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  • La loi sur le renseignement contre Soral et Dieudonné

    A A A 

     

     
         


     

    Manuel Valls à l’Assemblée : « La surveillance sera ciblée strictement sur les comportements menaçants. Les données tierces ne seront pas accessibles ou exploitables par les services. »

     

    Mardi 5 mai 2015, l’Assemblée vote le projet de loi sur le renseignement, officiellement pour mieux lutter contre le terrorisme, dont les décrets seront applicables cet été. Le terrorisme, vous l’aurez compris, n’est qu’un prétexte : cette loi sur le renseignement intérieur qui vise la contestation sur Internet, dont Soral et Dieudonné sont les fers de lance, était en préparation bien avant les étranges attentats de janvier 2015. Seulement, nos gouvernants auraient eu un peu de mal à la faire passer dans un climat anti-NSA et pro-Snowden. Désormais, c’est du tout cuit, pour Manuel Valls, le nouvel homme fort du pays, et ses employeurs, qui cherchent de la sorte à éliminer toute opposition politique. Vous avez dit pouvoir totalitaire ?

     

    Pourquoi cette loi, ici et maintenant ?

     

    « Dans un monde globalisé, incertain, complexe et traversé par des crises de toute nature, la France doit faire face à la menace terroriste. Pour assurer la sécurité des Français, le Gouvernement a complété l’arsenal juridique avec la loi du 13 novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, le projet de loi sur le renseignement a été présenté, le 19 mars, en Conseil des ministres. Fruit d’une réflexion approfondie, ce texte permet de renforcer les moyens d’action des services de renseignement tout en protégeant les Français dans le respect des libertés. »

    Intitulé « La lutte contre le terrorisme », ce petit paragraphe estampillé Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, est destiné à rassurer les Français, historiquement épris de liberté(s), et quelque peu inquiets de la tournure des évènements : l’État français copie en effet le modèle américain, qui a vu en 45 jours seulement le Congrès et le Sénat voter un Patriot Act de 300 pages après les évènements du 11 Septembre, afin de renforcer le renseignement et l’arsenal répressif. Cinq ans plus tard, la loi était renouvelée, qui avait pourtant permis enlèvements et torture, sans même parler du contrôle quasi-total de la population. La déclaration du président Obama ne rassura pas les citoyens américains très attachés au premier amendement, sur la liberté d’expression :

    « Je donnerai les moyens nécessaires à nos agences de sécurité et de renseignement pour traquer et neutraliser les terroristes dans le respect de notre Constitution et de nos libertés. »

    Chez nous, la loi dite « sécurité et liberté » de Giscard, avait déjà déclenché la polémique en février 1981 : où placer le curseur entre liberté absolue et sécurité absolue ? Ce qui est peut-être un faux débat, et une fausse question, nous le verrons par la suite. Aujourd’hui, les socialistes donnent des gages de « respect des libertés » à tout bout de champ, et notre président François Hollande donne l’exemple, sur le plateau de Maïtena Biraben le 19 avril 2015 :

     

    « Qu’est-ce que nous voulons ? On ne veut pas que nos conversations soient enregistrées... Personne ne pourra écouter votre conversation, aucun service, sans demander une autorisation. Une autorisation à qui ? Une autorisation pour qu’une commission donne un avis : dans cette commission y aura des parlementaires, des magistrats, cour des euh, cour de Cassation, Conseil d’État, et un spécialiste des technologies… La dernière loi sur le renseignement elle date de 1991. Y avait pas de portable, y avait pas d’Internet. »

     

    Ce qu’il faut comprendre ? La société a changé, le terrorisme a changé, il a frappé, le renseignement n’était plus adapté, nous ne faisons que moderniser l’outil. Après New York en 2001, Bali en 2002, Madrid en 2004, Londres en 2005, Marrakech en 2011 (une enclave occidentale), Toulouse en 2012, Bruxelles en 2014, Paris, Copenhague et Tunis en 2015, les islamistes frappent avec une étonnante régularité. La France, qui semblait en retard du point de vue de la surveillance des ennemis de la nation, se hisse enfin au niveau des grands surveillants de la planète, que sont les Américains avec la NSA et ses grandes oreilles, le réseau Echelon qui permet de capter tout message à caractère menaçant sur tous les supports : téléphone, Internet (Google et Facebook sont tracés). Au-delà du danger terroriste, la NSA sert surtout à espionner les gouvernements dits amis et les sociétés concurrentes des entreprises américaines ! La France est ainsi écoutée par les Américains depuis l’Angleterre, où la NSA possède deux centres d’écoutes tournés vers le continent européen, concurrent commercial numéro un des États-Unis.

    L’argument de modernisation de l’outil de renseignement français ne tient pas : les services français ont toujours été très efficaces, quand ils le voulaient, et nous soulignons cette phrase, et n’ont jamais ignoré les menaces réelles qui pesaient sur notre pays, même quand des attentats ont eu lieu sur notre sol. À ce niveau de surveillance, il n’y a jamais de surprise. En revanche, il peut y avoir des calculs politiques ou des deals (incluant des risques) passés avec d’autres services de renseignement, qui agissent sur notre sol. Avec plus ou moins de liberté. Nous pensons à la CIA, et au Mossad, qui a longtemps été persona grata en France, par exemple dans les années 60, malgré le général de Gaulle.

    Mais avant d’en discuter la portée politique, entrons dans la réalité de cette loi, qui ne vise pas uniquement le terrorisme, qui ne représente qu’un point sur sept. Les autres étant les « intérêts majeurs de la politique étrangère », « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions », et aussi « la criminalité et la délinquance organisées ». La prévention des atteintes… une définition volontairement nébuleuse, qui servira de fourre-tout en matière d’accusations. Reconsidérer le suffrage universel, rendu bidon par la propagande médiatique massive et le choix unique UMPS ? Une atteinte aux institutions de la République.

     

    Thierry Lorho ex-agent de la DGSE 
    de 1990 à 2000 : 
    « On ne peut pas faire de renseignement sans faire d’actions qui sont borderline, et c’est toute la difficulté. » 
    (Le Grand Journal du 13 avril 2015)

     

    Pour ce qui concerne le terrorisme, la nouvelle loi légalise tout simplement des pratiques traditionnelles à la limite de la légalité. Il y a donc moins d’hypocrisie : des agents de la DGSI (direction générale de la surveillance intérieure, ex-DST, rattachée au ministère Intérieur, par rapport à la DGSE, rattachée aux ministère de la Défense), pourront placer une balise sous votre voiture, un mouchard dans votre appartement, et vous pourrez être tracé dans la rue par un IMSI-catcher, un appareil qui permet de siphonner à (proche) distance toutes les données d’un téléphone portable. Des notions qui sortent du flou artistique précédent, et qui sont, on le sait, utilisées par la police criminelle contre les réseaux de truands organisés, mais aussi contre l’opposition politique intérieure. Les dissidents réels sachant ce qu’il en coûte d’échanger des informations par téléphone, mail, ou même Skype, qui est officiellement écoutable par « nos » services depuis peu. Pour exemple, Jean-Marie Le Pen sait qu’il est sur écoute depuis des décennies.

     

     

    La nouveauté, ce sont les « boîtes noires ». Une machine qui permet de détecter une activité « anormale » sur le Net, installée chez les FAI (fournisseurs d’accès). Un principe vendu par la société Amesys à des pays qui voulaient filtrer leurs communications intérieures, afin d’isoler les réseaux de résistance. Ce fut le cas de la Libye, avec la bénédiction des autorités françaises. Nos gouvernants promettent que l’anonymat de ce système de « pêche au chalut », ces filets géants qui ratissent tout, pour faire le tri ensuite, sera garanti. Par ailleurs, la surveillance électronique sera élargie à tous les cercles de la famille et des proches des terroristes en puissance ou sous surveillance. Connaissant les degrés de liberté entre les individus (il suffit en moyenne d’une chaîne de trois individus pour relier deux individus qui ne se connaissent pas sur terre), cela permettra une surveillance extrêmement large. Avec toutes ces métadonnées, un superfichier, le FIJAIT (fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes) sera créé. On a vu ce que la multiplication des fichiers a donné en matière de recherche des tueurs en série pour les enquêteurs de la police et de la gendarmerie… Données conservées pendant 20 ans et sans droit réel de regard de la population. Même la CNIL, pourtant pas bien méchante, n’y aura pas accès.

    Il n’y a donc pas le moindre espace de liberté dans tout ce dispositif, et la loi entérine cet état de choses. Sauf que tout le monde n’use pas de la liberté d’expression : le grand public n’est pas concerné, cela ne touche que les opposants, les dissidents, et autres lanceurs d’alerte. Tout ce qui ne marche pas droit. Confirmation par Natacha Polony dans Le Grand Journal du 13 avril 2015 :

    « Il y a eu un sondage pour le site Atlantico qui nous dit que 63 % des Français seraient favorables à une limitation des libertés individuelles sur Internet, ce qui signifie qu’en fait ils préfèrent leur sécurité à une hypothétique diminution de leurs libertés. »

    Dont acte : le grand public regarde ailleurs, et l’attelage Hollande/Valls compte opportunément sur cette passivité. D’ailleurs, la société civile n’a pas véritablement bondi. Seuls les méchants de service, désignés par le pouvoir, risquent de pâtir de cette « modernisation ». Aucune résistance de masse ne s’est organisée : on a bien entendu des représentants de la Quadrature du Net hurler au loup, mais quand on sait qu’ils sont financés, entre autres, par Soros, on se pose des questions. Dans la même veine, le New York Times a sorti un article très critique sur cette loi française. Une forme de mea culpa quant à son implication dans toutes les guerres de Bush depuis 1991 ? Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net, apparaît sur nos écrans pour fustiger une loi liberticide :

     

    « Avec ce projet de loi, il sera possible pour le gouvernement, pour les services du Premier ministre de regarder vos textos, vos sextos, vos messages Facebook, vos chats, vos mails, et aucune forme de contrôle ne permettra de les en empêcher ! »

     

    Tiens, aucune trace de la dissidence politique, première visée derrière cet écran de fumée. Au risque d’en vexer beaucoup, la vie privée des Français utilisateurs de réseaux sociaux n’intéresse pas vraiment le renseignement intérieur. En revanche, la loi permettra, en élargissant le filet, de ratisser plus large et d’associer les sites de réinformation, pas forcément bien traités par la « démocratie » en place, à une certaine apologie du terrorisme. Et là, on comprend que le piège est parfait, l’organe de contrôle sur lequel s’adossent les autorités pour justifier d’un respect des libertés publiques, étant lui-même sans pouvoir, et sous surveillance.

    La CNCIS, commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, devenue celle des techniques de renseignement (CNCTR), organe bêtement consultatif, n’est qu’une émanation des services de l’État et de ses obligés, comme l’explique le président de la République. Trois magistrats, un président (nommé par Hollande), le vice-président du Conseil d’État, institution rendue ridiculement célèbre en janvier 2014 lors de l’affaire Dieudonné, et du premier président de la cour de Cassation. De grands défenseurs de la liberté d’expression ! La presse souligne sans ironie que cet organisme est « indépendant ». Alors que toutes les informations qui passent entre ses mains seront classifiées secret défense ! Impossible pour un citoyen, à moins d’une démarche ubuesque financée par de généreux mécènes, d’arriver à obtenir une information sur une écoute… légale.

     

    Que cherche le pouvoir ?

     

    Pour comprendre les intentions cachées du pouvoir, il suffit de se référer à l’autorité qui a été choisie pour surveiller le blocage des sites Internet : Alexandre Linden. Né à Rabat au Maroc en 1945, cet apparatchik de la démocratie a été tour à tour conseiller honoraire à la cour de Cassation, président de la cour d’Appel de Paris de 1998 à 2005, président de la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels depuis 2013, et donc finalement choisi par la CNIL en tant que juge de paix de la censure en ligne.

     

    Bernard Cazeneuve à l’Assemblée nationale : 
    « Il est hors de question, absolument hors de question, d’organiser en France je ne sais quel système de surveillance de masse ou de surveillance généralisée. »

     

    Le président François Hollande évoque la plateforme de cryptage PNCD :

    « Tout ce qui est fait à l’intérieur est contrôlé… Personne ne vous écoutera sauf si il y a eu un certain nombre de suspicions sur vos activités terroristes ou sur vos liens avec des personnes terroristes parce qu’il peut arriver ça. […] Et même un recours devant le Conseil d’État s’il devait y avoir quelque doute pasque vous pourriez vous posez la question, est-ce que je suis pas écouté ? Donc vous pouvez saisir la commission, qui elle-même pourra voir sa décision si elle n’est pas satisfaite, remise en cause par le Conseil d’État… Mais cessons de croire qu’il y a un système général d’écoute ! Pourquoi voudriez-vous que l’État, que même les services, euh, entreprennent de savoir ce que nous faisons, y compris dans notre vie privée ? Ce n’est pas de ça dont il s’agit. Ce dont il s’agit c’est uniquement, uniquement, de la lutte contre le terrorisme ou de nos intérêts. Car il y a aussi des personnes qui viennent nous espionner pour savoir comment nos entreprises travaillent, comment l’État, ça ne vous a pas échappé, qu’il y avait même eu des chefs d’État qui avaient été écoutés… » (Le Supplément, Canal+, le 19 avril 2015)

    Une loi mûrie après les évènements... 
    de janvier 2014 ?

     

    En réalité, au-delà de tous ces machins dont la démocratie a besoin pour apaiser les consciences – et celle du pouvoir en premier lieu –, le Premier ministre concentre tous les pouvoirs de décision. C’est Jean-Jacques Urvoas, petit député socialiste, initiateur de la loi sur le renseignement, qui a servi d’allumeur de mèche. Pour lui, les États-Unis sont « un exemple en matière de surveillance ». Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, obéit le doigt sur la couture aux instances supérieures. Le contrôle général est assuré par Valls, dont les objectifs collent absolument avec ceux du CRIF. Lors de sa Conversation secrète avec Michel Denisot, diffusée sur Canal+ le 15 avril 2015, il exprimait sa priorité profonde.

    Michel Denisot, en balade dans Paris :

    « Là on passe à côté du Mémorial des martyrs de la déportation, je vais vous citer, vous avez dit l’antisémitisme, le racisme, les actes antichrétiens sont des délits, il y a un an face à Dieudonné, je me suis senti un peu seul. »

    Maternelle de Manuel Valls dans le Marais (authentique)

     

    Manuel Valls :

    « Oui parce que quand je menais ce combat contre ce personnage, qui ne pratiquait pas de l’humour mais des délits permanents, j’ai trouvé que y compris dans la presse, comme si au nom de la liberté d’opinion on pouvait dire n’importe quoi, je me suis senti parfois un peu seul ; heureusement il y a des gens qui m’ont soutenu, mais le combat a été dur, rude, et jusqu’à ce que je réussisse à faire condamner le, Dieudonné M’Bala M’Bala parce que c’est un délit, je sentais bien qu’il y avait une hésitation que je peux comprendre ! Hum, parce que bon, nous sommes dans un pays de démocratie, les mots peuvent tuer. Faut jamais l’oublier. 

    – Roland Dumas il sous-entendait que vous étiez sous l’influence juive de votre épouse.

    – Le même jour, la revue Inspire, la revue de Daech, sortait ma photo avec une kippa et disait que j’étais enjuivé par ma femme. Et le même jour Roland Dumas tenait ses propos euh, euh, infâmes. Ça veut bien dire que l’antisémitisme est quelque chose de profondément ancré chez une partie de la société et chez certains.

    – Votre femme Anne Gravoin a été atteinte par ces propos ?

    – Non, elle a bien senti que c’était moi qui étais atteint, et en plus elle ne revendique jamais sa judaïté, elle est encore moins pratiquante, c’est donc une fête, elle est profondément laïque, athée, mais qu’on vous renvoie à votre origine c’est ce qu’il y a de pire pour ces, pour ces, pour ces raisons. »

    La République est en de bonnes mains !

     

    Manuel Valls a pris objectivement le pouvoir en trois actes : nomination à l’Intérieur en contrepartie de ses 10 % des voix pour Hollande au second tour des primaires du PS en octobre 2011, prise du pouvoir exécutif lors de l’affaire Dieudonné le 9 janvier 2014, avec l’appui des autorités médiatico-juridiques, et prise du pouvoir total en mai 2015 grâce à ce Patriot Act à la française, soit un soft coup d’État étalé sur quatre ans. Toute la question est de savoir pour qui travaille Manuel Valls. Pour la République ? Oui, mais la République selon le CRIF. Le Conseil nous donne toujours l’exemple en matière de lutte contre le terrorisme et contre l’antisionisme, ce qui n’est en toute objectivité pas exactement pareil, mais qui fusionne dans l’esprit de cette association. Le 5 février 2015 tombe le fameux décret (toujours plus important qu’une loi) relatif au blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme. Le CRIF a jubilé, en rappelant ceci :

    « Si l’éditeur et l’hébergeur d’un site ne répondent pas aux demandes de retrait de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, les fournisseurs d’accès à internet sont alors notifiés pour bloquer l’accès. Il s’agit d’un blocage administratif, sans l’intervention d’un juge, ce qui laisse le ministère de l’Intérieur seul juge des critères justifiant une telle mesure. »

    Soral et Dieudonné en première ligne… de mire

     

    Un pouvoir discrétionnaire et absolu de plus pour le Premier ministre, qui ne s’en est pas privé, vu qu’il n’a pas à motiver ses choix. Concrètement, un imam comme Imran Hosein pourra être, dans le cadre de ce principe de précaution élargi, considéré comme proche des islamistes, eux-mêmes étant proches des islamistes radicaux, et donc des terroristes, dont la définition s’allonge ces derniers temps. Alors que ce sont ses prises de position politiques qui heurtent le pouvoir prosioniste. Ainsi, par une série d’amalgames artificiellement créés, des sites d’information non-alignés comme Égalité & Réconciliation ou Quenel+ pourront, même de loin, être assimilés à des formes bâtardes mais quasi officielles d’apologie du terrorisme. Sans avoir jamais appelé à la moindre violence. Et cela suffira pour le bloquer.

     

    Définition du terroriste : celui qui ne s’aligne pas sur les versions officielles ?

     

    On comprend donc que derrière tout ce mauvais maquillage démocratique, il s’agit avant tout de la mise en place d’un arsenal intérieur, ou plutôt Intérieur, qui donne les pleins pouvoirs à Manuel Valls, ce représentant numéro un du pouvoir réel, qui influence la politique française, intérieure et extérieure. Avec la passivité du président de la République, qui ne pense qu’à rester en poste, quelles que soient les humiliations infligées par son secondant, qui gouverne le pays à sa place. Le choix des Français a été bafoué, puisque Manuel Valls, qui n’a été choisi que par 10 % des socialistes lors des primaires du PS, ne pèse théoriquement pas 1 % dans l’électorat. Cependant, les sondages d’opinion le donnent en permanence devant le Président, c’est donc le chouchou des médias, toujours coupés du peuple, comme l’était Nicolas Sarkozy en 2004-2007. Avant de s’effondrer dans les sondages, et dans la tête des Français, une fois en poste, au vu de sa politique antifrançaise.

    À ceci près que Sarkozy était président de la République, et qu’il n’était donc pas question de le « doubler » par un Premier ministre soumis à un puissant lobby. C’est la difficulté qu’a tournée le pouvoir réel dans le cas de l’attelage Hollande/Valls : ou comment inverser le vote des Français, qui voulaient un socialisme social, pas un libéralisme répressif, comme c’était le cas sous Sarkozy. Où l’on comprend que quel que soit le résultat des élections, le même pouvoir finit toujours par traverser la fine couche de démocratie, et s’asseoir à la table des décisions.

    Pour ce qui concerne l’opposition au pouvoir réel, sur Internet, le simple fait de ne pas être sioniste pourrait bientôt suffire à être accroché à la locomotive du terrorisme, cette grande invention de nos gouvernants, pour justifier des décisions extraordinaires : c’est ainsi que les Américains ont déclaré leurs guerres en Asie depuis 2001, que les Français ont déclaré leurs guerres en Afrique depuis 2013 (Mali, Centrafrique), protégeant nos ressortissants mais aussi « nos » intérêts à coups de bombardements, autrement plus meurtriers que les attentats sur notre sol.

     

    Rafale bourré de missiles non piloté par les frères Kouachi

     

     
    Avec cette loi, le noyau du pouvoir réel s’assure un contrôle total sur son opposition réelle, les oppositions successives PS/UMP étant factices, simples leurres pour les croyants du dieu Démocratie. Ce pouvoir totalitaire, qui émane d’un réseau d’influence et de décision tenant le Premier ministre, est désormais intouchable, puisque tout contre-pouvoir peut être assimilé à une apologie du terrorisme, par lequel il faut sous-entendre antisionisme et antisémitisme. La liberté d’expression ne dit pas merci à Coulibaly, aux frères Kouachi et à ceux qui les ont laissés tuer des innocents. Aujourd’hui, dans la deuxième phase de l’Opération, même si ça peut paraître pompeux, c’est la liberté politique qu’on assassine.
  • Faces cachées de la seconde guerre mondiale

    La guerre d’Algérie a commencé à Sétif

    Le 8 mai 1945, tandis que la France fêtait la victoire, son armée massacrait des milliers d’Algériens à Sétif et à Guelma. Ce traumatisme radicalisera irréversiblement le mouvement national.

    par Mohammed Harbi, mai 2005

    Désignés par euphémisme sous l’appellation d’« événements » ou de « troubles du Nord constantinois », les massacres du 8 mai 1945 dans les régions de Sétif et de Guelma sont considérés rétrospectivement comme le début de la guerre algérienne d’indépendance. Cet épisode appartient aux lignes de clivage liées à la conquête coloniale.

    La vie politique de l’Algérie, plus distincte de celle de la France au fur et à mesure que s’affirme un mouvement national, a été dominée par les déchirements résultant de cette situation. Chaque fois que Paris s’est trouvé engagé dans une guerre, en 1871, en 1914 et en 1940, l’espoir de mettre à profit la conjoncture pour réformer le système colonial ou libérer l’Algérie s’est emparé des militants. Si, en 1871 en Kabylie et dans l’Est algérien et en 1916 dans les Aurès, l’insurrection était au programme, il n’en allait pas de même en mai 1945. Cette idée a sans doute agité les esprits, mais aucune preuve n’a pu en être avancée, malgré certaines allégations.

    La défaite de la France en juin 1940 a modifié les données du conflit entre la colonisation et les nationalistes algériens. Le monde colonial, qui s’était senti menacé par le Front populaire – lequel avait pourtant, sous sa pression, renoncé à ses projets sur l’Algérie –, accueille avec enthousiasme le pétainisme, et avec lui le sort fait aux juifs, aux francs-maçons et aux communistes.

    Avec le débarquement américain, le climat se modifie. Les nationalistes prennent au mot l’idéologie anticolonialiste de la Charte de l’Atlantique (12 août 1942) et s’efforcent de dépasser leurs divergences. Le courant assimilationniste se désagrège. Aux partisans d’un soutien inconditionnel à l’effort de guerre allié, rassemblés autour du Parti communiste algérien et des « Amis de la démocratie », s’opposent tous ceux qui, tel le chef charismatique du Parti du peuple algérien (PPA), Messali Hadj, ne sont pas prêts à sacrifier les intérêts de l’Algérie colonisée sur l’autel de la lutte antifasciste.

    Vient se joindre à eux un des représentants les plus prestigieux de la scène politique : Ferhat Abbas. L’homme qui, en 1936, considérait la patrie algérienne comme un mythe se prononce pour « une République autonome fédérée à une République française rénovée, anticoloniale et anti-impérialiste », tout en affirmant ne rien renier de sa culture française et occidentale. Avant d’en arriver là, Ferhat Abbas avait envoyé aux autorités françaises, depuis l’accession au pouvoir de Pétain, des mémorandums qui restèrent sans réponse. En désespoir de cause, il transmet aux Américains un texte signé par 28 élus et conseillers financiers, qui devient le 10 février 1943, avec le soutien du PPA et des oulémas, le Manifeste du peuple algérien.

    Alors, l’histoire s’accélère. Les gouvernants français continuent à se méprendre sur leur capacité à maîtriser l’évolution. De Gaulle n’a pas compris l’authenticité des poussées nationalistes dans les colonies. Contrairement à ce qui a été dit, son discours de Brazzaville, le 30 janvier 1944, n’annonce aucune politique d’émancipation, d’autonomie (même interne). « Cette incompréhension se manifeste au grand jour avec l’ordonnance du 7 mars 1944 qui, reprenant le projet Blum-Violette de 1936, accorde la citoyenneté française à 65 000 personnes environ et porte à deux cinquièmes la proportion des Algériens dans les assemblées locales », écrit Pierre Mendès France à André Nouschi (1). Trop peu et trop tard : ces miniréformes ne touchent ni à la domination française ni à la prépondérance des colons, et l’on reste toujours dans une logique où c’est la France qui accorde des droits...

    L’ouverture de vraies discussions avec les nationalistes s’imposait. Mais Paris ne les considère pas comme des interlocuteurs. Leur riposte à l’ordonnance du 7 mars intervient le 14 : à la suite d’échanges de vues entre Messali Hadj pour les indépendantistes du PPA, Cheikh Bachir El Ibrahimi pour les oulémas et Ferhat Abbas pour les autonomistes, l’unité des nationalistes se réalise au sein d’un nouveau mouvement, les Amis du Manifeste et de la liberté (AML). Le PPA s’y intègre en gardant son autonomie. Plus rompus aux techniques de la politique moderne et à l’instrumentalisation de l’imaginaire islamique, ses militants orientent leur action vers une délégitimation du pouvoir colonial. La jeunesse urbaine leur emboîte le pas. Partout, les signes de désobéissance se multiplient. Les antagonismes se durcissent. La colonie européenne et les juifs autochtones prennent peur et s’agitent.

    Au mois de mai 1945, lors du congrès des AML, les élites plébéiennes du PPA affirmeront leur suprématie. Le programme initial convenu entre les chefs de file du nationalisme – la revendication d’un Etat autonome fédéré à la France – sera rangé au magasin des accessoires. La majorité optera pour un Etat séparé de la France et uni aux autres pays du Maghreb et proclamera Messali Hadj « leader incontesté du peuple algérien ». L’administration s’affolera et fera pression sur Ferhat Abbas pour qu’il se dissocie de ses partenaires.

    Cette confrontation s’était préparée dès avril. Les dirigeants du PPA – et plus précisément les activistes, avec à leur tête le Dr Mohamed Lamine Debaghine – sont séduits par la perspective d’une insurrection, espérant que le réveil du millénarisme et l’appel au djihad favoriseront le succès de leur entreprise. Mais leur projet irréaliste avorte. Dans le camp colonial, où l’on craint de voir les Algériens rejeter les « Européens » à la mer, le complot mis au point par la haute administration, à l’instigation de Pierre-René Gazagne, haut fonctionnaire du Gouvernement général, pour décapiter les AML et le PPA prend jour après jour de la consistance.

    L’enlèvement de Messali Hadj et sa déportation à Brazzaville, le 25 avril 1945, après les incidents de Reibell, où il est assigné à résidence, préparent l’incendie. La crainte d’une intervention américaine à la faveur de démonstrations de force nationalistes hantait certains, dont l’islamologue Augustin Berque (2). Exaspéré par le coup de force contre son leader, le PPA fait de la libération de Messali Hadj un objectif majeur et décide de défiler à part le 1er mai, avec ses propres mots d’ordre, ceux de la CGT et des PC français et algérien restant muets sur la question nationale. A Oran et à Alger, la police et des Européens tirent sur le cortège nationaliste. Il y a des morts, des blessés, de nombreuses arrestations, mais la mobilisation continue.

    Le 8 mai, le Nord constantinois, délimité par les villes de Bougie, Sétif, Bône et Souk-Ahras et quadrillé par l’armée, s’apprête, à l’appel des AML et du PPA, à célébrer la victoire des alliés. Les consignes sont claires : rappeler à la France et à ses alliés les revendications nationalistes, et ce par des manifestations pacifiques. Aucun ordre n’avait été donné en vue d’une insurrection. On ne comprendrait pas sans cela la limitation des événements aux régions de Sétif et de Guelma. Dès lors, pourquoi les émeutes et pourquoi les massacres ?

    La guerre a indéniablement suscité des espoirs dans le renversement de l’ordre colonial. L’évolution internationale les conforte. Les nationalistes, PPA en tête, cherchent à précipiter les événements. De la dénonciation de la misère et de la corruption à la défense de l’islam, tout est mis en œuvre pour mobiliser. « Le seul môle commun à toutes les couches sociales reste (...) le djihad, compris comme arme de guerre civile plus que religieuse. Ce cri provoque une terreur sacrée qui se mue en énergie guerrière », écrit l’historienne Annie Rey-Goldzeiguer (3). La maturité politique n’était pas au rendez-vous chez les ruraux, qui ne suivaient que leurs impulsions.

    Chez les Européens, une peur réelle succède à l’angoisse diffuse. Malgré les changements, l’égalité avec les Algériens leur reste insupportable. Il leur faut coûte que coûte écarter cette alternative. Même la pâle menace de l’ordonnance du 7 mars 1944 les effraie. Leur seule réponse, c’est l’appel à la constitution de milices et à la répression. Ils trouvent une écoute chez Pierre-René Gazagne, chez le préfet de Constantine Lestrade Carbonnel et le sous-préfet de Guelma André Achiary, qui s’assignent pour but de « crever l’abcès ».

    A Sétif, la violence commence lorsque les policiers veulent se saisir du drapeau du PPA, devenu depuis le drapeau algérien, et des banderoles réclamant la libération de Messali Hadj et l’indépendance. Elle s’étend au monde rural, où l’on assiste à une levée en masse des tribus. A Guelma, les arrestations et l’action des milices déclenchent les événements, incitant à la vengeance contre les colons des environs. Les civils européens et la police se livrent à des exécutions massives et à des représailles collectives. Pour empêcher toute enquête, ils rouvrent les charniers et incinèrent les cadavres dans les fours à chaux d’Héliopolis. Quant à l’armée, son action a fait dire à un spécialiste, Jean-Charles Jauffret, que son intervention « se rapproche plus des opérations de guerre en Europe que des guerres coloniales traditionnelles (4». Dans la région de Bougie, 15 000 femmes et enfants doivent s’agenouiller avant d’assister à une prise d’armes.

    Le bilan des « événements » prête d’autant plus à contestation que le gouvernement français a mis un terme à la commission d’enquête présidée par le général Tubert et accordé l’impunité aux tueurs. Si on connaît le chiffre des victimes européennes, celui des victimes algériennes recèle bien des zones d’ombre. Les historiens algériens (5) continuent légitimement à polémiquer sur leur nombre. Les données fournies par les autorités françaises n’entraînent pas l’adhésion. En attendant des recherches impartiales (6), convenons avec Annie Rey-Goldzeiguer que, pour les 102 morts européens, il y eut des milliers de morts algériens.

    Les conséquences du séisme sont multiples. Le compromis tant recherché entre le peuple algérien et la colonie européenne apparaît désormais comme un vœu pieux.

    En France, les forces politiques issues de la Résistance se laissent investir par le parti colonial. « Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable », avait averti le général Duval, maître d’œuvre de la répression. Le PCF – qui a qualifié les chefs nationalistes de « provocateurs à gages hitlériens » et demandé que « les meneurs soient passés par les armes » – sera, malgré son revirement ultérieur et sa lutte pour l’amnistie, considéré comme favorable à la colonisation. En Algérie, après la dissolution des AML le 14 mai, les autonomistes et les oulémas accusent le PPA d’avoir joué les apprentis sorciers et mettent fin à l’union du camp nationaliste. Les activistes du PPA imposent à leurs dirigeants la création d’une organisation paramilitaire à l’échelle nationale. Le 1er novembre 1954, on les retrouvera à la tête d’un Front de libération nationale. La guerre d’Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945.

     

    Mohammed Harbi

    Historien, auteur, avec Benjamin Stora, de La Guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Robert Laffont, Paris, 2004.
  • Racisme ou le déni par l'image



     Un officier blanc a été arrêté et inculpé de meurtre mardi 7 avril en Caroline du Sud après avoir tiré plusieurs fois sur un homme noir non armé. (Capture d'écran vidéo du New York Times.)
    TRIBUNE

    Un Noir de plus vient d’être assassiné par un policier blanc aux Etats-Unis. L’officier a été inculpé parce que le «New York Times» a mis en ligne la vidéo, révélant l’injustifiable déluge de huit balles tirées dans le dos de la victime en fuite.

    Ici et là, on se félicite donc du rôle de telles images et non sans voyeurisme, on les fait circuler à très grande vitesse, dans l’espoir que la surveillance désormais inévitable des caméras amateurs serve dorénavant à la société civile et non aux forces de l’ordre.

    Lorsque Martin Luther King et ses amis de la résistance noire lançaient leurs opérations non violentes mais résolument confrontationnelles dans les bourgades sudistes où les Blancs régnaient en maîtres, ils s’assuraient que caméras et appareils photo de la presse nationale seraient présents, prêts à saisir sur le vif l’immanquable brutalité policière et son lot de matraquages iniques, de propos racistes outranciers, de comportements ensauvagés où chiens policiers enragés et officiers sûrs de leur bon droit n’épargnaient ni enfants ni vieillards. La télévision, toute jeune compagne des foyers américains en ce début des années soixante se révéla l’alliée la plus efficace des militants de la justice raciale. Bien avant que les clichés de la guerre du Vietnam ne révèlent le pouvoir insoupçonné des images dans la mobilisation de l’opinion publique, le spectacle inouï de la brutalité des policiers de Birmingham ou de Selma agissant en toute impunité aux yeux du monde avait donné la nausée à Kennedy, bouleversé Johnson et infléchi jusqu’aux plus réfractaires des parlementaires du Sud.

    Il fallut donc que le regard se pose pour voir. Regarder pour admettre. Voir pour cesser d’ignorer. Reconnaître l’ampleur de l’indignité nationale telle que donnée à voir par les images de violence intolérable pour sortir du déni, se sentir impliqué, complice, presque coupable. Le rôle du regardeur dans la révolution des droits civiques fut ainsi un élément essentiel de la stratégie disruptive de Martin Luther King J.-R. et l’historiographie lui a largement donné raison sur ce point. L’angoisse raciale du spectateur blanc trouva même une sorte de médiation cathartique dans ces portraits de Noirs vulnérables et innocents, soumis à la toute puissance arbitraire des Blancs, les rassurant peut-être non sans ambiguïté sur la permanence de leur suprématie. Ils s’autorisèrent ainsi la magnanimité d’Auguste et firent crédit aux Afro-Américains de la légitimité de leurs revendications.

    Les enfants balayés par les lances à incendies de Birmingham saisies par la télévision, les crocs saillants d’un berger allemand refermés sur le flanc d’un manifestant noir pacifique immobilisé par deux officiers à lunettes de soleil, capturés par le photographe Bill Hudson et que le New York Times publia en 1963 furent des catalyses remarquables du changement social. Les militants noirs communistes des années trente avaient déjà mis en avant la stratégie du «shaming and blaming» de la nation américaine pour l’acculer à la justice : lui faire honte aux yeux du monde en dénonçant, image à l’appui, devant une opinion internationale déjà clivée entre Soviétiques et Américains, la parodie de démocratie régnant aux Etats-Unis. King fit honte aux Blanc modérés du Nord qui, subitement indignés, ne voulaient pas manger de ce pain-là, et leur offrit une issue.

    Vidéo : les enfants balayés par les lances à incendies à Birmingham

    On aurait donc pu penser que la domination incontestable des images dans les sociétés démocratiques contemporaines et la puissance mobilisatrice de l’internet auraient accéléré le démantèlement des pratiques criminelles de la police qui rappelons-le est «officiellement» responsable de la mort d’une centaine de Noirs américains par an depuis le début des années 2000. Or, depuis le passage à tabac iconique de Rodney King en 1992 par quatre officiers blancs de la police de Los Angeles, ces scènes sont régulièrement prises sur le vif par des cameramen amateurs et diffusées à la télévision. Mais ni la bande attestant de l’agression de Rodney King, ni l’enregistrement du meurtre d’Eric Gardner à New York il y a quelques mois n’ont permis la justice. Même face à l’évidence explicite des images, les policiers incriminés clament qu’ils étaient en état de «légitime défense», que la victime s’apprêtait à s’emparer de leur taser ou d’un objet suspect dans leur poche ou bien que le suspect semblait sur le point de commettre un délit.

    Les images ne sont pas la transparence, elles ne «disent» ni la vérité ni ne font la justice. Elles sont invisibles à l’oeil tellement certain d’être «aveugle à la race» et il semble que plus l’Amérique voie ces scènes à l’écran, moins elle n’en saisit la réalité et la portée. Il faut dire que depuis plus de trente ans, depuis les premières émeutes de Watts en 1965 où déjà, un jeune Noir avait été malmené par la police, l’espace public américain a été inondé d’une imagerie de propagande présentant le jeune Noir comme un émeutier délinquant, un criminel dont les agissements menacent l’ordre public et la tranquillité des bonnes gens. Des clips officiels de campagne de certains candidats républicains aux couvertures de Time Magazine au moment de Katrina en passant par la surreprésentation de visages noirs dans tout reportage portant sur l’aide sociale, la délinquance ou le trafic de drogue, l’imaginaire visuel américain est pollué par la permanence des représentations racistes. La force de ces dernières explique en partie que ces images de violence policière soient inopérantes : pour bien des Américains, elles renforcent paradoxalement le stéréotype du Noir criminel, qui a forcément quelque chose à se reprocher pour s’être mis dans une telle situation. L’institutionnalisation de la peur du Noir est une politique publique toujours active, qui prit hier le nom martial de «la loi et l’ordre» et aujourd’hui de «théorie du carreau cassé» ou «Stop and Frisk». Elle explique également que l’exécutif timoré ne s’attelle pas véritablement aux causes profondes d’un déni de justice systématique et systémique.

    Après les émeutes de Watts et de Harlem, l’écrivain et militant afro-américain James Baldwin fit paraître en 1966 un article intitulé «Reportage en territoire occupé», dont la traduction vient d’être republiée en français dans un recueil d’essais remarquable intitulé Retour dans l’oeil du cyclone. A propos d’un énième «incident» entre Noirs et la police blanche dont l’issue ne pouvait qu’être le déni de justice, Baldwin, qui mettait en garde contre la colère sourde qu’il sentait monter parmi des Noirs, dénonçait : «Qui pourrait prétendre que la manière dont ils ont été arrêtés, ou le traitement qu’ils ont subi, corresponde un temps soit peu au principe de l’égalité de tous devant la loi ? Le département de police a noblement refusé de "donner suite aux accusations". Mais qui pourrait prétendre qu’ils oseraient utiliser ce ton si l’affaire impliquait, disons, des fils de courtiers de Wall Street ? J’ai été le témoin et j’ai subi la brutalité de la police bien plus d’une fois mais bien sûr, je ne peux pas le prouver parce que le département de la police enquête sur lui-même… de telles choses arrivent, dans nos Harlems, tous les jours. Ignorer ce fait et ignorer notre obligation commune de changer ce fait nous condamne». Sa prophétie est hélas, plus que jamais juste.