus douloureux, trouvent parfaitement normal que l’on puisse prendre à la minorité dont le talent tire le pays vers le haut, 75% et plus de ce qu’ils gagnent. Ce sont les mêmes qui nous répètent à l’envi que « le consentement à l’impôt est l’indispensable fondation » sur laquelle tient la république. Souvent, ce sont les mêmes qui voudraient diminuer la TVA, « injuste car payée à même proportion par le pauvre et le riche », ou intégrer la CSG « insuffisamment progressive » dans l’assiette de l’IRPP. Bref, il faudrait que la part de fardeau fiscal du riche, déjà élevée, augmente encore et encore, pour satisfaire la demande politique de ceux qui contribuent le moins au festin de l’État.

    Et cet impôt, pour faire quoi ? De nombreux chercheurs  (Comme par exemple le social-démocrate canadien Tim Smith, auteur de La France Injuste, 2006) ont montré que le « modèle social français »  n’était clairement pas redistributif vers les pauvres, ni « universaliste » dans sa conception, mais servait surtout à financer des privilèges de caste : fonctionnaires, petits et gros, et leurs régimes spéciaux de retraite ou d’indemnisation maladie, politiciens, et employés de services publics dont le droit du contrat de travail n’a de privé que le nom. Et aussi, disons-le, certaines clientèles de riches vivant au crochet de l’État : acteurs et artistes subventionnés, gros céréaliers et grands exploitants agricoles (au contraire de nombre de petits producteurs en faillite) et grands patrons d’entreprises vivant grassement de commandes publiques ou subventionnées. En cela, le modèle français se distingue radicalement du modèle suédois, qui prélève autant que le nôtre en impôts, mais qui est bien plus « universel » : le mode de calcul des prestations qu’il délivre est unique, de l’employé au Premier ministre, et les subventions d’aubaine au secteur privé, à défaut d’être inexistantes, sont rarissimes. Aussi même les plus riches sont moins enclins à frauder ce modèle jugé plus équitable (Source : La société de défiance, Algan et Cahuc, 2008). Allez fureter dans le lien fourni en début d’article : vous verrez qu’à population égale, on compte trois fois moins d’évadés fiscaux suédois que français. Je doute qu’une telle différence soit uniquement culturelle ou géographique.

    Alors très franchement, imaginez un entrepreneur français, ayant tout risqué pour accomplir son rêve d’indépendance, de reconnaissance, et d’utilité maximale, ayant échappé au sort funeste attendant la moitié d’entre eux au bout de 5 ans, à savoir la faillite, faisant partie de la minorité qui parvient à s’extraire des tranches basses et moyennes de l’impôt, à force de travail, de talent, et, souvent, d’une part de chance. Ou encore un footballeur professionnel dont la bonne période ne dure que quelques années. Ou un chirurgien qui a triomphé de plus de 10 années d’études hyper sélectives et dont le savoir est perpétuellement remis en cause par le progrès technologique. Trouvez vous anormal que ces gens-là aient envie de conserver, disons, au moins la moitié du fruit de leur travail ? De réussir à se constituer un capital de précaution, si jamais leur bonne étoile les quitte ? Que financer à fonds perdus une bureaucratie perverse et folle leur arrache des larmes de plaisir ?

    Certains peuvent jouer tout à fait légalement des outils de défiscalisation accessibles aux plus internationaux, aux plus mobiles, et réduisent leur facture tout en restant domiciliés en France. D’autres, plus radicaux, s’expatrient, coupant leurs liens avec leur pays d’origine, parfois avec regret. Mais ceux qui ne peuvent partir, parce que leurs gains sont attachés à des clientèles françaises, ou à des activités strictement locales, sont parfois tentés de renverser l’injustice fiscale qui leur est faite en utilisant des moyens que l’État, dans sa quête effrénée du dernier sou, juge illégaux. Car oui, considérer qu’un homme n’est propriétaire que de 25% du fruit de son travail, voire moins, est une injustice considérable, une immoralité sans nom.

    Bien sûr, l’État, au sens large, a besoin d’un certain volume de rentrées fiscales : le fonctionnaire est gourmand, et le subsidié souvent encore plus. Ce qu’il n’arrive pas à prendre aux « riches » et aux « moyens fortunés », il va tenter de le rafler aux classes moyennes qui n’ont pas la surface financière pour se planquer dans les coffres helvètes. Vous me direz donc que le riche qui pratique la dissimulation mérite d’être puni, car il pénalise des gens moins riches que lui. Mais au vu de ce qui précède, qui doit l’être ? Le riche qui protège ses intérêts d’une rapine légalisée à son encontre, masquée sous les oripeaux de la démocratie, ou l’État rapace ?

    L’État a choisi de tenter d’arrondir ses fins de mois en renforçant la répression fiscale. Ne devrait-il pas, pour susciter ce fameux « consentement à l’impôt », d’abord s’imposer une cure de frugalité, chasser les privilèges qu’il a créés, et en finir avec la fiction de « justice fiscale » qui transforme l’impôt progressif en spoliation des fruits du talent ?

     

  • FOOTBALL


    Brésil : des mamans de supporters pour assurer la sécurité dans les stades

    Le Sport Club do Recife pense avoir trouvé la solution pour éviter les violences dans les tribunes : poster les mères de certains supporters afin de les surveiller.
    • 12 FÉVRIER 2015
    • 0 
    •  
    • PARTAGER :    
           Des "Mamans sécurité" font le tour du stade de Recife, au Brésil - Crédit : www.sportrecife.com.br      
    "Personne ne veut se battre devant une maman, surtout la sienne" : c'est de ce principe que sont partis les responsables du Sport Club do Recife (Brésil), qui cherchaient une solution pour éviter les violences des supporters dans les tribunes. Ils ont donc "employé les mères de plusieurs supporters comme "stadières" en espérant que cela en dissuade certains de se battre", rapporte The Guardian, qui cite le site du club

    Le Sport Club do Recife, champion de l'Etat du Nordeste en 2014 et vainqueur de la Coupe du Brésil l'année précédente, a formé une trentaine de mamans, qui ont suivi "le même programme que les agents de sécurité officiels dans les stades". Elles ont pris leur fonction le dimanche 8 février, lors du derby contre le Nautico, l'autre grand club de la ville (remporté par le Sport Club 1 à 0). 

    Patrouille de mamans en gilet fluo

    L'idée est qu'elles "patrouillent autour du terrain avec un gilet fluo sur lequel sont inscrits les mots 'Segurança Mãe' ['Mamans sécurité']", note le Guardian, qui explique que "leur présence était mise en valeur sur les écrans géants du stade, avant et au cours du match, pour que les supporters en soient bien conscients". 

    La violence dans les stades est un problème récurrent au Brésil ; elle entraîne depuis quelque temps une baisse de la fréquentation des enceintes sportives. Régler ce problème est devenu une priorité pour l'ensemble des clubs.

  • Mexique: Violence...toujours

    MEXIQUETuée pour un tweet

    Une femme qui dénonçait sur Twitter les narcotrafiquants a été assassinée le 15 octobre, trois semaines après la disparition de 43 étudiants. Un vent de colère souffle dans la société civile mexicaine, signe que le pays n'est plus disposé à supporter l'intimidation des cartels, écrit Roberto Saviano, l'auteur de "Gomorra“.
    • 26 OCTOBRE 2014
    • 0
    •  
    • PARTAGER :   
    Mexico, le 15 octobre, devant le ministère de la Justice. Des étudiants manifestent pour réclamer la vérité sur les 43 disparus d'Iguala. AFP/Omar Torres
    Ici, on meurt pour un tweet. Ici, on est condamné à mort par un tweet. Pour un tweet, on disparaît à jamais dans ce Mexique, où quarante-trois étudiants qui manifestaient contre les cartels ont mystérieusement disparu – et ont probablement été assassinés – depuis près d’un mois. Pour un tweet, on meurt. Car un tweet suffit à déstabiliser une organisation criminelle structurée, forte de plusieurs centaines d’hommes et riche d’une fortune sonnante et trébuchante indéterminée.

     Le 15 octobre, ils ont assassiné la “twitto” María del Rosario Fuentes Rubio, médecin et activiste de Reynosa, chef-lieu du Tamaulipas, Etat frontalier du Texas. María était une collaboratrice régulière du site “Valor por Tamaulipas” [Courage pour Tamaulipas], associé à une page Facebook suivie par 500 000 abonnés, et administrait le réseau indépendant de journalisme participatif “Responsabilidad por Tamaulipas” [Responsabilité pour Tamaulipas], créé il y a deux ans par des chroniqueurs et des citoyens ordinaires pour informer sur les activités des narcotrafiquants dans la région. Sur Twitter, María était @Miut3 et signait “Felina”, et c’est sous ce pseudonyme qu’elle dénonçait les agissements illicites des groupes criminels opérant dans son secteur.

    "Aujourd'hui, ma vie a pris fin"

    Elle a inlassablement publié ses alertes, jusqu’au 15 octobre. Puis, ce jour-là, un peu après midi, elle a été enlevée par des hommes armés alors qu’elle se rendait à son travail. Ils l’ont poussée dans une camionnette et ont filé. Son compte Twitter est resté muet jusqu’au lendemain matin à 5 heures, quand soudain deux photos ont été postées : sur l’une, María fixe l’objectif ; sur la seconde, elle est étendue au sol, dans les mêmes vêtements, une plaie béante à la tête, le visage ensanglanté.

    Ses agresseurs ont réussi (peut-être en lui extorquant son mot de passe sous la torture) à pirater son profil et à poster les clichés accompagnés d’un message : “A mes amis et ma famille : mon vrai nom est Maria Del Rosario Fuentes Rubio. Je suis médecin. Aujourd'hui, ma vie a pris fin. Il ne me reste qu’une chose à vous dire : ne faites pas la même erreur que moi. Il n’y a rien à gagner. Au contraire, aujourd’hui je me rends compte que j’ai trouvé la mort pour rien. Ils sont plus près de nous que vous ne le croyez. Fermez vos comptes, ne mettez pas en danger vos proches comme je l’ai fait. Je leur demande pardon."

    Les narcotrafiquants ont soigneusement choisi leurs mots. Ils cherchent à décourager : le message “Il n’y a rien à gagner” s’adresse à tous les journalistes et jeunes gens qui croient pouvoir dénoncer la puissance criminelle. “Fermez vos comptes, ne mettez pas en danger vos familles” : la menace est glaçante. “Chaque compte pourrait mettre tes proches en péril”: il s’agit de pousser les parents à faire pression sur leurs enfants. Et enfin, en déclarant “Ils sont plus près de nous que vous ne le croyez”, ils invitent chacun à se méfier de tout le monde, ce qui revient à dire “il ne sert à rien de vous cacher ou de vous retrancher derrière des pseudonymes, car il se trouvera toujours quelqu’un pour vous trahir”.

    Les femmes en première ligne

    Les femmes sont beaucoup plus actives sur les réseaux sociaux pour témoigner sur les narcotrafiquants. En témoigne l’exemple de Lucy. Elle gère le Blog del Narco, un site Web qui depuis quatre ans chronique la violence et la brutalité de la guerre du Mexique contre la drogue à travers du matériel mis en ligne par des lecteurs et souvent par les narcotrafiquants eux-mêmes. Le blog recueille les signalements anonymes des citoyens ordinaires et compte aujourd’hui 25 millions de visiteurs par mois. Il est administré par une jeune femme de 20 ans dont la véritable identité n’a jamais été dévoilée pour des raisons de sécurité. Je n’ai jamais oublié la réponse qu’elle a faite à un journaliste qui lui demandait par e-mail quels étaient ses projets : “Mes projets d’avenir ? Vivre. C’est là mon espoir pour l’avenir à court, moyen et long terme.”

    En septembre 2011, les narcos avaient déjà pris la mesure du danger que représentait pour eux la diffusion d’informations sur la Toile. Un homme de 25 ans et une femme de 28 ans ont été retrouvés pendus à un pont de la ville frontalière de Nuevo Laredo. A côté d’eux, un message signé des cartels mettait en garde les “balances” qui les dénonçaient sur Internet. Onze jours plus tard, toujours dans l’Etat de Tamaulipas, ce fut le tour de la Nena de Laredo.

    Les lecteurs invités à dénoncer les cartels

    Pour se prémunir des mesures de représailles des cartels, Marisol Macías Castañeda utilisait plusieurs noms. Dans les colonnes de Primera Hora, le journal local de Nuevo Laredo pour lequel elle travaillait, elle signait María Elizabeth Macias Castro. Sur son comte Twitter et sur le site de vigilance anti-narco “Nuevo Laredo en vivo” [Nuevo Laredo en direct], elle utilisait le pseudonyme “LaNenaD-Lardo”. C’était sous ce nom qu’elle écrivait des articles sur les activités des cartels mexicains et invitait ses lecteurs à dénoncer les exactions liées au trafic de drogue. Marisol était persuadée que pour lutter contre les groupes criminels, il fallait commencer par partager l’information. Et elle savait que la parole, une fois partagée, peut devenir la plus dangereuse des armes.

    Le samedi 24 septembre 2011, son corps sans vie fut retrouvé sur une route des environs de Nuevo Laredo, au pied de la statue de Christophe Colomb. Sa tête décapitée avait été déposée sur le monument. La pancarte laissée à proximité du cadavre ne laissait place à aucun doute : “OK, Nuevo Laredo en Vivo et réseaux sociaux, je suis la Nena de Laredo, et je suis là à cause de mes signalements et des vôtres…” Le texte était signé des Zetas, l’un des cartels mexicains les plus puissants et les plus féroces. Une paire d’écouteurs, un lecteur CD et un clavier près du cadavre : les outils du métier qui l’avait condamnée à mort.

    C’est la raison pour laquelle prétendre que le Mexique est un monde à part est une façon détournée de dire “que pouvons-nous faire, nous, pour ce qui se passe là-bas ? En quoi est-ce que cela nous concerne?” Eh bien, justement, cela nous concerne au premier chef. Car les guerres qui déchirent aujourd’hui le Mexique – la guerre entre les cartels de la drogue les plus cruels, la guerre entre l’Etat et les cartels, la guerre entre les cartels et la société civile qui n’en peut plus de vivre dans cet enfer – se livrent pour fournir à cette partie du monde, la nôtre, le carburant pour affronter le quotidien : à savoir, la cocaïne. C’est aujourd’hui le Mexique qui gère les grands flux. C’est le Mexique qui a désormais repris le rôle qui fut celui de la Colombie. Et c’est au Mexique qu’est en train de naître cette révolution décisive sur laquelle nous devons braquer les projecteurs. La société civile n’en peut plus. Les médias s’autocensurent par peur des représailles.

    Facebook et Twitter dans le collimateur


    Les médias et la société civile du Mexique ont besoin de notre soutien car ils ne pourront pas s’en tirer seuls. Selon Reporters sans Frontières, en dix ans, de 2003 à 2013, au moins 88 journalistes et responsables de presse ont été assassinés au Mexique, et 18 autres ont disparu. Mais maintenant, ce ne sont plus uniquement les journalistes qui sont ciblé, mais aussi des citoyens qui ont entrepris de chroniquer les activités des cartels sur Internet et les médias sociaux. Facebook, Twitter et d’autres réseaux sociaux comblent le vide laissé par une presse qui fait l’impasse sur le crime organisé et sur la guerre du Mexique contre le narcotrafic. Or, les cartels ont tôt fait de comprendre que la plateforme du Web est plus rapide et atteint davantage de personnes que les journaux – et ils l’ont d’ailleurs eux-mêmes utilisée pour leur propre propagande. C’est pourquoi les utilisateurs de Facebook et de Twitter se retrouvent également dans leur collimateur.

    A l’heure où des milliers de gens ont décidé de descendre dans la rue à Mexico pour manifester contre la disparition, le 26 septembre, des 43 étudiants d’Iguala, le reste du monde commence à prendre conscience de ce qu’il se passe au Mexique. La situation est complexe. Mais chacun a fait ce constat dramatique : les forces de l’ordre, les institutions et les cartels de la drogue entretiennent des liens si étroits que depuis un mois, ils empêchent le pays de savoir ce qu’il est advenu des jeunes disparus.

    Ils étaient arrivés le 26 septembre à Iguala (Etat du Guerrero) depuis le village d’Ayotzinapa, à une centaine de kilomètres par la route. Ils voulaient collecter des fonds pour leur école menacée de fermeture, et aussi manifester contre la violence et la corruption endémique au sein des forces de l’ordre à l’occasion du 46e anniversaire du massacre du 2 octobre 1968, lorsque, juste avant l’ouverture des jeux Olympiques, la police et l’armée avaient ouvert le feu sur un rassemblement d’étudiants, faisant quelques trois cents victimes. Un groupe d’étudiants s’est emparé de trois autobus pour rentrer à Ayotzinapa.
    A ce moment-là, les jeunes ont été attaqués par plusieurs agents de la police municipale appuyés par des hommes en armes – appartenant sans doute au gang “Guerreros Unidos” [Guerriers unis]. Depuis cet instant, on a perdu toute trace des 43 étudiants. On a pour l’heure découvert dans des fosses communes 28 cadavres dont les autorités mexicaines assurent qu’ils ne sont pas ceux des disparus. Mais les experts indépendants argentins n’ont pas encore rendu les conclusions de leur enquête.

    Personne ne peut faire confiance à personne

    Selon d’autres sources, les étudiants auraient été arrêtés par la police locale puis, remis aux hommes de main des narcos, qui les auraient exécutés. Un scénario glaçant. Entre-temps,36 représentants de la police municipale et 18 membres des Guerreros Unidos ont été arrêtés. Et le maire d’Iguala et sa femme ont pris la fuite [lire le portrait que leur a consacré le quotidien Mexicain El universal]. Le maire est accusé d’avoir ordonné à la police municipale “d’attaquer les étudiants”. La police et les Guerreros Unidos, associés aux cartels, auraient “collaboré” pour “neutraliser” les étudiants. Quant à l’épouse du maire, María de los Angeles Pineda, elle serait la sœur de narcotrafiquants. Le couple est accusé d’avoir partie liée avec les Guerreros Unidos. Le chef de ce gang, Sidronio Casarrubias, a été arrêté la semaine dernière.

    Une chose est certaine, en exécutant la twitto María del Rosario, les narcos consacrent sans équivoque une nouvelle méthode d’intimidation : quiconque les touche meurt. Même s’il les touche sur les réseaux sociaux. Cela étant, la manifestation de Mexico démontre aussi très clairement que la société civile en a assez. Elle en a assez de vivre en état de siège. Elle en a assez de cette guerre qui ne fait jamais la une des journaux mais assiège – et militarise – leur existence. Assez de ne plus pouvoir faire confiance à personne – pas davantage aux forces de l’ordre qu’aux autorités ou qu’aux utilisateurs qui naviguent sur Twitter et Facebook. N’importe qui peut être un narcotrafiquant. N’importe qui peut être livré aux cartels. Personne n’est en sécurité dans ce Mexique où 43 étudiants se sont évanouis dans la nature. Où l’on tue pour un tweet.

  • Mexique:Les responsables de la tuerie des étudiants démasqués

    MEXIQUELe maire et son épouse, le couple "impérial" d'Iguala

    L'ancien maire d'Iguala et son épouse sont désignés comme les commanditaires de la violente répression contre les étudiants de l'école d'Ayotzinapa. L'enquête révèle la généalogie encombrante d'un couple étroitement lié aux réseaux mafieux.
    Le maire d'Iguala, José Luis Abarca, et son épouse María de los Angeles Pineda Villa à Chilpancingo, en mai 2014 - AP / Alejandrino GonzalezLe maire d'Iguala, José Luis Abarca, et son épouse María de los Angeles Pineda Villa à Chilpancingo, en mai 2014 - AP / Alejandrino Gonzalez
    Démission

    Le gouverneur de l'Etat du Guerrero, Angel Aguirre, a annoncé sa démission le 23 octobre. Les manifestants, mobilisés depuis plus d'une semaine, réclamaient son départ, l'accusant de négligence dans la gestion de l'affaire des étudiants disparus le 26 septembre. Lors d'une conférence de presse, il a déclaré : "Dès les premières heures, le gouvernement de l'Etat [du Guerrero] a pris des mesures pour arrêter les policiers directement impliqués ainsi que d'autres individus identifiés comme parties prenantes",rapporte Animal Político. Un témoignage de bonne foi qui n'a pas convaincu les foules.

     

     

    José Luis Abarca, l'ancien maire d'Iguala [dans l'Etat de Guerrero], et son épouse María de los Angeles Pineda Villa ont été désignés par le procureur général de la République comme les commanditaires d'une "répression violente" contre les étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa [disparus le 26 septembre à Iguala].

    Tous deux sont en fuite et recherchés depuis le 22 octobre, et sont "présumés responsables d'actes illicites", selon les termes du procureur.

    María de los Angeles Pineda Villa était le principal agent du gang Guerreros Unidos, de l'aveu même de membres de cette organisation criminelle, indique le ministre de la Justice Jesús Murillo Karam. Elle servait d'intermédiaire entre cette organisation et l'équipe municipale, avec l'aval de son époux José Luis Abarca, l'ancien maire d'Iguala.

    Selon les témoignages d'habitants de cette commune, la mairie était, de facto, tenue par José Luis Abarca et son épouse María de los Angeles Pineda Villa, d'où leur surnom de "couple impérial". Certains affirment même que c'était elle qui prenait les grandes décisions municipales.

    Lors d'une conférence de presse [le 22 octobre], Jesús Murillo Karam a indiqué que le couple avait ordonné l'interdiction de la manifestation étudiante, en marge de la fête, au prétexte qu'elle coïncidait avec la présentation, par María de los Angeles Pineda Villa, du rapport d'activités de l'organisme de protection de la famille qu'elle présidait.

    La "première dame municipale" avait par ailleurs révélé son intention de se présenter à la mairie d'Iguala, ce qui aurait déplu aux étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa.

    Un édile douteux

    José Luis Abarca a prêté serment le 30 septembre 2012 et pris la fuite le 30 septembre 2014. Pendant sa brève gestion, il a fait l'objet de nombreuses plaintes pour népotisme, trafic d'influence et même assassinat. Le maire en cavale est originaire d'Arcelia (Guerrero). Lui et sa femme sont arrivés il y a de nombreuses années à Iguala. La famille de José Luis Abarca vendait des chapeaux et des robes de mariée. Lui-même s'est lancé dans le commerce de l'or avant de devenir, au cours des dix dernières années, chef d'entreprise aux côtés de sa femme.

    C'est sans aucune expérience politique qu'il a remporté les élections de juin 2012.

    Du côté de son épouse, un rapport du Centre d'investigation et de sécurité nationale (Cisen) avait déjà confirmé que les frères et la mère de María de los Ángeles Pineda entretenaient des liens étroits avec les Guerreros Unidos.

    Intitulé "Etat de l'enquête sur les faits de violence survenus dans la ville d'Iguala", ce rapport interne, daté du 1er octobre, révèle que le maire est parvenu à corrompre l'état-major du Parti de la révolution démocratique (PRD) aux échelons national et de l'Etat de Guerrero, à travers divers mécanismes tels que des versements d'argent liquide et des dons en nature destinés au fonctionnement de ces instances.

    Une famille en lien avec les cartels

    Il apparaît en outre que l'un des beaux-frères de José Luis Abarca,  Salomón Pineda Villa El Molón, a fait un séjour dans une prison de haute sécurité de Matamoros [Etat de Tamaulipas], le Centre fédéral de réadaptation sociale [Cefereso]. Libéré en juin 2013, le beau-frère a aussitôt repris ses activités criminelles, devenant à Iguala le chef local des Guerreros Unidos.

    Deux autres beaux-frères de l'ancien maire d'Iguala, Alberto Pineda Villa El Borrado y Mario Pineda Villa "El MP", ont été à la solde du cartel des Beltrán Leyva [dont le chef a été arrêté le 1er octobre] pendant de nombreuses années. Ils ont fini par prendre leurs distances avec ce cartel et l'ont payé de leur vie. Enfin la belle-mère de l'ancien maire d'Iguala, Maía Leonor Villa Orduño, est également liée à feu Arturo Beltrán Leyva [tué en 2009 par les militaires de la marine mexicaine]. Elle a été son agent et son prête-nom.

  • Le djihadisme vu d’Europe

     

    De Londres à New Delhi, de Washington à Paris, ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre les djihadistes en Syrie ou en Irak. Violents mais pas spécialement dévots. Les Occidentaux sont surreprésentés dans ces groupes. Explications.
    • 3 SEPTEMBRE 2014
    • 0 
    •  
    • PARTAGER :    
    Photomontage de Denis Scudeller pour Courrier international

    Un djihad très français
    “La nouvelle génération de néodjihadistes français” – dont Mohammed Merah, l’auteur des attentats de Toulouse en 2012 – est “un produit du printemps arabe et du système d’éducation publique français”, selon Mathieu Guidère. Ce professeur français d’études islamiques écrivait en mai sur le site britannique The Conversation : ils ont “hérité d’un mélange explosif d’esprit révolutionnaire français et d’une reconnaissance de la rébellion comme symbole de liberté”. Pour eux, “le printemps arabe fut un tournant. Tout sentiment d’infériorité que pouvaient avoir les jeunes d’origine maghrébine était remplacé par une fierté intense” vis-à-vis des rébellions dans leurs pays d’origine. “L’échec du gouvernement français à intervenir et à fournir une aide substantielle au peuple syrien a poussé de nombreux jeunes gens à agir eux-mêmes” poursuivait Mathieu Guidère. 

    Un califat jusqu’en Bosnie ?
    A l’annonce de la mort du wahhabite bosniaque Emrah Fojnica, tué lors de l’attentat suicide qu’il avait commis en Irak le 7 août, son père a promis de mettre en ligne la vidéo de son “martyre” afin d’“inciter les jeunes à rejoindre le djihad pour le califat”. “La violence affichée par les extrémistes n’est pas fortuite, elle fait partie de la stratégie d’instauration de l’Etat islamique”, estime Vlado Azinović, politologue à l’université de Sarajevo et auteur du livre Al-Qaïda en Bosnie-Herzégovine. Mythe ou menace réelle ? [non traduit]. Il ajoute que les combattants de l’Etat islamique deviennent les idoles des jeunes de 15-16 ans. “Vu que le califat affiche l’intention d’étendre l’Etat islamique à partir de la Syrie et de l’Irak, à travers la Turquie, la Grèce, l’Ukraine et la Bosnie-Herzégovine, jusqu’en l’Espagne, ces jeunes n’ont plus besoin de partir pour la Syrie. Ils peuvent combattre pour l’Etat islamique chez eux, sans se déplacer”*, affirme Azinović. Depuis longtemps, les médias de Bosnie-Herzégovine attirent l’attention sur les liens entre Muhamed Porča, l’imam radical installé à Vienne, en Autriche (lire p.28), et la communauté wahhabite bosniaque vivant dans le village de Gornja Maoča [nord-est de la Bosnie] d’où les jeunes s’en vont combattre en Syrie et en Irak, le sourire aux lèvres, comme s’ils partaient à Disneyland. 

    Snjezana Pavic
    Publié le 28 août 2014 dans Jutarnji list Zagreb (extraits) 

    * On estime que 150 moudjahidin originaires de Bosnie-Herzégovine se trouvent actuellement en Syrie et en Irak, alors qu’une cinquantaine sont rentrés au pays. Ce sont eux qui inquiètent le plus les autorités bosniennes. 

    Au Danemark, pas de profil type Plus de 100 Danois ont participé aux combats en Syrie depuis que la guerre a commencé, en mars 2011. Au moins 15 de ces djihadistes y ont perdu la vie. Mais s’il s’agit du conflit qui attire le plus de Danois, ces derniers n’ont pas beaucoup de points communs, constate le quotidien Politiken. Le journal a étudié de près 11 cas et constate que même si ces djihadistes sont issus de l’immigration, et s’ils sont presque tous nés au Danemark, leurs racines ne sont pas syriennes, mais plutôt turques, pakistanaises et somaliennes. Il s’agit majoritairement d’hommes qui ont été radicalisés très jeunes au Danemark et qui sont ensuite partis en Syrie par conviction religieuse et idéologique. Pour le reste, constate Politiken, “ils viennent d’un peu partout au Danemark, ils ont des intérêts complètement différents, n’ont pas fait les mêmes études et ne sont pas issus des mêmes milieux sociaux”. 

    Leur guerre d’Espagne
    “Si [l’écrivain britannique] George Orwell rentrait aujourd’hui [au Royaume-Uni] après avoir combattu lors de la guerre civile en Espagne, il serait considéré comme un terroriste”, constatait George Monbiot dans The Guardian en février. Le chroniqueur y déplorait que de nos jours les Britanniques combattant Bachar El-Assad et son “régime de torture et d’assassinat à grande échelle” risquent d’être emprisonnés à vie, “même ceux qui ne cherchent qu’à défendre leurs familles”.
    Pour appuyer sa démonstration, l’auteur citait l’attentat suicide du Britannique Abu Suleiman Al-Brittani, qui avait fait exploser un camion devant une prison à Alep, permettant la libération de 300 individus emprisonnés par Assad. “Nous savons qu’au moins 11 000 personnes sont mortes dans ce type de prisons et que beaucoup y ont été torturées à mort. […] Or, ne devrions-nous pas plutôt saluer cet acte de courage extraordinaire ? Si Al-Brittani avait été un militaire de l’armée britannique, on lui aurait peut-être décerné une médaille posthume.” 

    ENQUÊTE
    Une addiction à la violence
    Les djihadistes d’origine britannique sont parmi les recrues de l’Etat islamique “les plus vicieuses”, estime Shiraz Maher. Dans une tribune publiée dans le Daily Mail, ce chercheur londonien en matière de radicalisation explique qu’aujourd’hui “tout romantisme initial qu’ils pourraient nourrir sur une aventure dans le désert ou tout idéalisme sur leur vocation à protéger des musulmans sont vite remplacés par une inhumanité sans pitié et par une glorification totale de la terreur”. Le chercheur ne mâche pas ses mots : “Souvent, on dit que ces jeunes Britanniques ont subi un lavage de cerveau. Je n’aime pas utiliser ce terme car cela les décharge trop facilement de la responsabilité de leurs actes. Ils savent très bien ce qu’ils font. Ils ont sciemment décidé de s’immerger dans une histoire sanglante de vengeance et de pouvoir, dans laquelle ils entendent écraser leurs ennemis, détruire les valeurs occidentales et faire triompher leur version pervertie et totalitaire de l’islam.” Shiraz Maher, qui a conduit des entretiens avec des djihadistes britanniques, souligne “un changement fondamental dans leur attitude”. Si l’année dernière “ils évoquaient souvent leurs motivations humanitaires, leur envie de soulager les souffrances des Syriens ordinaires, aujourd’hui ils sont obsédés par l’établissement d’un califat, un Etat islamique. Et leur fanatisme religieux s’est intensifié en même temps que leur addiction à la violence. Ils sont devenus plus agressifs, plus impitoyables, plus déshumanisés.” 

    OPINION
    Pourquoi tant de haine ?
    “Maintenant que l’Etat islamique compte plus d’individus nés en Grande-Bretagne que l’armée britannique ne compte de musulmans, nous sommes nombreux à nous demander ce qui fait qu’ils [les djihadistes nés en Grande-Bretagne] nous détestent autant”, observe Ed West dans The Spectator. “On ne comprend pas, nous [les Britanniques de souche] avons toujours été très corrects [vis-à-vis des Britanniques d’origine étrangère]”, ironise le commentateur dans l’hebdomadaire britannique. “Nous avons importé des immigrés peu qualifiés issus des sociétés les plus fermées et les plus conservatrices au monde pour qu’ils fassent des boulots sous-payés dans nos industries vouées à disparaître, leurs enfants ont pu grandir dans un entourage touché par le chômage, ensuite nous leur avons appris que notre culture était sans valeur et que l’histoire [coloniale] de notre pays était souillée par le sang de leurs ancêtres [notamment pakistanais et indiens], puis nous les avons incités à se replier dans leur religion en accordant des subventions aux membres les plus sectaires et les plus réactionnaires de leur communauté.” Et il conclut : “Qu’avons-nous fait de mal ?” 

    CARTOGRAPHIE