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  • Cours de prostitution en Espagne : débouchés assurés

    L’AUTRE ÉCOLE23/09/2012 à 18h35

     

    Alors que le chômage atteint des sommets, une formation express propose d’apprendre les rudiments du plus vieux métier du monde. Et pour l’instant, ça n’a rien d’illégal.

    Une femme qui danse (Maj Michelson/Flickr/CC)

    « Travail immédiat ! Cours de prostitution professionnelle. Un travail très rentable pour les deux sexes. »

    L’affiche, apparue dans les rues de Valence en Espagne, ne permet plus aucun doute : devenir prostitué(e), mais un(e) pro, cela s’apprend aussi. Et même, après la formation, les enseignants du cours promettent un travail immédiat…


    L’affiche proposant des cours de prostitution

    Une offre qui donne à réfléchir dans un pays qui affiche un taux de chômage de presque 25% de la population. Mais quelles doivent être les compétences requises pour pouvoir se former ? Il faut, toujours selon l’annonce, être majeur, avoir une bonne prestance et ne pas être timide…

    Les affiches ont fait leur apparition dans les rues de Valence pour la première fois, en mai dernier : la formation s’étale sur une semaine et propose des classes théoriques mais aussi pratiques. Deux heures par jour pendant lesquelles l’élève s’exerce sur des jouets sexuels, le Kamasutra et d’autres matières portant sur le sexe. Prix des cours : 100 euros, un poste de travail étant assuré à la fin de la formation.

    Une rentrée scolaire

    Une enquête judiciaire a été initiée par le gouvernement de la Communauté Autonome de Valence : y-a-t-il un délit de proxénétisme ? Les juges ont estimé, un mois plus tard, que ce n’était pas le cas : aucun élément probant n’a révélé que le cours s’adresse à des mineurs ou qu’il prône la prostitution.

    C’est ainsi que, en l’absence de toute preuve de délit, les formateurs ont recommencé la recherche d’élèves il y a quelques semaines. Une rentrée scolaire en quelque sorte. De nouveau, des affiches de recrutement comportant un numéro de téléphone portable ont été collées dans les rues de la ville :

    « Pour les exercices pratiques, il faut se diriger vers des professionnels du sexe dans un appartement du quartier de Ruzafa. Là-bas ils montreront aux élèves ce qu’ils doivent faire, comment le faire et où », a expliqué la personne au bout du fil, à Rosana Crespo, journaliste du quotidien ABC à Valence. Deux jours plus tard, le discours avait notamment changé. Une toute autre réponse a été faite suite à l’appel de Rue89 :

    « Il doit y avoir une erreur, j’ai ce portable depuis août et l’annonce date de mai, j’ai reçu au moins 70 appels aujourd’hui, je ne sais pas de quelle formation vous me parlez. »

    « C’est faux. Ils m’avaient même donné rendez vous quand je leur ai dit que j’étais intéressée. Comme les autorités de la région sont à nouveau sur l’affaire, ils doivent se méfier », précise la journaliste d’ABC.

    Aucun délit n’a été commis

    En effet, après la nouvelle recherche d’élèves, quelques membres des partis politiques régionaux ont demandé que l’affaire soit à nouveau ouverte afin interdire ce genre de cours. La police nationale explique :

    « Aucun délit n’a été commis. Par contre, s’il y a une dénonciation de la part d’un mineur ou si quelqu’un avoue qu’il pratique la prostitution sous la contrainte ou la violence, cela pourrait changer. »

    En Espagne, se prostituer, c’est-à-dire offrir des services sexuels en échange d’argent, est légal. Par contre, le proxénétisme et le trafic des personnes sont un délit. Mais, comment démontrer que les filles qui travaillent dans des maisons closes ou dans les nombreux clubs du pays ne sont pas obligées de se prostituer ? Sauf s’il y a dénonciation, les autorités et la police ne peuvent pas intervenir.

    Entre 200 000 et 400 000 personnes se prostitueraient dans le pays selon différentes estimations et 90% d’entre elles font l’objet de trafic sexuel.

    « Mais il n’y a pas des données sérieuses car il n’existe pas un registre recensant les personnes exerçant la prostitution », explique-t-on à Hetaira, association qui défend les prostituées.

    Des maisons closes et des clubs un peu partout

    Au Club Social La Moraleja, dans le sud de Madrid, l’ambiance est chaude cette nuit : quelques hommes d’affaires ainsi que des jeunes visent les filles de la boîte. Elles sont nombreuses et il y en a pour tous les goûts : grandes, petites, blondes, rousses, brunettes.. On pourrait penser qu’il s’agit d’une boîte de nuit quelconque : on entend les derniers tubes du moment, il y a les pistes de danse, le bar… mais au fond, une petite porte donne directement dans l’hôtel situé à coté de l’établissement.

    En effet, il s’agit de « un club de alterne », un endroit où les clients vont pour rencontrer des prostituées. Ils parlent avec elles et, après leur avoir payé un verre ou deux (argent qui va dans les poches du patron de l’établissement), ils rémunèrent le service sexuel (argent qui revient à la fille). A ce moment, client et prostituée sortent pour aller à l’hôtel. Le tarif pour la fille inclut aussi, normalement, les draps pour la nuit ainsi que le préservatif, lorsqu’il est utilisé. La fille de son côté, paye la location mensuelle de la chambre, somme qui est versée au patron du club.

    Une double morale

    Quand le patron ouvre son business, il fait à la fois bar et hôtel, rien d’illégal donc, bien que les policiers et les autorités savent très bien ce qui se passe à l’intérieur.

    C’est ainsi qui font la plupart des clubs, comme le Paradise, à La Jonquera, un énorme complexe situé à côté de la frontière française et bien connu des Français venus de la région ou d’ailleurs.

    Certaines villes espagnoles cherchent à pénaliser les clients des prostituées de rues avec des amendes mais il existe un vide juridique au niveau national dans lequel s’engouffrent tous ceux qui font commerce de la prostitution.

    La double morale persiste dans un pays ou l’Eglise, garde encore, un énorme pouvoir. Les articles sur l’affaire sont largement présents dans les médias mais les deux grands quotidiens espagnols, El Mundo et El Pais, insèrent les petites annonces de prostitution en pages intérieures.

  • Promesses Politiciennes...

    Parlons (Inter) Net
    Contrôle au faciès : Manuel Valls enterre le projet de récépissé.

    Manuel Valls : c’est une mesure « beaucoup trop bureaucratique et lourde à gérer ». Dame, contrôler, puis écrire sur un papier le nom du noir, heu, de l’ara… heu de l’individu d’apparence négroïde ou musulmane !

    Dans un second temps, et pour les mêmes raisons, il envisagerait de renoncer aux verbalisations des automobilistes mal garés. Relever le numéro d’immatriculation, écrire le PV, transmettre la souche au service qui enverra l’avis de contravention après avoir trouvé sur l’ordinateur l’adresse du fautif, recevoir une lettre en retour avec le chèque, le faire encaisser, éventuellement faire une relance, quel boulot paperassier !

    Et les élections ! On va la garder, cette usine à gaz ? Pas obligé, si les promesses électorales ne servent qu’à faire entrer Valls dans les godillots ferrés de Guéant et Hortefeux.

    Théophraste R. (Chef du bureau « Zéro papier »).

  • Robocop à vos portes

    15 septembre 2012

    La police étasunienne est une armée d’invasion (Dissident Voice)

     
    Marti Hiken, Luke Hiken

    La police est devenue une armée coloniale dans presque toutes les villes des Etats-Unis. Les 18 000 agences gouvernementales et locales de maintien de l’ordre réparties sur tout le territoire des Etats-Unis constituent davantage un danger qu’une protection. En 2008, il y avait 12 501 départements de police locale avec à leur tête au moins un officier de police à plein temps. Cette année-là, les départements de police locale avaient environ 593 000 employés à plein temps dont 461 000 étaient assermentés. Environ 60% de tout le personnel étatique et local assermenté était composé de membres de la police locale. Selon le Bureau des statistiques de la Justice, environ 75% des officiers de la police locale en 2007 étaient employés par des départements de la police qui autorisaient l’usage "d’objets conducteurs d’énergie" - comme les Tasers - alors qu’en 2003, il n’y en avait que 47%. Soixante et un pour cent des départements de la police locale utilisaient régulièrement des caméras vidéos dans les voitures de patrouille pour 55% en 2003. Il y avait environ 71 000 caméras dans les voitures en 2007 pour 49 000 en 2003.

    Les "appréhensions" policières ont donné lieu à la fouille au corps de 150 000 à 200 000 personnes rien que dans la ville de New York depuis le début de l’année, et plus de 85% des personnes appréhendées étaient des Américains d’origine hispanique ou africaine. Tant que les citoyens de ce pays ne se rendront pas compte de l’impact de la police sur nos communautés, nous continuerons à subir un niveau de répression, de surveillance illégale et d’incarcération bien supérieur à celui du reste du monde.

    Les policiers qui commettent des meurtres sont placés "en congé administratif rémunéré" et peuvent bénéficier des services de leurs syndicats et de leurs avocats avant qu’une investigation indépendante ne soit mise en place par les procureurs de district ou des agences de police extérieures. (Vous vous rendez compte, ils se retrouvent en congés payés grâce au fait d’avoir tué quelqu’un -la famille de la victime ne bénéficie pas de congés payés - seul le flic assassin y a droit !) Le police a des mois pour mettre au point sa version des faits avant que le reste de la communauté entende seulement parler du crime. Après un crime, la police expose aux médias sa version des faits qui est considérée comme parole d’évangile.

    Comme la police est la seule habilitée à filmer ou enregistrer ce qui se passe sur la scène de crime jusqu’à ce que la police ait décidé avec ses supérieurs de ce qu’il fallait dire, la police a un pouvoir absolu sur les faits dans la "justice" américaine. Beaucoup de monde pense que la police manipule les scènes de crime en y mettant des armes, des bombes incendiaires et des drogues soi-disant utilisées au cours de l’incident. Le public n’a pas le droit d’assister à ce qui se passe sur les lieux après le crime jusqu’à ce que la police ait donné ses conclusions et tenu une conférence de presse.

    Quand il y a une crime ou un accident, ils font arrêter la circulation pendant aussi longtemps qu’ils le jugent nécessaire. Par exemple, quand on a tiré sur un officier de police, le trafic a été interrompu pendant neuf heures sur la 680, une artère essentielle de la Baie de San Francisco, au grand détriment de milliers de personnes.

    Il y a aussi les funérailles d’officiers de police tués en service. Les fonds publics sont utilisés pour leur offrir des funérailles grandioses en présence de milliers de policiers.

    Ils psalmodient le mantra :"Nos policiers sont entraînés à utiliser la force nécessaire et raisonnable pour effectuer une arrestation ou éliminer une menace" pour justifier les atrocités que la police commet comme si le seul fait de prononcer ces paroles les rendaient vraies. Et c’est ainsi qu’on en arrive à la situation absurde où les policiers tiennent tous les rôles pour leur plus grande profit et s’absolvent de toute mauvaise conduite en étant tout à la fois le juge, le jury qui prononce les peines et ceux qui les appliquent. La police de Vallejo par exemple, a tué un citoyen tous les mois dans les 5 derniers mois et tous ces meurtres ont été déclarés "raisonnables et nécessaires."

    La police de San Francisco, presque deux fois plus nombreuse que celle de San José, est impliquée dans deux fois plus de meurtres par an que nos voisins du sud. Un noir sur trois est en prison ou en liberté surveillée aux Etats-Unis. Nous arrêtons et emprisonnons un pourcentage plus grand de citoyens que n’importe quel autre pays du monde.

    Et pourtant, les chefs de police viennent l’un après l’autre déclarer dans les quotidiens que si nous avions assez d’argent pour louer les services de davantage de brutes des rues pour maintenir l’ordre, nous serions plus en sécurité. C’est sûr et faire payer des impôts aux milliardaires serait mauvais pour les pauvres parce qu’on sait de quelle générosité et de quelles tendres attentions sont capables des voyous comme les frères Koch.

    Allez les amis, apprenez à penser par vous-mêmes et à lire entre les lignes. Moins de police signifierait moins de délits, moins de meurtres et moins de racisme. Nous n’avons pas besoin qu’ils envahissent nos communautés pour nous protéger, nous le faisons bien mieux nous-mêmes. Un nombre limité de policiers dont la mission serait de contrôler les crimes violents des gangs, de la Mafia et des extrémistes religieux serait bien préférable aux armées de métier installées au coeur de nos cités.

    Marti Hiken, Luke Hiken

    Luke Hiken est un avocat spécialiste du droit criminel et militaire, et du droit de l’immigration et des appels. Marti Hiken est la directrice de Progressive Avenues. Elle était auparavant directrice associée de the Institute for Public Accuracy et présidente de the National Lawyers Guild Military Law Task Force.

    Pour consulter l’original : http://dissidentvoice.org/2012/09/police-in-the-u-s-are-an-i...

    Traduction : Dominique Muselet

  • Produire des « États ratés »

    MADE BY USA

    Washington est passé maître dans l’art d’affaiblir ses cibles en y développant un terrorisme intérieur, puis de les accuser d’être responsables des crimes qu’il a commandités. Cette méthode lui permet à la fois de justifier une intervention militaire et de la conduire sans risque. Le schéma bien rôdé que décrit ici Edward S. Herman est aujourd’hui appliqué à la Syrie.

    RÉSEAU VOLTAIRE | 17 SEPTEMBRE 2012
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    Un cadre d’Al-Qaida venu en Syrie avec des officiers occidentaux. On ne change pas des recettes qui marchent.

    Pendant la guerre du Vietnam, au-dessus de l’entrée d’une base US on pouvait lire : « Killing Is Our Business, and Business Is Good ». (Tuer c’est notre affaire, et les affaires marchent fort). Et en effet, les affaires marchaient vraiment très fort au Vietnam (de même qu’au Cambodge, au Laos ou en Corée), où on comptait par millions le nombre de civils tués. D’ailleurs elles se sont plutôt bien maintenues aussi après la guerre du Vietnam. Les massacres ont continué sur tous les continents, aussi bien directement que par l’entremise de « proxies » [1], partout où la « sécurité nationale » états-unienne avait besoin de bases, de garnisons, d’assassinats, d’invasions, de campagnes de bombardements, ou de sponsoriser des régimes assassins et d’authentiques réseaux et programmes terroristes trans-nationaux, pour répondre à la « menace terroriste » qui ne cesse de défier le pauvre « géant pitoyable » [2]. Dans son excellent ouvrage sur l’ingérence des États-Unis au Brésil [3], Jan Knippers Black montrait déjà il y a des années, combien l’acception merveilleusement élastique du concept de « sécurité nationale » peut être élargie, en fonction de ce qu’une nation, une classe sociale ou une institution estime qu’elle devrait pouvoir recouvrir. Au point que ce sont précisément « ceux dont la richesse et la puissance devraient en principe garantir la sécurité, qui sont en fait les plus paranoïaques et qui, par leurs efforts effrénés pour assurer leur sécurité, engendrent eux-mêmes leur propre [lot de] destruction » (Son ouvrage traitait du risque d’apparition d’une démocratie sociale au Brésil dans les années 1960, et de son élimination grâce au soutien US à une contre-révolution et à l’établissement d’une dictature militaire). Ajoutez à cela le besoin des entrepreneurs liés au complexe militaro-industriel, de favoriser des missions justifiant l’augmentation des budgets de défense, et la pleine et entière coopération des médias de masse à cette activité, et vous obtenez une terrifiante réalité.

    En réalité ledit géant faussement paranoïaque s’est démené comme un beau diable pour produire des semblants de menaces à peu près crédibles, surtout depuis la chute de « l’Empire du Mal » que ce pays avait toujours prétendu « contenir  ». Dieu merci, après quelques tentatives sporadiques de cristalliser l’attention sur le narco-terrorisme, puis sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein, le terrorisme islamique tomba littéralement du ciel pour offrir à cette défunte menace un digne successeur, découlant tout naturellement de l’hostilité du monde arabe aux libertés états-uniennes et de son refus de laisser à Israël la possibilité de négocier la paix et de régler pacifiquement ses désaccords avec les Palestiniens.

    En plus d’optimiser les massacres et les ventes d’armes qui en découlent, les États-Unis devenaient aussi de facto le premier producteur d’États ratés, à l’échelle industrielle. Par État raté [4], j’entends un État qui, après avoir été écrasé militairement ou rendu ingérable au moyen d’une déstabilisation économique ou politique et du chaos qui en résulte, a presque définitivement perdu la capacité (ou le droit) de se reconstruire et de répondre aux attentes légitimes de ses citoyens. Bien sûr, cette capacité de production des États-Unis ne date pas d’hier —comme le montre l’histoire d’Haïti, de la République Dominicaine, du Salvador, du Guatemala ou de ces États d’Indochine où les massacres marchaient si bien—. On a d’ailleurs pu constater récemment une prodigieuse résurgence de cette production d’États ratés, occasionnellement sans hécatombes, comme par exemple dans les ex-républiques soviétiques et toute une kyrielle de pays d’Europe de l’Est, où la baisse des revenus et l’accroissement vertigineux du taux de mortalité découlent directement de la «  thérapie de choc » et de la mise à sac généralisée et semi-légale de l’économie et des ressources, par une élite appuyée par l’Occident mais aussi plus ou moins organisée et soutenue localement (privatisation tous azimuts, dans des conditions de corruption optimales).

    Une autre cascade d’États ratés découlait par ailleurs des « interventions humanitaires » et changements de régime menés par l’OTAN et les USA, plus agressivement que jamais depuis l’effondrement de l’Union Soviétique (c’est à dire depuis la disparition d’une «  force d’endiguement » extrêmement importante bien que très limitée). Ici, l’intervention humanitaire en Yougoslavie a servi de modèle. La Bosnie, la Serbie et le Kosovo furent changés en États ratés, quelques autres s’en sortirent chancelants, tous assujettis à l’Occident ou à sa merci, avec en prime la création d’une base militaire US monumentale au Kosovo, le tout érigé sur les ruines de ce qui avait jadis été un État social démocrate indépendant. Cette belle démonstration des mérites d’une intervention impériale inaugura la production d’une nouvelle série d’États ratés : Afghanistan, Pakistan, Somalie, Irak, République Démocratique du Congo, Libye —avec un programme similaire déjà bien avancé aujourd’hui en Syrie et un autre visiblement en cours dans la gestion de la dite « menace iranienne », visant à renouer avec l’heureuse époque de la dictature pro-occidentale du Shah—.

    Ces échecs programmés ont généralement en commun les stigmates caractéristiques de la politique impériale et d’une projection de puissance de l’Empire. Ainsi par exemple l’émergence ou/et la légitimation (ou la reconnaissance officielle) d’une rébellion ethnique armée qui se pose en victime, mène contre les autorités de son pays des actions terroristes visant parfois ouvertement à provoquer une réaction violente des forces gouvernementales, et qui appelle systématiquement les forces de l’Empire à lui venir en aide. Des mercenaires étrangers sont généralement amenés à pied d’œuvre pour aider les rebelles ; rebelles indigènes et mercenaires étant généralement armés, entraînés et soutenus logistiquement par les puissances impériales. Ces dernières s’empressent bien sûr d’encourager et soutenir les initiatives des rebelles pour autant qu’elles leur paraissent propres à justifier la déstabilisation, le bombardement et finalement le renversement du régime cible.

    Le procédé était flagrant durant toute la période du démantèlement de la Yougoslavie et dans la production des États ratés qui en sont issus. Les puissances de l’OTAN ayant alors pour objectif l’éclatement de la Yougoslavie et l’écrasement de sa composante la plus importante et la plus indépendante, à savoir la Serbie, elles encouragèrent à la rébellion les éléments nationalistes des autres républiques de la fédération, pour lesquelles le soutien voire l’engagement militaire de l’OTAN sur le terrain était naturellement acquis. Le conflit n’en fut que plus long et vira au nettoyage ethnique, mais pour ce qui est de la destruction de la Yougoslavie et de la production d’États ratés, ce fut une réussite [5]. Assez curieusement, c’est avec l’aval et la coopération de l’administration Clinton et de l’Iran qu’on importa entre autres mercenaires, des éléments d’Al-Qaïda en Bosnie puis au Kosovo, pour aider à combattre le pays cible : la République Serbe [6] [7]. Mais Al-Qaïda comptait aussi parmi les rangs des « combattants de la liberté » engagés dans la campagne de Libye, et elle est aussi une composante notoire (même le New York Times le reconnaît désormais, fut-ce avec un peu de retard) du changement de régime programmé en Syrie [8]. Bien sûr, Al-Qaïda avait aussi été auparavant une pièce maîtresse du changement de régime [de 1996] [9] en Afghanistan, puis un élément clé du retournement de situation du 11-Septembre (Ben Laden, leader rebelle saoudien de premier rang, d’abord sponsorisé par les États-Unis, puis lâché par ses sponsors, se serait ensuite retourné contre eux avant d’être diabolisé puis éliminé par ces derniers).

    Ces programmes impliquent toujours une habile gestion des atrocités commises, qui permet de pouvoir accuser le gouvernement agressé d’avoir commis des actes de violence graves à l’encontre des rebelles et de leurs partisans, et ainsi de le diaboliser efficacement afin de pouvoir justifier une intervention plus massive. Cette méthode a joué un rôle clé pendant les guerres de démantèlement de la Yougoslavie, et probablement bien davantage encore dans la campagne de Libye et dans celle de Syrie. Elle doit d’ailleurs beaucoup à la mobilisation d’organisations internationales, qui prennent activement part à cette diabolisation en dénonçant les atrocités imputables au dirigeant visé, voire en le poursuivant et condamnant d’office au pénal. Dans le cas de la Yougoslavie, le Tribunal Pénal International pour l’ex Yougoslavie (TPIY), mis en place par l’ONU, travailla main dans main avec les puissances de l’OTAN pour s’assurer que la seule mise en accusation des autorités serbes suffirait à justifier toute action que les USA et l’OTAN décideraient d’entreprendre. Magnifique illustration de cette mécanique, la mise en examen de Milosevic par le Procureur du TPIY fut lancée précisément au moment où (en mai 1999) l’OTAN décidait de bombarder délibérément les infrastructures civiles serbes pour accélérer la reddition de la Serbie —alors que ces bombardements mêmes étaient des crimes de guerre caractérisés menés en totale violation de la Charte des Nations Unies—. Or c’est précisément le procès de Milosevic qui permit aux médias de détourner l’attention du public des exactions désobligeantes et illégales de l’OTAN.

    De même, à la veille de l’agression de la Libye par l’OTAN, le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) s’empressa de lancer des poursuites contre Mouammar el-Kadhafi sans même avoir jamais demandé le lancement d’une investigation indépendante, et alors qu’il était notoire que la CPI n’avait jusqu’ici jamais poursuivi personne d’autre que des chefs d’États africains non alignés sur l’Occident. Ce curieux mode de « gestion de la légalité » est un atout inestimable pour les puissances impériales et s’avère extrêmement utile dans la perspective d’un changement de régime comme dans la production d’États ratés.

    Interviennent aussi des organisations humanitaires ou de « promotion de la démocratie », soi disant indépendantes, à l’instar de Human Rights Watch, de l’International Crisis Group ou de l’Open Society Institute, qui régulièrement se joignent au cortège impérial en dressant l’inventaire des seuls crimes possiblement imputables au régime cible et à ses dirigeants, ce qui contribue notablement à radicaliser la polarisation des médias. L’ensemble permet la production d’un environnement moral favorable à une intervention plus agressive au nom de la défense des victimes.

    S’ajoute ensuite le fait que, dans les pays occidentaux, les dénonciations ou allégations d’atrocités commises —que viennent renforcer les images de veuves éplorées et de réfugiés démunis, les preuves apparemment patentes d’exactions odieuses et l’émergence d’un consensus sur la « responsabilité de protéger » les populations victimes du conflit— émeuvent profondément une bonne partie des milieux libertaires et de gauche. Nombre d’entre eux en viennent alors à hurler avec les loups et à s’en prendre eux aussi au régime cible, pour exiger une intervention humanitaire. Les autres s’enfoncent généralement dans le mutisme, rendus perplexes, certes, mais craignant surtout de se voir accusés de « soutenir des dictateurs  ». L’argument des interventionnistes est que, au risque de sembler soutenir l’expansion de l’impérialisme, on se doit de faire exception lorsque des choses particulièrement graves ont lieu et que tout le monde chez nous s’indigne et demande qu’on intervienne. Mais on se doit aussi, pour se montrer authentiquement de gauche, de tenter une micro-gestion de l’intervention pour contenir l’attaque impériale —en exigeant par exemple qu’on s’en tienne à une interdiction de survol en Libye— [10].

    Mais les États-Unis eux-mêmes ne sont pas l’une des moindres réussites de cette production d’États ratés. À l’évidence, aucune puissance étrangère ne les a jamais écrasés militairement, mais la base même de leur propre population a payé un tribut extrêmement lourd à leur système de guerre permanente. Ici, l’élite militaire, de même que ses alliés du monde de l’industrie, de la politique, de la finance, des médias et de l’intelligentsia, a très largement contribué à l’aggravation de la pauvreté et de la détresse généralisée, à la désintégration des services publics et à l’appauvrissement du pays, en maintenant la classe dirigeante, paralysée et compromise, dans l’incapacité de répondre correctement aux besoins et attentes de ses citoyens ordinaires, malgré l’augmentation constante de la productivité par tête et du PNB. Les excédents y sont intégralement captés par le système de guerre permanente et par la consommation et l’enrichissement d’une petite minorité qui —dans ce que Steven Pinker dans Better Angels of Our Nature appelle une période de « recivilisation »— combat agressivement pour pouvoir mener sa captation bien au-delà de la simple monopolisation des excédents, jusqu’au transfert direct des revenus, biens et droits publics de la vaste majorité de ses concitoyens (qui se démènent). En tant qu’État raté comme dans bien d’autres domaines, les États-Unis sont incontestablement une nation d’exception !

    Traduction 
    Dominique Arias

           
     

    [1Proxies, groupes paramilitaires ou mercenaires formés, armés, financés et soutenus ou dirigés par une ou plusieurs grandes puissances pour déstabiliser un pays cible. Les conflits dits « de basse intensité » ou « dissymétriques » menés ainsi indirectement sont appelés « proxy wars ». bien que souvent présentée comme telle, une proxy war est tout sauf une guerre civile (NdT.).

    [2] Dans les médias et le cinéma américain, les États-Unis sont fréquemment représentés comme un pauvre « géant pitoyable », malhabile et balourd. Cette représentation permet de minorer les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis délibérément et sciemment par ce pays, en les faisant passer pour autant de bourdes et de maladresses parfaitement involontaires. Le terme « casualties » (négligences) désigne par exemple les victimes civiles d’exactions militaires, lorsque celles-ci sont commises par les USA ou leurs alliés (NdT.).

    [3United States Penetration of Brazil, par Jan Knippers Black, Pennsylvania University Press, 1977, 313 pp.

    [4] États ratés (failed states), terme de diplomatie internationale qui désigne les États incapables de maintenir ou développer une économie saine, fait écho à « rogue states » (États voyous) et à « smart states » (États malins : en l’occurrence ceux qui, à l’instar des États-Unis, évitent de déclencher et de mener officiellement eux-mêmes les guerres qui leur profitent (NdT.).

    [5] Cf. “The Dismantling of Yugoslavia” (Le démantèlement de la Yougoslavie), par Edward S. Herman et David Peterson, Monthly Review, octobre 2007.

    [6] Cf. : “Unholy Terror” [terreur impie ou invraisemblable ou contre nature, l’acception de Unholy étant très large], de John Schindler, article particulièrement démonstratif sur ce sujet et qui, de fait, n’apparaît plus nulle part, sauf sur Z-Magazine ! Voir ici mon “Safari Journalism : Schindler’s Unholy Terror versus the Sarajevo Safari’s Mythical Multi-Ethnic Project”, Z Magazine, avril 2008

    [7] Sur le même sujet, voir aussi Comment le Djihad est arrivé en Europe, par Jürgen Elsässer, Xenia éd.

    [8] “Al Qaeda Taking Deadly New Role in Syria Conflict”, par Rod Nordland, New York Times, 24 juillet 2012.

    [9] Afghanistan : 
    Renversement de la monarchie 1978 
    Invasion soviétique en soutien au nouveau régime : 1979-1989 
    Guerre civile pro/anti-islamistes :1990-1996 
    Coup d’État et prise de pouvoir des Talibans : 1996 
    Début de l’intervention de Ben Laden dans le conflit : 1984 
    Création d’Al-Qaïda : 1987.

    [10] Cf. Gilbert Achcar, “A legitimate and necessary debate from an anti-imperialist perspective,” [Un débat légitime et nécessaire à partir d’une perspective anti-impérialiste] ZNet, 25 mars 2011 ; et ma réponse dans “Gilbert Achcar’s Defense of Humanitarian Intervention,” [Gilbert Achar prenant la défense d’une intervention humanitaire] MRZine, 8 avril 2011, concernant « les finasseries de la gauche impérialiste ».

  • L'Empire attaque

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    Le lancement de la guerre de terreur des États-Unis : la CIA, le 11-Septembre, l’Afghanistan et l’Asie centrale


    À l’occasion de la sortie de la version française du dernier livre de Peter Dale Scott, « La Machine de guerre américaine », nous publions une étude détaillée du diplomate canadien sur les attentats du 11-Septembre. Il y met en évidence des éléments de préméditation par une faction du complexe militaro-industriel états-unien.

    RÉSEAU VOLTAIRE | 18 SEPTEMBRE 2012
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    « La fabrication d’une série de provocations destinées à justifier une intervention militaire est réalisable et pourrait être accomplie à l’aide des ressources disponibles. » 
    Rapport du J-5 du Comité des chefs d’États-majors interarmées des États-Unis (JCS), 1963 [1]

    La guerre de terreur de Bush et le trucage du renseignement

    Le 11 septembre 2001, dans les heures qui suivirent les attaques meurtrières perpétrées ce jour-là, George W. Bush, Donald Rumsfeld et Dick Cheney avaient engagé les États-Unis dans ce qu’ils appelèrent ensuite la « guerre contre la terreur ». Selon moi, nous devrions plutôt l’appeler la « guerre de terreur », celle-ci ayant été employée contre les civils — de manière récurrente — par tous les belligérants, qu’ils soient des acteurs étatiques ou non. Une guerre de terreur est caractérisée par la prépondérance de l’emploi d’armes de destruction indiscriminée, qu’il s’agisse d’engins explosifs improvisés (EEI) posés au bord des routes ou de missiles lancés depuis les airs par un drone de haute technologie. [2]

    Nous pourrions aussi l’envisager comme élément d’un processus plus vaste, d’ampleur globale. À travers celui-ci, la terreur a été utilisée contre les civils par toutes les puissances majeures lors de campagnes étroitement liées entre elles — la Chine dans le Xinjiang et la Russie en Tchétchénie, autant que les États-Unis dans de nombreuses régions du monde —. [3] Dans son contexte global, la guerre de terreur pourrait être perçue comme la dernière étape de l’extension séculaire de la civilisation transurbaine dans des zones où prévaut une résistance rurale. Dans ces régions, il s’est avéré que les formes conventionnelles de guerre ne peuvent trouver de véritable conclusion, et ce pour des raisons géographiques ou culturelles.

    La guerre de terreur fut formellement déclarée par George W. Bush le soir du 11 septembre 2001, lorsqu’il annonça dans son discours à la nation que les États-Unis ne feraient « aucune distinction entre les terroristes qui ont perpétré ces actes et ceux qui les hébergent ». [4] Cependant, la notion voulant que la guerre de terreur de Bush avait pour objectif de poursuivre les terroristes perdit de sa crédibilité en 2003, lorsque cette formule fut appliquée à l’Irak de Saddam Hussein, un pays connu non pas pour héberger des terroristes mais pour en avoir été la cible. [5] En 2005, cette notion fut de nouveau décrédibilisée suite à la publication en Grande-Bretagne de ce que l’on appelle le Mémo de Downing Street. Dans celui-ci, le directeur du MI6, les services de renseignement extérieur britanniques, rapporta après une visite à Washington en 2002 que « Bush voulait faire tomber Saddam Hussein par une action militaire, justifiée par le lien entre le terrorisme et les ADM. Mais les faits et les renseignements étaient truqués pour répondre aux objectifs politiques. » [6] Plus tard, de faux récits liant l’Irak aux ADM, à l’anthrax et au concentré de minerai d’uranium du Niger (le « yellow cake ») furent publiés aux moments opportuns.

    Cet essai va démontrer qu’avant le 11-Septembre, une petite faction au sein de l’Unité ben Laden de la CIA et des agences qui lui sont liées, que l’on appelle le « groupe Alec Station », manœuvrait également afin de « truquer » les renseignements en les supprimant. Cette manœuvre permit le déclenchement de la guerre de terreur, que ces effets soient recherchés ou non. Elle consista à dissimuler des preuves au FBI concernant deux futurs pirates de l’air présumés du 11-Septembre, Khaled al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, de sorte que le Bureau ne puisse surveiller ces deux hommes et leurs collègues avant les attentats.

    Les auteurs du Rapport de la Commission sur le 11-Septembre reconnurent cet échec dans l’échange de renseignements, mais il fut considéré comme un accident qui aurait pu être évité « si plus de ressources avaient été affectées ». [7] Toutefois, cette explication a depuis été réfutée par Thomas Kean, le président de la Commission sur le 11-Septembre. Récemment, lorsque deux réalisateurs lui demandèrent si l’échec autour d’al-Mihdhar et d’al-Hazmi aurait pu être une simple erreur, Kean répondit : 
    « Oh, ce n’était pas une omission due à la négligence. C’était intentionnel. Cela ne fait aucun doute. […] Nous sommes parvenus à la conclusion que ces agences ont le secret dans leur ADN. Et ce secret les pousse à ne pas partager leurs informations avec n’importe qui. » [8]

    En 2011, un important livre de Kevin Fenton, Disconnecting the Dots (« Semer le trouble »), démontra de façon indiscutable que la rétention d’information était intentionnelle, et qu’elle a été menée sur une période de 18 mois. [9] Cette interférence et cette manipulation devinrent particulièrement flagrantes et controversées les jours précédant le 11-Septembre ; elles conduisirent Steve Bongardt, un agent du FBI, à prédire le 29 août 2001 — soit moins de deux semaines avant le 11-Septembre — qu’« un jour, des gens perdront la vie ». [10]

    Comme nous le verrons, les motifs derrière ces rétentions d’informations restent mystérieux. À une époque, j’ai adhéré aux spéculations de Lawrence Wright : selon lui, il est possible que la CIA voulût recruter les deux Saoudiens, et « pourrait aussi avoir protégé une opération à l’étranger [potentiellement en coordination avec l’Arabie saoudite], et donc craindre que le FBI ne l’aurait révélée. » [11] Le but de cet essai est de suggérer que les motivations derrière ces rétentions d’informations auraient pu être liées à l’objectif bien plus large des néoconservateurs, qu’ils imposaient alors à la politique étrangère des États-Unis : la consolidation de l’hégémonie globale US par l’établissement de bases avancées autour des champs pétrolifères de l’Asie centrale.

    En résumé, la rétention de preuves pourrait être vue comme un élément du plus vaste et sinistre schéma en développement à cette époque, comprenant la contreperformance du gouvernement des États-Unis dans sa réponse aux attaques du 11-Septembre, ainsi que les envois meurtriers de lettres contenant de l’anthrax — ce qui facilita le vote du Patriot Act —.

    Aujourd’hui, les travaux de Kevin Fenton m’ont convaincu sur le fait que l’explication de Lawrence Wright — soit la protection par la CIA d’une opération secrète — pourrait expliquer pourquoi la rétention a débuté en janvier 2000, mais ne peut expliquer son renouvellement les jours précédant le 11-Septembre. Fenton analyse une liste de 35 différentes occasions où les deux pirates de l’air présumés furent protégés de cette manière — de janvier 2000 jusqu’au 5 septembre 2001 environ, soit moins d’une semaine avant les détournements —. [12] Nous verrons que, dans son analyse, ces incidents peuvent être classés en deux principales catégories. Les motifs qu’il attribue à la première catégorie étaient « de couvrir une opération de la CIA qui était déjà en cours  ». [13] Cependant, après que «  tous les voyants du système [de sécurité nationale] étaient au rouge  » durant l’été 2001, et que la CIA s’attendait à une attaque imminente, Fenton conclut que « l’objectif de la rétention d’informations était dorénavant de permettre le déroulement des attaques », ne pouvant trouver d’autres explications. [14]

    Cette dernière citation de Fenton impliquerait qu’un crime d’homicide ait été perpétré par des membres du « groupe Alec Station », même si ce crime ne constituait pas un meurtre avec préméditation mais un homicide involontaire. En effet, nous pourrions imaginer des raisons bienveillantes à cette rétention d’information. Par exemple, la CIA aurait pu tolérer les agissements des deux Saoudiens afin de retrouver leurs associés. Dans ce cas, nous n’aurions eu affaire à rien de plus qu’une erreur de jugement, bien qu’elle aboutisse à un homicide.

    La guerre de terreur et le projet de domination globale de Donald Rumsfeld, de Dick Cheney et de Paul Wolfowitz

    Cependant, à travers cet essai, je vais m’arrêter sur les activités menées en Ouzbékistan et en Afghanistan par Richard Blee, le directeur de l’Unité ben Laden de la CIA. L’Ouzbékistan était une zone de préoccupation majeure pour Blee et son supérieur, Cofer Black ; mais c’était aussi un endroit très intéressant pour Dick Cheney. En effet, Halliburton, l’entreprise qu’il dirigea entre 1995 et 2000, était active depuis 1997 — voire plus tôt — dans l’exploitation des réserves pétrolières de l’Asie centrale. En 1998, lors d’un discours devant des industriels du pétrole, Cheney lui-même déclara : «  Je ne me souviens pas avoir vu émerger si soudainement une région en tant que zone de grande importance stratégique comme c’est le cas aujourd’hui pour [le bassin] Caspien. » [15]

    Je m’apprête à démontrer que le but et le résultat de la protection des deux Saoudiens auraient pu être de remplir les objectifs de Dick Cheney, de Donald Rumsfeld et du Projet pour le Nouveau Siècle Américain (PNAC pour Project for the New American Century). En effet, cette faction de néoconservateurs avait comme projet d’établir des « forces pré-positionnées » en Asie centrale. [16] Nous verrons que, durant un appel téléphonique passé le 11-Septembre par le directeur de la CIA George Tenet à Stephen Cambone (une figure centrale du PNAC au Pentagone), Tenet transmit apparemment à ce dernier certaines des informations privilégiées qui ne sont jamais parvenues au FBI.

    L’un des objectifs de ce plan des néoconservateurs était de maintenir la domination des États-Unis et d’Israël sur cette région, et ce pour des motifs sécuritaires. Comme nous le verrons, leur projet consistait aussi à créer les conditions favorables à de futures actions préemptives unilatérales contre des États inamicaux tels que l’Irak. En particulier, ce plan du PNAC fut élaboré afin d’établir de nouvelles bases militaires permanentes au Moyen-Orient, anticipant l’annonce prévisible faite par Donald Rumsfeld en 2003, selon laquelle les États-Unis retireraient d’Arabie saoudite « pratiquement toutes leurs troupes, sauf du personnel employé pour l’entraînement [militaire] ». [17] Néanmoins, un autre objectif de ce plan était de renforcer l’influence US sur les États récemment indépendants de l’Asie centrale, avec leurs considérables réserves non prouvées de gaz et de pétrole.

    Dans ce contexte, la conclusion alarmante de Fenton sur les actions de la CIA menant aux attaques du 11-Septembre acquiert une plus grande pertinence au regard de ce plan du PNAC. Il en va de même si l’on s’attarde sur les trois autres anomalies criantes dans la guerre de terreur de George W. Bush. La première d’entre elles est le paradoxe découlant du fait que cette prétendue lutte contre al-Qaïda fût conduite avec l’Arabie saoudite et le Pakistan, soit les deux nations qui étaient le plus actives dans le soutien de cette organisation à travers le monde. Dans cet essai, nous verrons comment les services de renseignement des États-Unis et de l’Arabie saoudite ont coopéré de manière à protéger les agents saoudiens au sein d’al-Qaïda, au lieu de les neutraliser.

    Deuxième anomalie : bien que la CIA aurait pu être mobilisée pour détruire al-Qaïda, Rumsfeld et Cheney avaient depuis le début l’intention de lancer une guerre à bien plus grande échelle. En septembre 2001, aucun renseignement sur le 11-Septembre ne liait l’Irak aux attentats. Pourtant, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, soutenu par son adjoint Paul Wolfowitz, observait déjà le 12 septembre « qu’il n’existait pas de cibles convenables à bombarder en Afghanistan, et [qu’il fallait] bombarder l’Irak, [ce pays] ayant d’après lui de meilleures cibles. » [18] L’argument de Rumsfeld était appuyé par un document du Département de la Défense préparé pour les réunions de Camp David des 15 et 16 septembre 2001, qui « proposait que ‘les cibles immédiatement prioritaires pour les premières actions’ devaient être al-Qaïda, les talibans et l’Irak. » [19]

    Cette nation avait été visée par Rumsfeld et Wolfowitz depuis au moins 1998, lorsque les deux hommes cosignèrent une lettre du PNAC adressée au Président Clinton, qui appelait au « renversement du régime de Saddam Hussein ». [20] Mais l’Irak n’était pas la seule et unique cible dans le plan de Cheney, de Rumsfeld et de Wolfowitz — un plan qui, depuis au moins 1992, ne visait rien de moins que la domination globale des États-Unis, ou ce que l’ancien colonel US Andrew Bacevich appela «  l’hégémonie américaine globale et permanente » —. [21] C’était une importante priorité des néoconservateurs. Même avant que George W. Bush n’ait été élu par la Cour Suprême en décembre 2000, Cheney manœuvrait pour assurer aux cosignataires de la lettre du PNAC de 1998 l’accès à des postes clés de la Maison-Blanche, du Département d’État et du Département de la Défense. Ces cosignataires incluaient Richard Armitage, John Bolton, Richard Perle, ainsi que d’autres membres du PNAC comme Stephen Cambone — sur lequel nous reviendrons —.

    Depuis ses débuts, la guerre de terreur avait été conçue comme un moyen de mettre en œuvre cet objectif d’hégémonie globale. Le 24 septembre 2001, Condoleezza Rice, conseillère à la Sécurité nationale, « aborda la question du soutien étatique au terrorisme : ‘Quelle est notre stratégie à l’égard des pays qui soutiennent le terrorisme comme l’Iran, l’Irak, la Libye, la Syrie et le Soudan ?’ » [22] Dans ses mémoires, le général Wesley Clark révéla qu’à partir de novembre 2001, cette question était devenue un plan quinquennal du Département de la Défense :

    « Alors que je suis retourné au Pentagone en novembre 2001, l’un des principaux officiers parmi les hauts responsables de l’armée m’accorda du temps pour discuter. Oui, nous étions toujours en route pour attaquer l’Irak, me dit-il. Mais ce n’était pas tout. Il me fit savoir que cette attaque était envisagée dans le cadre d’un plan quinquennal pour mener une campagne militaire. Au total, sept pays étaient ciblés, en commençant par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, l’Iran, la Somalie et le Soudan. » [23]

    À cette époque, l’ancien officier de la CIA Reuel Marc Gerecht publia un article dans The Weekly Standard soutenant la nécessité d’un changement de régime en Iran et en Syrie. [24] (Dans cet hebdomadaire néoconservateur, Gerecht continue de mettre en garde l’opinion sur les menaces que représenteraient aujourd’hui ces deux nations.) Durant l’ère Clinton, Gerecht, à l’instar de Cheney et de Rumsfeld, faisait partie du Projet pour le Nouveau Siècle Américain (PNAC), une faction belliciste appelant à une action militaire contre l’Irak en particulier, et plus généralement à un budget de la Défense étendu, qui aurait « considérablement augmenté les dépenses de défense » pour favoriser «  la cause du leadership [global] des États-Unis ». Le rapport du PNAC publié en septembre 2000 —Reconstruire les défenses de l’Amérique (Rebuilding America’s Defenses) — traitait largement du pétrole du golfe Persique et de l’importance de maintenir et de renforcer « des forces pré-positionnées dans cette région ». [25]

    Il est intéressant de noter qu’à la fin de l’année 2001, peu après le 11-Septembre et le déclenchement de la guerre de terreur, les États-Unis avaient déjà établi de nouvelles bases militaires en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghizistan. Ainsi, ils étaient en bien meilleure position pour influencer les politiques des gouvernements nouvellement émancipés de l’Est du bassin Caspien — une région riche en hydrocarbures —. À travers cet essai, nous verrons que l’accord de 2001 permettant la mise en place de la première et de la plus importante de ces bases — celle de Karshi-Khanabad (ou K-2) en Ouzbékistan — s’est fondé sur un arrangement antérieur du Pentagone, complété par un accord de liaison de la CIA négocié en 1999 par Richard Blee du « groupe Alec Station » (Blee étant une figure centrale dans cet essai). Dans leur majorité, les États-uniens ne savent pas que le 11-Septembre, des Forces spéciales US étaient déjà déployées à la base K-2 dans le cadre d’une mission ouzbèke d’entraînement militaire. Ils ne savent pas non plus que le 22 septembre 2001, deux semaines avant un accord militaire formel entre les armées US et ouzbèke, «  la CIA envoyait déjà ses équipes vers l’énorme base aérienne de Karshi-Khanabad (ou K-2) située au sud de l’Ouzbékistan, où des ingénieurs de l’US Army étaient en train de réparer la piste d’atterrissage. » [26]

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    Vous pouvez comander dès à présent le nouveau livre de Peter Dale Scott, « La Machine de guerre américaine », sur la librairie en ligne du Réseau Voltaire.

    La troisième anomalie de cette « guerre contre le terrorisme  » est qu’elle conduisît à une nette augmentation du recours à la terreur, voire à la torture, par les États-Unis eux-mêmes, y compris contre leurs propres citoyens. Dans ce contexte, il doit être souligné que Dick Cheney et Donald Rumsfeld, à travers leur participation à l’ultrasecret « Projet Jugement dernier » du Département de la Défense, avaient également pris part à la planification de la Continuité du Gouvernement (COG pourContinuity of Government). Aux États-Unis, la COG était destinée à saper la Bill of Rightspar la surveillance sans mandat et la détention arbitraire des dissidents politiques. [27] Ces planifications — dont l’origine est la peur des communistes illustrée par le Maccarthysme des années 1950 — ont constitué les fondements des plans complexes développés par le Pentagone et d’autres agences afin de contrer les protestations des mouvements anti-guerre contre leur objectif commun : instaurer la domination globale des États-Unis.

    Comme je l’ai défendu ailleurs, les États-Unis dépensent annuellement des milliards de dollars dans le domaine de la sécurité intérieure. Ces dépenses sont dues en grande partie à la croyance — formulée par le colonel des marines Oliver North — que la guerre du Vietnam fût perdue dans les rues des États-Unis, et que cette capacité de dissuasion civile contre les opérations militaires US devait être limitée. [28] Cheney et Rumsfeld, en tant que membres de ce que l’on appelle le « Projet Jugement dernier » pour la planification de la Continuité du Gouvernement (COG), ont contribué à ces efforts. [29] En résumé, le 11-Septembre a permis la mise en œuvre de programmes envisagés depuis longtemps par une faction restreinte de responsables US, soit la concrétisation de nouvelles politiques radicales en Asie centrale – mais également au sein même des États-Unis –.

    Il est à la fois difficile et douloureux d’envisager le crime d’homicide suggéré par les recherches méticuleuses de Kevin Fenton. Aujourd’hui, les États-Unis traversent une crise due aux activités des banques trop importantes pour faire faillite (« Banks Too Big to Fail »). Comme il a été souligné, ces banques étaient également trop imposantes pour que leurs responsables soient emprisonnés (« Banks Too Big to Jail »). En effet, punir leurs dirigeants comme des criminels ordinaires mettrait en danger la structure financière déjà menacée des États-Unis. [30] Cet essai expose, de manière détaillée, un phénomène analogue, soit ce qui pourrait être un crime trop important pour être puni (« Crime Too Big to Punish »).

    Enfin, comme nous le verrons, le 11-Septembre partage des points communs avec l’assassinat de John F. Kennedy.

    La dissimulation autour du 11-Septembre et le rôle de la CIA dans la survenance ces attaques

    Dix ans plus tard, il est important de réévaluer ce que l’on sait ou pas à propos des événements qui conduisirent au 11-Septembre, en particulier concernant les actions de la CIA et du FBI, ainsi que le refus de divulguer des informations cruciales à la Commission sur le 11-Septembre.

    Aujourd’hui, nous pouvons affirmer avec confiance : 
    1) que les vérités les plus importantes sont toujours inconnues, en grande partie car les documents cruciaux sont soit maintenus au secret, soit considérablement censurés ; 
    2) les efforts de dissimulation continuent, d’ailleurs encore plus agressivement qu’auparavant ; 
    3) en plus de la dissimulation, nous devons analyser ce que John Farmer, ancien membre de la Commission sur le 11-Septembre, a appelé « une incompétence administrative sans précédent ou un mensonge organisé » de la part de personnages clés à Washington. [31] Ces derniers incluent le Président Bush, le Vice-président Cheney, le général du NORAD Richard Myers ainsi que le directeur de la CIA George Tenet. Nous pouvons également citer Samuel Berger, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale du Président Clinton, qui avant de témoigner sur ces questions se rendit aux Archives nationales pour retirer — et potentiellement détruire — de la documentation cruciale. [32] Dans son livre, Farmer a soutenu ces deux possibilités.

    La première d’entre elle, « l’incompétence bureaucratique sans précédent », est en fait l’explication donnée par la Commission sur le 11-Septembre afin d’expliquer les anomalies frappantes à propos de ces attentats et des vingt mois qui les précédèrent, lorsque des informations importantes furent dissimulées au FBI par l’Unité ben Laden de la CIA (que l’on appelle Alec Station). Cependant, grâce au remarquable nouveau livre de Kevin Fenton, Disconnecting the Dots, nous ne pouvons plus attribuer les agissements anormaux de la CIA à des « problèmes systémiques », ou à ce que Tony Summers appela hâtivement de la « confusion bureaucratique ». [33]

    Se basant sur d’importants livres de James Bamford, de Lawrence Wright, de Peter Lance et de Philip Shenon, Fenton démontre irréfutablement qu’il existait à la CIA une pratique systématique de dissimulation des renseignements cruciaux vis-à-vis du FBI, y compris lorsque le Bureau avait normalement le droit d’y accéder. Avec encore plus de brio, il démontre que ce processus de rétention a été systématiquement maintenu durant les quatre investigations successives conduites après le 11-Septembre : l’enquête du Congrès présidée par les sénateurs Bob Graham et Richard Shelby (dont une partie est encore classifiée), puis celles de la Commission sur le 11-Septembre, de l’inspecteur général du Département de la Justice et de l’inspecteur général de la CIA.

    Le plus déterminant dans les travaux de Fenton est qu’il démontre que ces nombreuses rétentions d’informations — qu’elles soient antérieures ou postérieures au 11-Septembre — furent l’œuvre d’un nombre relativement restreint d’individus. La dissimulation de renseignements vis-à-vis du FBI fut principalement opérée par ce que l’on appelle le « groupe Alec Station » — une faction faisant partie de l’Unité ben Laden de la CIA (qui est appelée « Alec Station »), mais ne lui étant pas identique —. Le « groupe Alec Station » était majoritairement composé de personnel de l’Agence, et incluait aussi quelques éléments du FBI. Les figures clés de ce groupe étaient l’officier de la CIA Tom Wilshire (que la Commission sur le 11-Septembre appelle « John »), et son supérieur direct à Alec Station, Richard Blee.

    La dissimulation post-11-Septembre autour des agissements de Wilshire fut principalement l’œuvre d’une seule personne, Barbara Grewe. Cette dernière travailla d’abord dans l’enquête de l’inspecteur général du Département de la Justice sur le comportement de Wilshire. Elle fut ensuite mutée dans deux postes successifs au sein de l’équipe de la Commission sur le 11-Septembre où, sous l’autorité de son directeur exécutif Philip Zelikow, elle parvint à détourner l’attention que les enquêteurs portaient sur les performances de la CIA vers celles du FBI. [34] Que Grewe ait conduit ou pas les entretiens avec Wilshire et d’autres fonctionnaires dignes d’intérêt, elle « s’en inspira certainement pour rédiger ses sections des rapports de la Commission [sur le 11-Septembre] et de l’inspecteur général du Département de la Justice. » [35]

    Les mutations successives de Barbara Grewe sont symptomatiques d’une dissimulation volontaire décidée à un niveau hiérarchique supérieur. Comme nous le verrons, il en va de même concernant le transfert en mai 2001 de Tom Wilshire d’Alec Station (l’Unité ben Laden de la CIA) vers le FBI, où il débuta une nouvelle phase d’interférences sur le flux normal de renseignements, organisant l’obstruction au sein même du Bureau. [36]

    Ce processus commence à partir des renseignements obtenus grâce à la surveillance, par la NSA et la CIA, d’une importante réunion au sommet d’al-Qaïda en janvier 2000 — probablement l’unique rencontre de ce type avant le 11-Septembre —. Aux États-Unis, cette réunion attira instantanément l’attention des responsables de la sécurité nationale du fait de ses liens indirects à un élément d’appui logistique (un téléphone multi-lignes, basé au Yémen, qu’al-Qaïda utilisait). Cet élément de soutien était soupçonné d’avoir servi de centre de communication lors des attentats à la bombe contre les ambassades US en 1998. Comme Kevin Fenton le relève, « [l]’Agence réalisa que ce sommet était si important qu’elle briefa les directeurs du FBI et de la CIA [Louis Freeh et Dale Watson], le conseiller à la Sécurité nationale Samuel Berger et d’autres hauts responsables sur les renseignements collectés à cette occasion. » [37]

    Pourtant, au sein d’Alec Station, Tom Wilshire et son adjointe à la CIA (surnommée « Michelle ») [38] bloquèrent les tentatives de Doug Miller, un agent du FBI détaché dans cette unité, de notifier le Bureau que l’un des participants à cette rencontre avait un visa US dans son passeport (il s’agissait de Khaled al-Mihdhar). [39] Pis, « Michelle » envoya alors un câble mensonger aux autres stations de la CIA. Ce câble affirmait fallacieusement que «  les documents de voyage [d’al-Mihdhar], incluant un visa US à entrées multiples, avaient été copiés et transmis ‘au FBI pour de plus amples investigations’. » [40] Alec Station s’est également abstenue d’inclure les participants à cette rencontre dans une liste de surveillance, comme le demandaient les directives de la CIA. [41]

    Ainsi débutait un processus systématique et parfois mensonger, à travers lequel les renseignements de la NSA et de la CIA concernant Khaled al-Mihdhar et son compagnon de voyage, Nawaf al-Hazmi, étaient systématiquement dissimulés au FBI. Ils furent également déformés, faussés ou manipulés de façon à prévenir toute enquête du Bureau sur les deux Saoudiens et leurs associés. Ce processus est un aspect majeur de l’histoire du 11-Septembre. En effet, le comportement de ces deux apprentis pirates de l’air était si peu professionnel que, sans cette protection de la CIA assurée par le « groupe Alec Station », ils auraient presque certainement été détectés et arrêtés ou expulsés, et ce bien avant qu’ils ne se préparent à embarquer sur le Vol 77 à Washington. [42]

    Kevin Fenton conclut son enquête avec une liste de 35 différentes occasions où les deux pirates de l’air présumés furent protégés de cette manière — de janvier 2000 jusqu’au 5 septembre 2001 environ, soit moins d’une semaine avant les détournements —. [43] Dans son analyse, ces incidents peuvent être classés en deux principales catégories. Les motifs qu’il attribue à la première catégorie, tels que la rétention du câble de Doug Miller, étaient « de couvrir une opération de la CIA qui était déjà en cours ». [44] Cependant, après que « tous les voyants du système [de sécurité nationale] étaient au rouge » durant l’été 2001, et que la CIA s’attendait à une attaque imminente, Fenton conclut que «  l’objectif de la rétention d’informations était dorénavant de permettre le déroulement des attaques  », ne pouvant trouver d’autres explications. [45]

    Après son transfert au FBI, Tom Wilshire changea ostensiblement sa manière d’interférer. Lorsqu’il était à la CIA, il avait manœuvré pour empêcher la transmission de renseignements au Bureau. Au contraire, une fois entré au FBI, il entreprit des révisions de ces mêmes renseignements, mais en les menant assez lentement pour qu’elles n’aient pas d’effet avant le 11-Septembre. Fenton suspecte que Wilshire anticipa un contrôle de ses dossiers, et qu’il semait des fausses pistes dans cette documentation afin de neutraliser ses embarrassantes performances. [46]

    Je pense que nous devons à présent accepter la conclusion tirée des recherches de Kevin Fenton : «  Il est clair que ces informations ne furent pas retenues suite à une succession d’incidents étranges, mais qu’elles l’ont été intentionnellement. » [47] Toutefois, je suggère une explication différente de ce qu’étaient ces intentions — une explication qui, à première vue, peut sembler plus simple, plus innocente, et également plus explicative d’autres aspects du mystère que constitue le 11-Septembre (bien que ces aspects semblent apparemment sans liens) —.

    (À suivre…)

    Traduction 
    Maxime Chaix

           
     

    Une version synthétique de cet essai a été présentée le 11 septembre 2011 aux Auditions internationales sur le 11-Septembre (International Hearings on the Events of September 11, 2001), qui se sont déroulées du 8 au 11 septembre 2011 à Toronto.

     

    [1] Comité des chefs d’États-majors interarmées (JCS), « Courses of Action Related to Cuba (Case II) », Rapport du J-5 pour le Comité des chefs d’États-majors interarmées, 1er mai 1963, NARA #202-10002-10018, p.21 ; discussion dans Peter Dale Scott, American War Machine (Rowman & Littlefield, Lanham, MD, 2010), p.193, p.196. Version française : La Machine de guerre américaine (Demi-lune, 2012).

    [2] La guerre de terreur s’est développée depuis les attaques aériennes contre les civils durant la Seconde Guerre mondiale, commençant par Guernica et s’achevant avec les bombardements massifs de villes allemandes et japonaises. Toutefois, cette guerre aérienne ne constituait qu’un élément d’une plus vaste guerre conventionnelle entre des forces armées.

    [3] Cependant, pas un seul acte de terreur perpétré depuis le début de cette décennie, que ce soit par les troupes de Mouammar el-Kadhafi en Libye ou de Bachar el-Assad en Syrie, n’a surpassé ou même ne s’est rapproché de la dévastation de la ville irakienne de Falloujah par les troupes US en 2004.

    [4] « Statement by the President in His Address to the Nation », 11 septembre 2001. Le 20 septembre 2001, Bush déclara au cours d’une allocution devant une session mixte du Congrès que «  [n]otre ‘guerre contre la terreur’ commence avec al-Qaïda, mais ne se limite pas [à cette organisation]. Elle ne s’arrêtera pas tant que chaque groupe terroriste ayant une capacité d’action globale n’ait été retrouvé, stoppé et détruit. »

    [5] Sur ce point, se référer au Rapport final de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis, intitulé dans sa version originale The 9/11 Commission Report (W.W. Norton, New York, 2004), p.66 : «  Jusqu’à présent, nous n’avons vu aucune preuve indiquant que […] l’Irak coopéra avec al-Qaïda dans la planification ou l’exécution d’une quelconque attaque contre les États-Unis. » (Ce rapport est disponible en français sous le titre : 11-Septembre, Rapport final de la Commission d’enquête sur les attaques terroristes contre les États-Unis [Équateurs, Paris, 2004]. Il est analysé sous un angle critique par l’universitaire et auteur états-unien David Ray Griffin dans Omissions et manipulations de la Commission d’enquête [Éditions Demi-Lune, Paris, 2006]).

    [6Sunday Times (Londres), 1er mai 2005 ; Mark Danner, The Secret Way to War : the Downing Street Memo and the Iraq War’s buried history (New York Review Books, New York, 2006).

    [79/11 Commission Report, pp.266-72.

    [8] Rory O’Connor et Ray Nowosielski, « Who Is Rich Blee ? »,911Truth.org, 21 septembre 2011, (documentaire transcrit et traduit en français par l’association ReOpen911) ; Rory O’Connor et Ray Nowosielski, « Insiders voice doubts about CIA’s 9/11 story », Salon, 14 octobre 2011 (article traduit en français par ReOpen911 et publié sous le titre « La réaction des initiés et leurs doutes à propos de la version de la CIA concernant le 11-Septembre »). Rory O’Connor et Ray Nowosielski ont ajouté à leurs recherches la corroboration de Richard Clarke, l’ancien directeur du contreterrorisme à la Maison-Blanche sous les présidences de Bill Clinton et de George W. Bush. Clarke leur a déclaré qu’il présumait que ‘l’ordre de ne pas communiquer l’information émanait des hautes sphères’ de la CIA. Lorsqu’ils lui demandèrent de qui pouvait provenir un tel ordre, il répondit : ‘Je pense qu’elle émane du directeur’, faisant référence à [George] Tenet – en ajoutant que ce dernier et certains de ses collègues n’admettraient jamais la vérité ‘même si on leur faisait subir le supplice de la noyade’.

    [9] Kevin Fenton, Disconnecting the Dots (TrineDay, Walterville, OR, 2011).

    [109/11 Commission Report, p.259, p.271 ; Lawrence Wright, The Looming Tower : Al-Qaeda and the Road to 9/11 (Knopf, New York, 2006), p.352-54 ; Peter Dale Scott, American War Machine, p.203. Version française : La Machine de guerre américaine (Demi-lune, 2012).

    [11] Lawrence Wright, « The Agent », New Yorker, 10 et 17 juillet 2006, p.68 ; cf. Wright, Looming Tower, pp.339-44 ; discussion dans Peter Dale Scott, The War Conspiracy : JFK, 9/11, and the Deep Politics of War (Mary Ferrell Foundation Press, Ipswich, MA, 2008), p.355, pp.388-89.

    [12] Fenton, Disconnecting the Dots, pp.383-86.

    [13Ibidem, p.48. Cf. Lawrence Wright, « The Agent », New Yorker, 10 et 12 juillet 2006, p.68 ; cité avec approbation dans Peter Dale Scott,American War Machine, p.399. Version française : La Machine de guerre américaine (Demi-lune, 2012).

    [14] Fenton, ibidem, p.371, cf. p.95.

    [15] Lutz Kleverman, « The new Great Game », Guardian (Londres), 19 octobre 2003.

    [16Rebuilding America’s Defenses : Strategy, Forces and Resources For a New Century : A Report of the Project for the New American Century, septembre 2000, p.17, p.27 (traduit en français et reproduit à l’identiquepar ReOpen911, p. 17, p.27).

    [17] « US Pulls out of Saudi Arabia », BBC News, 29 avril 2003.

    [18] Richard A. Clarke, Against All Enemies : inside America’s war on terror(Free Press, New York, 2004), p.31.

    [19] Bradley Graham, By His Own Rules : The Ambitions, Successes, and Ultimate Failures of Donald Rumsfeld (Public Affairs, New York, 2009), p.290.

    [20PNAC, Letter to President Clinton on Iraq, 26 janvier 1998.

    [21] Gary Dorrien, Imperial Designs : Neoconservatism and the New Pax Americana (Routledge, New York, 2004). Bacevich faisait référence à un mémo de 1992 rédigé par Paul Wolfowitz et destiné à Dick Cheney, alors secrétaire à la Défense. Ce mémo appelait les États-Unis à conserver leur pouvoir d’action unilatérale. Voir Lewis D. Solomon, Paul D. Wolfowitz : visionary intellectual, policymaker, and strategist (Praeger, New York, 2007), p.52 ; Andrew Bacevich, American Empire : The Realities and Consequences of U.S. Diplomacy (Harvard UP, Cambridge MA, 2002), p.44.

    [22] Bob Woodward, Bush at War (Simon & Schuster, New York, 2002), p.131. Bien avant, durant l’après-midi du 11-Septembre, l’officiel du Pentagone Stephen Cambone prit des notes durant sa conversation avec Rumsfeld : « Besoin de cibles immédiates – Allez-y massivement. Balayez tout ça, associé ou pas [aux attaques du 11-Septembre]  ».

    [23] Wesley Clark, Winning Modern Wars (PublicAffairs, New York, 2003), p.130.

    [24] Nicholas Lemann, « The Next World Order », New Yorker, 1er avril 2002.

    [25Rebuilding America’s Defenses : Strategy, Forces and Resources For a New Century : A Report of the Project for the New American Century, septembre 2000, p.17, p.27 (traduit en français et reproduit à l’identiquepar ReOpen911, p. 17, p.27).

    [26] Ahmed Rashid, Descent into chaos : the United States and the failure of nation building in Pakistan, Afghanistan, and Central Asia (Viking, New York, 2008), p.69, p.70 ; citant Ahmed Rashid, « US Builds Alliances in Central Asia », Far Eastern Economic Review, 1er mai 2000 : « La CIA et le Pentagone avaient collaboré étroitement avec l’armée et les services secrets ouzbèkes depuis 1997, fournissant de l’équipement, de l’entraînement et de la supervision dans l’espoir d’utiliser les Forces spéciales ouzbèkes afin de chasser Oussama ben Laden d’Afghanistan — un fait découvert lors d’un voyage à Washington en 2000. »

    [27] Peter Dale Scott, « Le ‘Projet Jugement dernier’ et les événements profonds : JFK, le Watergate, l’Irangate et le 11-Septembre », Réseau Voltaire, 4 janvier 2012.

    [28] Peter Dale Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial : 50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis (Éditions Demi-Lune, Paris, 2010), p.36.

    [29] Certaines estimations des dépenses annuelles dans le domaine de la Sécurité intérieure atteignent le trillion de dollars. Voir Stephan Salisbury, « Weaponizing the Body Politi », TomDispatch.com, 4 mars 2012.

    [30] Cf. Simon Johnson, « Too Big to Jail », Slate, 24 février 2012 : « La principale motivation derrière l’indulgence de l’administration envers certains crimes graves est évidemment la peur des conséquences induites par une action ferme contre des banquiers. Et nos responsables ont peut-être raison de le craindre, au vu des énormes dimensions des banques pour tout ce qui est lié à l’économie. En effet, celles-ci sont plus grandes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient avant la crise. De plus, comme James Kwak et moi-même l’avons amplement démontré dans notre livre, intitulé 13 Bankers, elles sont bien plus grosses qu’elles ne l’étaient il y a 20 ans. »

    [31] John Farmer, The Ground Truth : the untold story of America under attack on 9/11 (Riverhead Books, New York, 2009), p.288 ; cité dans Anthony Summers et Robbyn Swan, The Eleventh Day : the full story of 9/11 and Osama bin Laden (Ballantine, New York, 2011), p.147.

    [32] Summers, Eleventh Day, pp.383-84 ; cf. Farmer, Ground Truth, p.41. Bien qu’étant un Démocrate, Samuel Berger fut ensuite protégé par l’administration Bush républicaine, qui lui évita d’avoir à témoigner devant le Congrès à propos de ses actes (une condition de sa négociation de peine).

    [33] Summers, ibidem, p.334.

    [34] Fenton, Disconnecting the Dots, pp.72-79. Barbara Grewe quitta ensuite le gouvernement pour travailler à Mitre Corp., une entreprise privée s’occupant des contrats entre la CIA et une autre firme appelée Ptech. Il y a quelques années, dans un témoignage d’Indira Singh au sujet du 11-Septembre, cette dernière souleva de sérieuses questions sur le travail de Ptech et de Mitre Corp. sur les systèmes d’interopérabilité entre la FAA et le NORAD ; voir Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, p.245.

    [35] Fenton, ibidem, p.78. Kirsten Wilhelm, une employée des Archives nationales, déclara à Kevin Fenton qu’« [i]l semble que Barbara Grewe ait mené les entretiens avec ‘John’ [Wilshire] et Jane [Corsi] », une autre figure clé dans cette affaire. Wilhelm ne put trouver d’« enregistrement officiel » de l’entretien avec Wilshire, appelé avec justesse par Fenton «  l’audition probablement la plus importante que la Commission [sur le 11-Septembre] ait conduit » (p. 79). Summers, citant également une correspondance avec Kirsten Wilhelm, désapprouve le fait qu’il n’y ait aucune trace de cette entretien avec Wilshire, disant qu’un rapport de cet échange existe, mais qu’il « est intégralement censuré » (Summers, Eleventh Day, p.381, cf. p.552). C’est un point important sur lequel les futures enquêtes devront se concentrer.

    [36] Fenton, ibidem, p.225.

    [37Ibidem, p.38 ; citant 9/11 Commission Report, pp.181-82.

    [38] « Michelle » a depuis été identifiée sur Internet, mais par une seule source jusqu’à présent.

    [39] Fenton, ibidem, pp.42-45 ; résumant le rapport de l’inspecteur général du Département de la Justice, pp.239-42 ; cf. Wright, Looming Tower, pp.311-12.

    [40] Fenton, ibidem, p.50 ; résumant le rapport de l’inspecteur général du Département de la Justice, pp.242-43 ; cf. Wright, Looming Tower, pp.311.

    [41] Fenton, ibidem, p.45.

    [42] Je ne sais pas s’ils ont réellement embarqué dans cet avion. Cependant, je suis convaincu qu’al-Mihdhar et al-Hazmi ont agi comme s’ils voulaient détourner un appareil, ce que démontrent leurs contacts avec al-Qaïda en Malaisie et ailleurs, ou leurs tentatives d’apprendre à piloter (etc.).

    [43] Fenton, ibidem, pp.383-86.

    [44Ibidem, p.48. Cf. Lawrence Wright, « The Agent », New Yorker, 10 et 12 juillet 2006, p.68 ; cité avec approbation dans Peter Dale Scott,American War Machine, p.399. Version française : La Machine de guerre américaine (Demi-lune, 2012).

    [45] Fenton, ibidem, p.371, cf. p.95.

    [46Ibidem, 239-42, 310-22. Fenton relève que Corsi travailla au quartier général du FBI, qui coordonnait « les liaisons avec les services étrangers » (p.313).

    [47Ibidem, p.310.