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  • Chers gouvernants, partez

     

    Publié le 27 juin 2015 dans Édito

    Chers dirigeants, partez. On ne vous regrettera pas.

    Chers gouvernants,

    Vous appeliez de vos vœux un discours de vérité. Vous le jugiez nécessaire, et je pense que vous avez raison. Je pense aussi qu’il ne faut pas attendre de vous que vous le teniez ; que c’est à chacun d’entre nous de montrer l’exemple, surtout à vous qui en avez si cruellement besoin.

    Vous mentez. Vous mentez quand vous cherchez des prétextes politiques urgents pour justifier d’utiliser l’argent public pour assister en famille à un match de football. C’était la finale, monsieur Valls, et vous aimez cette équipe ; c’est le cas de nombreux supporters qui font le déplacement, et pas tous en jet privé.

    Que répondez-vous au légitime mécontentement des Français ? Fidèle à votre passion du sport, vous déclariez – depuis Roland Garros !

    « Il faut que ceux qui critiquent se disent qu’au fond, parfois, il faut être un peu plus optimiste et se dire que le sport ça apaise, c’est le respect des uns et des autres. » – Manuel Valls, Premier ministre de la République française en 2015.

    Sous votre gouvernement, l’optimisme consiste bien en une capacité à accepter les outrages et mensonges quotidiens. Pour vos prochaines déclarations en public, sachez cependant que l’idée que vous cherchez à exprimer peut s’appeler par exemple clémence ou mansuétude.

    Vous faites d’ailleurs, chers dirigeants, preuve de clémence. D’une clémence de benêt. Vous condamnez les chauffeurs de taxis, mais leur pardonnez aussitôt et leur donnez raison après quelques heures de sauvagerie, de vandalisme et d’agressions violentes.

    Vous acceptez la violence comme un mode de contestation et cédez à la pression et à la peur. Vous agissez sans délai, et sans réfléchir, et demandez la dissolution d’Uber comme d’un groupuscule d’extrême droite évalué à 40 milliards de dollars. Vous courbez l’échine devant des individus violents qui s’en prennent à des innocents. Certes, leur situation n’est pas enviable ; ils ont payé cher pour obtenir sans attendre une licence que vous leur imposez. Mais c’est une affaire entre vous et eux ; Uber n’a rien à voir là-dedans.

    Et vous avez par là transmis un message fort – celui de votre faiblesse. Vous avez démontré à tous ceux qui pourraient prochainement être tentés de recourir à la violence pour défendre leurs privilèges que vous leur donnerez raison, renoncerez aux économies budgétaires bientôt inévitables et accèderez à leurs demandes, aussi illégitimes soient-elles.

    Vous vous êtes émus des écoutes américaines. Vous avez protesté contre un État allié qui espionnerait vos secrets professionnels et vos conversations privées. Vous avez protesté parce que cette fois, c’est vous que l’on surveille – pas comme dans la loi sur le renseignement que vous avez demandée et votée il y a quelques semaines à peine, qui instaurait (ou légalisait ?) la surveillance généralisée des citoyens. Quel niveau d’hypocrisie faudra-t-il désormais juger comme inacceptable, alors que vous placez la barre si haut ?

    Certains d’entre vous, chers dirigeants, proposaient des mesures préventives, au premier rang desquelles un changement de la Constitution américaine. À quel point faut-il être ignorant de la politique et des fondements de l’État américain pour avoir ce genre d’idées, pire : les exposer en public, pire ! À des journalistes ?

    Il y a quelques jours, chers dirigeants, l’un d’entre vous, et pas des moindres : le chef de l’État, la plus haute autorité du pays pour ceux qui lui en reconnaissent une, échangeait avec Bill Gates. Dans un anglais épouvantable, qui en dit long sur sa curiosité et son ouverture au monde. Pour la postérité (1’50):

    « You have promote the great idea to to to be in solidarity with people we can increase your intervention and there’s and there’s also intervention of France in the next years in speciocially (?) in particularly in Africa. » – François Hollande, Président de la République française en 2015

    Et ce même Président de la République se félicitait qu’il existe des riches qui « redistribuent ce qu’ils ont pu gagner », et se congratulait d’avoir reconduit le soutien de la France à la recherche contre le SIDA pendant toute la durée de son quinquennat. Sachez, chers dirigeants, qu’il y a une immense différence entre vous et Bill Gates (plus d’une, croyez-moi) : il redistribue l’argent qu’il a gagné. Vous redistribuez l’argent des autres. Vous le leur prenez, et vous décidez de ce que vous en faites.Tenez-vous le pour dit : il est très louable de chercher à guérir le SIDA, mais vous n’y avez absolument aucun mérite.

    Vous auriez du mérite, chers dirigeants, si vous saviez quoi faire et comment le faire. Des gens, crédules certes, vous ont fait confiance – si vous ne le faites pas pour vous, faites le pour eux. Réduisez enfin la dépense publique, abolissez les privilèges (y compris les vôtres) et ramenez l’égalité. Supprimez l’emploi à vie, mettez fin à tous ces gaspillages dont vous avez le secret. Simplifiez la vie des citoyens en simplifiant la loi, le code, le règlement. Décoincez l’étau administratif et fiscal qui empêche les entreprises d’être flexibles et la France de se développer.

    Prenez l’exemple des taxis : il n’y aurait aucun problème si vous ne leur imposiez pas en premier lieu une licence. C’est aussi simple que cela. Vous voulez demander des gages de qualité et de sécurité aux chauffeurs, aux compagnies ? Non pas que je le propose ou l’approuve. Mais il est frappant qu’à aucun moment, les chauffeurs de taxi n’aient proposé une telle mesure, qui répond parfaitement aux considérations altruistes qu’ils affichent. Tout comme il est frappant que vos préoccupations incluent le choix qu’ils ont fait de faire un marché d’une chose que vous donnez gratuitement.

    Car oui, c’est vous qui leur imposez la licence. En arrivant au pouvoir, vous prenez la responsabilité de l’État et tout ce qu’il impose. Tout ce que vous n’enlevez pas aussi rapidement que possible de la loi, vous l’approuvez. Tout comme ce que vous laissez derrière vous sera votre héritage, le cadeau ou le fardeau que vous laisserez à la France. Et compte tenu de l’estime que vous avez de vous-mêmes et du crédit que vous vous donnez, j’ose penser que vous faites de votre mieux.

    J’ose penser donc, chers dirigeants, que ce discours de vérité vous inspirera des envies d’autre chose, des envies d’ailleurs. J’ose espérer que vous saurez réaliser que vous n’êtes pas à la hauteur, que vous n’avez pas l’étoffe de ce que vous croyez être. Vous êtes incapables de changer la France, vous êtes incapables de la sauver du mal dans lequel vous semblez vous échiner à l’enfoncer. Vous êtes incapables de délester la France de cet État devenu monstrueux, qui se veut tout à la fois Big Brother, catalyseur de l’économie, historien et coach en nutrition.

    Alors, s’il vous plaît, partez.

  • Limitation de vitesse à 80 km/h

    Manifestation contre la limitation de vitesse à 80 km/h

     

    La Ligue de Défense des Conducteurs organise un rassemblement aujourd’hui devant la préfecture de Vesoul, avec le soutien des élus locaux, contre l’expérimentation de l’abaissement de la vitesse à 80 km/h sur la RN57.

    Par Christiane Bayard.
    Un communiqué de la « Ligue de Défense des Conducteurs ».

    Limitations de vitesse (Crédits : cris.ie, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

     

    La Ligue de Défense des Conducteurs organise un rassemblement samedi 27 juin 2015 à 15h, devant la préfecture de Vesoul, avec le soutien des élus locaux, pour protester contre l’expérimentation de l’abaissement de la vitesse à 80 km/h sur la RN57 en Haute-Saône, première étape d’une baisse généralisée de la vitesse sur le réseau secondaire.

    Alors que l’expérimentation gouvernementale de la baisse de la limitation de vitesse à 80 km/h sur quatre tronçons de routes secondaires en France, dont la RN57 en Haute-Saône entre Vesoul et Rioz, débutera le mercredi 1er juillet pour deux ans, la Ligue de Défense des Conducteurs appelle à un grand rassemblement de tous les conducteurs opposés à cette mesure à Vesoul, le samedi 27 juin à 15h devant la préfecture.

    « L’objectif de ce rassemblement est de montrer aux pouvoirs publics que les conducteurs ne sont pas dupes de ce projet « d’expérimentation », qui n’est qu’une manière détournée d’arriver à une généralisation de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h à tout le réseau secondaire », explique Christiane Bayard secrétaire générale de la Ligue de Défense des Conducteurs.

    « Plutôt que d’abaisser la vitesse, pénalisant une fois de plus injustement les conducteurs, les pouvoirs publics feraient mieux d’entretenir et d’aménager un réseau d’infrastructures routières vieillissant, et de plus en plus délaissé » ajoute-t-elle. « La sécurisation de la RN57 nécessite des aménagements notamment en deux fois deux voies. Les élus de la Haute-Saône le réclament d’ailleurs depuis plus de vingt ans, sans être entendus. Y réduire la vitesse pour toute panacée devient criminel, c’est scandaleux ».

    Ce rassemblement de conducteurs responsables bénéficie d’ailleurs du soutien d’élus locaux, eux aussi opposés à cette expérimentation. A commencer par le député-maire de Vesoul Alain Chrétien, accompagné de plusieurs maires, qui se joindront au rassemblement devant la préfecture. Une délégation sera ensuite reçue en préfecture.

    Tous comme les élus, les Français restent majoritairement opposés à ce projet inutile et injuste de généralisation du 80 km/h, qui aura pour seul effet de faire exploser le nombre de PV, les pertes de points et les retraits de permis.  L’an dernier, ils ont notamment été plus d’1,5 million à signer la pétition de la Ligue de Défense des Conducteurs « Non à la baisse des limitations de vitesse ».

     
  • Espionnage américain : molle indignation

    Tout homme politique et entrepreneur sait que les affaires sérieuses ne se traitent qu’en tête-à-tête.

    Par Guy Sorman.

    Vidéosurveillance (Crédits Paweł Zdziarski, licence CC-BY 2.5)

    Vidéosurveillance (Crédits Paweł Zdziarski, licence CC-BY 2.5)

    François Hollande a mollement protesté auprès de Barack Obama : le service minimum. Car l’espionnage est aussi ancien que les États eux-mêmes ; seuls les moyens se perfectionnent. On se contentait naguère d’ouvrir les correspondances diplomatiques. Aujourd’hui, les gouvernements écoutent et observent à tout-va, les étrangers et leurs propres citoyens. On rappellera que François Mitterrand avait créé à l’Élysée une cellule secrète pour écouter les conversations téléphoniques de ses adversaires présumés : c’était illégal. Pour nous protéger du terrorisme, les services français pourront maintenant écouter toutes les conversations et ce sera légal. Les Américains, de leur côté, ont toujours espionné les dirigeants français, à commencer par le Général de Gaulle, dont ils se méfiaient énormément. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy savaient qu’ils étaient écoutés et ne traitaient jamais de la moindre affaire confidentielle sur des téléphones non sécurisés.

    Il ressort de Wikileaks que les Américains n’ont jamais appris, par les écoutes, la moindre information significative. Tout homme politique et entrepreneur sait que les affaires sérieuses ne se traitent qu’en tête-à-tête. Du côté français, on espionne les Américains depuis fort longtemps, mais moins les politiques que les entreprises : la spécialité française est l’espionnage industriel, à l’initiative de l’État ou des entreprises. Ce qui valut à la France par le passé quelques expulsions de diplomates chassés des États-Unis. Si l’espionnage politique ne sert à rien – c’est du voyeurisme – l’espionnage industriel est-il plus efficace ? Il n’aura pas comblé le retard français sur les Américains dans l’innovation de pointe.

    La morale de cette querelle transatlantique est qu’il n’y a plus vraiment de secrets : tout se sait ou tout peut se savoir, en particulier ce qui transite par le téléphone et internet. Si l’on ne veut pas être espionné, chuchotons et n’écrivons plus. On se demande aussi ce que les agences d’espionnage, NSA aux États-Unis, DGSE en France, font des millions d’informations inutiles qu’ils recueillent : Wikileaks révèle qu’elles sont inexploitables et très banales.

    Envisageons que l’espionnage relève du voyeurisme autant que de la sécurité et qu’il remplace bien inutilement, l’intelligence des faits.

    Guy Sorman

  • Les journalistes et la guerre

     

     

     

    Considérant que les journalistes étaient au service de la paix, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité une résolution pour leur protection en zone de combat. Pourtant, deux semaines plus tard, le département US de la Défense publiait des instructions pour arrêter les professionnels des médias qui se livrent à de l’espionnage ; une décision qui pourrait se retourner contre les journalistes des États membres de l’Otan, observe Thierry Meyssan.

     

    Le 27 mai 2015, le Conseil de sécurité adopte la résolution 2222 sur la protection des journalistes en zones de combat ; une résolution qui n’a recueilli l’unanimité que parce qu’elle ne répond pas à ce qu’est devenu la profession de journaliste à l’heure des télévisions globales et de la guerre de 4ème génération.

    Le débat du Conseil de sécurité du 27 mai dernier sur la protection des journalistes en zone de combat n’a guère fait avancer les choses [1]. Les diplomates ont accusé divers États d’avoir tué ou laissé tuer des journalistes sans relever que la qualité de « journaliste » peut recouvrir des activités de nature différente, y compris de l’espionnage, du sabotage ou du terrorisme.

    Jusqu’à présent, on considérait que pour bénéficier de la protection due aux journalistes, il fallait : 
     détenir une carte de presse délivrée par l’autorité compétente de son pays ou de celui dans lequel on travaille ; 
     ne pas prendre part aux combats ; 
     ne pas violer la censure militaire.

    On notera l’étrangeté de cette dernière condition initialement prévue pour protéger les secrets militaires, mais utilisable pour masquer la propagande et les crimes de guerre.

    En outre, on considérait que les soldats travaillant comme journalistes pour des médias militaires ou les journalistes civils embarqués dans les armées (embedded) ne devaient pas bénéficier du statut de journaliste, mais de celui de soldat.

    Se référant au précédent de l’assassinat du commandant Ahmad Shah Massoud par deux journalistes, les États-uniens font valoir que cette profession peut servir de couverture pour une activité terroriste. Plus récemment le citoyen britannique Omar Hussein a rejoint l’Émirat islamique et a publié, sous le pseudonyme d’Abu Awlaki, des articles élogieux de la vie sous Daesh. Cependant, ces exemples de journalistes engagés dans des combats sont complètement marginaux. Le vrai problème est ailleurs avec les médias globaux et la Guerre de 4ème génération (4GW).

    Les médias globaux

    Jusqu’en 1989, les médias étaient nationaux. La propagande ne pouvait donc s’adresser qu’à son propre camp. On pouvait bien entendu lancer des tracts par avion ou utiliser des émissions de radio en ondes courtes, mais on était toujours perçu comme un locuteur ennemi.

    En 1989, une télévision locale états-unienne, CNN, s’est soudainement transformée en télévision globale grâce aux satellites. Son changement de statut —elle n’était plus « américaine »— garantissait sa neutralité dans les conflits. Elle s’est affirmée comme un média d’« information en continu », relayant la chute des Ceaușescu. Le direct garantissait d’empêcher les manipulations et de restituer la vérité.

    Or, ce fut exactement le contraire. La rédaction de CNN était —et est de manière définitive depuis 1998— sous la coupe d’une unité militaire installée dans ses locaux, l’United States Army’s Psychological Operations Unit. Elle ne rendit pas compte des événements, mais d’un spectacle mis en scène par la CIA et le Pentagone. On se souvient par exemple de la découverte du charnier de Timișoara. Les images des cadavres de plus de 4 500 jeunes gens [2], vidés de leur sang pour nourrir le dictateur des Carpathes atteint de leucémie ou abattus durant des manifestations, ont fait le tour du monde. Leurs visages avaient été mutilés à l’acide pour qu’on ne les identifie pas. La preuve était faite des horreurs infligées à son peuple par Nicolae Ceaușescu, le « Dracula roumain » [3]. Las ! on apprendra plus tard qu’il s’agissait de corps déterrés au cimetière de la ville.

    En diffusant instantanément une fausse nouvelle dans le monde entier, les médias globaux lui ont donné l’apparence d’une vérité partagée. Ce qui faisait la force de cette intoxication, c’est qu’elle était parvenue à convaincre des médias du bloc soviétique, en Hongrie et en Allemagne de l’Est, qui l’ont reprise. Les faits se trouvaient ainsi authentifiés par des alliés de la Roumanie. D’où la concurrence actuelle entre les grandes puissances pour disposer de chaînes globales d’information en continu.

    Par ailleurs, les idées selon lesquelles « les journalistes sont là pour dire ce qu’ils voient sur place » et que « le direct empêche les manipulations » sont grotesques. Au contraire, les journalistes ne doivent pas être des témoins, mais des analystes capables de découvrir la vérité derrière les apparences. C’est à cela qu’ils servent, de sorte que le concept d’« information en continu » (au sens de faits filmés sans s’arrêter) est la négation du journalisme. Soit les journalistes sont là pour recouper, vérifier, contextualiser, analyser et interpréter, soit ils ne servent à rien.

    Des manipulations comme celle de Timișoara, l’Otan n’a cessé d’en fabriquer durant les guerres de Yougoslavie, d’Irak, d’Afghanistan, d’Irak encore, de Libye et de Syrie [4].

    L’incorporation des journalistes de guerre

    Cependant, un pas de plus a été franchi, en 1992. Vous avez remarqué que, depuis cette date, les États-Unis et l’Otan n’ont cessé d’être en guerre quelque part dans le monde. Une catégorie de journaliste s’est constituée pour couvrir ces événements. Un peu plus d’une centaine d’entre eux s’est précipitée en Bosnie, puis à Bagdad, à Kaboul ou à Tripoli, donnant ainsi la parole aux adversaires de l’Occident. Or, non pas quelques uns d’entre eux, mais presque tous sont devenus des collaborateurs permanents des services secrets de l’Otan. Et s’ils décrivent les résultats de bombardements de l’Alliance sur des populations civiles, c’est uniquement pour fournir des renseignements militaires et permettre à l’Otan d’ajuster ses tirs. Dès lors, ces journalistes doivent être qualifiés d’agents.

     

    C’est ce que j’expliquais durant la guerre de Libye, soulevant l’indignation de la profession. Pourtant, c’est ce qu’a finalement admis le lieutenant-général Charles Bouchard lorsque l’opération fut terminée. À l’antenne de Radio-Canada, il déclara que le quartier-général de l’Otan à Naples analysait la situation grâce à des « renseignements [qui] venaient de beaucoup de sources, dont les médias qui étaient au sol et nous donnaient beaucoup d’informations sur les intentions et où étaient les forces terrestres ».

    Entretien du général Bouchard, le 31 octobre 2011, sur Radio Canada (en français)

    Pour crédibiliser le mythe de la « révolution démocratique », l’Otan mettait en scène, en 2012, un village témoin, en Syrie, Jabal al-Zouia. Le cabinet du Premier ministre turc organisait sur place le transport des journalistes qui en faisaient la demande. Ils pouvaient alors filmer les manifestations dans le village et se persuader que toute la Syrie était ainsi. Mais l’Armée arabe syrienne a, elle aussi, envoyé des journalistes —pas des Syriens, bien sûr— auprès des « rebelles » de manière à recueillir des renseignements sur le soutien que leur apportait l’Alliance.

    Aussi, la publication cette semaine par le département US la Défense de son Manuel de Droit de la guerre est-elle bienvenue. Ce document explicite l’évolution de la guerre en affirmant que certains journalistes sont en réalité des combattants [5].

    Ce faisant, le département de la Défense prend le risque que la plupart des journalistes de guerre occidentaux soient déclarés « belligérants non-privilégiés », une catégorie qu’il a créée lui-même et qui les prive du bénéfice des Conventions de Genève. Lors du prochain conflit, ce pourrait être le sort des collaborateurs d’Al-Jazeera, Al-Arabiya, BBC, CNN, Corriere della Sera, Fox News, France2, France24, Le Monde, Libération, New York Times, Sky News, Washington Post etc… Pour ce citer que ceux que j’ai identifiés.

    Les fausses vidéos d’actualité

    C’est encore un pas de plus qui a été franchi, en 2011, avec l’usage de vidéos de fiction, tournées en studio à ciel ouvert au Qatar, placées dans les actualités télévisées. Le summum ayant été atteint avec la diffusion, d’abord par Fox News puis par l’ensemble des télévisions atlantistes et du Golfe, d’images de fiction présentant la chute de Tripoli et l’entrée des « rebelles » sur la Place verte, trois jours avant que ces faits ne deviennent réalité.

    Un point qui fut violemment démenti par l’Otan avant d’être reconnu par le président du Conseil national de transition, Moustapha Abdel Jalil, au micro de France24 en arabe.

     

     

    Alors que les États-Unis négociaient avec la Russie un éventuel partage du « Moyen-Orient élargi », en juin 2012, l’Otan envisageait d’utiliser cette technique des fausses vidéos d’actualité pour casser la résistance syrienne et s’emparer du pouvoir. Washington fit déconnecter les télévisions satellitaires syriennes d’ArabSat et s’apprêtait à les chasser également de NileSat. Un pool de chaînes atlantistes (Al-Arabiya, Al-Jazeera, BBC, CNN, Fox, France 24, Future TV, MTV) se préparait à utiliser des images réalisées en studio au Qatar montrant la chute de la République arabe syrienne et des images de synthèse montrant la fuite du président el-Assad [6]. Le signal des fausses chaînes syriennes fut calé sur ArabSat depuis la base de la NSA en Australie. Cependant, l’opération fut annulée juste avant la conférence de Genève 1 du fait des protestations internationales.

    Les lois de la propagande sont toujours les mêmes

    Ceci dit les développements techniques ne modifient pas les techniques de la propagande. Ce mécanisme reste fondé sur deux principes : 
     par la répétition incessante, un mensonge grossier devient une évidence incontestée ; 
     il ne suffit pas de convaincre les personnes-cibles d’un mensonge, il faut qu’ils le défendent. Et pour cela, il convient de les contraindre, par un moyen ou par un autre, à professer —ne serait-ce qu’une fois— ce qu’ils considèrent encore comme un mensonge. Leur amour-propre suffira à les empêcher de retourner en arrière et de dénoncer la manipulation.

    Par exemple, lorsque les services secrets britanniques ont lancé l’idée que la République arabe syrienne lançait des barils d’explosifs depuis des hélicoptères sur sa population civile, vous n’y avez pas cru. En Syrie, où l’on reproche au président el-Assad de brider les actions de l’armée contre les jihadistes par souci de protéger les civils, on n’y a pas cru non plus. Cette accusation est d’autant plus absurde que l’armée dispose de bombes, bien plus efficaces, fournies par la Russie. Pourtant, au bout d’un an de répétition quotidienne, ce mensonge est devenu une vérité incontestée, aussi bien en Occident qu’en Syrie. Peu importe que l’armée n’utilise pas d’hélicoptères à Alep parce que les jihadistes les détruiraient avec des missiles sol-air, la presse publie quand même des « témoignages » de largage de barils d’explosifs depuis des hélicoptères à Alep.

    Le système est ainsi fait que les journalistes refusent de reconnaître avoir été trompés et se transforment en propagandistes qui vont, à leur tour, répéter ce que n’importe qui savait au départ être un mensonge. De facto, des professionnels qui pensent être honnêtes, quoique utilisant la rhétorique à la mode, travaillent à répandre le mensonge.

    L’incorporation des médias dans l’art de la guerre

    Même si de fausses images de la fuite du président el-Assad n’ont finalement pas été utilisées en Syrie, l’Otan a adopté une nouvelle technique de combat : la guerre de 4ème génération (4GW).

    La guerre de 1ère génération, c’est la ligne et la colonne, comme au XVIIe siècle. Les armées étaient très hiérarchisées et progressaient lentement. Mais cette organisation ne résista pas à la généralisation des armes à feu. 
    La guerre de 2ème génération, c’est la ligne et le feu, comme durant la Première Guerre mondiale. Mais cette organisation s’embourba dans les guerres de tranchées. 
    La guerre de 3ème génération, c’est l’infiltration des lignes ennemies et la défense en profondeur. Elle implique la participation des civils, comme lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais cette organisation n’a pas résisté au développement des arsenaux et, notamment, aux bombes atomiques. 
    La guerre de 4ème génération, c’est celle que l’on ne livre pas soi-même, mais que l’on fait livrer dans des pays lointains par des groupes non-étatiques, comme durant la Guerre froide avec de vraies et de fausses insurrections.

    Dans ce type de guerre, qui s’apparente à un désordre général, le Pentagone intègre des médias dans sa salle d’état-major, en tant qu’unités combattantes. Il faut avoir en tête que les médias ont évolué. Ils ne sont plus des coopératives, mais des entreprises capitalistes avec des salariés qui peuvent être instantanément licenciés. Il ne s’agit donc plus d’une centaine de correspondants de guerre qui travaillent en sous-main comme espions, mais de médias qui participent en tant que tels aux combats en mettant l’ensemble de leur personnel à disposition des armées.

    Peu importe ici que les journalistes participent eux-mêmes à des relevés militaires ou à des intoxications. Leur travail, même irréprochable, s’insère dans un ensemble qui fait la guerre. Pis : ceux qui sont sincères servent de paravent à ceux qui trichent en leur donnant de la crédibilité.

    En définitive, la résolution 2222 n’a été adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité que parce qu’elle ne répond pas à l’évolution du métier de journaliste.

     

  • EN PARALLÈLE DES NÉGOCIATIONS USA-IRAN


    Exclusif : Les projets secrets d’Israël et de l’Arabie saoudite

    par Thierry Meyssan

     

    La réponse de Tel-Aviv et de Riyad aux négociations entre les États-Unis et l’Iran se situe dans le prolongement du financement de la guerre contre Gaza en 2008 par l’Arabie saoudite : l’alliance d’un État colonial et d’une monarchie obscurantiste. Alors que le Proche-Orient s’apprête à vivre un changement pour dix ans de ses règles du jeu, Thierry Meyssan dévoile ici le contenu des négociations secrètes entre Tel-Aviv et Riyad.

     

    D’aucun, au Moyen-Orient, a conscience que les accords secrets qui devraient être signés le 30 juin prochain —en marge de l’accord multilatéral sur le nucléaire— par Washington et Téhéran vont probablement fixer les règles du jeu pour les dix années à venir.

    Ces accords interviennent alors que les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole, devant l’Arabie saoudite et la Russie. Ils n’ont donc plus besoin pour eux-mêmes du pétrole moyen-oriental et ne s’y intéressent que pour maintenir le marché mondial en dollars.

    En outre, Washington a débuté un repositionnement de ses troupes, d’Europe occidentale et du Moyen-Orient vers l’Extrême-Orient. Ceci ne signifie pas qu’il abandonne ces régions, mais qu’il souhaite assurer autrement leur sécurité.

    Israël

    Selon nos informations, depuis 17 mois (c’est-à-dire depuis l’annonce des négociations entre Washington et Téhéran qui durent, elles, depuis 27 mois), Tel-Aviv mène des négociations secrètes avec l’Arabie saoudite. Des délégations à très haut niveau se sont rencontrées cinq fois en Inde, en Italie et en Tchéquie.

    La coopération entre Tel-Aviv et Riyad s’inscrit dans le plan états-unien de création d’une « Force arabe commune », sous les auspices de la Ligue arabe, mais sous commandement israélien. Celle-ci est déjà effective au Yémen où des soldats israéliens pilotent des bombardiers saoudiens dans le cadre d’une Coalition arabe dont le quartier général a été installé par les Israéliens au Somaliland, un État non-reconnu situé de l’autre côté du détroit de Bab el-Mandeb [1].

    Cependant, Riyad n’entend pas officialiser cette coopération tant que Tel-Aviv refusera l’initiative de paix arabe, présentée à la Ligue arabe en 2002 par le prince Abdullah avant qu’il ne devienne roi [2].

    Israël et l’Arabie saoudite sont tombés d’accord sur plusieurs objectifs.

    Au plan politique : 
     « Démocratiser » les États du Golfe, c’est-à-dire associer les peuples à la gestion de leurs pays tout en affirmant l’intangibilité de la monarchie et du mode de vie wahhabite ; 
     Changer le système politique en Iran (et non plus faire la guerre à l’Iran) ; 
     Créer un Kurdistan indépendant de manière à affaiblir l’Iran, la Turquie (pourtant longtemps un allié d’Israël) et l’Irak (mais pas la Syrie, qui est déjà durablement affaiblie).

    Au plan économique : 
     Exploiter le champ pétrolier de Rub’al-Khali et organiser une fédération entre l’Arabie saoudite, le Yémen, voire Oman et les Émirats arabes unis ; 
     Exploiter les champs pétroliers de l’Ogaden, sous contrôle éthiopien, sécuriser le port d’Aden au Yémen, et construire un pont reliant Djibouti au Yémen.

    En d’autres termes, si Tel-Aviv et Riyad font « contre mauvaise fortune bon cœur » et admettent que les deux tiers de l’Irak, la Syrie et la moitié du Liban soient contrôlés par l’Iran, ils entendent : 
     S’assurer que l’Iran renoncera à exporter sa révolution ; 
     Contrôler le reste de la région en excluant la Turquie qui a succédé à l’Arabie saoudite dans la supervision du terrorisme international et vient de perdre en Syrie.

    Palestine

    La reconnaissance internationale d’un État palestinien, conformément aux accords d’Oslo et à l’initiative de paix arabe, ne sera qu’une affaire de mois après la signature des accords états-uno-iraniens.

    Le gouvernement palestinien d’union nationale, qui n’a jamais fonctionné, a soudainement démissionné. Il parait certain que le Fatah de Mahmoud Abbas sera largement soutenu par son peuple dès lors que l’État palestinien entrera aux Nations unies.

    Le Hamas, qui incarnait depuis 2008 la Résistance, s’est soudainement discrédité en officialisant son appartenance aux Frères musulmans (alors que la confrérie a tenté plusieurs coups d’État en Arabie saoudite) et en prenant les armes contre le seul État de la région effectivement pro-Palestiniens, la République arabe syrienne. Aussi, pour se refaire une image, a-t-il décidé de se faire discret et de soutenir désormais plutôt des actions non-violentes.

    La reconnaissance de l’État palestinien mettra fin au droit au retour des Palestiniens chassés de leurs terres, mais leur ouvrira un nouveau statut. Les États-Unis et l’Arabie saoudite investiront massivement pour développer l’économie du nouvel État.

    D’ores et déjà, plusieurs candidats se pressent pour succéder à Mahmoud Abbas (qui est âgé de 80 ans et dont le mandat a expiré en 2009). Parmi ceux-ci Mohammed Dahlan, l’ancien chef de la sécurité qui aurait organisé l’empoisonnement de Yasser Arafat et avait été contraint de quitter le pays en 2007. Après avoir travaillé pour les Émirats arabes unis, puis obtenu les nationalités monténégrine —comme l’ancien Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra— et serbe, il est rentré en février en Palestine avec l’aide de ses anciens adversaires du Hamas. Devenu milliardaire, il achète sans compter combattants et voix. Un candidat plus sérieux pourrait être Marouane Barghouti, qui purge actuellement cinq peines de prison à perpétuité en Israël, et qui pourrait être libéré dans le cadre de l’accord de paix. C’est en effet la seule personnalité palestinienne non-corrompue et ayant échappé aux tueurs du Mossad.

    Arabie saoudite

    Dans ce contexte, le voyage en Russie du prince Mohamad bin Salman, fils du roi Salman d’Arabie saoudite, a soulevé une vive inquiétude, une campagne de presse laissant entendre qu’il souhaitait négocier une cessation de l’aide russe à la Syrie. Il suivait d’une semaine le déplacement du directeur de l’Organisation de coopération islamique, Iyad bin Amin Madani. Il était accompagné de plusieurs ministres et d’une trentaine d’hommes d’affaire. La délégation saoudienne a participé au Forum économique de Saint-Petersbourg et le prince a été reçu par le président Vladimir Poutine.

    Depuis sa création, le royaume wahhabite entretient des relations privilégiées avec les États-Unis et considère l’union soviétique, puis la Russie, comme des adversaires. Il semble que ceci soit en train de changer.

    L’importance considérable des accords économiques et de coopération, qui ont été signés, initie une politique nouvelle. L’Arabie saoudite a ainsi acheté 16 centrales nucléaires, accepté de participer au programme russe de recherche spatiale, et également négocié des accords pétroliers dont les détails sont pour le moment non publiés.

    Pour lever toute ambiguïté sur ce rapprochement, le président Poutine a tenu à déclarer que la Russie ne modifiait en rien son soutien à la Syrie et qu’elle aiderait à toute solution politique conforme aux vœux du peuple syrien. Dans des interventions précédentes, il avait indiqué que ceci implique le maintien au pouvoir du président el-Assad jusqu’à la fin du septennat pour lequel il a été démocratiquement élu.

    Les perdants de la redistribution des cartes

    Tout laisse à penser qu’une fois les accords états-uno-iraniens signés [3], les perdants seront : 
     Le peuple palestinien qui se verra privé du droit inaliénable au retour pour lequel trois générations se sont battues ; 
     La Turquie qui risque de payer chèrement son rêve hégémonique, son soutien aux Frères musulmans et sa défaite en Syrie [4] ; 
     La France qui s’est acharnée durant quatre ans pour rétablir ses intérêts coloniaux dans la région et qui se retrouve, en définitive, en simple position de fournisseur d’Israël et de l’Arabie saoudite [5].