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Azel Guen : Décryptage de l'Actu Autrement - Page 85

  • Sexisme...

    Sexisme : quelque chose de pourri au royaume de Danemark ?

    Selon sudinfo.be, c’est « l’émission la plus sexiste de l’histoire. Humiliante, dégradante, ordurière et sexiste. » Direct.cd affirme : « Une émission danoise qui humilie les femmes. Du sexisme à l’état pur. » Selon rtl.be, « Le sexisme atteint des sommets à la télévision. »

    Nue devant toi

    Une partie de la Toile se déchaîne contre une nouvelle émission de télévision. Elle est diffusée au Danemark. L’animateur est Thomas Blachman, personnage connu de la télévision locale. Sa nouvelle émission, nommée simplement « Blachman », propose à des femmes de se déshabiller devant lui et un invité. Les deux hommes commentent, analysent et critiquent alors le corps de la femme : les seins, les fesses, les jambes. Le but : faire savoir aux femmes ce que des hommes pensent réellement d’elles.

    « L’idée du show est de laisser les hommes parler du corps de femmes nues pendant que la femme se tient debout devant eux. Le corps de la femme a soif de mots. Des mots d’un homme. »

    Dur dur pour ces femmes ! Comment oser supporter deux regards qui ne feront pas de compliments obligés ? Deux hommes qui diront, peut-être crûment, ce qu’il pensent sur l’esthétique du corps ? Mais dur aussi pour les deux hommes. Ce n’est pas si facile à dire pour un homme. C’est en tous cas plus facile à penser qu’à dire. Le corps est comme il est. Nous ne pouvons modifier sa structure. Il n’est pas comme un habit qui embellit, gomme, avantage. La nudité est crue, impitoyable, mais aussi émouvante et touchante. Une telle émission avec des hommes nus commentés et critiqués par des femmes serait tout aussi crue. Devrait-on faire de même pas dogme d’égalité ? Non, aucune obligation.

    Avant de pousser des cris d’orfraie sur le supposé sexisme misogyne, reconnaissons que la beauté physique, l’esthétique, l’apparence, travaillent les filles au corps dès la puberté - voire avant. Reconnaissons que nombre de femmes ont besoin de compliments répétés sur leur beauté. Qu’elles s’inquiètent de savoir si leur homme les désire encore, et ce quiblachman,danemrak,vénus,nudité,corps,hommes,femmes,sexisme,misogynie,hamlet,bible,cantique,plage,beauté,esthétique,fesses,seins,leur plait. Sinon pourquoi y aurait-il autant de salon d’esthétique, de lignes de maquillage, de magasins de mode, de périodiques conseillant en matière de beauté, de feuilles de choux qui apprennent aux adolescentes comment retenir les garçons et aux femmes de 25 ans comment avoir un corps de rêve - ferme et tonique - sur la plage ?


    Si, si, les hommes pensent

    Croit-on que les sculpteurs de toutes les époques ne se livraient pas à une analyse sur le corps de leurs modèles ? Que la beauté physique n’est pas importante ? A vingt ans j'ai fait quelques séances de pose aux Beaux-Arts pour gagner un peu d'argent. je me souviens d'une étudiante qui m'a analysé sans fausse pudeur. Cela paraissait normal. Et pourquoi donc les strip-teaseuses et les top-models ont-elles ou ils des corps qui font rêver les femmes autant que les hommes ?

    Croit-on qu’un homme ne pense rien quand une femme passe sur la plage ou se déhanche sur le dancefloor ? Qu’il ne la « dévisage » pas de la tête aux pieds quand elle passe dans la rue ? Qu’il ne fait pas la différence entre des seins généreux ou des seins presque plats ? Qu’il ne remarque pas les fesses rebondies des africaines, et les fesses deux fois plus larges que les épaules de trop d’adolescentes et de femmes qui doivent se gaver de féculents ?

    Il ne le dit pas mais le voit et le sait en quelques secondes. Ceux qui disent le contraire sont des menteurs. Cela ne préjuge évidemment pas des qualités de la personnes, de son intelligence, de sa sensibilité, ses compétences. Mais pourrait-on prétendre que la beauté physique n’est pas un critère fort dans les relations hommes-femmes ? A l’identique pour les femmes : croit-on qu’elles n’analysent pas les fesses des hommes dans la rue, leur ventre, leurs épaules, leur muscles, leur manière de marcher, de parler, de regarder ? Tout y passe. Celles qui disent le contraire sont des menteuses.

    Simplement on ne se le dit pas. Pourquoi ne le dit-on pas ? Une pudeur, et peu de situations qui le permettent sans équivoque. Dans l’émission Blachman, il n’y a ni équivoque, ni agressivité. Les femmes qui s’y présentent ne sont pas obligées et n’y gagnent pas d’argent. La seule chose qu’elles gagnent est d’entendre ce que deux hommes pensent d’elle. A elles ensuite de s’assumer et de se trouver belles comme elle sont.


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    On peut reprocher à la télévision cet étalage qui suit le chemin des émissions de téléréalité. Il faudrait alors aussi censurer la Bible qui parle des seins et du corps de la fiancée dans l’allégorie du Cantique des cantiques :

    « Que tu es belle, que tu es agréable,
    O mon amour, au milieu des délices !
    Ta taille ressemble au palmier,
    Et tes seins à des grappes.
    Je me dis : Je monterai sur le palmier,
    J'en saisirai les rameaux !
    Que tes seins soient comme les grappes de la vigne ».

    Il faut cependant souligner le courage des ces femmes qui vont se mettre sous le feu de commentaires masculins. Elles se livrent librement à un exercice particulièrement difficile. Je ne sais si ce sont des figurantes ou des anonymes qui viennent chercher leur instant de célébrité. Mais il faut avoir du cran pour s’y présenter. De plus je trouve intéressant de se dire ce que l’on pense. Cela devrait renforcer la capacité à s’accepter, en particulier sur des critères que l’on ne peut pas vraiment changer. Je pense aussi qu’une femme qui s’accepte est plus attractive qu’une femme qui se refuse elle-même.

    Mais qui produit cette émission supposée misogyne ? Une femme, Sofia Fromberg. Elle défend son projet : « Nous avons un programme qui révèle ce que les hommes pensent à propos des corps féminins. Sérieusement, où est le problème ?! » Je partage son point de vue. Y voir du sexisme est pour moi un signe de la déviance intellectuelle et relationnelle de notre époque. On ne peut plus rien dire sur l’autre qui ne soit taxé de sexisme, de racisme et d’autres ismes. Les femmes et les hommes se sont toujours regardés, évalués. Dans le temps cela semblait normal. Plus aujourd’hui.

    Putain d’époque... Crier au sexisme devient pavlovien. Comme dirait Hamlet, il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark : la peur du sexisme voudrait que le silence règne. Hypocrisie.




    Un exemple de l’émission, qui montre que rien d’agressif ne se passe et que la femme est filmée avec une certaine pudeur :http://www.dr.dk/tv/se/blachman/blachman-5-6-2# !/
     

     

    Et ici une autre sous-titrée en anglais :http://www.dr.dk/tv/se/blachman/blachman-6-6. Je pense que les propos tenus méritent une vraie réflexion.


    Etre ou non un objet sexuel

    D’abord considérons que les femmes qui se prêtent au jeu le font librement. Aucuneblachman,danemrak,vénus,nudité,corps,hommes,femmes,sexisme,misogynie,hamlet,bible,cantique,plage,beauté,esthétique,fesses,seinscontrainte ni physique ni sociale ne les y oblige. Elles font l’usage de leur pleine et entière liberté. En ce sens, les critiques devraient plutôt encenser cette émission, qui quelque part est une victoire du féminisme : une femme nue, devant des millions de gens, qui a ce courage, et qui n’est pas traitée de catin. C’est la fin de la mentalité bourgeoise puritaine.

    Ensuite, soyons réalistes. Comme le dit avec humour l’invité (sexologue) de l’émission sous-titrée : « Il y a pire que d’être un objet sexuel. C’est de ne pas en être un. » Comme il dit plus loin : nous souhaitons tous être des objets sexuels, soit des personnes désirables, sexuellement, corporellement désirables. Nous savons bien que la relation passe par cela. Et c’est normal. Normal qu’un homme regarde une femme avec désir, et réciproquement. C’est, de manière basique, la survie de l’espèce qui se joue à chaque désir sexué.

    Les contradictions de la sociétés arrivent maintenant en pleine vue. Il y a deux jours je citais madame Taubira qui sous prétexte de préserver une catégorie de jeune du racisme, fait elle-même de la discrimination ethnique. Incohérent.

    Le féminisme en est arrivé au même point de contradictions insurmontables. Quatre exemples. En ne dénonçant le sexisme que quand il concerne des femmes, on créée une catégorie séparée alors même que la catégorisation, la division des tâches et responsabilités, est combattue. En prônant l’abolition de la prostitution (celle qui est choisie), on fait du sexe féminin quelque chose de sacralisé tout en criminalisant le sexe masculin ; on crée encore deux catégories avec une discrimination à la clé. On catégorise en posant la femme comme intouchable, comme si aucun discours ni aucune critique ne devait lui être adressée - ici la quête féministe rejoint le rêve bourgeois d’être une princesse. Enfin en critiquant le fait qu’une femme décide librement d’être nue sur un plateau de télé, on lui refuse sa liberté et l’on retombe dans un puritanisme qui en d’autres temps était combattu.

    A croire que le féminisme n’est rien d’autre, a part quelques combats initiaux légitimes, qu’une culture de l’insatisfaction féminine.

    Bref les contradictions aujourd’hui démontrées vont obliger les extrémistes à revoir leur copie. Rouvrir la parole masculine, comme le fait cette émission danoise, y contribuera également.


    blachman,danemrak,vénus,nudité,corps,hommes,femmes,sexisme,misogynie,hamlet,bible,cantique,plage,beauté,esthétique,fesses,seinsQu’est-ce que le sexisme ?

    De tout cela il faut tirer l’enseignement que le sexisme est une notion trop et mal utilisée aujourd’hui. L'on devrait s'en tenir à une définition précise, sans quoi le langage et les comportements seront sans cesse sous surveillance avec des levées permanentes d'interdits. Je doute que cela serve les femmes et les hommes : on suscite une nouvelle méfiance, une nouvelle adversité, fondée sur une perception agressive et délictueuse des relations de genre.

    On ne devrait parler de sexisme que s'il y a une intention discriminante avec des conséquences matérielles préjudiciables pour la personne concernée. D'ailleurs, en tant que théorie globale, ne devrait être considéré comme du sexisme qu'une action pouvant porter préjudice à l'ensemble des personnes du sexe concerné. Montrer une femme ou un homme idiot dans une pub ce n'est pas du sexisme. Je prends du recul par rapport à cela, même en ce qui concerne les hommes. Par contre, montrer systématiquement toutes les femmes ou tous les hommes comme idiots, et en tirer des conclusions sociales pouvant porter un préjudice réel, cela c’est du sexisme.

    La société doit tolérer l'élasticité culturelle (on peut se parler en présupposant une différence de genres), mais pas juridique. Si on ne tolère pas l'élasticité culturelle, si tout devient suspect et porteur d'interdit ou de stigmatisation, on en vient à un néo-protestantisme !

    Ici, la critique sur le corps ne concerne que la personne qui se présente et non toutes les femmes. On mettrait Adriana Karembeu nue pour être jugée par des hommes, ce serait elle seule qui serait concernée et non l'ensemble des femmes. Les candidates à l'émission ne sont pas critiquées parce qu'elles sont femmes, et l'intention n'est pas de leur enlever un droit juridique ou moral, ni de commettre une action préjudiciable à leur encontre ou de les faire considérer comme inférieures.

    La réflexe pavlovien de la censure morale qui fait crier au sexisme est le dernier rempart d’un mouvement féministe à bout de souffle, qui n’a plus que la répression pour se donner encore une identité. Mais cela suffit de traiter les femmes d’objets et de les infantiliser. Laissons-les être elles-mêmes, sans garde-chiourme. Ras-le-bol du paternalisme féministe. Elles font ce qu’elles veulent, mêmes nues sur un plateau télé. On peut critiquerblachman,danemrak,vénus,nudité,corps,hommes,femmes,sexisme,misogynie,hamlet,bible,cantique,plage,beauté,esthétique,fesses,seinsle recours trop permanent à des émissions-confessions, à cette télé-réalité qui exhibe nos corps et nos âmes pour faire de l’audimat. Cela existe parce que les gens regardent, et parce que la parole personnelle a longtemps manqué dans notre société. Mais c’est un autre débat.

    Il y a plusieurs manière de distiller un sexisme officiel, comme de manipuler les chiffres pour laisser entendre avec lyrisme que les hommes sont plus dangereux sur la route. Pour moi l’indécence et l’humiliation ne sont pas dans une femme nue et deux hommes qui parlent d’elle. L’indécence, c’est l’émission « Toute une histoire ». C’est Sophie Davant, toujours cadrée à son avantage, et au brushing semi-sauvage si parfait même quand on lui raconte les choses les plus sordides. Ce sont ses questions bêtes et son voyeurisme patent, ce sont les interventions de la psy déjantée, c’est la complaisance principalement féminine d’aller se vider à cette émission où l’on pleure sur soi sans plus aucune pudeur. L’important est de se montrer et d’être dans la compétition victimaire. Bientôt elle fera une émission sur « Pourquoi je suis devenu sérial killer après que mon petit frère m’ait piqué un bonbon un dimanche matin d’automne, après la messe, et que ma maman, malade à l’hôpital, n’a pas pu le gronder et que mon papa n’a rien vu parce qu’il réparait la voiture pour aller à l’hôpital et qu’il avait peur de rater les heures de visites ».

    N’en déplaise aux censeurs et aux néo-puritains, il n’y a ni bourreau ni victime ni justicier dans l’émission Blachman. Cela nous change !

     

  • Euro Espoirs de football en Israël

    Euro Espoirs de football en Israël, les droits des Palestiniens piétinés

    Israël accueille du 5 au 18 juin 2013 le championnat d’Europe de football des moins de 21 ans. De nombreuses voix s’élèvent contre l’impunité dont jouit le pays sur la scène internationale et appellent à boycotter l’événement.

    par Olivier Pironetmercredi 15 mai 2013

    « Nous les avons acceptés en Europe et leur avons garanti les conditions d’adhésion (1), ils doivent respecter le message des lois et réglementations sportives internationales, faute de quoi leur présence en Europe n’aura pas lieu d’être. Je vais peser de tout mon poids pour mettre un terme à la souffrance du joueur palestinien, notamment au football. (…) Israël n’a qu’un seul choix : laisser le sport palestinien se développer ou il doit assumer tout seul les conséquences de son attitude » (2).

    Ainsi s’exprimait M. Michel Platini, le président de l’Union européenne des associations de football (UEFA), au sortir d’un entretien avec M. Jibril Rajoub, son homologue de la fédération palestinienne (PFA), le 22 septembre 2010, au siège de l’UEFA, en Suisse. L’ancien footballeur français semblait alors résolu à prendre à bras-le-corps le problème des restrictions sur la liberté de mouvement imposées par les autorités israéliennes aux joueurs palestiniens et celui du blocage par Tel-Aviv des fonds et des équipements sportifs offerts à la Palestine par les donateurs internationaux ou l’UEFA elle-même.

    Pourtant, moins de six mois plus tard, le 27 janvier 2011, Israël se voyait confier par le bureau exécutif — dirigé par le même Platini — de l’instance européenne du ballon rond l’organisation de la phase finale du championnat d’Europe des moins de 21 ans (Euro Espoirs 2013), qui verra s’affronter huit pays du 5 au 18 juin. A l’été 2011, une quarantaine de clubs de football palestiniens signaient une déclaration commune pour faire part de leur consternation de voir Israël « récompensé pour son oppression de [leur] peuple, en toute impunité, par le privilège d’accueillir » la compétition, et demandaient à M. Platini de revenir sur sa décision. Ils entendaient lui rappeler qu’Israël, qui « pratique un mélange, unique au monde, d’occupation, de colonisation et d’apartheid dirigé contre la population indigène, c’est-à-dire les Palestiniens », n’est pas « un pays comme les autres » (3). L’initiative n’a pas permis de faire fléchir M. Platini.

    Le 14 juin 2012, ce fut au tour de Jibril Rajoub de manifester son incompréhension dans une lettre ouverte au président de l’UEFA diffusée par les médias et accueillie froidement par l’intéressé. Le patron de la PFA y évoquait notamment le sort du jeune footballeur gazaoui Mahmoud Sarsak, arrêté par l’armée israélienne au cours de l’été 2009, torturé et incarcéré sans procès ni jugement (lire « Mahmoud Sarsak, une jeunesse brisée »), comme beaucoup des milliers de Palestiniens détenus en Israël (4). Quatre jours plus tard, M. Platini confirmait auprès du président de l’Association israélienne de football (IFA), M. Avraham Luzon, le maintien de l’épreuve dans son pays et se disait certain « que ce sera une belle fête du football, qui, une fois de plus, rassemblera les gens ».

    Le 29 novembre 2012, au lendemain du tirage au sort de la phase finale de l’Euro (qui détermine les poules), il rencontrait le chef de l’Etat israélien, M. Shimon Peres, dans sa résidence de Jérusalem. Trois semaines plus tôt — les 8 et 11 novembre, soit quelques jours avant le début de l’opération militaire « Pilier de défense » contre la bande de Gaza (14-21 novembre 2012, plus de 180 morts du côté palestinien, en grande majorité des civils, dont une cinquantaine d’enfants) —, quatre adolescents étaient tués par des bombardements israéliens alors qu’ils jouaient au ballon rond à Gaza, sans que cela ne suscite aucune réaction de sa part. S’il suit l’actualité, M. Platini aura peut-être été interpellé par la récente décision de l’astrophysicien Stephen Hawking — qui provoque des remous en Israël — de ne plus participer à la conférence internationale placée sous l’égide de M. Peres, « Faire face à demain 2013 », organisée à Jérusalem du 18 au 20 juin, alors qu’il avait dans un premier temps accepté l’invitation lancée par le président israélien. Le célèbre scientifique britannique, qui entend par là protester contre la situation des Palestiniens et l’occupation de leurs terres, a également rejoint le boycott universitaire et culturel d’Israël (5).

    Ironie du sort, la compétition se déroulera, entre autres, dans l’enceinte du stade Bloomfield (ex-Basa), qui fut autrefois celui du club palestinien Shabab Al-Arab de Jaffa, expulsé en janvier 1949 au profit du club israélien de l’Hapoël Tel-Aviv, et dans celle du stade Teddy de Jérusalem, situé tout près du village arabe d’Al-Maliha, vidé de ses habitants en juillet 1948 par les troupes israéliennes et presque entièrement rasé (6). Le stade Teddy est l’antre du club du Beitar Jérusalem, proche du Likoud (droite nationaliste). Ses supporters, ouvertement racistes et violents — deux de leurs slogans favoris sont « Mort aux Arabes » et « Beitar pur pour toujours » —, ont récemment créé la polémique en protestant contre l’arrivée dans l’équipe de deux joueurs tchétchènes de confession musulmane, allant jusqu’à mettre le feu au siège administratif du club, le 8 février dernier — les deux nouvelles recrues du Beitar, qui ne comptait jusqu’alors dans ses rangs que des joueurs juifs, sont systématiquement huées et insultées lorsqu’elles touchent la balle. Pour autant, le cas du Beitar Jérusalem est loin d’être isolé. Le football israélien est fortement touché par le racisme anti-arabe, des « ratonnades » se déroulant même régulièrement en marge des matchs de championnat (7).

    Une coalition européenne d’organisations de défense des droits humains multiplie les actions pour tenter d’attirer l’attention de l’opinion publique et des dirigeants politiques (8). Elles ont mis sur pied la campagne Carton rouge pour l’apartheid israélien afin d’obtenir l’annulation de l’épreuve, sous peine de « renforce[r] le sentiment d’impunité » prévalant en Israël, et ce malgré les violations répétées des droits humains et les crimes commis par son armée à Gaza et en Cisjordanie, qui lui ôtent « toute légitimité à accueillir des événements sportifs internationaux ». La campagne est adossée au mouvement mondial Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), créé en 2005 sur le modèle de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, qui avait notamment abouti à l’exclusion du pays de toute compétition sportive. Elle a reçu le soutien de nombreuses personnalités, dont l’intellectuel américain Noam Chomsky, le musicien britannique Roger Waters (ex-Pink Floyd), l’ancienne star française du ballon rond Eric Cantona, ou encore le cinéaste Ken Loach.

    De leur côté, des footballeurs professionnels se sont également mobilisés sous la houlette du Malien Frédéric Kanouté. Celui-ci est à l’origine d’un appel à boycotter l’Euro Espoirs, adressé à l’UEFA le 29 novembre dernier et signé par une soixantaine de joueurs internationaux. Ils y témoignaient notamment de « leur solidarité avec le peuple de Gaza qui vit depuis trop longtemps en état de siège, et dont on refuse les droits humains les plus fondamentaux : la dignité et la liberté. » — certains d’entre eux, parmi lesquels des joueurs de l’équipe de France et l’Ivoirien Didier Drogba, se sont depuis rétractés ou ont démenti faire partie des signataires, à la suite, selon M. Kanouté, de pressions exercées sur eux et sur leurs clubs respectifs (9).

    Rares sont les politiques à s’être saisis de la question, à l’exception notable de Mme Marie-George Buffet. Il y a peu, la députée communiste de Seine-Saint-Denis et ancienne ministre des sports (1997-2002) a adressé un courrier à M. Platini pour dénoncer la tenue du tournoi dans un pays dont les « pratiques » sont « incompatibles avec les valeurs du sport » (10). A notre connaissance, elle n’a obtenu aucune réponse officielle.

    Le 25 janvier dernier, une délégation de militants venus de plusieurs pays (France, Royaume-Uni, Suisse, etc.) se sont rendus au siège de l’UEFA pour réclamer des explications à M. Platini. Ils se sont vus rétorquer que « le sport ne peut se mêler de politique, c’est pourquoi l’UEFA n’envisage pas de prendre des sanctions contre Israël » (11). Michel Platini feint-il d’ignorer que l’Afrique du Sud, pendant le régime d’apartheid (avec lequel collabora Israël, au mépris des sanctions internationales), fut suspendue de toutes les compétitions de football dès 1964, puis exclue des Jeux olympiques à partir de 1970, et n’a pu les réintégrer qu’après l’abolition du système ségrégationniste ? A l’époque, il est vrai, l’Europe avait pris part au boycott économique, académique et sportif du régime de Pretoria, tandis qu’elle fait preuve aujourd’hui d’une grande complaisance à l’égard d’Israël, dont les liens avec l’Union européenne n’ont cessé de se renforcer ces dernières années, malgré la poursuite de l’occupation militaire et de la colonisation en Palestine (12).

    Emboîtant le pas de l’Union européenne, l’UEFA se serait-elle à son tour rangée au principe du « deux poids, deux mesures » ?

    Voir aussi : « Mahmoud Sarsak, une jeunesse brisée ».

    (1) Israël participe aux compétitions de football en Europe depuis 1989, après avoir quitté la Confédération asiatique (AFC) en 1974. Il est devenu membre à part entière de la fédération européenne (UEFA) en 1994.

    (2) Cité dans la brochure On ne peut pas s’en foot  !, CAPJPO - EuroPalestine, Paris, 2012.

    (3) «  Appel des sportifs palestiniens à l’UEFA  », 22 juin 2011.

    (4) Près de 4 900 Palestiniens, dont 236 enfants, sont emprisonnés en Israël, parmi lesquels plusieurs ont cessé de s’alimenter. Certains ont récemment péri en détention, comme Maysara Abou Hamdiya (65 ans), mort d’un cancer le 2 avril dernier, faute de traitement, ou Arafat Jardat (30 ans), décédé le 23 février 2013, après un interrogatoire. Sur la situation des prisonniers palestiniens en Israël, voir les données et informations fournies par l’organisation Addameer.

    (5) «  Stephen Hawking joins academic boycott of Israel  », The Guardian, 8 mai 2013.

    (6) Comble du cynisme, la communauté palestinienne de Jérusalem-Est, victime de la politique discriminatoire menée par Israël, dénoncée en particulier par les Nations unies, a été mise à contribution à hauteur de 100 millions de shekels (60 millions d’euros) pour financer les travaux de rénovation du stade Teddy.

    (7Cf. Todd Warning, «  Israel’s Arab-Free Soccer Team  », Tablet, 14 mai 2012. Lire également Robert Kissous, «  UEFA 2013 – lettre à Michel Platini  », Association France Palestine Solidarité (AFPS), 26 avril 2012.

    (8) Un rassemblement de protestation est notamment prévu à Londres le 24 mai prochain, à l’occasion du congrès annuel de l’UEFA organisé dans la capitale britannique.

    (11) «  Coupe de foot junior en Israël : l’UEFA sommée de s’expliquer  », CAPJPO - EuroPalestine, 26 janvier 2013.

    (12) Lire à ce sujet «  Comment l’Union européenne renforce les colonies israéliennes  », par Alain Gresh, Nouvelles d’Orient (Les blogs du Diplo), 30 octobre 2012.

  • Même la justice française condamne BHL…

     

    vendredi 26 avril 2013

    Bernard-Henri Lévy et Franz-Olivier Giesbert n’ayant pas fait appel de leur condamnation, celle-ci est désormais définitive. Nul doute que la presse qui, certainement par délicatesse, avait omis de diffuser la nouvelle au moment du prononcé du jugement, se sentira désormais déliée de sa prudence légendaire (Mise à jour du 9 mai 2013).

    Depuis quarante ans, les élucubrations de Bernard-Henri Lévy lui ont valu les réprimandes et les sarcasmes d’intellectuels aussi divers que Raymond Aron, Pierre Vidal-Naquet, Gilles Deleuze, Pierre Bourdieu... Cela n’a nullement empêché le philosophe préféré des médias d’empilerles signes de reconnaissance de la bonne société et de multiplier les propos diffamatoires. Avec un argumentaire plutôt subtil : tous ses ennemis politiques seraient assimilables à des nazis...

    La liste des bourdes et des calomnies de notre intellectuel de parodie est longue et ancienne. Il a pour distinction de s’être à peu près trompé sur tout. Soucieux d’accomplir un travail de mémoire sur les impostures intellectuelles de BHL, Le Monde diplomatique a, il y a quelques années, regroupé et classé toutes ses calembredaines dans un dossier très détaillé.

    Mais rien n’y faisait. Les présidents français passaient (François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande), et chacun recevait Bernard-Henri Lévy à l’Elysée, comme si une telle charge relevait de son office au même titre que la désignation du premier ministre et la possession des codes nucléaires. Parfois, des présidents lui confiaient même une mission officielle ou semi officielle (en Bosnie dans le cas de Mitterrand, en Afghanistan avec Chirac, en Libye avec Sarkozy). Au risque pour la France d’embarrasser ses diplomates et de devenir (un peu) la risée des chancelleries du monde entier.

    Le 23 avril 2013, la 17e chambre correctionnelle de Paris a cessé de rire. Dans un arrêt juridiquement remarquable, elle a reconnu Bernard-Henri Lévy « complice du délit de diffamation publique envers un particulier ». Et elle a estimé que Franz-Olivier Giesbert, qui avait publié le texte diffamatoire, s’était rendu, en qualité de directeur de la publication, « coupable » du même délit de diffamation publique.

    De quoi s’agissait-il ? D’un « bloc-notes de Bernard Henri-Lévy » publié par Le Point. Cet exercice hebdomadaire de BHL est devenu la lecture presque obligée de tous ceux — sociologues, anthropologues, historiens, humoristes — qui travaillent sur les réseaux de connivence en France. Notre philosophe y dispense en effet, sans la moindre distance ni la moindre ironie, les compliments à ses obligés — ou à ceux dont il attend quelque faveur. Symétriquement, il se montre tout aussi généreux de ses remontrances, voire de l’expression violente de son animosité, lorsqu’il parle de ses adversaires. En particulier de ceux qui ont démasqué ses diverses impostures.

    Au nombre desquels ... Le Monde diplomatique, un mensuel qui ferait partie « des chagrins de [l’] existence [de BHL] » depuis qu’il se serait mis « au service du pouvoir pétrolier ». Faute de temps sans doute, et de moyens aussi (ceux de Bernard-Henri Lévy sont considérables), Le Monde diplomatique n’a jamais répliqué sur le terrain judiciaire. Lorsque, le 23 décembre 2010, Bernard Cassen, ancien journaliste et directeur général du Monde diplomatique, a lu le « bloc-notes » de BHL dans Le Point, il a cette fois décidé de porter l’affaire devant les tribunaux.

    Pourquoi ? Parce que Bernard-Henri Lévy avait écrit ceci : « Viennent de se produire deux événements [...] considérables. [...] Le second fut ces Assises internationales sur l’islamisation de l’Europe organisées, quelques jours plus tard, à Paris, par le groupuscule néonazi qui s’était rendu célèbre, le 14 juillet 2002, en tentant d’assassiner Jacques Chirac et qui s’est allié, pour l’occasion, à un quarteron d’anciens trotskistes rassemblés sous la bannière du site Internet Riposte laïque. Il faut le dire et le redire : [...] présenter comme un “arc républicain”, ou comme une alliance entre “républicains des deux rives”, ce nouveau rapprochement rouge-brun qui voit les crânes rasés du Bloc identitaire fricoter, sur le dos des musulmans de France, avec tel ancien du Monde diplo, Bernard Cassen, est un crachat au visage [de la] République. »

    Impatient, peut-être même frénétique à l’idée de fustiger une nouvelle fois Le Monde diplomatique, Bernard-Henri Lévy avait tiré trop vite. Et commis une erreur grossière d’identification. Tel ce singe de la fable de La Fontaine qui avait pris le port du Pirée pour un homme (1), notre intellectuel avait en effet confondu Bernard Cassen avec… Pierre Cassen, fondateur du site Riposte laïque, effectivement proche de l’extrême droite.

    Mais il ne s’agissait que d’une « coquille », gémit BHL. Le tribunal lui répond de manière cinglante en lui reprochant un manque total de« sérieux » : « Il convient de considérer que l’évocation de Bernard Cassen, ancien journaliste et directeur général du mensuel Le Monde diplomatique [...] au lieu et place de Pierre Cassen relève davantage d’une insuffisance de rigueur et d’une carence de fond, que de la simple “coquille” invoquée en défense. »

    Et la 17e chambre correctionnelle précise : « Pour l’ensemble de ces motifs, le bénéfice de la bonne foi ne saurait être accordé [à BHL] et, par voie de conséquence, Franz-Olivier Giesbert ne saurait en bénéficier. »

    La sévérité de la justice — qui aligne dans ses attendus les appréciations peu flatteuses pour le directeur et pour le chroniqueur du Point : absence de sérieux, insuffisance de rigueur, carence de fond, manque de bonne foi... — s’explique assurément par la gravité de la faute commise par Franz-Olivier Giesbert et par BHL, son « complice ». Comme le note le tribunal : « L’alliance explicitement imputée à Bernard Cassen avec un groupe politique présenté comme véhiculant une idéologie gravement attentatoire aux valeurs républicaines et comme ayant tenté d’assassiner le chef de l’Etat le jour de la fête nationale de 2002, constitue un fait précis, dont la vérité est susceptible d’être prouvée, et qui porte atteinte à son honneur et à sa considération. »

    Les deux prévenus, reconnus « auteur et complice du délit de diffamation publique envers un particulier », sont condamnés chacun à une amende de 1 000 euros « qui, pour Bernard-Henri Lévy — dont le casier judiciaire ne porte trace d’aucune condamnation, à la différence de Franz-Olivier Giesbert — sera assortie du sursis ».

    Et la publication de cette décision devra paraître dans un prochain numéro du Point, « au pied du “bloc-notes” de Bernard-Henri Lévy [...]dans un encadré, et sous le titre écrit en caractères majuscules et gras de 0,4 cm de hauteur CONDAMNATION JUDICIAIRE . Les deux complices devront par ailleurs payer les frais d’insertion de la publication de la décision qui pourfend leur diffamation dans deux organes de presse choisies par le plaignant.

    D’ores et déjà, Le Monde diplomatique se porte candidat à la publication dans ses colonnes de cette réjouissante décision de la justice française.

  • Inégalités : le retour des pharaons

     

    mardi 14 mai 2013

    « Les inégalités ont toujours existé », entend-on souvent dire par ceux qui aimeraient banaliser leur flambée. Certes, mais elles étaient encore plus prononcées du temps des pharaons. Notre modernité s’inspirerait-elle donc du temps de l’Egypte ancienne ?

    Inde, Chine, Russie, Italie, Etats-Unis, pays du Golfe : l’essor des fortunes et du nombre de milliardaires paraît caractériser l’état des lieux, comme le détaille le dernier numéro du Monde diplomatique. Un dernier exemple vient de nous en être donné dans les entreprises américaines.

    Ainsi que le rappelle Business Week (1), qui ne passe pas pour une publication anticapitaliste, le très célèbre théoricien du management Peter Drucker avait théorisé en 1977 qu’une entreprise dans laquelle les écarts de salaires dépassaient un rapport de 1 à 25 voyait ses performances diminuer. Car plus les inégalités se creusent, plus une mentalité individualiste destructrice sape le travail collectif, l’esprit d’équipe et, au final, les résultats de l’entreprise, y compris pour ses actionnaires. Être payé autant en une journée que d’autres en un mois semblait donc représenter la limite à ne pas dépasser. Non pas tant pour les ouvriers et employés qui, en général, ne se font guère d’illusion sur le côté « famille heureuse » de la structure privée qui les emploie (« Ils sont déjà persuadés, écrivait Drucker, que leurs patrons sont des escrocs »). C’est donc plutôt de l’encadrement que les problèmes surgiraient : au-delà d’un certain écart de rémunération, le cynisme gagne, le cœur à l’ouvrage se perd, l’absentéisme s’envole.

    Logiquement, Business Week a donc voulu savoir quelle était la situation actuelle aux Etats-Unis. C’est peu de dire que l’écart de 1 à 25 est pulvérisé. J. C. Penney, qui vend des chemises et des pantalons bon marché, permet aussi à son patron de ne pas se soucier de faire des économies vestimentaires. Chaque jour, la rémunération de Ronald Johnson correspond en effet à plus de six années de salaire d’un de ses employés. Car l’écart va de 1 à 1 795 entre la paie annuelle du premier (53,3 millions de dollars) et celle du vendeur moyen (vraisemblablement une vendeuse…), de J. C. Penney (29 000 dollars). A Abercrombie (2), médaille d’argent de l’iniquité, l’écart va de 1 à 1 640.

    Parmi les autres « lauréats » de ce classement, Starbucks est cinquième (écart de 1 à 1 135). Et Ralph Lauren, Nike, Ebay, Honeywell, Walt Disney, Wal-Mart et Macy’s se disputent les vingt premières places. A Intel, centième (et dernier) de la liste, l’égalité n’est pas tout à fait réalisée non plus, mais l’écart n’est « que » de 1 à… 299 (3).

    Bien sûr, certains vont trouver injuste de mettre sur le même plan la rémunération d’un « capitaine d’industrie » — forcément brillant, talentueux, innovant — avec celle d’un de ses employés qui, lui, n’aurait d’autre souci dans la vie que d’obéir. L’étude d’une autre publication, tout aussi peu subversive que Business Week, risque par conséquent de les décontenancer. Consacrant un dossier détaillé aux « Entreprises plus fortes que les Etats », L’Expansion (mai 2013) a cette fois comparé la rémunération des patrons du privé avec celle de responsables politiques de premier plan, à qui il arrive peut-être, à la Maison Blanche ou à l’Elysée, de prendre des décisions qui ne sont pas insignifiantes. On apprend alors que M. Tim Cook, patron d’Apple gagne près de 1 000 fois le salaire annuel de son compatriote Barack Obama (378 millions de dollars dans un cas, 400 000 dollars dans l’autre). Et que M. Maurice Lévy, patron (intouchable) de Publicis, s’attribue 127 fois la rémunération de son compatriote François Hollande.

    (1) Elliot Blair Smith et Phil Kuntz, «  Disclosed : the pay gap between CEOs and employees  », 6 mai 2013.

    (2) L’enseigne de prêt-à-porter s’est encore illustrée récemment, comme le relevait Rue89, par son refus de faire don des vêtements invendus, préférant les brûler.

    (3) Le patron d’Intel, Paul Otellini, s’adjuge 17,5 millions de dollars par an, contre 58 400 dollars à son salarié moyen.

  • Bangladesh : la terreur du capitalisme

     

    13 mai 2013

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    Mercredi 24 Avril. Au lendemain de la demande faite par les autorités aux propriétaires de faire évacuer leur usine de confection, l’immeuble s’est écroulé. Le bâtiment, le Rana Plaza, situé dans la banlieue de Dhaka, à Savar, confectionnait des vêtements pour la chaîne de fabrication qui prend forme dans les champs de coton en Asie du Sud et finit dans les enseignes de distribution occidentales. Les vêtements de marques célèbres y sont cousus, comme le sont les habits que l’on retrouve disposés sur les étagères sataniques de Wal-Mart. Les secours ont pu sauver deux mille personnes à l’heure où nous écrivons, confirmant ainsi la mort de trois cents autres. Le bilan devrait inéluctablement s’alourdir (on en est à plus de 1100 aujourdhui, ndlr). Il est intéressant de mentionner que le tribut payé lors de l’incendie de la Shirtwaist Factory de New York en 1911 s’élevait à cent quarante-six personnes. Le bilan est à ce stade deux fois plus élevé à Dhaka. Cet « accident » survient cinq mois après l’incendie de l’usine de confection de Tazreen (le 24 Novembre 2012) qui a coûté la vie à cent douze travailleurs au moins.

     

     
    Dans les décombres du Rana Plaza.
    Photo de Taslima Akhter.

     

     

    La liste des « accidents » est longue et insoutenable. En Avril 2005, une usine de confection s’est effondrée à Savar, tuant soixante-quinze salariés. En Février 2006, une autre usine a connu le même sort, tuant dix-huit personnes. En juin 2010, un bâtiment s’est effondré à Dhaka, tuant 25 personnes. Telles sont les « usines » de la Mondialisation de ce 21e siècle – des abris à peine construits où la production s’opère lors de longues journées de travail, à l’aide de machines de piètre qualité et réalisée par des travailleurs dont les vies sont soumises aux impératifs de la production en « just in time ». Ecrivant alors sur le régime de production en Angleterre au 19e siècle, Karl Marx soulignait « Dans sa quête aveugle et sans limites, face à son appétit insatiable de productivité toujours accrue, le capital a non seulement outrepassé le seuil moralement acceptable, mais aussi les limites physiques d’une journée de travail. Il usurpe le temps nécessaire au développement, à la croissance et à l’entretien sain du corps. Il vole le temps requis à la consommation d’air frais et de soleil…sa seule préoccupation est d’utiliser uniquement et simplement le maximum de main-d’œuvre possible au cours d’une journée de travail. Il atteint son but en écourtant la durée de vie du travailleur, à la manière d’un fermier trop gourmand qui arracherait une production accrue de la terre en réduisant sa fertilité » (Capital, Chapitre 10).


    Ces usines du Bangladesh sont un exemple du paysage offert par la mondialisation et qui est reproduit dans ces usines le long de la frontière Américano-Mexicaine, à Haïti, au Sri Lanka, et à d’autres endroits qui ouvrent leurs portes au nouvel ordre de production et de commerce de l’industrie de la confection des années 1990. Des pays soumis, qui n’ont ni la volonté patriote de se battre pour leurs citoyens ni le moindre intérêt dans l’affaiblissement de leur ordre social à long-terme, se sont précipités pour accueillir la production textile. Les gros fabricants de textile ne voulaient plus investir dans des usines – ils se sont tournés vers les sous-traitants en proposant des marges très faibles et les forçant ainsi à gérer leurs usines comme de véritables prisons du travail. Ce modèle de la sous-traitance a permis à ces firmes de nier toute responsabilité pour ce que faisaient les vrais patrons de ces petites usines, leur permettant de profiter des bénéfices des produits à bas prix sans que leur conscience ne soit entachée par la sueur et le sang des travailleurs. Cela a aussi permis aux consommateurs occidentaux d’acheter d’énormes quantités de biens, souvent à crédit, sans qu’ils se soucient des méthodes de production. Une vague d’indignation ponctuelle pourra voir le jour contre telle ou telle enseigne, mais ce sera sans une appréciation globale des méthodes de production que des entreprises comme Wal-Mart ont introduites, sans appréciation non plus des pratiques commerciales qui ont été normalisées et qui sont à l’origine de telle ou telle campagne d’indignation.


    Les travailleurs bangladais ne sont pas aussi bien placés que les consommateurs occidentaux pour le faire. Pas plus tard qu’en Juin 2012, des milliers de travailleurs de la zone industrielle d’Ashulia, à l’extérieur de Dhaka, ont manifesté pour réclamer des augmentations de salaire et des meilleures conditions de travail. Pendant plusieurs jours, ces travailleurs ont fermé plus de 300 usines, bloquant l’autoroute Dhaka-Tangali à Narasinghapur. Les travailleurs gagnent entre 3000 taka (35$) et 5500 taka (70$) par mois ; ils demandaient une augmentation comprise entre 1500 taka (19$) et 2000 taka (25$) par mois. Le gouvernement a envoyé trois mille policiers pour sécuriser la zone, et le Premier Ministre a vaguement promis qu’elle se pencherait sur leur cas. Un comité composé de trois membres a été créé, mais rien de substantiel n’en a est ressorti.


    Conscients de la futilité des négociations avec un gouvernement entièrement acquis à la logique de la chaîne de fabrication, Dhaka a connu une explosion de violence à mesure que les informations en provenance de l’usine de Rana survenaient. Les travailleurs ont bouclé le secteur de Dhaka, bloquant les routes et vandalisant des voitures. L’insensibilité de l’Association des Fabricants de textile du Bangladesh (BGMEA) a également contribué à jeter de l’huile sur le feu. A la suite des manifestations de Juin, Mr Shafiul Islam, à la tête de la BGMEA, a accusé les travailleurs d’être impliqués dans « une conspiration  ». Il a argué du fait qu’il n’y avait « aucune raison logique pour augmenter le salaire de travailleurs  ». Cette fois-ci, le nouveau Président de la BGMEA, Mr Atiqul Islam, a suggéré que le problème n’était pas la mort des travailleurs ou des mauvaises conditions d’exercice des travailleurs, mais « l’arrêt de la production causé par le mécontentement et les hartals (grèves) ». Ces grèves, a-t-il dit, sont « juste un coup dur porté au secteur de la confection  ». Il ne fait dès lors plus aucun doute que ceux qui sont descendus dans la rue n’ont plus foi en les sous-traitants et en leur gouvernement.


    Les tentatives pour solutionner l’exploitation ont été mises à mal par une pression continue de la part des autorités et par le recours au meurtre. Toute approche visant à faire évoluer le Code du travail au Bangladesh est éclipsée par une exécution très sommaire de la part du Service d’Inspection du Ministère du Travail. On dénombre en tout et pour tout 18 inspecteurs et inspecteurs-adjoints pour contrôler 100 000 usines sur la zone de Dhaka, où sont situées la plupart des usines de confection. Si une infraction est détectée, les amendes sont trop faibles pour initier une quelconque réforme. Quand les travailleurs essaient de se regrouper en syndicat, la répression féroce de la part de la Direction suffit à réduire tout effort à néant. La Direction préfère le recours anarchique à la violence plutôt que le maintien durable de la main-d’œuvre. En effet, la violence a conduit le Gouvernement bangladais à créer une Cellule de Gestion de Crise ainsi qu’une Police Industrielle, non pas en vue de contrôler les violations au Code du Travail, mais pour surveiller les leaders syndicaux. En Avril 2012, des agents de la capitale ont kidnappé Aminul Islam, un des organisateurs clés du Centre pour la Solidarité des Travailleurs au Bangladesh. Il a été retrouvé mort quelques jours après, son corps présentant de nombreuses marques de torture.


    Le Bangladesh est secoué ces derniers mois par des vagues de protestation historiques – la violence terrible qui s’est abattue sur les combattants pour la liberté de la Jamaat-e-Islamien 1971 a entraîné l’arrivée de milliers de personnes à Shanbagh à Dhaka ; cette protestation s’est transformée en une guerre civile entre les deux principaux partis, laissant de côté les appels à la justice pour les victimes de ces violences. Cette contestation a enflammé le pays, avec pour conséquence, une répression assez sanguinaire et une terreur quotidienne contre les travailleurs du secteur de l’habillement. L’accident du Rana Building peut constituer un moment charnière du mouvement de protestation. Sans quoi, il partira à la dérive.


    L’Occident, quant à lui, est bien trop absorbé par les Guerres contre le terrorisme et la crise économique pour espérer une introspection profonde sur le mode de vie qui repose sur une consommation alimentée par le crédit et qui se fait au détriment des travailleurs de Dhaka. Les personnes ayant trouvé la mort dans l’accident de Rana sont les victimes non seulement de la malfaisance de sous-traitants, mais aussi de la mondialisation du 21e siècle.