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Syrie

  • Syrie: LETTRE OUVERTE À FRANÇOIS HOLLANDE

     
    LETTRE OUVERTE À FRANÇOIS HOLLANDE 

    Semer la sauvagerie dans nos pays se retournera contre vous

    par Hassan Hamadé

    C’est avec beaucoup d’assurance et de satisfaction que le président français, François Hollande, a reçu les Amis du Peuple syrien, le 6 juillet 2012. C’est avec orgueil qu’il leur a lu un discours, écrit pour lui par le département d’État et mal traduit en français. En quelques instants, il s’est converti en leader de l’opposition armée syrienne agitant le drapeau vert, blanc, noir de la colonisation française. Depuis, il ne perd aucune occasion de vouloir, d’annoncer, puis de renoncer à la guerre. Hassan Hamadé observe sa triste agitation.

     
     

     

    Le 6 juillet 2012, François Hollande présidait un sommet des Amis de la Syrie. Parmi les invités d’honneurs, on comptait plusieurs criminels contre l’humanité (c’est-à-dire ayant organisé l’exécution massive de personnes au seul motif de leur appartenance religieuse). Douze jours plus tard, il donnait l’ordre d’assassiner les membres du Comité syrien de Sécurité nationale et de donner l’assaut de Damas.

    Monsieur le président,

    J’ai tenu à vous adresser par la présente une parole vraie, avec l’espoir qu’elle puisse être lue avec attention par votre Excellence. Cette parole émane d’une personne admirative du patrimoine culturel français, attachée à sa diversité et à sa richesse ; un attachement d’autant plus intense que, pour lui, le grand héritage des Lumières subit de nos jours, une véritable persécution. Ses nobles principes sont brutalement écartes de la vie publique, à commencer par ceux contenus dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, énoncée le 26 août 1789, en pleine Révolution.

    C’est avant tout un héritage libre de par sa nature. Il forge, immunise et protège des êtres humains libres, tels que Dieu les a crées et voulus. Il porte en lui des valeurs humaines, sociales, qui ne peuvent être ligotées, ni refoulées dans les coulisses de la mémoire, sans que cela constitue un crime culturel contre l’humanité. Des valeurs résumées par le fameux triptyque, Liberté, Égalité, Fraternité, faisant de la Révolution française le flambeau et la boussole pour plusieurs peuples au monde et préparant le terrain à la naissance du système démocratique, en France et dans d’autres pays.

    Hélas, ces valeurs sont exclues, remplacées par une culture visant à amadouer les gens, à les priver petit à petit de leurs acquis sociaux, à les porter à accepter l’injustice sociale, voire même l’esclavage masqué, préparant ainsi la naissance d’un homme quasi-robotisé, dépourvu de dignité, de sentiment et d’ambition.

    Comment ne pas réagir face à ce contraste flagrant, révoltant, entre l’actuelle culture décadente et celle des Lumières, construite par des hommes libres qui n’ont pas hésité à annoncer leurs convictions devant le grand roi de France Louis XIII : 
    « Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes, 
    Ils peuvent se tromper comme les autres hommes ». 
    Le Cid, de Pierre Corneille, 1637, soit un siècle et demi avant la Révolution française.

    C’est cette même flamme de la liberté qui a porté le vrai philosophe Jean Paul Sartre à refuser, en 1964, le prix Nobel. Comme s’il prévoyait que ce prix allait être décerné à des politiciens tels Shimon Peres, commanditaire du massacre de Cana et père de la bombe atomique israélienne, ainsi qu’à d’autres de son genre avides de guerres d’agressions.

    Je me contenterai de ces deux exemples, riches en symboles et en significations, sans oublier de saluer la mémoire de Voltaire, de Rousseau et d’autres phares de la culture franco-universelle, pionniers et contemporains.

    Monsieur le président

    Comment se fait-il que cet héritage fantastique n’a plus droit de cité dans les choix politiques actuels de la France ? Est-il possible qu’il en demeure ainsi ? Comment ne pas poser ces questions alors nous assistons à des transformations rapides dans le conflit en Syrie, dont vous êtes un des principaux intervenants étrangers, depuis sa conception et sa préparation par le camp militaro-politique auquel vous appartenez, sans jamais parvenir à influencer les choix décisifs. Ces transformations ainsi que leurs répercussions et les indications dangereuses qu’elles portent, justifieraient une simple question : n’avez-vous donc pas pensé, ne serait-ce qu’un instant, à l’éventualité de voir votre principal allié, les États-Unis vous réserver une mauvaise surprise, récidivant sa perfidie de 1956 qui avait réduit en cendres les espoirs franco-britanniques de récupérer les propriétés coloniales nationalisées par le président Gamal Abdel Nasser ? Une volte face qui a facilité la défaite humiliante des deux ex-empires européens, remplacés par le fameux condominium soviéto-états-unien avec l’entrée triomphale de Moscou sur la scène régionale etc..

    Nul chef d’État ne peut se payer le luxe d’ignorer les leçons de l’Histoire. Elles doivent être prises en compte dans les analyses et les prévisions qui précèdent l’action dans les crises internationales.

    Monsieur le président,

    Vous avez fait preuve d’un enthousiasme étrange pour renverser militairement l’État syrien. Vous étiez même prêts à participer à une vaste offensive de l’Otan, sous le prétexte de la nécessité de trancher à tout prix, d’autant que vos alliés sur le terrain se montraient incapables d’arriver au but. N’avez-vous pas remarqué que ces massacres, perpétrés depuis plus de deux ans et sept mois, ne sont pas moins que la destruction totale de la Syrie en tant qu’État et société ? Une question clé se pose ici : renverser un régime que vous décrivez des plus despotiques au monde, justifierait-il la destruction du pays en entier pour le transformer en un vaste cimetière ? Quel est donc ce système démocratique qui naîtra des cimetières ?

    Vous avez manifesté une très ferme détermination à engager l’Otan dans une guerre d’agression contre la Syrie au motif que « le régime » utiliserait des armes chimiques. Soit. Vous avez approuvé a priori la décision US, annoncée publiquement, de recourir pour cette expédition « punitive » à des missiles de croisière Tomahawk. Cependant, nous savons d’après l’expérience irakienne, que les États-Unis, utilisant une technique française, les équipent d’ogives couvertes d’uranium appauvri et ce pour deux raisons. 
    La première c’est le besoin de se débarrasser d’une partie de l’énorme stock d’uranium appauvri en le vidant sur des pays destinés à être détruits, sans tenir compte des conséquences catastrophiques que cela pourrait avoir sur l’environnement et la santé des générations à venir des peuples cibles. 
    La deuxième raison est économique. Car les armes à uranium appauvri ont une capacité de destruction et de pénétration des blindages nettement supérieure aux armes conventionnelles. L’effet direct de ce procédé permet une réduction substantielle des coûts et des dépenses de la guerre. Les États-Unis ont ainsi utilisé, lors de la guerre de destruction de l’Irak en 2003, plus de 2 800 tonnes d’uranium appauvri, selon les témoignages précis d’experts internationaux réputés pour leurs compétences scientifiques et leur intégrité morale, tels qu’Hans Christopher Van Spoonek ou Denis Halliday. 
    La morale de cette histoire : vous êtes résolument opposé à l’extermination des populations en Syrie par des armes chimiques, mais vous ne trouvez pas d’inconvénient dans leur extermination par les armes nucléaires ! Étrange est vôtre logique.

    Comme vous le constatez, Monsieur le président, j’évite d’avancer une quelconque opinion quant à la véracité des accusations que vous portez sur l’usage d’armes chimiques par l’État syrien. Cependant, il m’est extrêmement difficile d’ignorer les affirmations du juge international, Carla Del Ponte. La magistrate a déterminé, preuves à l’appui, la responsabilité directe des opposants armés dans l’utilisation d’armes chimiques contre des civils à Khan Al-Assal. Je ne conteste pas la sincérité de vos accusations parce que vous insistez toujours pour ignorer les massacres commis par les terroristes, vos alliés. Depuis plus de deux ans et sept mois, l’Otan n’en a dénoncé aucun. Pas même un seul. Ce comportement, pour étrange qu’il puisse paraître, s’inscrit dans la logique qui guide les choix du commandement de l’Alliance atlantique dans la confrontation internationale qui se déroule en Syrie. Votre camp procède au ramassage des « djihadistes »(d’Al-Qaïda et de ses dérivés) et à leur transfert vers la Syrie. Il se charge de leur fournir les armes sophistiquées et la logistique nécessaire à l’accomplissement de leurs missions destructrices. Aujourd’hui, les masques sont tombés. Ce n’est que par respect pour votre prestigieuse fonction présidentielle que je m’abstiendrai de tout commentaire des déclarations compromettantes d’officiels français de haut rang, tels par exemple les dires de votre ministre des Affaires étrangères (dont le génie, les compétences et les performances diplomatiques ne peuvent passer inaperçus). Selon lui, « Les gars d’Al-Nosra font du bon boulot sur le terrain ». Cette déclaration, déjà gravée dans les Annales de ce conflit, est certes antérieure à l’annonce officielle de la fusion de leurs structures organisationnelles avec celles d’Al-Qaïda en Mésopotamie, mais bien ultérieure à de multiples massacres perpétrés par « Al-Nosra » dans différentes régions de Syrie.

    Monsieur le président,

    Pour comprendre la politique d’un pays il faudrait tout d’abord avoir ne serait-ce qu’un simple aperçu de son patrimoine culturel. Partant de ce principe, j’ai tenu à évoquer le patrimoine culturel français et son rôle déterminant dans le façonnage de la démocratie française et dans le rayonnement de vôtre pays. Mais, comme je l’ai évoqué plus haut, ce patrimoine se trouve, hélas, persécuté. Pourquoi en est-il ainsi ? Tout simplement parce que, de nos jours, il n’a plus droit de cité, ni dans la vie publique ni dans les choix diplomatiques. Il suffit simplement d’observer, de près, les modalités du fonctionnement des médias pour se rendre compte que la culture prédominante dans ce milieu est quasiment réduite à des stéréotypes dont l’unique mission est de lancer des campagnes de propagande en faveur du bellicisme états-unien et de ses entreprises guerrières sur la scène internationale.

    Justifier les « guerres d’agressions » et le « chaos constructeur », dont les théories sont mises en place à Washington par « les princes de l’obscurité », telle semble-il est la principale mission politique des « grand intellectuels » qui monopolisent vos écrans. Terrible fracture entre aujourd’hui et hier. André Malraux fut le philosophe et le penseur le plus proche de l’esprit et du cœur du général De Gaulle. Permettez-moi, Monsieur le président, de vous poser une question qui pourrait paraitre naïve : quel est le philosophe ou le penseur le plus proche de votre esprit et de votre cœur ? Est-ce Bernad-Henri Lévy, Alain Alain Finkielkraut ou d’autres parmi les fervents thuriféraires des guerres de l’Otan ? Des « intellectuels » qui défendent un concept politique visant, conformément aux directives de Washington et d’Israël, à « semer la sauvagerie » (selon l’expression du penseur libanais Youssef Aschkar) dans nos pays, avoisinants l’Europe. Des « intellectuels » qui ne réalisent pas qu’en implantant la sauvagerie dans nos terres, c’est à l’Union européenne qu’il font le plus grand tort. Des « intellectuels » monopolisant les médias et les transformant, avec l’aide des patrons du monde de la finance et des complexes militaro-industiels, en outils de terrorisme, menaçant quiconque oserait exprimer son refus de se soumettre au diktat de la « pensée unique ».

    Comme vous le savez bien, la « pensée unique » est une rhétorique idéologique, injuste de nature, qui mène la plupart du temps aux pires aboutissements. Dans le livre de Youssef Aschkar, intitulé La Mondialisation de la terreur [1], il apparait clairement que « ce qui se passe actuellement dans la Méditerranée et ce qui pourrait s’y passer est dangereux, abominable et destiné à l’être encore d’avantage si l’on permet à cette percée idéologique monstrueuse avec toutes ces facettes, de conduire cette opération qui consiste à "semer la sauvagerie" au point de non-retour, où tous les partenaires de la Méditerranée, en premier les Européens, découvriront trop tard qu’ils sont en face d’un courant incontournable et devant des dégâts et des dommages à jamais irréparables ».

    Excusez-moi si j’ai utilisé le terme « terrorisme » en évoquant vos médias qui incitent à « semer la sauvagerie » et à mener des guerres offensives contre nos pays. Et je ne suis pas le seul à le dire. Votre prédécesseur, le président Nicolas Sarkozy a reconnu cette réalité lorsqu’il s’était plaint durant sa dernière campagne électorale d’être devenu la cible du « terrorisme du système médiatique ». C’est un aveu, qui sert désormais de référence, une confirmation que vos média exercent le terrorisme. Des médias terroristes. Le président Sarkozy va même jusqu’à évoquer l’existence d’un « système » médiatique terroriste. Et comme vous le savez, Monsieur le président, le terme « système » dans ce contexte porte une connotation fort péjorative, car il englobe également la propagande du « discours unique » qui est loin d’être une attribution des démocraties.

    Cette opinion, fort précise, converge avec la vôtre, Monsieur le président, voire même la complète. Comment ? Vous avez, Monsieur le président, proclamé de vive voix lors de la même campagne électorale, dans un discours que vous avez prononcé en janvier 2012 à l’aéroport du Bourget : « J’ai un adversaire, et mon adversaire n’a ni visage ni adresse, ni parti politique, il ne se porte pas candidat aux élections, mais c’est lui qui gouverne. C’est le monde de la finance ».

    Vous avez fort raison, Monsieur le président. Vos paroles sont très claires. Le pouvoir réel dans votre pays ne réside plus dans les institutions constitutionnelles du « Pouvoir ». Le temps, à ce qu’il parait, est devenu celui de la post-démocratie. C’est l’ère de « l’oligarchie », le pouvoir de la finance. D’ailleurs le « néolibéralisme », qui est la forme la plus brutale du capitalisme déchaîné, ne peut coexister avec les systèmes démocratiques. Le néolibéralisme enfante des dictatures proclamées ou camouflées. Nous ne sommes donc pas étonnés de voir les médias érigés en « système » terroriste, sachant qu’ils appartiennent en majorité aux grands capitaux, aux complexes militaro-industriels et au monde de la finance. Ceci étant, il est normal que leur vocation devienne l’implantation de la sauvagerie, non seulement dans nos pays, mais dans les vôtres aussi… Pouvons-nous par exemple reprendre les mots de Pierre Corneille sur les erreurs des rois et remplacer le vocable « rois » par « néolibéralisme » ? … ou employer le mot « Israël » à la place « des « rois » ?

    Nous sommes devant plusieurs éléments qui constituent le grand puzzle de la scène globale, dans votre pays comme dans le nôtre et dans le monde entier. Ce paysage est réel. Il ne peut être éclipsé, ni rendu crédible par les prétextes avancés pour détruire un pays en entier : tuer ses habitants, éradiquer sa société, ses fondements économiques, culturels, environnementaux et existentiels, tout en y semant la sauvagerie pour le « renvoyer à l’âge de la pierre » comme le répètent, en toute arrogance, sans jamais être critiqués, les dirigeants des États-Unis et d’Israël quand il s’agit de faire souffrir nos pays. Y a-t-il un terrorisme plus terrible que d’anéantir des peuples et des pays entiers pour les renvoyer à « l’âge de la pierre » ?

    N’est-ce pas l’apogée du terrorisme que de soumettre les peuples de Syrie, du Liban et de Palestine — durant trois mois — aux menaces d’une guerre de destruction massive, par des missiles de croisière qui rappellent la destruction de l’Irak avec les mêmes armes à l’uranium appauvri ?

    Monsieur le président, si vous aviez visité la Syrie, le Liban ou la Palestine, et aviez eu des contacts directs avec ses peuples, vous auriez rencontré un chauffeur de taxi qui vous aurait récité des poèmes de Victor Hugo. Je vous demande, vous qui êtes si enthousiaste pour la destruction de nos pays : avez-vous lu de votre vie, l’ouvrage d’un seul intellectuel syrien ?…

    Monsieur le président,

    Je vous invite à envoyer une invitation à la grande chercheuse, Hoda Abdel Nasser, pour qu’elle vous présente les précieuses lettres échangées entre son père, le président Gamal Abdel Nasser, et le général De Gaulle. Ce serait peut-être un moyen pour vous de vous soigner de ce « prurit belliqueux » qui atteint certain chefs d’États. D’autant que Washington a brusquement fait volte-face, sans prendre votre avis, comme lors de l’agression tripartite contre Suez. Je vous conseille également de lire 1956, Suez, un ouvrage écris par l’ancien ministre français des Affaires étrangères, le diplomate chevronné Christian Pineau.

    Croyez-moi, Monsieur le président, seule la culture est capable de stopper l’avancée de cette stratégie diabolique visant a implanter la sauvagerie et à renvoyer nos pays à « l’âge de la pierre ».

    Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir prendre en considération cet humble conseil provenant d’un allié de l’opposition démocratique syrienne, qui a refusé, dès le début, la militarisation de l’opposition, l’argent corrompu des pays du Golfe, vos ingérences destructrices et le maintien en place du régime au pouvoir. Je parle de l’opposition démocratique que vous-même avez refusé d’écouter, bien que nul en Syrie ne doute de sa sincérité.

    Je réitère mes remerciements pour toute l’attention que vous pourriez réserver à cette parole vraie car elle tient à la sauvegarde des relations de respect et d’amitié entre nos pays et la France.

    As Salam Aleiqom (La paix soit avec vous).

    Source 
    As-Safir (Liban)

  • Un autre regard sur la Syrie

    Pourquoi ne pas reconnaître le Rojava ?

     
    Carol Mann, sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflit armé, directrice de l’association Women in War est de retour de Syrie. Elle pose un regard critique sur le traitement médiaitique des événements qui ont endeuillé la France et la Tunisie. Et rappelle le silence autour des combats du Rojava.

     

    Revenant tout juste d’un voyage au Rojava, au nord-est de la Syrie, je ne peux que m’indigner de la façon dont les médias occidentaux, dont la France, réagissent aux attentats terroristes perpétrés vendredi sur divers partie du globe.



    En France, on a surtout souligné ce qui s’était déroulé en Tunisie et en France, pour mettre en exergue, comme l’affirme l’éditorial du Monde du dimanche 27 juin dernier « une réaffirmation ferme unanime et permanente de nos valeurs démocratiques ». Comme si ce lien ne concernait pas d’autres carnages mentionnés au passage, soit le Koweït, la Somalie et plus particulièrement en ce qui concerne la démocratie, celui qui a eu lieu à Kobané, dans le Kurdistan syrien. Ce massacre a fait plus de victimes qu’ailleurs (plus de 200 et autant de blessés) sans compter les 70 personnes qui sont encore otages aux mains de terroristes.



    En janvier 2014, la ville de Kobané, on s’en souviendra, a finalement été prise aux forces de l’E.I. par l’armée du Kurdistan syrien appelé « Rojava », région kurde au nord-est de la Syrie, autonome depuis la fin 2013. Elle est dirigée par le Parti d’Union Démocratique (PYD), lié au PKK en Turquie, gérée par un binôme masculin-féminin, Salih Muslim et Asya Abdullah, reçue en février dernier par le Président Hollande sans qu’un quelconque accord d’aide ne s’ensuive. La présence d’hommes et de femmes à la tête de toutes les institutions est une caractéristique du Rojava, y compris dans l’armée où 40% des effectifs sont des jeunes femmes, les fameuses combattantes kurdes tant médiatisées.

    Le Rojava non seulement conduit la principale campagne militaire cohérente contre les djihadistes de l’EI (en dépit du manque chronique d’armement). Mais il leur oppose une idéologie démocratique, unique dans cette aire géographique, fondée sur ce qui est appelé le communalisme libertaire (basé sur les théories tardives du penseur anarchiste américain Murray Bookchin), pacifique et égalitaire que le leader turc emprisonné Abdullah Ocalan a adopté depuis quelques années, opérant une reconversion radicale du Marxisme-Leninisme violent qui caractérisait autrefois le PKK. Contrairement au Kurdistan irakien avec lequel les médias confondent le Rojava (délibérément ? on peut se le demander), le PYD ne nourrit pas la moindre ambition territoriale et cherche simplement à être une région autonome dans une Syrie pacifique et démocratique. Ici toutes les nationalités et les religions ont le droit de citoyenneté, à condition de se conformer à la législation égalitaire tout à fait opposée à tous les pays de la région où la Charia et son code de la famille dominent.



    Le Rojava constitue le seul rempart militaire et idéologique contre le délire fasciste des jihadistes de l’État Islamique. Pourquoi donc ce silence véritablement mortifère ? Alors que le PKK est toujours sur la liste des organisations terroristes (ce qui n’est plus le cas depuis peu du Hamas), le PYD n’y a jamais figuré. Pourquoi alors ce silence de la part des médias et des pouvoirs, en particulier en France ? C’est que la reconnaissance ouverte du Rojava mettrait en cause les alliances tissées entre la France. Principalement notre grand allié de l’OTAN, la Turquie qui laisse libre passage aux recrues de l’EI qu’ils soutiennent sans discrétion, et les Émirats, ces derniers étant, eux aussi des bailleurs de fonds de l’E.I. ainsi que de nombreuses institutions françaises (le Qatar pour le PSG et les mosquées salafistes entre tant d’autres). Le prix à payer pour une équipe de football se compte en candidats français et françaises pour le Djihad, celles-ci étant toujours plus nombreuses à gagner la Syrie par la Turquie. Des jeunes venus du monde entier rejoignent eux-aussi (mais discrètement) la révolution du Rojava (ce qui sera le sujet d’un article que je publierai prochainement).



    Reconnaître le Rojava et l’urgence de l’armer signifierait également l’obligation d’admettre l’échec cuisant de la coalition internationale contre l’E.I. qui, au bout d’un an d’existence, est plus fort que jamais. On a voulu combattre le « terrorisme » (jamais vraiment explicité) comme s’il s’agissait de l’ébola ou d’un tsunami, autrement dit en évacuant toute dimension politique qui mettrait en cause les principaux acteurs, y compris la France et ses partenaires politiques et économiques.
    Il faut à présent choisir son camp. Arrêter de faire une publicité sournoise et continue à l’EI en les présentant comme invincibles. Car ils ne le sont pas, loin s’en faut si nos gouvernements veulent bien agir autrement. Au centre des prises de position qui s’avèrent essentielles se situe le choix rationnel des alliances et une réflexion sur notre stratégie géopolitique actuelle fondée sur des priorités économiques quasiment suicidaires. Et en même temps, soutenir le Rojava comme seule option démocratique de la région est centrale à toute solution pacifique pour mettre fin à une série de conflits dans laquelle la planète entière est en train de sombrer.

  • La Syrie a changé

    « SOUS NOS YEUX »

     

    La couverture médiatique de la guerre en Syrie ne porte que sur les actions militaires, humanitaires et diplomatiques. Elle laisse de côté la profonde transformation du pays. Pourtant, on ne survit pas à cet océan de violence sans changer profondément. De Damas, où il vit depuis deux ans, Thierry Meyssan décrit cette évolution.

     | DAMAS (SYRIE) | 4 NOVEMBRE 2013 
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    Damas, la plus vieille ville habitée du monde

    De passage à Damas, l’envoyé spécial des secrétaires généraux de la Ligue arabe et de l’Onu, Lakhdar Brahimi, a présenté « son » projet de conférence de paix, Genève 2. Une conférence dont l’objectif serait de mettre fin à la « guerre civile ». Cette terminologie reprend l’analyse d’un camp contre un autre, de ceux qui affirment que ce conflit est une suite logique du « printemps arabe », contre ceux qui soutiennent qu’il a été fabriqué, alimenté et manipulé de l’extérieur.

    La guerre selon l’opposition armée

    Pour les Occidentaux et la majorité de la Coalition nationale, la Syrie vit une révolution. Son peuple s’est soulevé contre une dictature et aspire à vivre dans une démocratie comme aux États-Unis. Cependant cette vision des choses est démentie par le Conseil de coopération du Golfe, le Conseil national syrien et l’Armée syrienne libre. Pour eux, le problème n’est pas celui de la liberté, mais de la personnalité de Bachar el-Assad. Ils se contenteraient de conserver les mêmes institutions si le président acceptait de laisser sa place à un de ses vice-présidents. Toutefois, cette version est à son tour démentie par les combattants sur le terrain, pour qui le problème n’est pas la personnalité du président, mais la tolérance qu’il incarne. Leur but est d’instaurer un régime de type wahhabite où les minorités religieuses seraient soit soumises, soit détruites, et où la Constitution serait remplacée par la Charia.

    La liberté d’expression

    Au début, lorsque des snipers tuaient des gens, on disait que c’était des tireurs du régime qui cherchaient à imposer la peur. Lorsque des voitures explosaient, on disait que c’était une attaque perpétrée par les services secrets sous faux drapeau. Lorsque un gigantesque attentat a tué les membres du Conseil de sécurité, on accusait Bachar el-Assad d’avoir éliminé ses rivaux. Aujourd’hui, plus personne n’a de doute : ces crimes étaient l’œuvre des jihadistes et ils ne cessent d’en commettre.

    Au début, il y avait la loi d’urgence. Depuis 1963, les manifestations étaient interdites. Les journalistes étrangers ne pouvaient entrer qu’au compte-goutte et leurs activités étaient étroitement surveillées. Aujourd’hui, la loi d’urgence a été levée. Il n’y a toujours que peu de manifestations parce qu’on craint des attentats terroristes. Les journalistes étrangers sont nombreux à Damas. Ils évoluent librement sans aucune surveillance. La plupart continuent pourtant à raconter que le pays est une horrible dictature. On les laisse faire en espérant qu’ils se lasseront de mentir lorsque leurs gouvernements cesseront de prêcher le « renversement du régime ».

    Au début, les Syriens ne regardaient pas les chaînes de télévision nationales. Ils les considéraient comme de la propagande et leur préféraient Al-Jazeera. Ils suivaient ainsi en direct les exploits des « révolutionnaires » et les crimes de la « dictature ». Mais avec le temps, ils se sont trouvés confrontés directement aux événements. Ils ont vu par eux-mêmes les atrocités des peudos-révolutionnaires et, souvent, ils n’ont dû leur salut qu’à l’armée nationale. Aujourd’hui, les gens regardent beaucoup plus les télévisions nationales, qui sont plus nombreuses, et surtout une chaîne libano-irakienne, Al-Mayadeen, qui a récupéré l’auditoire d’Al-Jazeera dans l’ensemble du monde arabe et qui développe un point de vue nationaliste ouvert.

    La liberté de conscience

    Au début, l’opposition armée se disait pluri-confessionnelle. Des personnes issues de minorités religieuses la soutenaient. Puis, il y eut les tribunaux islamiques qui condamnèrent à mort et égorgèrent les « mauvais » sunnites, « traîtres » à leur communauté ; les alaouites et les chiites, torturés en public ; et les chrétiens expulsés de leurs maisons. Aujourd’hui, chacun à compris que l’on est toujours hérétique lorsque l’on est jugé par des « purs », des takfiristes.

    Alors que des intellectuels affirment que la Syrie a été détruite et qu’il faut la redéfinir, les gens savent ce qu’elle est et sont souvent prêts à mourir pour elle. Il y a dix ans, chaque famille avait un adolescent qu’elle tentait de faire échapper au service militaire. Seuls les pauvres envisageaient de faire carrière sous les drapeaux. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes s’engagent dans l’armée et leurs aînés dans les milices populaires. Tous défendent la Syrie éternelle où se côtoient différentes communautés religieuses, ils vénèrent ensemble le même Dieu lorsqu’ils en ont un.

    Au cours du conflit, beaucoup de Syriens ont eux-mêmes évolué. Au début, ils observaient majoritairement les événements en se tenant à l’écart, la plupart affirmant ne se reconnaître dans aucun camp. Après deux ans et demi de terribles souffrances, chacun de ceux qui sont restés dans le pays a dû choisir pour survivre. La guerre n’est plus qu’une tentative des puissances coloniales de souffler sur les braises de l’obscurantisme pour brûler la civilisation.

    La liberté politique

    Pour moi, qui connait la Syrie depuis une dizaine d’années et vit à Damas depuis deux ans, je mesure à quel point le pays a changé. Il y a dix ans, chacun racontait à voix basse les problèmes qu’il avait rencontré avec les mukhabarats, qui se mêlaient de tout et de n’importe quoi. Dans ce pays, dont le Golan est occupé par Israël, les services secrets avaient en effet acquis un pouvoir extravagant. Pourtant, ils n’ont rien vu et rien su de la préparation de la guerre, des tunnels que l’on creusait et des armes que l’on importait. Aujourd’hui, un grand nombre d’officiers corrompus s’est enfui à l’étranger, les mukhabarats se sont recentrés sur leur mission de défense de la patrie et seuls les jihadistes ont à s’en plaindre.

    Il y a dix ans, le parti Baas était constitutionnellement le leader de la nation. Il était seul autorisé à présenter des candidats aux élections, mais il n’était déjà plus un parti de masse. Les institutions s’éloignaient progressivement des citoyens. Aujourd’hui, on a du mal à suivre la naissance des partis politiques tant ils sont nombreux. Chacun peut se présenter aux élections et les gagner. Seule l’opposition « démocratique » a, depuis Paris et Istanbul, décidé de les boycotter plutôt que de les perdre.

    Il y a dix ans, on ne parlait pas de politique dans les cafés, seulement à la maison avec les gens que l’on connaissait. Aujourd’hui, tout le monde parle politique, partout, dans les zones contrôlées par le gouvernement et jamais dans celles contrôlées par l’opposition armée.

    Où est la dictature ? Où est la démocratie ?

    Réactions de classe

    La guerre, c’est aussi un conflit de classe. Les riches, qui disposent d’avoirs à l’étranger, sont partis lorsque Damas a été attaqué. Ils aimaient leur pays, mais surtout protégeaient leurs vies et leurs biens. 
    Les bourgeois étaient terrorisés. Ils payaient l’impôt « révolutionnaire » lorsqu’on les insurgés l’exigeaient, et affirmaient soutenir l’État lorsque l’armée les questionnait. Inquiets, ils attendaient le départ du président El-Assad qu’Al-Jazeera annonçait comme imminent. Ils ne sont sortis de leur angoisse que lorsque les États-Unis ont renoncé à bombarder le pays. Aujourd’hui, ils ne songent qu’à se racheter en finançant les associations des familles de martyrs. 
    Le petit peuple savait lui, depuis le départ, ce qu’il en était. Il y avait ceux qui voyaient dans la guerre un moyen de se venger de leurs conditions économiques, et ceux qui voulaient défendre la liberté de conscience et la gratuité des services publics.

    Les États-Unis et Israël, la France et le Royaume-Uni, la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, qui ont livré cette guerre secrète et qui l’ont perdue, n’anticipaient pas ce résultat : pour survivre, la Syrie a libéré ses énergies et a retrouvé sa liberté.

    Si la conférence de Genève 2 se tient, les grandes puissances ne pourront rien y décider. Le prochain gouvernement ne sera pas le fruit d’un arrangement diplomatique. Le seul pouvoir de la conférence sera de proposer une solution qui ne pourra être appliquée qu’après avoir été ratifiée par un référendum populaire.

    Cette guerre a saigné la Syrie, dont la moitié des villes et des infrastructures ont été détruites pour satisfaire les appétits et les fantasmes des puissances occidentales et du Golfe. Si quelque chose de positif devait surgir de Genève 2, ce serait le financement de la reconstruction par ceux qui ont fait souffrir le pays.

    Source 

  • Concernant la Syrie

    Remarques éthiques concernant la Syrie

    La conférence de Genève 2 est dans l’impasse car l’opposition armée, soutenue par l’Arabie saoudite, pose comme condition préalable à sa participationl’abdication du président Bachar el-Assad. C’est dans ce contexte que les pères provinciaux de la Compagnie de Jésus rappellent des points élémentaires que les gouvernements occidentaux semblent avoir oubliés.

     | ROME (ITALIE) | 4 NOVEMBRE 2013 
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    Nous les Provinciaux Jésuites, en tant que Supérieurs majeurs de la Compagnie de Jésus au Proche-Orient et en Europe, accueillons chaleureusement la récente déclaration du Saint-Père sur la Syrie. De toutes ses forces, il a alerté l’opinion internationale sur la tragédie syrienne et a demandé aux « parties en conflit d’écouter la voix de leur conscience et de ne pas s’enfermer dans leurs propres intérêts ». Avec lui, nous déclarons aussi que « ce n’est jamais l’usage de la violence qui conduit à la paix » [1], mais que la seule voie pour la paix se trouve dans la culture de la rencontre et du dialogue.

    Des pas vers la paix

    Nous nous réjouissons que la menace d’attaques aériennes contre la Syrie ait cessé et nous soutenons le lancement du processus qui vise à la destruction de toutes les armes chimiques trouvées sur le sol syrien. Nous soutenons les négociations entreprises pour convoquer une conférence de paix pour la Syrie et nous souhaitons fortement que ce processus de paix avance rapidement, courageusement et fermement. Nous demandons à toutes les parties en conflit, aussi bien qu’à la communauté internationale, 
    - de rechercher de façon urgente un cessez-le-feu garanti par une autorité internationale ; 
    - d’établir une feuille de route pour préparer la réunion de toutes les parties prenantes du conflit ; 
    - de réunir une conférence de paix pour trouver un accord commun qui puisse sauvegarder les vies des Syriens.

    Mobilisation sociale et civile

    En même temps, nous appelons de nouveau à la mobilisation de tous les organismes civils et sociaux afin d’aider la population syrienne qui doit faire face à l’une des plus grandes tragédies humanitaires de notre siècle. L’assistance aux réfugiés à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du pays (environ un quart de la population), le besoin de nourriture, de médicaments et de soins, la libération des détenus et des otages et la réouverture des institutions d’éducation, continuent d’être des besoins urgents.

    Intérêts en jeu

    Nous souhaitons aussi attirer l’attention sur la nécessité de reconnaître et de nommer les intérêts réels qui sont en jeu, à la fois localement, régionalement et internationalement, et qui malheureusement ne correspondent pas toujours aux intérêts du peuple syrien. En particulier, nous appelons à une réflexion sur les conséquences de la production et de la vente d’armes ; nous appelons à la cessation des livraisons et des ventes d’armes à toutes les parties en conflit.

    Discernement nécessaire

    Nous invitons la communauté internationale au refus de tout soutien, qu’il soit diplomatique ou militaire, de toute partie en présence qui préconise ouvertement quelque forme que ce soit de violence, de fanatisme ou d’extrémisme. Le respect de la dignité de la personne humaine aussi bien que de ses droits devrait constituer un préliminaire pour toute aide matérielle et un critère incontournable.

    Les communautés chrétiennes en Syrie

    Enfin, nous attirons particulièrement l’attention sur le sort des communautés chrétiennes vivant en Syrie. Présentes sur place depuis le commencement de l’ère chrétienne, ces communautés constituent un élément inséparable de son tissu social et de sa richesse culturelle ; elles contribuent aussi activement à son développement. Les solutions préconisant l’exil ou l’élimination de ces communautés sont inacceptables. Nous voulons encourager ces communautés chrétiennes et leur assurer qu’elles peuvent jouer un rôle important dans leurs sociétés à travers leur témoignage fidèle à l’Évangile : un Évangile qui appelle à la paix, à la justice, au pardon, à la compréhension mutuelle et à la réconciliation.

  • La Syrie a changé

    « SOUS NOS YEUX »

    La Syrie a changé

    La couverture médiatique de la guerre en Syrie ne porte que sur les actions militaires, humanitaires et diplomatiques. Elle laisse de côté la profonde transformation du pays. Pourtant, on ne survit pas à cet océan de violence sans changer profondément. De Damas, où il vit depuis deux ans, Thierry Meyssan décrit cette évolution.

     | DAMAS (SYRIE) | 4 NOVEMBRE 2013 
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    Damas, la plus vieille ville habitée du monde

    De passage à Damas, l’envoyé spécial des secrétaires généraux de la Ligue arabe et de l’Onu, Lakhdar Brahimi, a présenté « son » projet de conférence de paix, Genève 2. Une conférence dont l’objectif serait de mettre fin à la « guerre civile ». Cette terminologie reprend l’analyse d’un camp contre un autre, de ceux qui affirment que ce conflit est une suite logique du « printemps arabe », contre ceux qui soutiennent qu’il a été fabriqué, alimenté et manipulé de l’extérieur.

    La guerre selon l’opposition armée

    Pour les Occidentaux et la majorité de la Coalition nationale, la Syrie vit une révolution. Son peuple s’est soulevé contre une dictature et aspire à vivre dans une démocratie comme aux États-Unis. Cependant cette vision des choses est démentie par le Conseil de coopération du Golfe, le Conseil national syrien et l’Armée syrienne libre. Pour eux, le problème n’est pas celui de la liberté, mais de la personnalité de Bachar el-Assad. Ils se contenteraient de conserver les mêmes institutions si le président acceptait de laisser sa place à un de ses vice-présidents. Toutefois, cette version est à son tour démentie par les combattants sur le terrain, pour qui le problème n’est pas la personnalité du président, mais la tolérance qu’il incarne. Leur but est d’instaurer un régime de type wahhabite où les minorités religieuses seraient soit soumises, soit détruites, et où la Constitution serait remplacée par la Charia.

    La liberté d’expression

    Au début, lorsque des snipers tuaient des gens, on disait que c’était des tireurs du régime qui cherchaient à imposer la peur. Lorsque des voitures explosaient, on disait que c’était une attaque perpétrée par les services secrets sous faux drapeau. Lorsque un gigantesque attentat a tué les membres du Conseil de sécurité, on accusait Bachar el-Assad d’avoir éliminé ses rivaux. Aujourd’hui, plus personne n’a de doute : ces crimes étaient l’œuvre des jihadistes et ils ne cessent d’en commettre.

    Au début, il y avait la loi d’urgence. Depuis 1963, les manifestations étaient interdites. Les journalistes étrangers ne pouvaient entrer qu’au compte-goutte et leurs activités étaient étroitement surveillées. Aujourd’hui, la loi d’urgence a été levée. Il n’y a toujours que peu de manifestations parce qu’on craint des attentats terroristes. Les journalistes étrangers sont nombreux à Damas. Ils évoluent librement sans aucune surveillance. La plupart continuent pourtant à raconter que le pays est une horrible dictature. On les laisse faire en espérant qu’ils se lasseront de mentir lorsque leurs gouvernements cesseront de prêcher le « renversement du régime ».

    Au début, les Syriens ne regardaient pas les chaînes de télévision nationales. Ils les considéraient comme de la propagande et leur préféraient Al-Jazeera. Ils suivaient ainsi en direct les exploits des « révolutionnaires » et les crimes de la « dictature ». Mais avec le temps, ils se sont trouvés confrontés directement aux événements. Ils ont vu par eux-mêmes les atrocités des peudos-révolutionnaires et, souvent, ils n’ont dû leur salut qu’à l’armée nationale. Aujourd’hui, les gens regardent beaucoup plus les télévisions nationales, qui sont plus nombreuses, et surtout une chaîne libano-irakienne, Al-Mayadeen, qui a récupéré l’auditoire d’Al-Jazeera dans l’ensemble du monde arabe et qui développe un point de vue nationaliste ouvert.

    La liberté de conscience

    Au début, l’opposition armée se disait pluri-confessionnelle. Des personnes issues de minorités religieuses la soutenaient. Puis, il y eut les tribunaux islamiques qui condamnèrent à mort et égorgèrent les « mauvais » sunnites, « traîtres » à leur communauté ; les alaouites et les chiites, torturés en public ; et les chrétiens expulsés de leurs maisons. Aujourd’hui, chacun à compris que l’on est toujours hérétique lorsque l’on est jugé par des « purs », des takfiristes.

    Alors que des intellectuels affirment que la Syrie a été détruite et qu’il faut la redéfinir, les gens savent ce qu’elle est et sont souvent prêts à mourir pour elle. Il y a dix ans, chaque famille avait un adolescent qu’elle tentait de faire échapper au service militaire. Seuls les pauvres envisageaient de faire carrière sous les drapeaux. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes s’engagent dans l’armée et leurs aînés dans les milices populaires. Tous défendent la Syrie éternelle où se côtoient différentes communautés religieuses, ils vénèrent ensemble le même Dieu lorsqu’ils en ont un.

    Au cours du conflit, beaucoup de Syriens ont eux-mêmes évolué. Au début, ils observaient majoritairement les événements en se tenant à l’écart, la plupart affirmant ne se reconnaître dans aucun camp. Après deux ans et demi de terribles souffrances, chacun de ceux qui sont restés dans le pays a dû choisir pour survivre. La guerre n’est plus qu’une tentative des puissances coloniales de souffler sur les braises de l’obscurantisme pour brûler la civilisation.

    La liberté politique

    Pour moi, qui connait la Syrie depuis une dizaine d’années et vit à Damas depuis deux ans, je mesure à quel point le pays a changé. Il y a dix ans, chacun racontait à voix basse les problèmes qu’il avait rencontré avec les mukhabarats, qui se mêlaient de tout et de n’importe quoi. Dans ce pays, dont le Golan est occupé par Israël, les services secrets avaient en effet acquis un pouvoir extravagant. Pourtant, ils n’ont rien vu et rien su de la préparation de la guerre, des tunnels que l’on creusait et des armes que l’on importait. Aujourd’hui, un grand nombre d’officiers corrompus s’est enfui à l’étranger, les mukhabarats se sont recentrés sur leur mission de défense de la patrie et seuls les jihadistes ont à s’en plaindre.

    Il y a dix ans, le parti Baas était constitutionnellement le leader de la nation. Il était seul autorisé à présenter des candidats aux élections, mais il n’était déjà plus un parti de masse. Les institutions s’éloignaient progressivement des citoyens. Aujourd’hui, on a du mal à suivre la naissance des partis politiques tant ils sont nombreux. Chacun peut se présenter aux élections et les gagner. Seule l’opposition « démocratique » a, depuis Paris et Istanbul, décidé de les boycotter plutôt que de les perdre.

    Il y a dix ans, on ne parlait pas de politique dans les cafés, seulement à la maison avec les gens que l’on connaissait. Aujourd’hui, tout le monde parle politique, partout, dans les zones contrôlées par le gouvernement et jamais dans celles contrôlées par l’opposition armée.

    Où est la dictature ? Où est la démocratie ?

    Réactions de classe

    La guerre, c’est aussi un conflit de classe. Les riches, qui disposent d’avoirs à l’étranger, sont partis lorsque Damas a été attaqué. Ils aimaient leur pays, mais surtout protégeaient leurs vies et leurs biens. 
    Les bourgeois étaient terrorisés. Ils payaient l’impôt « révolutionnaire » lorsqu’on les insurgés l’exigeaient, et affirmaient soutenir l’État lorsque l’armée les questionnait. Inquiets, ils attendaient le départ du président El-Assad qu’Al-Jazeera annonçait comme imminent. Ils ne sont sortis de leur angoisse que lorsque les États-Unis ont renoncé à bombarder le pays. Aujourd’hui, ils ne songent qu’à se racheter en finançant les associations des familles de martyrs. 
    Le petit peuple savait lui, depuis le départ, ce qu’il en était. Il y avait ceux qui voyaient dans la guerre un moyen de se venger de leurs conditions économiques, et ceux qui voulaient défendre la liberté de conscience et la gratuité des services publics.

    Les États-Unis et Israël, la France et le Royaume-Uni, la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, qui ont livré cette guerre secrète et qui l’ont perdue, n’anticipaient pas ce résultat : pour survivre, la Syrie a libéré ses énergies et a retrouvé sa liberté.

    Si la conférence de Genève 2 se tient, les grandes puissances ne pourront rien y décider. Le prochain gouvernement ne sera pas le fruit d’un arrangement diplomatique. Le seul pouvoir de la conférence sera de proposer une solution qui ne pourra être appliquée qu’après avoir été ratifiée par un référendum populaire.

    Cette guerre a saigné la Syrie, dont la moitié des villes et des infrastructures ont été détruites pour satisfaire les appétits et les fantasmes des puissances occidentales et du Golfe. Si quelque chose de positif devait surgir de Genève 2, ce serait le financement de la reconstruction par ceux qui ont fait souffrir le pays.

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