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Maroc - Page 3

  • Maroc : qui s’enrichit avec le phosphate?

     
     

    2 novembre 2013

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    Dans son tout récent livre Chasseurs de matières premières, Raf Custers enquête sur ces multinationales qui s’enrichissent grâce aux ressources naturelles de pays qui restent pauvres. Son premier chapitre commence avec le Maroc : les pêcheurs de Sidi Ifni, sur la côte Atlantique, se font appauvrir par les bateaux – usines occidentaux qui épuisent le poisson. Une alternative possible en exploitant la ressource naturelle de la région, les mines de phosphate ? Hélas, non. Les pêcheurs ne peuvent sortir de la misère. A cause de l’élite autour du roi, à cause des multinationales, à cause de l’injustice Nord – Sud.

     

     
    EXTRAIT : 
     
    1. Les monuments de l’exportation
     
    Notre agriculture, elle aussi, utilise des matières premières. Prenons les phosphates : sans eux, pas de céréales ni de bétail. Les mines de phosphate les plus riches se trouvent au Maroc et dans le Sahara occidental occupé. Pourtant, la terre et le désert y restent arides. Le Maroc ne vise pas son marché domestique, il cible le monde. 

    C’est en voiture que nous entamons notre exploration. Le dimanche 29 juin 2008, à Sète, sur la Côte d’Azur, nous prenons le ferry pour Tanger, dans le nord du Maroc. La traversée dure deux nuits et un jour. Sur les petits coussins de la cabine sont brodés des bateaux à vapeur. La petite piscine sur le pont grouille d’enfants, telles des anguilles dans un seau. Nous sommes partis avec une Corolla d’occasion, datant de 1995. Elle venait d’être remise en circulation par la gendarmerie belge. Quand j’ai aspiré l’intérieur, j’ai retrouvé sous la place du mort des billets provenant d’un cinéma de Bruges. Les inspecteurs allaient-ils au cinéma pendant leurs heures de service ? Quand nous sommes partis, le compteur indiquait 153.243 kilomètres. Une caisse à la technique toute simple, sans complexe ni sophistications électroniques. Pas d’air conditionné, et des vitres à descendre à la main, tout simplement. Pour profiter de la brise de mer, nous suivons les côtes marocaines. Le dimanche suivant, nous arrivons à Sidi Ifni, un petit port à environ 1.200 kilomètresau sud de Tanger. Nous décidons de nous y arrêter un peu plus longtemps. L’auto doit aller au garage, il faut remplacer le thermostat. Sinon, il risque de surchauffer d’ici peu dans la chaleur du Sahara occidental et de la Mauritanie. Le lendemain, quelqu’un nous accompagne, depuis l’hôtel Suerte Loca jusque chez un mécano. Je sors quelques banalités – « Il fait calme, comparé avec les plages du Nord ! » - mais l’histoire qu’on me sert en guise de réponse est tout sauf banale. 
     
     
    Le blocage

    Exactement un mois plus tôt, le 7 juin, une révolte a été réprimée ici, à Sidi Ifni. Les protestations avaient débuté fin mai, quand la commune avait proposé d’engager du personnel. Il y avait eu huit offres d’emploi. Mais, le jour de la sélection, 985 candidats s’étaient présentés à la mairie. Sidi Ifni compte plus d’habitants au chômage qu’au travail. Le rassemblement face à la mairie était donc déjà toute une manifestation en soi. Quand les candidats refusés avaient été renvoyés chez eux, quelqu’un a crié : « Au port ! » Vraisemblablement c’était l’un des jeunes diplômés. Ces jeunes ont fait des études mais ne trouvent pas d’emploi. Ils se sont affiliés à un syndicat, l’Association des jeunes licenciés. Immédiatement, la foule s’est mise en mouvement. Au port, ils ont barré le long mur de l’embarcadère, bloquant ainsi nonante camions réfrigérants. Ceux-ci venaient d’être chargés de sardines fraîches et se tenaient prêts à partir pour le nord. Ce n’était pas la première fois que les gens d’Ifni menaient des actions. Ils savaient comment s’y prendre. Ce jour même, ils faisaient parvenir leurs revendications aux autorités provinciales, à Tiznit. Ils voulaient du travail dans leur propre région et exigeaient que les sardines fussent mises en boîte sur place au lieu de les acheminer vers les usines d’Agadir ou de les exporter vers l’Espagne. 
     
    Sidi Ifni est pressuré. La région se situe au bord du Maroc et les villes du centre en emportent la richesse. Et la situation n’a pas changé depuis l’époque coloniale. Longtemps, Sidi Ifni a été une enclave espagnole. Jusqu’en 1969, la ville a été soumise à l’administration coloniale espagnole. Autour de la Plaza Espana, quelques bâtiments de style Art déco mauresque sont demeurés intacts. Certains habitants de la ville pensent avec nostalgie à cette époque coloniale, quand cela se bousculait à l’aéroport et que le commerce était florissant, entre autres avec un autre territoire espagnol comme les îles Canaries. Le commerce tournait autour du poisson. L’Espagne n’avait investi à Sidi Ifni que pour en emporter facilement le poisson. L’administration coloniale avait fait construire deux tours colossales en béton à l’entrée du port, sur des socles qui s’enfonçaient à 150 mètres de profondeur en mer. Les tours étaient reliées à la terre ferme par un téléphérique. La tour la plus proche du littoral est toujours plus ou moins intacte. Au pied des tours, on déchargeait les marchandises espagnoles et elles étaient amenées à terre par le téléphérique. Le poisson de Sidi Ifni faisait le trajet inverse pour être chargé dans les navires espagnols et être exporté, naturellement. 

     Nul n’ignore à quel point les zones poissonnières sont riches, au large des côtes de l’Afrique occidentale. On y pêche à l’échelle industrielle à l’aide de bateaux-usines. Ils viennent de Russie, de Corée, du Japon et d’Europe. Les pêcheurs européens qui, dans les mers plus au nord, ne peuvent plus pêcher davantage que les quotas imposés, se rendent dans les zones poissonnières du Maroc, de la Mauritanie, du Sénégal et de la Guinée. L’Union européenne a conclu des accords de pêche avec ces pays et convenu de la quantité de poisson que les pêcheurs européens pouvaient remonter. Et le Maroc en tire un bon prix. Dans le secteur européen de la pêche, quelque 250 emplois ont ainsi été sauvés, mais, dans les eaux africaines, on prend beaucoup plus de poisson qu’il n’a été convenu. Les pêcheurs africains ne peuvent faire face à la concurrence des bateaux-usines. Bien des pêcheurs ont cessé leurs activités émigrant vers les villes ou vers l’Europe où ils ont rejoint le prolétariat des migrants. 

     Les pêcheurs de Sidi Ifni sont faibles. Je présume qu’ils louent les bateaux avec lesquels ils vont pêcher. Pourtant, les producteurs peuvent également défendre leur intérêt collectif. Par exemple, en organisant la vente à la criée. C’est ce qu’on voit dans d’autres villes portuaires. Les pêcheurs se mettent tous ensemble et vendent ainsi leur poisson aux gens. La criée leur permet de céder leurs produits aux acheteurs à des prix raisonnables. Mais, à Sidi Ifni, il n’y a pas de criée. Le poisson est transvasé directement des bateaux dans les camions. Les pêcheurs ne reçoivent pas d’aide non plus du gouvernement marocain. Par expérience, ils savent que Rabat, la capitale, les considère comme des citoyens de second rang et qu’elle contrecarre le développement de la région. Le gouvernement ne fait rien pour moderniser le port de Sidi Ifni. Devant l’embouchure du port, il y a un banc de sable. Ce qui fait que, chaque fois que les pêcheurs sortent ou rentrent, ils risquent leur vie. Mais il n’existe aucun plan de dragage. Et tant que les pêcheurs de Sidi Ifni attraperont des sardines, le poisson sera systématiquement emporté vers les conserveries des villes du nord du Maroc. Dans le temps, Sidi Ifni était dirigé à partir de l’Espagne, aujourd’hui à partir des villes du centre du Maroc. Le colonialisme espagnol a fait place au colonialisme intérieur. Les régions pauvres du Maroc restent à la traîne, complètement démunies.
     
     
    La répression 

    Durant la révolte de Sidi Ifni, la fameuse élite marocaine a fait savoir clairement qu’elle entendait bien maintenir la situation telle quelle. Quand le blocage du port a commencé à traîner en longueur, les acheteurs ont calculé combien cette plaisanterie allait leur coûter. Ils ont fait intervenir leurs relations. Qui ont décidé d’infliger une bonne leçon à Sidi Ifni. 

     Le 7 juin, une semaine après le début du blocus, l’armée et la police antiémeutes débarquent en nombre. Elles viennent libérer les camions frigorifiques. Quatre mille hommes – c’est le chiffre officiel – entourent la ville. Des unités descendent des flancs de montagne derrière Ifni et, de la mer, des fusiliers marins débarquent. Une fois qu’ils arrivent en ville, ils se déchaînent. De force, ils sortent les gens de leurs maisons. Dans la caserne de la police, les personnes arrêtées, hommes et femmes, se font humilier. Ils doivent baisser le pantalon et s’asseoir sur des goulots de bouteilles de Coke. C’est le Samedi noir. La réalité. En même temps débute la traque aux dirigeants de la révolte.
     
    L’un des dirigeants qu’on m’a signalés me fait savoir qu’il voudrait me rencontrer. Nous parlons sans être vus sur le toit d’une maison, à la belle étoile. L’homme est membre du « secrétariat », un groupe de syndicalistes et de militants de gauche fondé en 2005 lors de précédentes protestations en faveur de l’emploi. Le « secrétariat » a continué de se réunir dans la clandestinité. Il a rédigé un cahier de revendications. Demandant entre autres que le port et l’hôpital de Sidi Ifni soient modernisés, que la route côtière vers Tan-Tan soit élargie afin de faciliter un trafic routier plus abondant, que l’on sorte Ifni de son isolement et, par-dessus tout, que l’on crée des emplois pour les jeunes. Mais le gouvernement de Rabat et l’administration provinciale ne les écoutent pas. Au contraire, ils traficotent autour de l’avenir de Sidi Ifini. L’homme du « secrétariat » sait que la municipalité avait prévu des terrains pour des conserveries. Mais quelques politiciens et hommes d’affaires ont vendu ces terrains en sous-main à des amis politiques, « pour 1,5 dirham le mètre carré », une broutille. 

     L’homme du « secrétariat » me raconte le Samedi noir. Ses yeux se mouillent pendant qu’il me parle. Mais les Ifnois ne se sont pas laissé faire. Le lendemain de l’attaque de l’armée, ils sont descendus à nouveau dans la rue, pour protester contre la répression. La chaîne de télévision Al Jazeera a défié la censure et a transmis des images de la répression. Selon Al Jazeera, l’armée avait même abattu des personnes. Le gouvernement a obligé l’émetteur à cesser ses émissions. Mais la nouvelle de la révolte s’était désormais répandue très rapidement. Les Ifnois avaient téléphoné à leurs parents au Maroc et à l’étranger. Des migrants de Sidi Ifni s’étaient également mis en mouvement, à Rabat, à l’étranger, et même à Bruxelles. Les premiers messages de solidarité étaient arrivés. Une semaine après le Samedi noir, un cortège défilait à nouveau dans les rues de Sidi Ifni mais, cette fois, avec des délégations de Seffro, Safi, Laâyoun, Ouarzazate, Guelimim : 9.000 personnes au total. 
     
    Combien d’endroits n’y a-t-il pas qui sont pareils à Sidi Ifni ? Les gens d’ici sont entrés en résistance afin de profiter un peu plus eux-mêmes des matières premières locales. Ils veulent mettre le poisson en valeur à leur propre avantage et récupérer au moins une partie de ce qu’il rapporte. Mais l’économie et la politique ne fonctionnent pas de cette façon. Si le peuple ne frappe pas sur la table, il n’aura pas grand-chose à dire. 
     
     
    La bande transporteuse

    Le Maroc est pauvre, comparé au noyau riche de l’Europe occidentale. Mais, en réalité, le pays n’est pas démuni. Il possède un long littoral et de riches zones de pêche. Il a également des minerais, dans son sous-sol. Les mines sont éloignées du monde habité. Mais, avec leurs bandes transporteuses, elles arrivent à la mer. Quand on traverse le Maroc du nord au sud, on se croirait sur la route des monuments de l’industrie d’exportation. Partout, on a construit des installations onéreuses qui n’ont qu’une seule fonction : exporter les richesses locales, en exporter le plus possible et sans en faire quoi que ce soit de tangible sur place. 

     A Sidi Ifni, sous l’administration coloniale espagnole, on a installé un téléphérique afin de pouvoir transborder le poisson destiné à l’exportation. Le joyau suivant se situe à Port Laayoun, à une grosse journée de route vers le sud depuis Sidi Ifni. C’est une bande transporteuse de près de cent kilomètres de long. Cette installation sert uniquement à acheminer vers un port le phosphate brut en provenance d’une mine de l’intérieur du pays. Au port, la marchandise est transbordée et expédiée en Europe ou à destination de l’industrie chimique américaine, dans le golfe du Mexique. L’exportation prime, la transformation sur place passe bien après, alors que le phosphate est nécessaire au pays même et qu’une industrie de transformation sur place pourrait procurer des emplois et des revenus. 

     Le phosphate est littéralement d’une importance vitale. De la roche de phosphate, on extrait du phosphore, dont on fait des engrais chimiques et de la nourriture pour bétail. Le phosphore contribue à faire pousser les plantes plus rapidement et consolide les os et les muscles des animaux. On en ajoute aussi aux boissons rafraîchissantes et aux aliments que les gens consomment. Le phosphate est une matière première extrêmement importante. Il fait l’objet d’une forte demande. Mais on a calculé que les réserves mondiales seront épuisées d’ici 75 à 100 ans, si la demande continue à croître chaque année d’environ. [i] Le Maroc et son voisin du sud, le Sahara occidental, disposent ensemble d’au moins deux tiers de tout le phosphate brut de la planète.[ii] 
     
    Le Maroc occupe le Sahara occidental depuis des décennies et administre le pays comme une province du Grand Maroc. La frontière entre le Maroc et le Sahara occidental a été effacée, jusque sur les cartes terrestres marocaines. Le Sahara occidental lui aussi était une colonie espagnole, dans le temps. Aujourd’hui, le pays est incorporé à l’économie marocaine. Parmi les Sahraouis, les habitants d’origine, beaucoup se sont réfugiés dans des camps en Algérie. Ceux qui sont restés n’osent pas parler ouvertement. La police marocaine fait le guet partout. Près du port de Dakhla, nous nous entretenons sans être vus avec un Sahraoui. Nous n’existons plus, dit-il, tout devient marocain. Les Sahraouis qui travaillaient à Boukraa, dans la mine de phosphate, ont été remplacés en grande partie par des colons marocains. Pour attirer ces colons, le Maroc maintient le carburant à un prix ridiculement bas et on a construit des villages qui ne manquent pas d’attrait. Mais les villages se trouvent en plein désert de pierrailles et restent vides. 
     
    Le nom de la ville de Laayoun a été modifié en El Aâyoun par les autorités marocaines. Ici, des garnisons ont toujours été casernées pour veiller sur l’arrière-pays. Si on s’approche de Laayoun en venant du nord, on passe devant la caserne de la légion étrangère espagnole. Mais les légionnaires espagnols ont été remplacés par des militaires marocains. Il en fourmille partout, dans les rues de Laayoun. 

     Les installations portuaires de Port Laayoun et la fameuse bande transporteuse se situent à cinq kilomètres de la ville même. Au port, le paysage change de couleur. C’est un port minéralier et partout, aux alentours, tout est couvert d’une poussière blanche. La poussière provient de la bande transporteuse qui enjambe l’autoroute. On dit que c’est la plus longue bande transporteuse du monde. Cet honneur date des années 1970, lorsque cette installation a été réalisée par la firme allemande Krupp. A l’époque, il s’agissait encore vraiment d’une première mondiale. La bande transporteuse achemine le phosphate brut. Les blocs proviennent en droite ligne de la mine à ciel ouvert de Boukraa. Cette dernière se situe au beau milieu du désert de Saguia el-Hamra, à exactement 97 kilomètres d’ici. C’est l’une des mines de phosphate les plus riches au monde. Pour extraire le minerai du sol, il ne faut même pas creuser très profondément. Sur les photos satellites, la mine de Boukraa ressemble à un long fossile nervuré. Le phosphate brut extrait des puits est chargé sur la bande transporteuse. Dans un bruit fracassant, celle-ci fonce en ligne droite, sans la moindre courbe, vers le port de Laayoun. Au port, le minerai est lavé et séché. Puis emmené par bateau aux quatre points cardinaux. 
     
     
    La colonie du phosphate

    Les veines de minerai de Boukraa ont été découvertes dans les années 1950, quand le Sahara occidental était encore une colonie espagnole. Dans les années 1970, en Espagne, la dictature du général Franco s’écroulait, mais le Sahara espagnol n’en est pas devenu indépendant pour autant. Le Maroc et la Mauritanie, ses voisins du nord et du sud, se sont d’abord partagé le pays. Ensuite, le Maroc a chassé également les troupes mauritaniennes faisant main basse sur tout le pays. Le Maroc n’entendait le céder à aucun prix. Car, en 1974, en raison des zones de pêche au large des côtes et des réserves de phosphate du sous-sol, la Banque mondiale avait décrit le Sahara occidental comme le territoire le plus riche de l’Afrique du Nord-Ouest (le Maghreb). L’ancien et le nouveau colonisateur, l’Espagne et la Maroc, signaient d’ailleurs un accord à ce propos. L’Espagne restait copropriétaire des mines de phosphate du Sahara occidental. Ce fut le cas jusqu’en 2002, lorsque Boukraa devint entièrement propriété marocaine. 

    C’est une absurdité, de voir cette colonie demeurer si aride, à l’instar de régions entières du Maroc. Avec leur phosphate, le Sahara occidental et le Maroc pourraient fertiliser leurs terres. Mais ce n’est nullement une priorité pour les entreprises qui détiennent la chaîne du phosphate, depuis l’extraction jusqu’au produit fini. L’une de ces entreprises est Prayon, toujours en partie dans des mains belges. 

    Jusqu’au début des années 1990, Prayon transformait le phosphate du Maroc en Belgique. On en faisait de l’acide phosphorique. En Belgique, d’autres entreprises, comme UCB, BASF et Rhône-Poulenc s’en chargeaient également. Ce procédé avait un grand inconvénient : il laissait derrière lui des masses énormes de déchets de plâtre. Ceux-ci contenaient des métaux lourds et étaient en outre légèrement radioactifs. On les larguait dans des décharges, devenues tristement célèbres entre-temps, entre autres à Rumst et à Zelzate, ainsi que dans l’Escaut et dans d’autres cours d’eau.[iii] Des années durant, presque tout fut permis, pour soutenir la « position concurrentielle » de l’industrie. 

    Mais le mouvement environnemental allait harceler cette industrie. En 1992, Prayon ne recevait plus de permis de décharge pour le site de Rumst. Selon des informations de l’époque, Prayon avait alors trois copropriétaires : Gechem (de l’écurie de la Société Générale), le holding public wallon SRIW et une entreprise publique marocaine, l’Office chérifien des phosphates (OCP).[iv] Prayon allait alors installer la production d’acide phosphorique de base au Maroc même. Mais pouvait-on encore faire là-bas ce qui était désormais interdit ici ? A-t-on mis en service là-bas, en même temps, une technologie permettant de produire (plus) proprement ? Ce sont des questions que j’espère encore approfondir. Cependant, le Maroc a commencé alors à bâtir sa propre industrie autour de l’exploitation du phosphate brut. Peu après, Gechem s’est retiré de Prayon et l’entreprise, avec une usine à Engis, près de Liège, est devenue la copropriété, à cinquante cinquante, de la Région wallonne et de l’OCP.

     Il importe de savoir que ce ne sont pas des firmes étrangères qui exploitent les mines de phosphate au Maroc. L’Etat marocain a accordé le monopole de l’exploitation à l’Office chérifien des phosphates. Dans ses brochures, l’OCP explique en détail comment il entend contribuer à l’agriculture au Maroc.[v] Mais, dans la pratique, on n’en voit pas grand-chose. Car, encore une fois, l’économie marocaine est adaptée au marché mondial, et non aux besoins intérieurs. 

    N.B. L’auteur examine ensuite “le dédale de la monarchie”, les familles riches qui contrôlent le phosphate, et les difficultés affrontées sur le marché mondial


    [i] Cordell, D. e.a., « The story of phosphorus : Global food security and food for thought », dans Global Environmental Change, 19 (2), pp. 292-305, 2009, cité dans : Fischer-Kowalski, Marina, « Socio-ecological transitions : definition dynamics and related global scenarios »,Working Document Neujobs, avril 2012.

    [ii] Les réserves de phosphate du Maroc et du Sahara occidental sont de 50 milliards de tonnes pour des réserves mondiales totales de 65 milliards de tonnes. « Phosphate rock », dans U.S. Geological Survey, janvier 2011, pp. 118-119.

    [iii] Paridaens, J., Vanmarcke, H., Inventarisatie en karakterisatie van verhoogde concentraties aan natuurlijke radionucliden van industriële oorsprong in Vlaanderen (Inventaire et caractéristiques des concentrations accrues de radionucléides naturels d’origine industrielle en Flandre), Departement Stralingsbeschermingsonderzoek Studiecentrum voor Kernenergie (SCK), étude menée pour le compte de la Société environnementale flamande, MIRA, MIRA/2001/01, juin 2001, 46 p.

    [iv] Willems, R., « Prayon Rupel. Bedenkingen bij een (fosfor)zuur dossier » (Prayon Rupel. Réflexions sur un dossier acide (phosphorique) », dans Markant, 19 juin 1992, pp. 8-9.

    [v] Voir par exemple le Rapport Annuel 2009, Groupe OCP, pp. 41-48.
  • MAROC :Le roi n'a plus toujours raison


    Pour la première fois, le roi Mohammed VI a dû révoquer une décision qu'il avait prise pour faire face à la mobilisation des Marocains, scandalisés par la grâce accordée au pédophile multirécidiviste Daniel Galvan.


     

    Rabat, le 7 août 2013 : des manifestants protestent contre la grâce accordée par Mohammed VI à un pédophile espagnol - AFPRabat, le 7 août 2013 : des manifestants protestent contre la grâce accordée par Mohammed VI à un pédophile espagnol - AFP

    L'excès de tyrannie finit toujours par tuer la tyrannie ! Celle de Mohammed VI n'échappe pas à ce postulat implacable. Son refus d'amender le régime, son affairisme coupable, son accaparement de tous les pouvoirs, son obstination à s'entourer de prédateurs, de tortionnaires et d'incompétents, son refus de se séparer des corrompus qui l'entourent, lui font dire à qui veut bien y croire qu'il exerce une monarchie exécutive, alors qu'il se trouve tout simplement à la tête d'une dictature.

    L'affaire de la grâce le démontre clairement [accordée le 30 juillet au pédophile multirécidiviste, Daniel Galvan Fina, de nationalité espagnole, condamné en 2011 à 30 ans de prison pour avoir violé 11 enfants ; face aux manifestations de protestation et à la forte mobilisation sur les réseaux sociaux, le roi est revenu sur sa décision le 4 août ; le 6 août Galvan a été placé en détention préventive par la justice espagnol].

    A concentrer tous les pouvoirs, le despote finit par n'en maitriser aucun et n'est, dès lors, plus à l'abri du moindre faux-pas, de la moindre erreur ou peau de banane de son entourage.

    On aurait pu évoquer tant d'affaires qui ont jeté l'opprobre et la honte sur le pays, comme la torture à compte d'auteur, pratiquée à l'encontre de nos semblables, acheminés par les avions cargo, depuis l'Afghanistan, tel du bétail livré, pieds et poings liés, aux soins criminels de bouchers qui ne partagent plus rien avec le genre humain. Le roi pouvait-il ignorer les abominations que ces janissaires commettaient impunément, sur notre sol, au nom de la lutte contre le terrorisme ?

    Demander pardon, pour toutes les exactions du passé !

    "Les peuples qui ignorent leur histoire se condamnent à la revivre !", disait Churchill. Autant se l'avouer, notre pays se trouve bien dans la situation de celui qui s'obstine à ignorer son histoire et qui la visite encore et encore, au gré d'insupportables recommencements. L'espace d'un instant fugace, nous avions espéré la fin de nos tourments, à la mort d'Hassan II [29 juillet 1999]. On se prendrait presque à regretter le défunt tyran, tant le Maroc semble naviguer à vue, d'improvisations en errements, de mensonges en travestissements de la réalité et d'exactions en forfaitures.

    La prédation économique s'est accélérée, les prédateurs se sont multipliés. La corruption s'est généralisée à toutes les couches sociales et à toutes les professions. La magouille politique a atteint des sommets et le Maroc visite le fonds du classement de tous les indices. Autant de crimes et point de châtiments, parce que nous continuons de nous taire, d'un silence complice. Nous persistons à nous voiler la face, et à nous bercer de vieilles comptines éculées où il est question du bon roi et du vilain entourage.

    Comme dans cette malheureuse affaire de grâce, l'Etat marocain a fait la démonstration de ses limites, et n'a désormais plus rien d'autre à offrir que des coups de matraques à ses détracteurs, et des boucs émissaires à la colère populaire légitime.

    A de rares exceptions près, la classe politique, toutes tendances confondues, s'est claquemurée dans le silence du lâche quand elle n'a pas tout simplement pris fait et cause pour la grâce, sans aucune considération pour les victimes et leur famille. Des comportements indignes qui confortent le tyran dans sa tyrannie et l'incitent à persévérer dans son aveuglement.

    Pourtant, hormis la répression policière, le limogeage des seconds couteaux ou encore l'emprisonnement des démocrates et la prédation économique, il y aurait tant à faire et qui, à défaut d'être entrepris, éloigne d'autant le Maroc du concert des véritables démocraties.

    Il y aurait également tant de ces gestes à accomplir qui grandissent toujours ceux qui les accomplissent. A commencer par le premier d'entre eux, celui de demander pardon, pour toutes les exactions, les crimes ou les erreurs du passé !

  • Maroc: Sale temps pour les immigrés

     

     
     
     

    Les autorités mènent une guerre sans merci aux sans-papiers depuis trois semaines. Les associations dénoncent et appellent à une politique migratoire respectueuse de l’être humain. Quelles sont les raisons de ce tour de vis ?

      

    A l’heure du déjeuner ce lundi, on sert du tiébou dieun, le plat national sénégalais. Nous sommes au petit marché de la vieille médina de Casablanca, sur l’avenue des FAR. Les commerces des immigrés subsahariens ont désormais pignon sur rue. Les filles se font des tresses dans la boutique de coiffure du coin, tandis que Mohamed Mustapha Guèye, le premier Sénégalais à s’installer dans ce marché en 2009, s’affaire a confectionner les costumes et habits traditionnels et de ville dont il maîtrise la technique. L’ambiance est détendue et les affaires marchent. Le courant semble passer entre les nouveaux gérants des boutiques spécialisées dans les produits « africains » et les vendeurs marocains de DVD et d’accessoires de téléphone.

     

    Entre 500 à 600 expulsions

    Mais au-delà de cette apparente quiétude, se cache un profond malaise des immigrés subsahariens. Depuis environ trois semaines, les associations font état d’une large campagne d’arrestation d’immigrés sans papiers et dénoncent des délits de faciès. Les rafles ont concerné d’abord la ville de Casablanca, puis Rabat, Fès, Tanger ou encore Taourirt. Mais c’est cette dernière localité qui s’est particulièrement distinguée.

    Un rapport de l’AMDH (Association marocaine des droits humains), publié le 14 juin, dénonce une violente campagne d’arrestation dans cette petite ville proche de Nador. L’association accuse les autorités de Taourirt d’avoir monté les habitants contre les immigrés, en brûlant notamment leurs bagages devant la foule !

    A Hay Salam à Oujda, les Marocains qui hébergent des étrangers « clandestins » ont été menacés de poursuites pour « assistance et hébergement de personnes en situation irrégulière ». Résultat : les habitants ont peur de louer des logements aux Subsahariens, même à ceux qui sont en situation régulière.

     

    D’autres incidents ont été signalés notamment dans la gare de Fès ou 150 immigrés ont été arrêtés. Plusieurs autres associations, dont l’OMDH, le syndicat ODT et les associations de Subsahariens dénoncent cette « chasse » aux clandestins. Une pétition circule et un rassemblement devait se tenir jeudi 21 juin devant l’ambassade marocaine à Paris.

    En tout et pour tout, « 500 à 600 immigrés ont été conduits au poste frontière d’Oujda en près de trois semaines », croit savoir Hicham Rachidi, secrétaire général du GADEM (Groupe anti-raciste d’accompagnement et de défense des étrangers et des migrants). Selon les estimations des ONG, il y aurait entre 12 000 et 15 000 immigrés en situation irrégulière sur le territoire national. Et ces derniers temps, il ne fait pas bon en faire partie.

     

    Vols de passeports, bakchichs…

    Cette campagne a installé un climat de terreur dans les milieux des immigrés. Au souk de la vieille médina de Casablanca,  Malik, vendeur de colliers sénégalais est à bout de force. Il envisage de rentrer au plus tôt dans son pays après deux ans passés au Maroc. « On est fatigué, il y a trop de problèmes. Je passe mon temps à contourner la police dans la rue. » Comme nombre de ses concitoyens, il trouve toutes les difficultés du monde à renouveler sa carte de séjour.

    Mohamed Mustapha Guèye est lui aussi condamné à se cacher en attendant sa carte. « Chaque année, ils demandent de nouveaux documents. Je suis le premier commerçant étranger ici. Je fais travailler des Marocains et des Subsahariens. Ils veulent des bulletins de salaire, mais un contrat de bail devrait suffire ! Je suis pour mettre dehors les gens qui font des trafics, mais moi je ne fais pas de zigzag. Je ne suis pas un mafiosi », s’insurge-t-il.

     

    Daouda Mbaye, lui, est journaliste. Il est installé au Maroc depuis plus de vingt ans avec sa petite famille dans un appartement qu’il a acheté. Ses enfants sont de nationalité marocaine. Tout cela ne lui épargne pas les tracasseries administratives et policières. Il dénonce la multiplication des délits de faciès. « J’ai été contrôlé par la police une ou deux fois mais, heureusement, j’avais mes papiers. Il faut être en règle, on est d’accord ; mais le hic est que les démarches sont fastidieuses et à Casablanca, quatre ou cinq policiers s’occupent des formalités administratives de tous les étrangers et sont débordés. Ça favorise les trafics », explique Daouda. Les trafics que dénoncent les immigrés vont du vol de passeport par des bandes organisées aux bakchichs pour obtenir par exemple de fausses déclarations à la caisse sociale.

     

    … Racket et viols !

    Qu’ils soient en attente de papier ou sans papiers, les immigrés vivent dans la peur. S’ils sont arrêtés, ils attendent au poste pendant 48h la décision d’expulsion du juge en vertu de la loi 02-03 qui fixe les modalités du retour au pays d’origine. « On nous prend quatre photos, comme si on était des criminels », s’insurge une jeune femme dont la sœur a fait les frais de ces arrestations. Les immigrés sont la plupart du temps emmenés en bus à Oujda ou « ils sont refoulés aux frontières », explique Pierre Delagrange, président du Collectif des communautés subsahariennes. Il ajoute qu’ils finissent par revenir, en passant par d’autres chemins, en prenant le risque de subir des tirs de sommation des gardes-frontières algériens. « Les arrestations collectives et les refoulements sont normalement interdits par la loi. Le renvoi aux frontières algériennes est illégal. Il faudrait enquêter au cas par cas, les mettre dans un avion à destination de leur pays. Malheureusement, l’Union européenne, qui veut combattre l’immigration, donne les moyens de la répression mais ferme les yeux sur le respect des procédures », renchérit Hicham Rachidi, qui réclame la régularisation de la situation de tous les immigrés.

     

    L’absence de politique migratoire favorise les réseaux de mafias, dénonce un autre militant. Les immigrés sont rackettés, les femmes subissent des viols, et certaines jeunes femmes tombent sciemment enceintes pour ne pas être expulsées, car la loi interdit le renvoi dans ce cas. Quid donc de l’avenir de ces enfants qui naissent sur le sol marocain et devront aller à l’école, à l’hôpital ? On l’aura compris : l’immigration est devenue un véritable enjeu sécuritaire mais aussi humanitaire pour le Maroc. Le Royaume étant passé de pays de transit à une terre d’accueil des immigrés, comment gérer les flux d’arrivée ? Quelle politique migratoire adopter ? Les solutions ponctuelles ont fait leur temps…

    Zakaria Choukrallah

     

    Les immigrés, un risque terroriste ?


    Comment s’explique ce tour de vis ? « C’est à lier à la dernière réunion des pays sahélo-sahariens au Maroc. A chaque réunion officielle, le Royaume veut faire démonstration de sa politique préventive. En 2004, une importante campagne d’arrestations a été menée dans les forêts du Nord. C’était une semaine avant l’arrivée de Zapatero », estime Hicham Rachidi.

    D’autres sources avancent comme argument le risque terroriste que font planer les groupes armés du Sahel, renforcés après la chute du régime de Kadhafi. Le député socialiste Abdelhadi Khairate a même adressé une question orale au gouvernement où il s’inquiète des « armes libyennes qui équipent des candidats à l‘immigration clandestine embusqués au Maroc ». Des déclarations jugées « scandaleuses » et « stigmatisantes » par les associations. « Cela m’étonne de la part d’un député de gauche. Si c’est le cas, pourquoi les autorités ne procèdent-elles pas à des coups de filet dans ce milieu en nous montrant ces armes ? », s’insurge Rachidi, qui y voit une tentative de préparer l’opinion publique à ces campagnes.

     
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  • Maroc : Adoptions


    Le ministre de la Justice, Mustafa Ramid, a interdit l’adoption aux couples qui vivent à l’étranger. Argument : il y aurait un risque de changement de religion. Mais est-ce bien raisonnable ?

     

    Au moment où vous lisez ces lignes, quatre-vingts enfants orphelins ne sont plus sûrs d’avoir une famille. Pourtant, les démarches administratives étaient bouclées par les familles étrangères, en majorité espagnoles, mais aussi françaises, belges et mêmes australiennes, qui désirent les adopter.

    Tout était fin prêt jusqu’à ce qu’une circulaire s’en mêle… Le 19 septembre, le ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid, a adressé aux procureurs des différents tribunaux une note administrative (N°40 S/2). Une note qui opère un changement radical dans les procédures d’adoption. Elle interdit dorénavant aux personnes non résidentes au Maroc le droit à la kafala, soit la prise en charge de l’enfant sans être une adoption au sens strict du terme (la seule méthode d’adoption compatible avec l’islam et permise au Maroc). La décision concerne aussi bien les familles étrangères que les couples de Marocains résidant à l’étranger.

    Depuis la publication de l’information, la polémique a fait boule de neige. Le Parlement s’en est emparé, suscitant un nouveau couac au sein de la majorité entre le PJD et le PPS. La députée PPS et ancienne ministre de la famille, Nouzha Skalli, s’est publiquement opposée à la décision de la majorité, appelant à l’annulation de la circulaire lors de la séance des questions orales au Parlement le 7 novembre.

    Une réaction qui fait écho à l’indignation de la société civile qui s’est constituée en collectif, le « Collectif Kafala », regroupant six associations parmi les principales œuvrant dans le domaine de l’enfance (SOS Villages d’Enfants, l’Association Bébés du Maroc, la Fondation Rita Zniber, l’Association Dar Atfal Al Wafae,  l’Association Osraty et l’association Amis des Enfants).

    Si cette circulaire ministérielle suscite autant d’émoi, c’est parce qu’elle a de lourdes conséquences sur l’avenir des petits orphelins marocains. « Près de 50% des kafalas étaient jusque-là accordées aux étrangers et aux MRE », observe Béatrice Beloubad, directrice du bureau national de SOS Villages d’Enfants et membre du « Collectif Kafala ».

     

    Contrôle religieux

    Selon une étude menée par la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance, une instance officielle, près de 6 000 enfants sont abandonnés chaque année au Maroc. L’association Insaf estime, quant à elle, à 8 000 le nombre d’enfants abandonnés. L’initiative de Ramid devrait donc priver de l’adoption entre 3 000 et 4 000 enfants chaque année.

    Au-delà du grand nombre d’enfants concernés, Mustafa Ramid a cru devoir justifier sa décision, selon Akhbar Al Youm, en évoquant un argument de poids : le risque de voir, si ces enfants étaient ainsi adoptés, « entre 20 000 et 30 000  conversions au christianisme sur une vingtaine d’années ». Interrogé par Nouzha Skalli, le ministre a défendu sa circulaire, arguant qu’elle avait reçu l’aval du chef du gouvernement et l’a motivée par « la difficulté dans le contrôle de l’éducation religieuse des enfants marocains une fois qu’ils ont quitté le Royaume ».

     

    Il y a plus urgent

    Il y a bien eu, si l’on en croit les autorités, des tentatives de conversion « d’enfants musulmans » par des « missionnaires évangélistes ». La plus importante remonte à mars 2010. Le Maroc avait expulsé seize encadrants du « Village of Hope », un orphelinat situé à Aïn Leuh. Mais ces conversions supposées n’ont jamais été prouvées devant un tribunal. Or, pour les associations, la position du ministre confine à une position idéologique qui ne prend pas en compte « l’intérêt suprême de l’enfant ».

    « Il n’y a eu qu’un seul cas de conversion rapporté dernièrement au ministre. On ne peut pas à partir d’un cas isolé prendre une telle décision », s’insurge la députée PPS Aïcha El Korch. Elle demande qu’il  y ait d’abord une véritable enquête sur la famille qui va accueillir l’enfant, que les parents adoptifs vivent au Maroc ou à l’étranger. « Le ministre devrait se soucier d’abord des cas de pédophilie au sein du Royaume », poursuit-elle.

    Béatrice Beloubad abonde dans le même sens et explique, qu’au moins, et contrairement à ce qui se passe au Maroc, une enquête rigoureuse est opérée par les autorités du pays étranger qui accueille les enfants kafil. « Les MRE et étrangers sont aussi pratiquement les seuls qui adoptent des enfants handicapés », remarque-t-elle en se fondant sur son expérience à la tête de SOS Villages d’Enfants.

     

    Enquête sociale

    Cela étant, tout le monde ne réfute pas les arguments de Mustafa Ramid. Zohra Fourat, juge des mineurs et ex-cadre associatif dans le domaine de l’enfance, soutient la circulaire. Elle estime que la difficulté du contrôle de la kafala accordée aux étrangers est une réalité.

    « Certains MRE adoptent des enfants uniquement pour bénéficier d’allocations chômage et d’avantages sociaux dans les pays d’accueil. Et, en règle générale, il est impossible de contrôler dans quelles conditions est élevé l’enfant », explique-t-elle. Mais la magistrate reconnaît qu’il y a plus urgent. Notamment la mise en place d’une « enquête sociale » avant l’accord de kafala. Une procédure… qui n’est toujours pas juridiquement obligatoire au Maroc, remarque-t-elle !

     

    Corruption et discrimination

    Pire, les enfants orphelins subissent la discrimination avant leur adoption. « Des parents veulent des enfants blonds, aux yeux verts. Ils préfèrent les filles, car ils pensent qu’elles sont faciles à élever. Ils ne veulent pas de bébés, car ils n’ont pas envie de changer de couches, etc. Tout cela et l’absence d’enquête en bonne et due forme favorise la corruption et la discrimination », assène la magistrate.

    Le « Collectif Kafala » publie, lui, un chiffre qui fait froid dans le dos : 80% des enfants qui restent dans les orphelinats deviennent des délinquants et 10 % d’entre eux se suicident. Pour l’heure, la circulaire est en vigueur mais le CNDH (Conseil national des droits de l’homme) s’est mobilisé pour écouter les associations et transmettre leurs griefs. La priorité : sauver les quatre-vingts orphelins et, à terme, annuler la circulaire.

    Zakaria Choukrallah

  • MAROC • Pourquoi le "péril noir" de Maroc Hebdo provoque l'indignation

    Le magazine Maroc Hebdo, qui titre "Le péril noir" en une de son dernier numéro, soulève l'indignation et la colère de nombreux Marocains. Mais cette polémique ouvre aussi un débat salutaire sur le racisme ordinaire, estime l'éditorialiste de l'hebdomadaire TelQuel.

     


    "Le Maroc est un arbre dont les racines sont ancrées en Afrique mais dont les branches s'étendent en Europe." Vous avez deviné, cette phrase, qui ressemble à un slogan ronflant de l'office du tourisme, est du roi Hassan II [décédé en juillet 1999]. Elle n'est pas anodine. Le monarque l'avait improvisée au moment où il tentait, il y a trois décennies, d'intégrer le royaume dans la défunte Communauté économique européenne (CEE), devenue l'Union européenne (UE). Sans succès. L'Europe a dit non et le Maroc s'est retrouvé sans branches... et sans racines, puisque dans le même temps il avait claqué la porte de l'Organisation de l'Union africaine (OUA), devenue l'Union africaine (UA). Pas d'Europe et pas d'Afrique. Coupé de ses branches et de ses racines. Ni européen, ni africain.

    Le Point et Maroc Hebdo : même combat !

    Je me suis rappelé de la formule du roi Hassan II au moment où j'ai découvert, surpris, comme la plupart d'entre vous, la couverture deMaroc Hebdo : "Le péril noir". Notre confrère, qui voulait pointer la situation difficile des migrants africains, a déclenché bien involontairement un buzz énorme et, à vrai dire, malheureux. Nous avons vu fleurir partout des "périls", aussi stupides les uns que les autres : arabe, maghrébin, musulman, etc. Mais à quelque chose malheur est bon et la une de Maroc Hebdo renvoie, à sa manière, à celle du dernier numéro du magazine français Le Point : "Cet islam sans gêne". Vous êtes choqués ? Atterrés ? Dégoûtés ? Révoltés ? Indignés ? N'accablez pas trop nos confrères pour autant, ce n'est pas en effaçant leurs titres que l'on effacera le mal. Parce que, derrière le choc, se cache, bien tapi au fond de nos sociétés, le monstre : racisme, xénophobie, intolérance. Comment l'ignorer ?

    Il y a quelques semaines, TelQuel a publié le cri d'alarme de Boubacar Seck, un architecte d'origine sénégalaise qui a fait ses études dans "le plus beau pays du monde" [la France]. Notre frère africain nous rappelait notamment ceci : "Paradoxe, c'est au moment où un parti islamo-conservateur [Parti de la justice et du développement (PJD), vainqueur des législatives du 25 novembre 2011] arrive au pouvoir que les valeurs de tolérance, d'ouverture et d'hospitalité prônées par l'islam s'affaiblissent. C'est au moment où le pays questionne ses principes de liberté, de démocratie et de sécularisation que le repli s'organise."

    De terre de transit, le Maroc est devenu par la force des choses terre d'exil. Sans y être le moins du monde préparé. L'étranger, l'autre, n'était plus seulement européen, donc "supérieur", ou arabe, donc "frère", mais aussi et de plus en plus africain, donc noir, donc "inférieur". Noir et africain, cela fait double peine. L'imaginaire collectif méprise le Noir parce que "descendant d'esclaves", il méprise aussi l'Africain parce que "pauvre (et noir). C'est ainsi que le quotidien, notre quotidien, est devenu un théâtre permanent de haine "anti-Noirs". C'est de l'ordre du racisme ordinaire, que l'on condamne en silence, parce que l'"on comprend" : on sait d'où ça vient et à quoi ça tient.

    Je vais vous citer quelques échanges comme vous avez pu en entendre par dizaines : "Il est beau, riche, grand ? – Il est noir !" "Où va ce pays, il y a trop de Noirs !" "Mais que viennent faire tous ces Noirs, ils ne voient donc pas que l'on a suffisamment de problèmes entre nous ?"

    Puisse cette une de Maroc Hebdo (qui s'apprête, au moment où ces lignes sont écrites, à présenter des excuses, ce qui est tout à son honneur) nous faire comprendre qu'il est temps de rétablir l'africanité de ce pays. Parce que, contrairement à ce que pouvait laisser croire la fameuse phrase du roi Hassan II, tous les Marocains ne sont pas conscients de leurs "racines africaines".