Si c’étaient des Blancs...
« Si c’étaient des Blancs, la terre entière serait en train de trembler »
L’émission « Ce soir ou jamais » remonte au 24 avril. Ça commence à faire vieux en temps internet mais nous avons décidé d’en reproduire un extrait de par la qualité et la justesse des interventions de l’écrivaine Fatou Diome, franco-sénégalaise.
Née au Sénégal, passionnée dès l’enfance par la littérature francophone, Fatou Diome s’installe en France à 22 ans. Au début, sa vie, c’est des petits boulots, pour payer ses études de lettres, avant de connaître la reconnaissance en tant qu’auteur. Ses livres, des fictions, évoquent bien souvent son histoire, situéeentre l’Afrique et la France.
« Peut-on accueillir toute la misère du monde ? »
Contexte de l’émission : le 24 avril, les invités de « Ce soir ou jamais » répondaient à la question : « Après le drame de Lampedusa, peut-on accueillir toute la misère du monde ? ». Présente sur le plateau, Fatou Diome n’a eu de cesse de dénoncer « l’hypocrisie européenne ».
A plusieurs reprises (dans le texte ci-dessous), Fatou Diome cite un « monsieur ». Il s’agit de Thierry Henri Philippe Baudet, historien juriste et essayiste néerlandais, connu notamment pour vouloir un contrôle absolu des frontières étatiques.
Voici quelques extraits issus des interventions de Fatou Diome :
« Quand vous dites que l’immigration pose un problème, il faut aussi parler des avantages de l’immigration parce que moi, quand je travaille en France, je paie mes impôts ici. Les étrangers qui sont là, il y en a une partie qui peut envoyer [de l’argent] au pays pour aider, mais la majorité paie ses impôts, s’installe dans vos pays, enrichit vos pays. Donc, ce sont des citoyens productifs. [...]
Je voulais m’indigner contre le silence de l’Union africaine. Les gens, là, qui meurent sur les plages, et je mesure mes mots, si c’étaient des Blancs, la terre entière serait en train de trembler. Ce sont des Noirs et des Arabes, alors eux, quand ils meurent, ça coûte moins cher. [...]
Si on voulait sauver les gens dans l’Atlantique, dans la Méditerranée, on le ferait, parce que les moyens qu’on a mis pour Frontex, on aurait pu les utiliser pour sauver les gens. Mais on attend qu’ils meurent d’abord. C’est à croire que le “laisser mourir” est même un outil dissuasif. Et je vais vous dire une chose : ça ne dissuade personne, parce que quelqu’un qui part et qui envisage l’éventualité d’un échec, celui-là peut trouver le péril absurde, et donc l’éviter. Mais celui qui part pour la survie, qui considère que la vie qu’il a à perdre ne vaut rien, celui-là, sa force est inouïe parce qu’il n’a pas peur de la mort. [...]
Au jour d’aujourd’hui, l’Europe ne sera plus jamais épargnée tant qu’il y aura des conflits ailleurs dans le monde. L’Europe ne sera plus jamais opulente tant qu’il y aura des carences ailleurs dans le monde. On est dans une société de la mondialisation où un Indien gagne sa vie à Dakar, un Dakarois gagne sa vie à New York, un Gabonais gagne sa vie à Paris. Que ça vous plaise ou non, c’est irréversible, alors trouvons une solution collective, ou bien déménagez d’Europe car j’ai l’intention d’y rester. [...]
Quand quelqu’un part [du pays où il est né pour rejoindre l’Europe, ndlr], c’est comme quelqu’un qui est élu, choisi, peut-être le plus débrouillard. Il y a tout un clan, ou toute une famille, qui pose son espoir sur cette personne-là. Monsieur, là, je vous vois bien habillé, bien nourri. Si vous étiez affamé chez vous, peut-être que votre famille serait ravie d’imaginer que vous pourriez aller gagner de quoi faire vivre les autres. [...]
[L’espace Schengen], quand il trouve que mon cerveau est convenable, là, il l’utilise. Par contre, ils sont embêtés à l’idée d’avoir mon frère qui n’est pas aussi diplômé que moi et qui pourrait avoir envie de travailler dans le bâtiment. Vos pays deviennent schizophrènes. On ne peut pas trier les gens comme ça, avec les étrangers utiles d’un côté et les étrangers néfastes de l’autre. [...]
Quand les pauvres viennent vers vous, il y a des mouvements de foule qu’il faut bloquer, mais quand vous, avec votre passeport et avec toutes les prétentions que cela donne, vous débarquez dans les pays du tiers-monde, là, vous êtes en terrain conquis. Donc on voit les pauvres qui se déplacent mais on ne voit pas les riches qui investissent dans nos pays. L’Afrique se développe à un taux entre 5 et 10%, ce n’est plus de la progression, c’est de la surchauffe. [...]
Sauf que quand des pays du tiers-monde se développent et qu’ils n’ont pas les moyens pour gérer tout ça, il faut une ingénierie, il faut une formation, il faut des populations pour installer une démocratie. […] Vous avez besoin qu’on reste dominés pour servir de débouchés à l’industrie européenne. Alors il faut arrêter l’hypocrisie : on sera riches ensemble ou on va se noyer tous ensemble. »