Dix choses que vous ignoriez peut-être sur Jacques Vergès
L’avocat Jacques Vergès est mort à 88 ans. De son mariage algérien à ses « grandes vacances », jusqu’au théâtre, voici le roman de sa vie.
Mort dans la chambre de Voltaire, l’amoureux de la théâtralité qu’était l’avocatJacques Vergès n’aurait pu rêver plus belle fin.
A 88 ans, il est décédé jeudi 15 août d’un arrêt cardiaque dans l’appartement du quai Voltaire, à Paris, où l’auteur de « Candide » avait émis son dernier souffle. Une amie l’hébergeait depuis qu’il était affaibli, ces derniers temps.
Devenu célèbre pour avoir défendu le nazi Klaus Barbie, le dictateur serbe Milosevic, le terroriste Carlos et bien d’autres « causes perdues » (le dirigeant khmer rouge Khieu Samphan, le philosophe négationniste Roger Garaudy, le jardinier Omar Raddad...), Jacques Vergès a eu une vie aussi opaque que lumineuse.
C’est d’abord son engagement auprès du Front de libération nationale (FLN) algérien et son mariage avec une militante de la décolonisation, Djamila Bouhired, qui en a fait l’archétype de l’avocat de combat.
Retour sur le roman de la vie de cet homme à qui Bardet Schroeder avait consacré un magnifique documentaire, « L’avocat de la terreur ».
Né d’un couple mixte
Nés en 1925 au Siam, dans ce qui est aujourd’hui la Thaïlande, Jacques et Paul sont les enfants d’un couple mixte culturellement et socialement : leur mère est une institutrice vietnamienne (qui mourra lorsqu’ils ont 3 ans) et leur père est Réunionnais, médecin et consul de France.
Mais comme le rappelle Franck Johannès dans le Monde, le père des « jumeaux » aurait fait un faux, en déclarant la naissance des deux frères le même jour, alors qu’ils avaient un an d’écart, ainsi que l’a découvert l’un de ses biographes, Bernard Violet.
Jacques Vergès serait-il plutôt né le 20 avril 1924 ? « Je m’en fous royalement », avait répondu l’avocat à Libération.
Elevés à la Réunion, les deux frères partageront plus tard nombre de combats politiques communs, le communisme et l’anticolonialisme. Elu conseiller général de l’île en 1955, son jumeau Paul Vergès a créé le Parti communiste réunionnais puis exercé de nombreux mandats politiques. Il est aujourd’hui encore sénateur.
Admirateur de De Gaulle
Jacques n’a pas 18 ans quand il s’engage auprès des Forces française libres en Angleterre. Admirateur du général de Gaulle, à qui il regrettait de n’avoir jamais pu serrer la main, Vergès a raconté au Point d’où venait cet engagement :
« Si j’ai rejoint la France libre, c’est que je conservais en moi l’image d’une France idéale, celle que l’école laïque m’a inculquée, mère des arts, des armes et des lois. Je ne pouvais me résigner à ce qu’elle disparût sous la botte allemande. »
En pleine guerre, il prend contact à Londres avec les représentants du PCF, « en prévision d’une autre guerre qui ne manquerait pas de survenir au lendemain de la victoire et que je livrerais à la France colonialiste », ajoute-t-il. En 1945, il adhère au PCF, qu’il quittera en 1957 lorsqu’il jugera le parti « trop tiède » sur l’Algérie.
Avocat parce qu’il faut bien un métier
Il choisi finalement le métier d’avocat parce qu’il faut bien un métier (« agitateur public ne fait pas une vie », dit-il), et prête serment en 1955.
« Le droit n’était pas ma vocation, j’ai étudié l’histoire et les langues, mais je me suis dit qu’avec ce métier, je serais libre. »
L’Algérie : son histoire d’amour
Pendant la guerre d’Algérie, sa fibre anticolonialiste le pousse à rejoindre le FLN et à défendre Djamila Bouhired, poseuse de bombes meurtrières à Alger.
C’est là qu’il élabore sa stratégie de « défense de rupture » : au lieu de chercher à minimiser les faits et à obtenir l’indulgence des juges, l’avocat prend l’opinion à témoin et accuse le système d’être responsable des tortures infligées aux combattants.
Sa cliente est d’abord condamnée à mort puis finalement graciée et devient une héroïne nationale en Algérie.
Jacques Vergès l’épouse, s’installe à Alger après l’indépendance, se convertit à l’islam, prend la nationalité algérienne et se fait appeler « Mansour ». Le couple a deux enfants, mais l’avocat, qui y a été chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères et fondé avec son épouse la revue tiers-mondiste, Révolution africaine, part finalement au début des années 70 pour d’autres cieux.
Neuf ans de grandes vacances
Le Monde du 26 mai 1970 publie un petit entrefilet, « Me Vergès, dont la famille était sans nouvelles depuis le 17 mars, a fait savoir à son éditeur, M. Jérôme Lindon, qu’il était en bonne santé à l’étranger ».
On sait qu’il a rencontré Mao en Chine et épousé la cause palestinienne mais, sur ce que fut sa vie entre 1970 et 1978, le mystère reste entier. Un appel à témoins avait même été lancé par ses proches dans la presse.
Un problème financier pourrait avoir été la cause de sa disparition. Le Mossad, les services secrets israéliens, voulaient le tuer car il défendait la cause palestinienne, a écrit le juge Thierry Jean-Pierre dans un livre.
Lors de son interview Point, en mars dernier, il avait à moitié levé le voile :
« Un soir de mars, ma porte s’est ouverte et le vent m’a soufflé : Pars ! , et je suis parti pour des aventures qui ont duré neuf ans. [...] J’étais un peu partout. Parti vivre de grandes aventures qui se sont soldées en désastre. Nombre de mes amis sont morts, et, pour les survivants, un pacte de silence me lie à eux. »
« Je m’aime passionnément »
Vergès a pris goût aux cigares, lorsque « le Che m’a envoyé les meilleurs Havane », se plaisait-il à raconter. Un goût du cigare qui est aussi un goût du luxe. Dans le documentaire Empreintes réalisé sur lui en 2008, il décrivait ses goûts :
« J’aime les cigares de Cuba et j’achète mes cigares. [...] J’essaie de m’habiller du mieux possible. Bon, je préfère le cachemire au coton, c’est mon goût.
D’où vient cet argent ? C’est très simple. Quand il m’arrive de défendre des princes, je leur demande des honoraires princiers. Et quand je défends des jardiniers, je ne leur demande rien. »
Dans la même émission, il déclarait aussi : « Je m’aime passionnément. »
« On est toujours le nazi de quelqu’un »
Devenu célèbre en France à partir du procès du nazi Klaus Barbie, en 1987, Jacques Vergès devient un bon client des plateaux télés.
Thierry Ardisson l’invite régulièrement depuis qu’il a déclaré sur son plateau en 1991 :
« On est toujours le nazi de quelqu’un. »
En 2002, il a l’occasion de s’expliquer plus longuement sur les raisons pour lesquelles il défendrait tout le monde. « Plus l’accusation est lourde plus le devoir de défendre est grand, comme un médecin doit soigner tout le monde », dit-il. Il s’est dit prêt à défendre Bush comme il aurait défendu Hitler, mais à condition qu’ils plaident coupables.
Anti-droit de l’hommiste
Toujours sur le plateau de Thierry Ardisson, il décrit son aversion pour le droit de l’hommisme.
Celui qui a dit que « les poseurs de bombes sont des poseurs de questions », se définissait comme un « salaud lumineux ». Il a souvent fustigé la politique étrangère de la France, ce qui l’a a mené par exemple à aller défendre Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, alors que la France soutenait Alassane Ouattara.
Acteur de son propre rôle
Sur le tard, cet amateur de littérature était devenu acteur de son propre rôle.
Dans « un monologue théâtral aux allures d’autoprocès », il avait interprété « Serial plaideur », où il replaçait la théâtralité de la justice à l’échelle de l’humanité, en convoquant Jack l’éventreur, Sophocle ou Jeanne d’Arc.
La robe et la plume
Auteur de plus d’une vingtaine de livres, dont le « Dictionnaire amoureux de la justice » (Ed. Plon), « Le Salaud lumineux » (Ed. Le livre de poche, 1992),« Justice pour le peuple serbe » (Ed. L’Age d’homme, 2003), « Beauté du crime » (Ed. Plon), « La Démocratie à visage obscène » (Ed. Table ronde, 2004), « Sarkozy sous BHL » (Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 2011)...
« De Mon Propre Aveu » de Jacques Vergès
Il aimait se comparer au livre de Bernanos« Journal d’un curé de campagne » et se voyait bien dans le rôle du personnage « qui essaie de comprendre ».
Interrogé par Sud Ouest à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, « De Mon Propre Aveu » (Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 2013), il disait :
« Il est certain qu’il y a entre la justice et la littérature un rapport très grand. La tragédie est le sujet du roman, mais aussi celui du procès. »