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  • Gaza, Palestine et apartheid

     



    dimanche 11 mars 2012, par Alain Gresh

    « Nous condamnons les tirs de roquettes et les conséquences humanitaires de ces violences et déplorons les victimes civiles. La France appelle instamment à un retour au calme et à la retenue afin d’éviter une escalade qui risquerait de toucher à nouveau des civils. Notre consul général à Tel Aviv se rendra dimanche matin à Ashdod et Ashkelon pour exprimer sa solidarité. »

    C’est en ces termes que le ministère des affaires étrangères français réagissait à l’escalade à Gaza provoquée par un raid israélien et l’assassinat de deux cadres palestiniens. Les opérations ont provoqué la mort d’une quinzaine de Palestiniens, dont deux enfants, mais c’est avec les populations d’Ashdod et d’Ashkelon que la France proclame sa solidarité. Une position similaire à celle exprimée par Susan Rice, ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies, ce qui n’étonnera personne.

    L’argument israélien pour justifier le raid à l’origine de l’escalade est que les deux hommes visés étaient les organisateurs d’un raid meurtrier en août dernier et s’apprêtaient à perpétrer un autre attentat. Comme toujours, l’armée israélienne ment et contredit ses propres enquêteurs (lire Max Blumenthal, « Israel’s bogus case for bombing Gaza obscures political motives », Al-Akhbar, 11 mars 2012.) Mais qui ira contredire l’armée « la plus morale du monde » ?

    Ce lundi 12 mars, le Quartet, composé des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la Russie et des Nations unies, se réunit une nouvelle fois pour discuter de la Palestine. Une nouvelle fois, on peut en être sûr, il appellera à la reprise sans préalables des négociations entre Israël et les Palestiniens — c’est-à-dire sans aucune base pour la négociation et sans arrêt de la colonisation israélienne —, ce qui est exactement la position de M. Netanyahou.

    Celui-ci, de retour de Washington, où le problème palestinien n’a même pas été abordé, est décidé à continuer sa politique dans les territoires occupés, politique qui ne suscite aucune réaction sérieuse du Quartet.

    Dans un article du quotidien Le Monde, Laurent Zecchini raconte un épisode, parmi d’autres, et pas le plus dramatique, de l’action israélienne en Cisjordanie (« Hold-up télévisuel à Ramallah », lemonde.fr, 10 mars). Il s’agit d’un raid contre deux stations de télévision.

    Il écrit : 
    « Ramallah est située en zone “A” de la Cisjordanie, laquelle, aux termes des accords de paix d’Oslo II (1995), est sous contrôle exclusif de l’Autorité palestinienne. Rien à voir, en principe, avec la zone “B”, où Israël conserve la responsabilité de la sécurité, et encore moins avec la zone “C”, entièrement sous l’emprise de la puissance occupante. Le siège de l’Autorité palestinienne, c’est la Mouqata’a, au centre de cette ville bourgeonnante de 200 000 habitants (durant le jour), où Mahmoud Abbas a sa résidence officielle. » 
    « Mais le roi est nu : le raid de l’armée israélienne a rappelé que l’Etat palestinien, dont M. Fayyad s’efforce avec ténacité de poser les fondations, et dont M. Abbas demande qu’il soit reconnu par les Nations unies, est un Etat croupion, dont la souveraineté est virtuelle, tout comme l’autorité de son président. »

    Ce raid a été déploré par les Etats-Unis comme par la France, comme ils regrettent depuis des années le blocus de Gaza, la colonisation, les incursions illégales en territoire palestinien, etc. Tout en continuant à demander à l’Autorité de négocier sans préalables.

    Il est ironique que le Quartet pose comme condition pour un dialogue avec le Hamas que celui-ci reconnaisse les accords d’Oslo, alors qu’Israël les a enterrés depuis longtemps, poursuivant sa politique d’asphyxie de la population palestinienne.

    Même l’eau, comme le rapporte toujours Le Monde, est une arme qui sert l’occupant (« En Cisjordanie, même l’eau est une arme », Le Monde, 11-12 mars 2012) ; l’article rappelle le rapport de l’Assemblée nationale de février dénonçant « un nouvel apartheid de l’eau ».

    Car c’est la réalité qui s’impose désormais sur le terrain. Au fur et à mesure que s’éloigne la perspective de la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, progresse la réalité d’un seul Etat, de la Méditerranée au Jourdain, dominé par les Israéliens et dans lequel les Palestiniens sont privés de tous leurs droits. En Afrique du Sud cela s’appelait l’apartheid, comme le rappelle Zackie Achmat, un militant sud-africain convaincu qu’Israël est devenu un Etat d’apartheid (« Why I believe Israel is an apartheid state »).

     

  • Israël, Afrique du Sud et apartheid

     



    samedi 8 juin 2013, par Alain Gresh

    Michel Bôle-Richard a été correspondant du Monde à Johannesburg et à Jérusalem. Il a connu de près les deux situations et il en a tiré un livre important qui aurait dû ouvrir un débat majeur sur la politique française dans la région, mais aussi sur la vision dominante et lénifiante de la situation. Cette vision se résume ainsi : deux peuples, dont chacun a droit à un Etat, vivent sur la Terre sainte ; avec un peu de bonne volonté et en isolant les extrémistes des deux bords (surtout palestinien), on pourrait aboutir à la paix.

    Rien n’est plus faux. Ce qui s’est mis en place, c’est un système de domination d’un Etat sur une population colonisée et privée de tous ses droits, un système qui rappelle (mais qui se différencie aussi, par certains aspects) celui qui a régné en Afrique du Sud et qui fut baptisé apartheid (lire « Gaza, Palestine et apartheid »). En refusant de le voir, nous nous faisons les complices d’une injustice majeure qui dure depuis des décennies et nous nous empêchons aussi de réfléchir à la manière de sortir de cette impasse.

    Voici un extrait du livre de Michel Bôle-Richard, Israël, le nouvel apartheid (Les Liens qui libèrent, Paris, 2013). En le lisant, en le faisant circuler, vous contribuerez à rompre le mur du silence qui s’est établi autour de lui.

    En juillet 2008, quelle ne fut pas la surprise d’un groupe de 22 Sud-Africains venus se rendre compte sur place d’une réalité dont ils n’avaient pas la moindre idée ! Andrew Feinstein n’avait jamais visité Israël ni les territoires occupés. Juif, il a perdu sa mère et ses dix frères et sœurs dans le génocide nazi. Il a, bien évidemment, été très impressionné par le mémorial de Yad Vashem et les récits et images d’Auschwitz où les siens ont disparu. Avec ses compatriotes, tous défenseurs des droits de l’homme, membres de l’African National Congress (ANC), magistrats, journalistes, syndicalistes, écrivains, Blancs, Noirs, Indiens, dont une dizaine de Juifs au total, Andrew Feinstein a, pendant cinq jours, sillonné les territoires occupés de Hébron à Naplouse, en passant par Jérusalem et la « barrière de sécurité ».

    Ils ont rencontré des organisations de défense des droits de l’homme, visité Tel-Aviv, tenté d’appréhender les réalités du conflit israélo-palestinien. Pour eux, il ne s’agissait pas de trouver des solutions, ni de juger, encore moins de faire des comparaisons avec le régime de l’apartheid que tous ont connu et subi. « Il n’est pas question de dénier à Israël le droit d’exister, mais je dois avouer que je suis choqué par ce que j’ai vu », a déploré Geoff Budlender, lui aussi juif. Ce juriste a été frappé par l’extension de la colonisation, par « la façon de traiter un peuple comme s’il était de seconde classe, par les pesanteurs de l’occupation militaire et le contrôle de tous les aspects de la vie quotidienne des Palestiniens, par la séparation de plus en plus marquée de deux communautés ».

    Geoff Budlender s’était refusé à « faire l’analogie avec le système d’apartheid », l’estimant « inappropriée ». Mais Barbara Hogan, ayant passé huit ans dans les prisons sud-africaines parce qu’elle protestait contre la ségrégation raciale, a été stupéfaite de constater en Cisjordanie l’existence des routes séparées pour les colons et les Palestiniens ainsi que la nécessité pour ces derniers d’obtenir des permis de l’administration israélienne pour se déplacer, ce qui lui a rappelé le système des pass pour les Noirs. « Les non-Blancs vivaient dans des zones séparées, mais il n’y a jamais eu en Afrique du Sud de route séparée, de “barrière de sécurité”, de check-point, de plaques d’immatriculation différentes », s’est étonnée cette députée de l’African National Council (ANC). « Tout cela est absurde et je me demande jusqu’où cela va aller, ce que ça va donner », s’était interrogée Barbara Hogan, notamment « choquée » par ce qu’elle a vu dans les rues de Hébron : « l’injustice, la haine, le désespoir ». Elle a été frappée de voir « la crainte dans les yeux des enfants », le silence qui régnait dans les rues du camp de Balata, à Naplouse. « Cette ville est assiégée. Les militaires contrôlent toutes les collines, tous les check-points. On ne peut pas entrer et sortir comme l’on veut. Cela n’a jamais existé en Afrique du Sud », a rajouté Nozizwe Madlala-Routledge, ancienne vice-ministre de la santé et députée de l’ANC.

    Le poids de l’occupation, l’importance des restrictions et la volonté d’établir une séparation complète ont marqué ces vétérans de la lutte contre l’apartheid. « Partout la présence de l’armée, ces queues aux check-points, ces raids de soldats sont pour moi pires que l’apartheid. Cela ne fait aucun doute. C’est plus pernicieux, plus sophistiqué grâce aux ordinateurs n’existant pas à l’époque de l’apartheid. Ce sont des méthodes déshumanisantes », a insisté le juge Dennis Davis. Ce n’était pas son premier voyage, mais il a trouvé la situation « plus sombre qu’elle ne l’a jamais été »« J’ai l’impression que nous sommes en 1965 en Afrique du Sud lorsque la répression s’est intensifiée après la condamnation de Nelson Mandela, qui a passé vingt-sept ans en prison. (Selon l’organisation de défense des prisonniers palestiniens, Addameer, 72 détenus sont emprisonnés depuis plus de vingt ans et 23 depuis plus de vingt-cinq ans). Après le jugement de Mandela, il aura encore fallu deux décennies pour que des sanctions internationales soient imposées contre le régime de l’apartheid. Ici, je ne vois aucune solution en perspective ». « Le bout du tunnel est plus noir que noir », a surenchéri Mondli Makhanya, rédacteur en chef du Sunday Times. « Nous, nous savions qu’un jour cela allait se terminer, que les lois de l’apartheid allaient disparaître. Ici, ce n’est pas codifié, l’occupation suffit à faire du Palestinien un être de seconde zone ».

    Le terme d’apartheid, considéré comme un outrage en Israël, est utilisé avec précaution par ces hommes et ces femmes se souvenant qu’il n’y a pas si longtemps, ils étaient encore qualifiés de « terroristes » par le gouvernement blanc, comme le rappelle Barbara Hogan. Ils se refusent aussi à parler de « racisme », de « colonialisme », « car nous ne sommes pas là pour juger, mais pour nous informer », se défend Goeff Budlender, surpris de constater que « les Palestiniens veulent encore croire à une solution »« Mais, ajoute-t-il, lorsque vous voyez ce chapelet de colonies sur la route de Naplouse et que vous vous heurtez partout au mur de séparation, vous vous dites que cela ne va pas être simple. » Drew Forrest, rédacteur en chef du Mail & Guardian, n’a pas compris « comment le peuple juif a pu en arriver là. Un peuple qui, lui aussi, a tant souffert ». « Je comprends parfaitement la peur éprouvée par les Juifs, mais elle ne peut justifier ce qui se passe », a insisté Andrew Feinstein, avant d’ajouter : «  Et je trouve très triste que cela se fasse au nom du judaïsme. »

  • Israël le nouvel apartheid

     

    Israël le nouvel apartheid
     

    L’auteur, grand reporter au journal le monde, évoque les similitudes entre l’Israël d’aujourd’hui et le régime d’apartheid en Afrique du sud.

    Date de parution : 03-04-2013
    ISBN : 979-10-209-0041-8
    200 pages
    18 €



     S’il est un terme que les Israéliens et la communauté juive mondiale réfutent avec violence pour caractériser la situation des Palestiniens en Cisjordanie, c’est bien celui d’apartheid. Bien sûr, il ne s’agit pas du modèle qui a eu cours en Afrique du Sud jusqu’à la libération de Nelson Mandela en février 1990. Nous ne sommes plus à la même époque et les situations politiques sont différentes.

     

    Pourtant, dans les principes et leur mise en application, les méthodes sont souvent similaires et la ségrégation des Palestiniens en Cisjordanie et en Israël est une réalité que personne ne peut nier. Comme en témoigne l’utilisation de plus en plus fréquente du terme d’apartheid dans les conversations de nombreux responsables politiques et rapports d’organisations internationales.

    En attestent : la judaïsation de Jérusalem Est, la discrimination envers les Arabes israéliens, le blocus de Gaza, la politique d’expulsion des bédouins, le pillage des terres palestiniennes et leur transformation en bantoustans, la colonisation galopante, les humiliations quotidiennes des Palestiniens et l'amorce timide d'un processus international de boycottage pour protester contre cet état de fait.

    Apartheid réinventé, apartheid masqué, les faits et les réalités sur le terrain sont là. Ce livre en est une illustration, un constat basé sur des donnés irréfutables.

    Ce qui est plus grave est que ce système ségrégatif ne pourra que prospérer en raison du refus d’Israël de créer un État palestinien digne de ce nom et de sa volonté de vouloir maintenir le caractère juif de l’État hébreu. Vingt ans après les accords d’Oslo, le processus de paix est mort et les gens lucides ne croient plus à la solution « deux États pour deux peuples ». Alors ? Dans combien de temps les Palestiniens demanderont-ils comme les Noirs sud-africains « One man, one vote » ?

  • Gare au prochain tsunami financier

     

    LE MONDE | 12.06.2013 à 18h25 • Mis à jour le 13.06.2013 à 14h32

    Par Michel Rocard (ancien premier ministre) et Pierre Larrouturou (économiste)



     

     

    Les embauches se sont accélérées aux Etats-Unis en avril, mais cela n'a pas empêché le taux de chômage de remonter.

     

    "Toutes les grandes défaites se résument en deux mots : trop tard", affirmait le général MacArthur. Allons-nous attendre qu'il soit trop tard pour comprendre la gravité de la situation ? Allons-nous attendre qu'il soit trop tard pour rompre avec des stratégies qui nous mènent dans le mur ?

    Officiellement, il y a eu 40 000 chômeurs supplémentaires en France en avril. Mais le ministère indique qu'en un mois, il y a eu 534 000 nouveaux inscrits à Pôle emploi. Si le chômage augmente de 40 000 personnes "seulement" c'est que, dans le même temps, 494 000 personnes quittaient les fichiers de Pôle emploi."Presque la moitié ont repris un emploi", indique le ministère. On en conclut qu'une moitié n'en a pas retrouvé : certains sont en stage, d'autres ont des problèmes administratifs mais, chaque mois, 80 000 ou 100 000 personnes arrivent en fin de droit.

    Dans le Sud de l'Europe, c'est pire encore : en Italie, le chômage touche près de 3 millions d'adultes mais il y a trois millions de "découragés" qui ont abandonné leur recherche d'emploi. "On organise une boucherie sociale", affirme le patronat italien. En Espagne, il y a 6 200 000 chômeurs et combien de pauvres ? "A Madrid, plus aucun fils d'ouvrier ne va à la faculté, témoigne une jeune espagnole.Quelque chose est en train de se casser. Si rien ne change, l'Espagne va perdrela maîtrise de son avenir."

    La situation est-elle meilleure dans le reste du monde ? Aux Etats-Unis, malgré des déficits colossaux (la dette publique a augmenté de 1 100 milliards en un an), malgré le soutien de la Réserve fédérale qui crée chaque mois 85 milliards ex nihilo pour financer ces déficits, le taux d'activité est tombé à un plus bas historique : 63,3 %. Les chiffres du chômage sont stables mais, en un mois, 495 000 chômeurs ont renoncé à chercher un emploi et sont sortis des statistiques. Même avec des politiques budgétaires et monétaires ultra-accommodantes, les Etats-Unis n'arrivent pas à sortir du chômage. En mai, l'activité industrielle a commencé à reculer.

    Au Japon, le gouverneur de la banque centrale a démissionné il y a trois mois, refusant de cautionner plus longtemps une politique qui, en vingt ans, a poussé la dette publique à 230 % du produit intérieur brut (PIB) : malgré des plans de relance pharaoniques, malgré une politique de recherche très ambitieuse, le Japon n'a que 0,7 % de croissance en moyenne depuis qu'a éclaté sa bulle, au début des années 1990. Et encore, ces 0,7 % viennent des exportations vers les Etats-Unis et l'Europe... Le gouverneur de la Banque centrale du Japon a démissionné mais, au lieu de réfléchir à une politique alternative, son successeur a décidé decontinuer comme avant mais en pire. Peut-on soigner une gueule de bois en buvant tous les matins une grande bouteille de Saké ? Le 30 mai, le Fonds monétaire international (FMI) a publiquement averti que, en poussant son déficit public à 9,8 % du PIB, le Japon prenait des "risques considérables".

     

    EN CHINE, LA BULLE IMMOBILIÈRE VIENT D'ÉCLATER 


    Les deux moteurs de la croissance chinoise ont calé en même temps : les ventes de logement ont baissé de 25 % en un an et les exportations vers l'Europe ont reculé de 9,8 %. Officiellement, la Chine ne traverse qu'un "petit ralentissement"mais si l'on observe la consommation d'électricité (indicateur plus difficile àenjoliver que le PIB), la Chine est plus proche de la récession que d'une croissance de 6 %. En mai, l'activité industrielle a reculé : il ne s'agit pas d'un ralentissement dans la croissance mais bien d'un recul.

    On a vu en Espagne ce que donne l'éclatement d'un bulle immobilière : le chômage a triplé et José Luis Zapatero a dû démissionner. En Chine, la bulle est plus grosse qu'elle ne l'était en Espagne. Et son explosion risque d'avoir des conséquences sociales nettement plus graves car il n'y a pas de couverture sociale pour les chômeurs, ni de solidarité familiale pour des millions d'hommes déracinés. Mais les dirigeants chinois n'ont aucune envie d'abandonner le pouvoir : ils ont annoncé qu'ils vont doubler le budget militaire d'ici à 2015 afin d'avoir quatre fois le budget de l'armée du Japon, l'ennemi héréditaire.

    Début mars, alors que le FMI indiquait que la dette privée de la Chine a augmenté de 30 % PIB en un an, sans que cela suffise à relancer l'activité, Taïwan annonçaitavoir installé cinquant missiles tournés vers des bases militaires chinoises... Comme le dit le gouverneur de la Banque d'Angleterre"la prochaine crise risque d'être plus grave que celle de 1930".

    C'est dans ce contexte que s'ouvre en France la conférence sociale des 20 et 21 juin. Elle doit lancer un nouveau cycle de négociation sur l'emploi. L'un des hauts fonctionnaires de la direction du Trésor chargé de préparer une "note de cadrage" pour cette conférence affirmait récemment que la France est retombée dans une"petite récession". Du point de vue comptable et si l'on pense que la France est seule au monde, il a raison. Mais peut-on en rester au point de vue comptable ? Non ! Ceci n'est pas une "petite récession". Une banale récession comme nous en avons déjà connu quatre en quarante ans. Edgar Morin a raison : nous sommes face à une crise de civilisation. Comme celle de 1929, cette crise peutconduire à la barbarie : guerre aux frontières de la Chine, guerres pour l'eau ou pour l'énergie, émeutes urbaines et montée de l'extrême droite en Europe... Si nous continuons à laisser pourrir la situation, si nous continuons à mettrequelques rustines en misant sur un miraculeux retour de la croissance (auquel plus personne ne croit) tout cela peut, en quelques années, finir dans un fracas terrifiant.

     

    CHANGER L'ENSEMBLE DE NOTRE MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT


    Et, dès aujourd'hui, nous sommes nombreux à ressentir un malaise plus intime : qui donc est l'homme pour être traité ainsi ? Qui donc est l'homme pour accepterque des millions d'hommes et de femmes vivent dans la plus grande pauvreté alors que, globalement, nous n'avons jamais été aussi riches ? Qui sommes-nous, femmes et hommes, pour être incapables de garder la maîtrise de notreavenir, ballotés comme des fétus de paille, d'une crise à l'autre ? Homo SapiensSapiens ou Homo Nullus Nullus ?

    Crise sociale, crise financière, crise climatique, crise démocratique, crise du sens... dans tous ces domaines, nous sommes proches d'un point de non-retour. L'humanité risque une sortie de route. C'est l'ensemble de notre modèle de développement qu'il faut changer, de toute urgence.

    Pour éviter qu'un tsunami sur les marchés financiers ait un impact direct sur l'économie réelle, pour lutter radicalement contre la spéculation et contre les risques liés au surendettement des Etats, la France doit demander que soit organisé au plus vite un nouveau Bretton Woods – accords pour réorganiser le système financier international après la seconde guerre mondiale, en 1944.

    Pour sortir l'Europe de l'austérité et de la récession, il faut mettre fin aux privilèges incroyables des banques privées dans le financement de la dette publique etfinancer à 1 % la vieille dette publique, lutter frontalement contre les paradis fiscaux (le code des marchés publics doit interdire de commande publique lesentreprises qui se soustraient à l'impôt) et négocier la création d'un impôt européen sur les dividendes (en vingt ans, le taux moyen d'impôt sur les bénéfices est passé de 37 % à 25 % en Europe !). Si l'on fait cela, nous pourrons retrouverl'équilibre des finances publiques sans austérité.

    Il faut aussi agir avec force contre le chômage et la précarité en fixant à la négociation sociale qui débute les 20 et 21 juin un objectif très ambitieux : auPays-Bas et au Danemark, les partenaires sociaux ont été capables d'élaborer en quelques semaines un nouveau contrat social assurant un meilleur partage des gains de productivité, qui a permis de diviser par deux le chômage tout en restaurant l'équilibre de la balance commerciale. Pourquoi n'en serions-nous pas capables nous aussi ?

    Petite récession ou crise de civilisation ? La réponse est évidente. Politiques et partenaires sociaux doivent absolument se laisser bousculer par la crise. Personne ne leur en voudra de tenir un discours de vérité. Au contraire !"L'immobilisme et la pusillanimité sont toujours plus dangereux que l'audace, écrivait Pierre Mendes France. Les problèmes sont si difficiles et d'une si grande ampleur, la résistance des égoïsmes est si forte, que c'est avant tout de l'audace qu'il nous faut aujourd'hui. De l'audace intellectuelle et politique, plus rare de nos jours hélas ! que le courage physique."

    Dire la vérité et décider de construire, tous ensemble, un nouveau contrat social adapté aux contraintes et aux désirs de ce temps est sans doute la meilleure façon de renforcer la cohésion et la résilience de notre société

  • Ecoutes, espionnage

    BIG BROTHER10/06/2013 à 16h14

    Ecoutes, espionnage... : cinq questions sur le scandale Prism

    Philippe Vion-Dury | Journaliste Rue89

    Ecoutes téléphoniques, portails d’accès aux serveurs centraux, détournement de milliards de données personnelles, sans oublier les références à Orwell et Big Brother...

    Vendredi dernier, le Guardian et le Washington Post révélaient l’existence d’un programme américain secret baptisé Prism espionnant les citoyens à échelle internationale, plongeant dans l’embarras les neuf entreprises ayant collaboré, dont les géants du Web Google, Microsoft, Apple et Facebook. Et intriguant les internautes que nous sommes.

    Cinq questions concrètes auxquelles Rue89 répond.

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    Les Américains et leurs interlocuteurs étrangers sont-ils sur écoute ?

     


    Extrait de « La Vie des autres » (&copy ; Oc&eacute ; an Films)

    Pas vraiment. Le programme concerne en réalité la collecte de métadonnées – les informations « externes » – et non le contenu des appels téléphoniques ou l’identité des appelants. Sont ainsi collectés les numéros de téléphone appelant et recevant l’appel, les numéros IMSI et IMEI, l’identifiant de la communication, l’heure à laquelle a été passé l’appel et sa durée.

    La National Security Agency (NSA) reçoit ces données de l’opérateur Verizon pour toutes les communications entre les Etats-Unis et l’étranger ou à l’intérieur du territoire américain, et peut même localiser géographiquement les individus au moment de la communication – si ceux-ci se trouvent à une distance raisonnable des antennes-relais.

    Si la mise sous surveillance apparaît (pour le moment) ne pas être une mise sur écoute à proprement parler, elle reste massive : l’opérateur Verizon compte plus de 100 millions de clients, soit près d’un Américain sur trois, et son réseau fixe compte 44 millions de lignes.

    2

    Cette surveillance est-elle légale ?

     

    Le document qui a fuité est une ordonnance judiciaire émise par un tribunal fédéral compétent en renseignement étranger (le Fisa). L’opération reste doncdans le champ de la légalité, puisqu’elle est soumise à l’autorisation préalable et au contrôle de ce tribunal.

    En réalité, l’administration Obama est bien plus respectueuse des droits de ses citoyens que celle de Bush, qui extrayait ces informations de manière unilatérale et sans contrôle.

    L’ordonnance émise le 25 avril est encadrée temporellement et devait expirer le 19 juillet. Enfin, le programme est supervisé par le Congrès, qui a accès à toutes les ordonnances et avis donnés par la Fisa.

    3

    Comment marche la surveillance sur le Net ?

     

    Le scandale, qui a démarré par la mise sous surveillance téléphonique, a pris de l’ampleur lorsque les géants du Web ont été accusés d’avoir coopéré eux aussi à ce programme. Ils auraient donné à la NSA l’accès à leurs serveurs centraux contenant toutes les données relatives à leurs abonnés. Le New York Timesrésume bien le procédé :

    « En gros, on a demandé aux entreprises de créer une boîte aux lettres verrouillée et d’en donner la clé au gouvernement, selon des personnes au courant des négociations. Facebook, par exemple, a construit un système de demande et de partage d’informations, selon les mêmes sources. »

    Le journal américain tempère cependant l’ampleur de l’opération, en précisant qu’il n’y a pas d’automaticité et que les entreprises gardent la main sur leurs données et leur accès :

    « Les données ainsi partagées, selon ces sources, le sont après que les avocats des entreprises ont vérifié que la requête sur la base de Fisa est conforme aux pratiques de la compagnie. Elles ne sont donc pas envoyées automatiquement ou en vrac, et le gouvernement n’a pas un accès illimité aux serveurs des compagnies. Au contraire, selon ces sources, il s’agit d’un moyen plus sûr et plus efficace de remettre les données. »

    4

    Les Européens sont-ils concernés ?

     

    Oui, dans la mesure où les Européens utilisent massivement les produits d’Apple et de Microsoft ou les services de Google et Facebook. Les quatre géants du Web font tous partis du programme, ainsi que Yahoo, AOL ou Skype.

    Cela signifie donc que toutes vos données Facebook, vos courriers reçus et envoyés sur Gmail et vos dossiers entreposés en Cloud sur les services de ces entreprises sont potentiellement accessibles par le gouvernement américain.

    Les Européens sont d’autant plus concernés que rien n’a été fait au niveau national ou communautaire pour les protéger efficacement. Une étude du Parlement européen parue en 2012 soulignant les risques d’une surveillance américaine massive sur les citoyens européens était passée relativement inaperçue.

    Les choses pourraient changer : l’eurodéputée Françoise Castex a saisi aujourd’hui la Commission pour savoir si elle connaissait l’existence du programme Prism, et ce qu’elle prévoit de faire en termes de protection des données européennes.

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    Comment peut-on y échapper ?

     

    Protéger sa vie privée n’est pas une tâche facile sur le Net. Elle l’est encore moins lorsque Google, Apple et Facebook sont impliqués. La seule option réside dans le choix du prestataire de service. Le site Salon.com fournit uneliste détaillée des alternatives disponibles.

    Quant aux réseaux sociaux, seul Twitter semble avoir résisté aux mandats du gouvernement américain, ce qui lui a valu les félicitations de la fondation de défense de la vie privée Electronic Frontier – elle a récompensé le réseau social de sa note maximum.

    Les blogueurs devront renoncer à Blogger, détenu par Google, et Tumblr, lié à Yahoo, mais pourront se réfugier chez Wordpress. Les moteurs de recherche Google Search, Yahoo et Bing sont à proscrire. Restent les indépendants Blekko et DuckDuckGo.

    La liste des services populaires à éviter est interminable : Gmail, Yahoo Mail, Hotmail/Outlook, Google Maps, Skype, YouTube et bientôt Dropbox, qui devrait rejoindre sous peu le programme Prism.

    Sans oublier que si vous avez un téléphone portable utilisant Android, iOS ou Windows Phone, il vous faudra également lui préférer un Blackberry ou renoncer tout simplement au smartphone. Tel est le prix pour protéger au mieux sa vie privée.