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LE DOPAGE, SUJET À INTENSITÉ VARIABLE SELON LES SPORTS

enquête Le 10/08/2013 Par la rédaction

Grosses enquêtes dans le cyclisme, chauvinisme et silence en natation


Il y a du dopage dans tous les sports”. Cette phrase, plutôt limpide, est signée Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, qui a rendu le 24 juillet un rapport sur le sujet. Si les médias se sont déchaînés sur le cyclisme et ses performances “surréalistes”, la natation, où la France a récolté 9 médailles, a plutôt eu bonne presse. Une différence de traitement étonnante alors que le rapport de la commission sénatoriale semblait prétendre le contraire. Pourquoi les performances des nageurs ont-elles été moins scrutées ? Enquête.

Plusieurs événements, ces derniers mois, ont fait remonter le dopage à la surface des médias. D'abord, le 10 octobre 2012, le rapport USADA (l'agence américaine de lutte contre le dopage) reconnaissant que l'US Postal (l'équipe du coureur cycliste Lance Armstrong) "était à la tête du plus sophistiqué, du plus efficace et du plus professionnel système de dopage que le sport a jamais connu". Le 18 janvier, chez Oprah Winfrey, devant des millions de téléspectateurs (nous vous le racontions ici) Armstrong avouait enfin: "Oui, je me suis dopé". Une commission d'enquête sénatoriale, présidée par Jean-François Humbert (UMP), se réunit alors et rend, cinq mois plus tard, le 24 juillet, un rapport de 238 pages. "C'est un peu tard mais c'est quand même une bonne chose", note Pierre Ballester, ancien journaliste à l’Équipe, licencié après avoir voulu mettre au jour les pratiques douteuses de certains de ses confrères dans le livre "De mon plein gré", écrit par Jérôme Chiotti. "Ca faisait quand même treize ans en France, depuis la loi Buffet, que les politiques ne s'étaient plus intéressés à ce problème. Là, avec Armstrong, ils se sont peut-être dit que bon, fallait faire quelque chose". Stéphane Mandard, directeur du service sports au Monde, préfère nuancer: "Dire que tous les sports sont touchés par le dopage, c'est faux. Quand un athlète est contrôlé positif au cannabis, comme c'est parfois le cas, ce n'est pas du dopage".

Le 25 juin, quelques jours avant le départ du centième Tour de France, un autre scandale éclate : Laurent Jalabert, consultant pour France Télévisions et chroniqueur dans l'Equipe, a été contrôlé positif en... 1998. C'est le journal L'Equipe, via son site Internet, qui sort l'info en premier. Jalabert refuse d'avouer mais décide de cesser immédiatement ses activités de consultant. Cédric Vasseur, dont le nom apparaît pourtant dans l'affaire Cofidis en 2004, le remplace au pied levé. C'est dans ce contexte que le centième Tour de France s'élance et qu'un Britannique de l'équipe Sky, pour la seconde année consécutive, survole l'épreuve. Son nom est Christopher Froome. A la télévision, le doute a fait un immense bond en avant cette année sur le service public qui n'hésite plus à s'interroger sur la "proprété" des performances des coureurs en général et de Froome en particulier. Nous vous le racontions ici. Dans la presse, le soupçon est aussi de mise. Si Libération et Le Monde dénoncent encore et toujours une farce généralisé...

(la une de Libération du 18 juillet, ci-contre, en est une illustration)picto

l’Équipe (détenu par le groupe Amaury qui via sa société ASO est l'organisateur du Tour de France) met Froome en Une le 18 juillet. Le titre est intrigant: "Froome, le dossier". A l'intérieur, Fred Grappe, docteur en sciences et entraîneur de l'équipe FDJ.fr, analyse les données livrées par l'équipe Sky au quotidien et en tire la conclusion suivante: "Ses performances sont cohérentes".

Froome Libé

 

FroomeLequipe

 

 

 

Problème: en 2001, dans une étude précise et en insistant sur le souci exacerbé du professionnalisme de l'Américain, Fred Grappe avait déjà tenté de justifier les performances de Lance Armstrong. Autre souci: en une de cette édition du 18 juillet figure une publicité Sky, l'équipe de Froome et le slogan suivant: "We salute you" ("L'équipe Sky vous salue", en français). Fabrice Jouhaud, directeur des rédactions du journal, le reconnaît. "Oui, c'était maladroit". Pierre Ballester ne veut, lui, pas croire au complot : "C'est une cohabitation malheureuse. Les gens du marketing ne connaissaient certainement pas le dossier évoqué. C'est un apparentement malheureux, il ne faut pas y voir plus".

Malgré tout, même l'Equipe se met donc à ausculter les performances et mieux, sur France Télévisions, Thierry Adam et Cédric Vasseur hurlent au dopage. Une question surgit : les journalistes sportifs seraient-ils soudainement devenus impertinents ? Les championnats du monde de natation de Barcelone, qui ont commencé une semaine après la fin du Tour de France, étaient une belle occasion de vérifier ou non cette théorie. En matière de dopage, après tout, la natation a aussi son mot à dire. Sur ce blog collectif, animé par plusieurs journalistes du Monde,Erwan Le Duc a pris soin de recenser les principaux cas de dopage en natation ces dernières années. Frédérik Bousquet, médaillé de bronze sur 50 mètres papillon et César Cielo, vainqueur du 50 mètres nage libre à Barcelone, en font partie. Or, de ces contrôles ou de ces suspensions, il n’en a jamais été question sur France Télévisions pendant les championnats du monde.

"CE N'EST PAS NOTRE RÔLE DE TRAQUER LES GENS" (BILALIAN)

 

Le doute, qui est resté collé à la roue de Froome durant toute la durée du Tour de France (contrairement à la plupart de ses adversaires) s’est littéralement noyé dans la piscine municipale de Montjuïc, choisie pour accueillir les mondiaux de natation. Les commentaires oscillaient plutôt entre un brin de chauvinisme et une différence fondamentale de traitement de la performance dans les deux disciplines sur la même chaîne.

Le doute pour le cyclisme. La joie pour la natation picto

 

Joint par @si, Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions, est d’abord surpris par la question. “Le dopage on en parle, il n’y a pas d’interdit. Mais quand il y a une affaire. Et pour l’instant, il n’y a pas d’affaire de dopage en natation”. On le relance alors sur le sort réservé aux deux disciplines, où le doute de Adam laisse en moins d’une semaine la place à l’enthousiasme d’Alexandre Boyon, le spécialiste natation. “Quand il n’y a rien, il n’y a rien ! Si demain dans la natation, des enquêtes sérieuses sont faites, on en parlera”. Et Bilalian de reconnaître que des enquêtes sérieuses ont été faites en cyclisme, "mais pas dans les autres sports".

Dans l'Equipe, en revanche, lorsque Cielo et Bousquet sont médaillés, "la première chose que je fais dans mon article, c'est rappeler leurs contrôles positifs", détaille Céline Nony, envoyée spéciale du journal à Barcelone. En effet, dans les éditions du 31 juillet et du 4 août, les contrôles positifs des deux athlètes sont mis en avant dès les premières lignes de l'article. "On se pose des questions", détaille Nony. On a même des relations compliquées avec les nageurs de Marseille, après avoir mis en doute, dans le journal, les performances de Florent Manaudou et Camille Lacourt (tous les deux médaillés à Barcelone)". D'autres doutes, par ailleurs, avaient été émis dansl'Equipe sur le parcours relativement atypique d'Alain Bernard, médaillé d'or aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008 sur 100 mètres nage libre. "On se sent obligés de poser des questions. Les nageurs aussi se posent des questions sur d'autres nageurs et nous le disent. En 2012, à Londres, le monde entier s'est posé des questions sur Ye Shiwen (la nageuse chinoise qui, sur le dernier 50 mètres de son 400 mètres 4 nages, est allée plus vite que Ryan Lochte, l'une des plus grandes stars de la natation masculine américaine). Des questions donc, mais peu de réponses.

Pour les réponses, la volonté doit venir de plus haut, juge Bilalian. “Ce sont les fédérations qui peuvent avoir une réelle influence là-dessus. Ce sont elles qui détiennent les véritables leviers”. Le dopage, toujours selon lui, ne représente d’ailleurs pas la principale menace pour le sport : “La corruption et les paris truqués me semblent une menace bien supérieure. C’est encore pire”. Et le rôle des journalistes dans tout ça ? “Leur rôle est de se faire l’écho de l’information. On ne peut pas toujours enquêter, ce n’est pas notre rôle de traquer les gens”.

"LES PLUS MAUVAIS JOURNALISTES SONT AUX SPORTS" (VAYER) 

On ne peut pas toujours enquêter, la phrase résonne étrangement. Est-il plus facile d'enquêter sur des sports où la France ne fait pas aussi bonne figure qu'en natation ? Le journaliste sportif : journaliste ou supporter ?, sempiternelle question. "Déjà, je ne suis pas journaliste sportif, je suis journaliste tout court", précise immédiatement Mandard, duMonde. Jouhaud, à l'Equipe, a une vision différente du métier : "Les gens deviennent journalistes sportifs parce qu'ils s'intéressent au sport, parce qu'ils aiment ça, ils n'ont pas franchement d'appétit pour l'investigation". Vayer, dans son style bien particulier, tranche dans le vif: "Les plus mauvais sont aux sports. La plupart des journalistes s'en foutent complètement (du dopage). C'est une question de volonté et ils ne l'ont pas, pour la plupart d'entre eux. Ils sont dans un bocal, les champions sont adulés, ils voyagent, ils sont bien, ils font la promotion du sport". Ballester, aujourd'hui auteur de plusieurs livres sur le dopage, pense que les journalistes n'ont aucun intérêt à franchir la ligne rouge :"Ça ne leur attirera que des emmerdes. Pendant des années d'ailleurs, j'ai été le récipiendaire de journalistes qui ne voulaient pas s'en occuper et me refilaient le sujet". Ce rôle est aujourd'hui celui de Damien Ressiot, journaliste d'investigation à l’Equipe, entièrement tourné vers le dopage, dans toutes les disciplines.

"LES ACCUSATIONS SANS PREUVES CONTRE FROOME SONT DE L'ASTROLOGIE JOURNALISTIQUE" (JOUHAUD, L'EQUIPE)

Pour Jouhaud, cela n'est pas vraiment un problème. Selon lui, le traitement médiatique du cyclisme dans les autres journaux, comme Le Monde ou Libération, est le symbole même de ce qu'il ne faut pas faire. "Les accusations des médias contre Froome s'apparentent à de l'astrologie journalistique! Nous, quand on a des infos, on les sort. Armstrong (en 2005, le quotidien révèle que le septuple vainqueur sur la Grande Boucle a été contrôlé positif à l’EPO lors du Tour 1999) et Jalabert, pour ne prendre que les plus connus, c'est nous ! Et quand on sort ça, on nous traite de salauds ! Faudrait savoir ! C'est très hypocrite de leur part en fait: on couvre l’événement, on profite de la caisse de résonance incroyable qu'offre le Tour de France mais on n'a aucune information, on publie une enquête à partir d'une intuition. Essayez d'appliquer le même raisonnement à un scandale politique. Imaginez un journaliste s'attaquer à un ministre sans aucune preuve, sur la base d'une intuition. Vous imaginez le scandale?".Invité à réagir, Mandard ne se fait pas prier: "Ces critiques-là, je les ai déjà entendues il y a dix ans avec le cas Armstrong. Ce sont exactement les mêmes. Ces gens-là n'ont pas retenu la leçon, c'est toujours le même aveuglement qui règne".

Reste toutefois une interrogation : le dopage sera-t-il un jour traité par les médias comme peut parfois l’être la corruption en politique ? “On ne peut pas spéculer sur le succès de ces investigations, on ne peut pas non plus anticiper la réaction du public. Le dopage a été dénoncé dans le cyclisme mais les gens sont toujours aussi nombreux au bord des routes et devant leur poste de télévision. Le problème le plus fondamental, c’est qu’en dénonçant le dopage, les gens risquent de nous accuser d’être des briseurs de mythes!", analyse BallesterPour Mandard, le problème est bien plus vaste : "J'ai essayé de le faire pendant quelques années (nous vous en parlions déjà icimais c'est encore plus compliqué qu'en politique. En France, les juges ne sont pas intéressés par les affaires de dopage. A l'époque de l'affaire Cofidis, en 2004, je l'avais déjà entendu: "Le parquet s'en fout un peu". Le cyclisme, mine de rien, c'est un petit sport. Si vous essayez par exemple de vous attaquer au football, vous ne vous attaquez pas seulement à une institution : vous touchez aussi et surtout des intérêts économiques, politiques qui sont immenses. Lors de l'affaire Puerto (large programme de dopage imaginé par le Docteur Fuentes en Espagne et mis à jour au printemps 2006) la droite et la gauche en Espagne se sont unis et le monde politique est directement intervenu pour que le scandale n'éclabousse pas le monde du foot ou du tennis. Ce n'est ni plus ni moins qu'une affaire d'Etat". Imagine-t-on en effet, le commentateur de Canal+ demander à Lionel Messi ou à Zlatan Ibrahimovic, à la fin d'une rencontre : "les yeux dans les yeux, êtes-vous dopés ?" comme l'a fait Gérard Holtz cette année sur le Tour de France face à Froome ? Pas certain...

Par Robin Andraca

MAJ dimanche 11 août 10h25 modification de la citation de Fabrice Jouhaud sur Froome, Le Monde et Libération

Mots-clés : cyclismedopageFabrice JouhaudFrance Télévisionsl'EquipeLe MondeLibérationNatationsport,sportifsStéphane MandardTour de France

 

 

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