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SwissLeaks : qui est immoral ?

SwissLeaks : qui est immoral ? L’évadé fiscal ou l’État prédateur ?

Publié le 11 février 2015 dans Fiscalité

Qui doit être pénalisé ? Le riche qui protège ses intérêts d’une rapine légalisée à son encontre, masquée sous les oripeaux de la démocratie, ou l’État rapace ?

Par Vincent Bénard.

Bristol born escape artist Roslyn Walker credits  Paul Townsend (CC BY-ND 2.0)

Bristol born escape artist Roslyn Walker credits Paul Townsend (CC BY-ND 2.0)

 

Le déclenchement de l’affaire « SwissLeaks », du nom de la liste des évadés fiscaux ayant bénéficié d’un « abri » au sein de la filiale helvétique de la banque HSBC, nous promet une semaine chargée en diatribes anti « méchante finance », « vilains évadés fiscaux », et « affreuse Suisse », qui privent les États de leurs justes recettes pour lutter contre les effets de la crise, évidemment causée par l’avidité de l’ignoble monde de l’argent sans visage. Le nom d’un acteur à la mode a été jeté en pâture aux médias et à la twittosphère qui le traînent dans la boue parce qu’il a voulu mettre de côté 80 000 euros dans les années 90… Bonjour le niveau.

Et le pire est qu’une grande masse des Français approuve cette rhétorique et ce clouage au pilori républicain, sans discussion. C’est dire si le lavage de cerveau de nos compatriotes, à base de « consentement à l’impôt » et de « fierté de disposer de services publics », a bien fonctionné.

Il y aurait beaucoup à dire, techniquement, sur la question (je n’ose dire « le problème ») de l’évasion fiscale, voire de la fraude, et du bénéfice économique qu’il y a à ne pas transférer des sommes d’argent d’agents économiques ayant prouvé qu’ils pouvaient créer beaucoup de valeur vers l’institution la plus inefficace, à savoir le secteur public en général, et l’État en particulier. Mais je vais aujourd’hui m’en tenir à l’aspect « moral ».

Osons poser la question : le fraudeur fiscal, riche de surcroît, est-il immoral ?

Regardons ce que paie celui dont le talent (je ne parle pas de l’escroc, du faux chef d’entreprise accro aux subventions, ou du politicien, ici), lui permet de jouir d’un revenu individuel supérieur à  151 000 Euros, barème 2015. Ce qui est appréciable, mais pas non plus extravagant.

Chaque euro de gain supplémentaire lui sera ponctionné, tout d’abord, du couple CSG CRDS, qui lui prendra environ 8%. Puis de 45% des 92% restants au titre de l’IRPP. Depuis 40 ans, ce taux a fluctué entre 45% (point bas…) et 75% (il y a encore peu…). Voilà donc grosso modo 50% qui partent au fisc.

Mais si ce niveau de revenu vous a permis, au cours des ans, d’acquérir un capital supérieur au seuil d’imposition à l’ISF, vous allez ajouter à cela un impôt calculé sur votre fortune (moins le seuil), jusqu’à 1,5%. Compte tenu des très faibles rémunérations actuelles du capital, l’ISF en représente donc une grande part, qui se cumule avec l’IRPP. À diverses époques, depuis les débuts de l’ISF, ont parfois existé des mesures de non prélèvement au-delà d’un certain pourcentage de revenu, sans quoi certaines impositions réelles auraient dépassé 100%. Mais en tout état de cause, un taux d’imposition marginal réel supérieur à 75% ou encore pire, n’est pas rare, et ce avant d’avoir payé les taxes locales, et la TVA sur ce que le disponible permet de consommer.

En contrepartie, près de 50% des ménages ne paient aucun IRPP, et les 10% de foyers les plus aisés (revenu par tête supérieur à 53.000 euros) paient en 2012, 74% de la somme totale collectée au titre de cet impôt (source). Inutile de préciser que concernant le produit de l’ISF, la différence est encore plus flagrante.

Autrement dit, l’immense majorité de ceux qui paient peu ou ne paient pas l’impôt le plus douloureux, trouvent parfaitement normal que l’on puisse prendre à la minorité dont le talent tire le pays vers le haut, 75% et plus de ce qu’ils gagnent. Ce sont les mêmes qui nous répètent à l’envi que « le consentement à l’impôt est l’indispensable fondation » sur laquelle tient la république. Souvent, ce sont les mêmes qui voudraient diminuer la TVA, « injuste car payée à même proportion par le pauvre et le riche », ou intégrer la CSG « insuffisamment progressive » dans l’assiette de l’IRPP. Bref, il faudrait que la part de fardeau fiscal du riche, déjà élevée, augmente encore et encore, pour satisfaire la demande politique de ceux qui contribuent le moins au festin de l’État.

Et cet impôt, pour faire quoi ? De nombreux chercheurs  (Comme par exemple le social-démocrate canadien Tim Smith, auteur de La France Injuste, 2006) ont montré que le « modèle social français »  n’était clairement pas redistributif vers les pauvres, ni « universaliste » dans sa conception, mais servait surtout à financer des privilèges de caste : fonctionnaires, petits et gros, et leurs régimes spéciaux de retraite ou d’indemnisation maladie, politiciens, et employés de services publics dont le droit du contrat de travail n’a de privé que le nom. Et aussi, disons-le, certaines clientèles de riches vivant au crochet de l’État : acteurs et artistes subventionnés, gros céréaliers et grands exploitants agricoles (au contraire de nombre de petits producteurs en faillite) et grands patrons d’entreprises vivant grassement de commandes publiques ou subventionnées. En cela, le modèle français se distingue radicalement du modèle suédois, qui prélève autant que le nôtre en impôts, mais qui est bien plus « universel » : le mode de calcul des prestations qu’il délivre est unique, de l’employé au Premier ministre, et les subventions d’aubaine au secteur privé, à défaut d’être inexistantes, sont rarissimes. Aussi même les plus riches sont moins enclins à frauder ce modèle jugé plus équitable (Source : La société de défiance, Algan et Cahuc, 2008). Allez fureter dans le lien fourni en début d’article : vous verrez qu’à population égale, on compte trois fois moins d’évadés fiscaux suédois que français. Je doute qu’une telle différence soit uniquement culturelle ou géographique.

Alors très franchement, imaginez un entrepreneur français, ayant tout risqué pour accomplir son rêve d’indépendance, de reconnaissance, et d’utilité maximale, ayant échappé au sort funeste attendant la moitié d’entre eux au bout de 5 ans, à savoir la faillite, faisant partie de la minorité qui parvient à s’extraire des tranches basses et moyennes de l’impôt, à force de travail, de talent, et, souvent, d’une part de chance. Ou encore un footballeur professionnel dont la bonne période ne dure que quelques années. Ou un chirurgien qui a triomphé de plus de 10 années d’études hyper sélectives et dont le savoir est perpétuellement remis en cause par le progrès technologique. Trouvez vous anormal que ces gens-là aient envie de conserver, disons, au moins la moitié du fruit de leur travail ? De réussir à se constituer un capital de précaution, si jamais leur bonne étoile les quitte ? Que financer à fonds perdus une bureaucratie perverse et folle leur arrache des larmes de plaisir ?

Certains peuvent jouer tout à fait légalement des outils de défiscalisation accessibles aux plus internationaux, aux plus mobiles, et réduisent leur facture tout en restant domiciliés en France. D’autres, plus radicaux, s’expatrient, coupant leurs liens avec leur pays d’origine, parfois avec regret. Mais ceux qui ne peuvent partir, parce que leurs gains sont attachés à des clientèles françaises, ou à des activités strictement locales, sont parfois tentés de renverser l’injustice fiscale qui leur est faite en utilisant des moyens que l’État, dans sa quête effrénée du dernier sou, juge illégaux. Car oui, considérer qu’un homme n’est propriétaire que de 25% du fruit de son travail, voire moins, est une injustice considérable, une immoralité sans nom.

Bien sûr, l’État, au sens large, a besoin d’un certain volume de rentrées fiscales : le fonctionnaire est gourmand, et le subsidié souvent encore plus. Ce qu’il n’arrive pas à prendre aux « riches » et aux « moyens fortunés », il va tenter de le rafler aux classes moyennes qui n’ont pas la surface financière pour se planquer dans les coffres helvètes. Vous me direz donc que le riche qui pratique la dissimulation mérite d’être puni, car il pénalise des gens moins riches que lui. Mais au vu de ce qui précède, qui doit l’être ? Le riche qui protège ses intérêts d’une rapine légalisée à son encontre, masquée sous les oripeaux de la démocratie, ou l’État rapace ?

L’État a choisi de tenter d’arrondir ses fins de mois en renforçant la répression fiscale. Ne devrait-il pas, pour susciter ce fameux « consentement à l’impôt », d’abord s’imposer une cure de frugalité, chasser les privilèges qu’il a créés, et en finir avec la fiction de « justice fiscale » qui transforme l’impôt progressif en spoliation des fruits du talent ?

 

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