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GéoPolitik - Page 34

  • La planète des trois singes

    La planète des trois singes

    Spectateurs tétanisés d’un monde qui crie, qui pleure, qui s’effondre, les dirigeants du monde entier s’adressent les uns aux autres avec des formules délavées, usées jusqu’à l’os, commentant un mode qui n’existe plus, voyant ici des progrès et là des inquiétudes, des préoccupations, des disfonctionnements. Pourtant, où que l’on jette notre regard, où qu’on aille, on ne rencontre que des hommes désespérés, parfois révoltés parfois résignés, qui répètent, à l’infini, à quel point le monde où ils vivent est submergé par l’injustice, la régression et la tyrannie. Tyrannie des marchés, des cleptocrates, des dictateurs, des abuseurs, qui pavanent ayant comme fanion leur bonne santé, leur arrogance et leurs richesses. L’Etat de droit se flétrit là où il existe et n’est même plus un espoir là où il n’existe pas.

    Qui s’étonne du fait que trois mois après les élections mexicaines il n’y a toujours pas de résultats ? Qui s’insurge du fait que dans ce pays l’Etat de droit n’est plus qu’un vœu pieux, miné par les mafias, les cartels et autres Zetas ? Qui se préoccupe vraiment d’un système politique qui ne fait que générer de la corruption ? Préoccupant disent certains dirigeants tandis que le terme juste serait cataclysmique.

    Qui se préoccupe de la situation en Colombie ? Personne. Donc, il suffit que la mafia gère tranquillement un pays, accédant aux plus hautes sphères de l’Etat et de son administration pour qu’il n’y ait rien à signaler.

    Qui s’étonne d’une justice pourrie, aux ordres d’un pouvoir totalitaire et cynique en Russie ? Trop grand, disent les dirigeants occidentaux. Trop puissant. Donc, on fait comme si de rien n’était et on continue nous affaires as usual. Les terres expropriées, les scandales financiers présidentiels, la guerre même, qui accompagnent la préparation des jeux olympiques d’hiver dans ce pays, ne sont que des broutilles…

    Qui voit la déchéance pakistanaise, le règne des services secrets, leur connivence avec les fondamentalistes et le crime organisé qui s’exporte si bien sur tous les continents ?

    Qui soupçonne l’existence même de près de trente mille héroïnomanes sur un million de mauriciens si bien cachés des touristes et qui génèrent des centaines de millions de dollars pour les « associées obligatoires » de grandes enseignes installées offshore ?

    Qui parle encore des centaines de milliers d’américains qui ont perdu leur maison, tandis que les banques, sauvées par les Etats, exigent de ces mêmes Etats de la rigueur budgétaire et les dégradent au sens propre ?

    Qui voit les paysans chinois abandonnés à leur sort, les expropriés - à la manière des dragonnades - habitant les villes, les dix millions par an quasiment forcés à l’exil et qui deviennent les supplétifs de la contrefaçon chinoise qui sape l’économie mondiale ?

    Qui parle de la Libye, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de l’Egypte, du Tchad, de la Mauritanie, des deux Soudans, de la Palestine tandis que tout le monde parle (pour ne rien faire) de la Syrie et éventuellement du Mali ?

    Qui s’émeut vraiment des chômeurs espagnols, grecs, italiens, roumains, hongrois, portugais, qui les prend en compte ?

    Qui parle de l’Etat Albanais, quasiment mafieux, qui truande systématiquement son propre peuple ? Lui aussi est puissant ? Là aussi il n’y a rien à faire, sinon du business  ?

    Qui parle du Tadjikistan, du Kazakhstan, de l’Azerbaïdjan, de l’Ouzbékistan sinon pour leur pétrole et de leurs oligarques –ex voleurs au sein de la loi -, qui rachètent nos clubs sportifs ? 

    Une pub de Coca Cola, prenant en compte la crise, vante (et vend) l’optimisme. Elle, elle croit à ce monde uniformisé et parfait, fait de consommateurs, tout comme les « cigarettiers », qui, ayant installé leurs usines au Luxembourg (because paradis fiscal), l’ont transformé en un havre pour les fumeurs au cœur d’une Europe prohibitionniste légiférant, entre autres lieux, au… Luxembourg. Les grecs, insiste le premier Luxembourgeois, doivent reconquérir leur crédibilité. Dans ce monde désabusé où plus personne ne croit en quoi que ce soit, assommé par des formules cachant (si mal) les coups de force quotidiens sur tout ce qui bouge (encore), il serait bon de rappeler, une fois encore, que la crédibilité ne peut pas être le résultat de chantages, que l’Etat de droit n’est pas un concept sélectif, que la bonne gouvernance n’est pas un working paper onusien, que l’équilibre des comptes n’est pas à la carte, que le concept même de réforme ne doit pas impérativement signifier la misère pour les peuples et la richesse pour les investisseurs du marché. Et qu’enfin, la règle d’or ne doit pas être (comme c’est le cas) synonyme de capitulation devant ces mêmes marchés. 

    Après un long voyage, en Europe, en Afrique et en Asie, force est de constater que les seuls qui ont perdu leur crédibilité, qui apparaissent comme des enfants gâtés voulant préserver leurs jouets aux dépends des peuples, sont justement ceux qui en parlent pompeusement au sein des chancelleries européennes et à Washington. On nous parle d’un mur entre le nord et le sud européen, tandis qu’un autre s’érige entre les dirigeants occidentaux et les peuples du monde entier. J’ai rencontré des égyptiens, des turcs, des chinois, des mexicains ou des tunisiens, bien plus en empathie avec les peuples du sud européen que les dirigeants européens envers leurs propres peuples. Mais j’ai surtout rencontré des citoyens qui observent le psychodrame européen. Incrédules, le regard enflammé, ils ne trouvent pas de mots assez durs pour critiquer nos « élites », leur arrogance et surtout leur inefficacité qui n’a de pareil que leur cynisme. Les nôtres me disait un médecin égyptien sont des autocrates affirmés. On les connaît. Les vôtres se disent démocrates. Mais tous ne connaissent que la force pour imposer le faux et préserver leurs privilèges. 

  • VU DU MAGHREB:L’Europe ne fait plus rêver

    UE et monde L'UE vue d'ailleurs

    VU DU MAGHREB

    L’Europe ne fait plus rêver

    La ville espagnole de Tarifa vue depuis Tanger (Maroc).

    La ville espagnole de Tarifa vue depuis Tanger (Maroc).

    AFP

    De l’autre côté de la Méditerranée, la crise que traverse la zone euro fait pâlir l’étoile de l’UE. Divisée plus que jamais, repliée sur elle-même et en proie aux égoïsmes nationaux, elle a cessé d’incarner un modèle et un objectif, au bénéfice des puissances émergentes.

    C’est avec un mélange de curiosité et d’ironie teintée d’inquiétude que les pays du Maghreb observent les péripéties de la crise européenne. A Alger  comme à Tunis ou à Rabat, l’homme de la rue avoue ne pas très bien comprendre les subtilités des joutes diplomatiques autour de l’austérité à Bruxelles, mais un fait revient tout de même sur toutes les lèvres.

    Il s’agit de la quasi-faillite de la Grèce, situation dont les médias maghrébins rendent compte de manière régulière tout en alertant leurs lecteurs sur les risques d’une contagion à d’autres pays européens dont l’Espagne, le Portugal voire l’Italie et même la France.

    Pour Ali Chafiq, un buraliste algérois, “la Grèce est traitée comme un pays du tiers-monde par ses propres pairs européens. Au Maghreb, cela donne à réfléchir. Je croyais que l’Europe, c’était la solidarité quels que soient les événements ?

    Pour lui, pour comme nombre de Maghrébins, les masques seraient tombés et le vieux continent apparaîtrait désormais tel qu’il est, c'est-à-dire une terre traversée par une ligne de fracture entre pays riches (et égoïstes) du nord et pays pauvres du sud.

    D’encombrants euros

    Mais bien plus que le sort de la Grèce, c’est le possible éclatement de la zone euro et, par conséquent, le risque d’une disparition de la monnaie unique, qui revient dans les conversations. Et pour cause. Dans les trois pays du Maghreb, nombreux sont celles et ceux qui possèdent de la devise européenne en liquide ou bien alors placée dans des banques européennes.

    Plusieurs dizaines de millions d’euros en liquide circulent au Maghreb, notamment dans le secteur informel. Tout le monde a peur de la disparition de l’euro car pour se faire rembourser, il faudra justifier l’origine de ces fonds”, confie un banquier marocain à Casablanca.

    Le problème est particulièrement important en Algérie, pays où existe depuis quarante ans un florissant marché parallèle de devises.

    Les gens qui changent leurs dinars au noir ont de moins en moins confiance en l’euro. Ils préfèrent le franc suisse ou le dollar américain”, explique un cambiste.

    Ce dernier rappelle que la devise européenne s’était pourtant imposée ces dernières années comme valeur refuge, ne serait-ce que parce que les Algériens sont persuadés qu’elle est moins contrefaite que le billet vert. Bien entendu, les détenteurs d’avoirs extérieurs sont eux aussi inquiets.

    Nos clients maghrébins détenteurs de comptes étrangers nous posent des questions. Ils veulent savoir ce qui se passerait concrètement en cas d’éclatement de la zone euro. Mais pour l’heure, nous n’assistons pas à des retraits massifs ou à des virements vers d’autres places comme Londres, Dubaï ou Singapour”, explique, sous couvert de l’anonymat, un banquier parisien en charge de grands comptes étrangers.

    Fin de la tutelle

    Au-delà de l’avenir de l’euro, la crise européenne est aussi l’occasion pour nombre d’élites politiques et économiques maghrébines de faire entendre un discours des plus critiques à l’égard de l’Europe. Témoin, ce diplomate marocain qui insiste sur le fait que son pays, comme ses voisins, “a toujours pris soin de privilégier les relations bilatérales avec les capitales européennes plutôt que de croire à la fable d’une Europe unie et solidaire quant à ses relations avec le sud de la Méditerranée”.

    Ainsi, l’apparent affaiblissement institutionnel d’une Europe dont les contours n’ont jamais été précisément saisis au Maghreb semble donner raison à celles et ceux qui ont toujours douté de la pertinence d’un dialogue régional entre le nord et le sud de la Méditerranée.

    Quand l’Europe va mal, elle se replie sur elle-même et nous prouve bien qu’elle n’a pas les moyens de mener une vraie politique régionale. Qui parle aujourd’hui de l’Union pour la Méditerranée ?”, s’insurge-t-on dans l’entourage du Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia.

    Déjà critiquée par les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, et accusée de favoritisme à l’égard de l’Europe de l’Est, l’Union européenne est aujourd’hui montrée du doigt comme un ensemble menacé d’implosion.

    Du coup, les discours appelant à la “diversification” des partenariats économiques et politiques se font de plus en plus entendre. En Tunisie, le parti au pouvoir Ennahda, comme son homologue marocain du Parti de la justice et du développement (PJD), évoque la nécessité de se tourner vers les “autres pôles de croissance” dont la Chine, les pays du Golfe et le Brésil.

    Un discours prononcé au nom du réalisme politique et de l’efficacité économique mais qui, selon de nombreux militants démocrates laïcs, cache aussi un autre objectif. Celui de se débarrasser d’une encombrante tutelle en matière de respect des droits de l’homme et de la démocratie.

    L’Europe, malgré ses défauts et son égoïsme à l’égard du sud de la Méditerranée, c’est tout de même la promotion vaille que vaille de la démocratie, de l’Etat de droit et de valeurs positives. La grave crise qu’elle traverse aujourd’hui sert aussi à décrédibiliser son message humaniste”, déplore un cadre de l’Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt, principal syndicat du pays).

    SUR LE WEB

  • GRÈCE:Les nazis du XXIe siècle

    Société

    GRÈCE

    Les nazis du XXIe siècle

    Sur la cabine téléphonique : "Ministère de la Protection des citoyens"

    Sur la cabine téléphonique : "Ministère de la Protection des citoyens"

    Yannis Iannou

    Alors que Londres accueille les Jeux paralympiques, à Athènes le parti d'extrême-droite Aube Dorée se répand en incitations à la haine contre les personnes handicapées et les homosexuels, après s'en être pris aux immigrés et aux minorités ethniques. Le gouvernement grec et l'Union européenne ferment les yeux sur ce phénomène qui n'est pas sans rappeler la montée du nazisme en Allemagne.

    "Vous êtes les prochains, après les immigrés". Voilà ce qu'on pouvait lire sur une série de tracts apparus cette semaine dans les clubs du quartier gay d'Athènes. Alors que les violences contre les immigrés et les minorités ethniques ne cessent d'augmenter dans tout le pays, les militants du parti Aube Dorée appellent aujourd'hui à s'en prendre aux homosexuels et aux personnes handicapées. 

    Ces nouveaux fascistes défilent en chemises noires avec leurs fusées éclairantes dans les rues d'Athènes, ils terrorisent les minorités ethniques et sexuelles, brandissent un emblème qui n'est rien d'autre qu'une swastikadéroulée, et n'ont que mépris pour les institutions politiques. Et pourtant, dans toute l'Europe, ils ne sont toujours considérés que comme un symptôme de la crise économique grecque.

    Stratégie de diversion

    Il fut un temps où les voyous d'extrême-droite ne s'en prenaient aux immigrés que pendant la nuit. Aujourd'hui, ils opèrent au grand jour, sans crainte des conséquences tant elles sont rares. Le nombre et la gravité des attaques a augmenté ces dernières semaines et si les migrants déposent plainte auprès de la police, ils risquent de se faire arrêter. 

    Non seulement la criminalité contre les immigrés n'est pas considérée comme une priorité, mais en plus bon nombre des militants du parti Aube Dorée sont issus des rangs de la police. Des sondages effectués à la sortie des bureaux de vote en mai 2012 ont montré que dans certaines circonscriptions urbaines, près de la moitié des policiers grecs avaient voté pour le parti raciste qui possède désormais 7% des sièges au Parlement. 

    Les agressions au couteau, les bastonnades et les attaques en moto sont devenues tellement courantes dans certains quartiers de la capitale que les immigrés n'osent plus y aller seuls. Alors que la Grèce abrite depuis longtemps une importante population immigrée – 80% des réfugiés entrent dans l'Union européenne par les ports grecs -, les étrangers venus trouver refuge dans le pays ont aujourd'hui peur pour leurs enfants. D'après un récent rapport de l'ONG Human Rights Watch intitulé "Hate on the streets" [Haine dans les rues], les "autorités nationales – ainsi que les communautés européenne et internationale dans leur ensemble – ont largement fermé les yeux" sur l'augmentation des violences à caractère xénophobe en Grèce. 

    Comme si cela ne suffisait pas, le ministre de l'Ordre public, Nikos Dendias, s'est engagé à lutter contre l'immigration qu'il considère comme une "invasion" et comme une "une bombe" prête à faire exploser "les fondations de la société". Il est intéressant de noter que pour lui, la présence des étrangers représente une menace plus grave que la crise économique, un message qu'il n'hésiterait visiblement pas à placarder sur les murs d'Athènes s'il le pouvait.

    Le retour du discours raciste s'inscrit dans une stratégie de diversion visant à détourner l'attention d'une population amère face à la crise de la dette et du pouvoir politique. Comme bon nombre de gouvernement de centre-droit, la coalition Nouvelle démocratie reprend le discours de l'extrême-droite et attise la xénophobie au lieu de chercher à apaiser l'opinion publique. Les policiers ont la bénédiction de Nikos Dendias pour interpeler, arrêter et expulser les immigrés. Ils ont déjà mené des milliers d'opérations à Athènes et dans les villes voisines dans le cadre d'un programme baptisé (sans ironie) Zeus, dieu de l'hospitalité.

    Vieille technique rhétorique

    Comme bon nombre de groupes fascistes, Aube Dorée affirme représenter la classe ouvrière marginalisée. Le parti se dit l'ennemi d'un système démocratique en faillite et exploite le mécontentement populaire face aux erreurs de la gestion néolibérale. Il se déclare contre l'austérité mais n'a aucun projet économique. Sa stratégie repose uniquement sur la violence, la division et le racisme. Les gouvernements grec et européens semblent toutefois prêts à le tolérer et le voient comme la conséquence sociale d'un programme d'austérité qui ferait consensus. 

    L'Union européenne a été fondée après la Seconde Guerre mondiale afin de créer une union sociale et économique sur un continent dévasté par le fascisme. Dans la Grèce d'aujourd'hui, Aube Dorée est considéré comme un parti politique sérieux quand bien même ses représentants rejettent le processus démocratique et ont tendance à agresser leurs rivaux à la télévision

    Longtemps après l'arrivée des nazis au pouvoir en 1933, bien après l'incendie du Reichstag et la légitimation des violences antisémites par le pouvoir politique, les gouvernements européens sont restés plus inquiets du risque socialiste que de la menace fasciste. Presque jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, il était plus important pour les dirigeants internationaux que l'Allemagne paie ses dettes. L'établissement de parallèles historiques avec le nazisme est une vieille technique rhétorique que les commentateurs de gauche comme de droite ont largement galvaudée à propos d'étiquetages alimentaires et autres mesures de prévention routière drastiques. En l'occurrence, il ne s'agit pourtant pas de rhétorique. 

    De vrais fascistes en chemise brune défilent pour de vrai dans les rues de la capitale, brandissant des swastikas et des flambeaux, mutilant et tuant des étrangers, et les gouvernements du monde entier les regardent avec une effrayante tranquillité tant que les Grecs continuent de payer leur dette à l'élite européenne. Lorsque les leçons de l'histoire sont apprises par cœur sans être comprises, il est facile de les oublier au moment critique. Il est temps pour l'Europe de se souvenir que le prix du fascisme est autrement plus élevé et plus cruel que n'importe quelle dette publique. 

    Traduction : Caroline Lee

  • Mafia et finance...

    Mafia et finance : la crise favorise les liaisons dangereuses

     

    La crise financière a donné l'occasion aux réseaux mafieux de s'infiltrer davantage dans l'écomomie mondiale, en investissant du liquide dans les banques européennes et américaines. C'est ce que démontre Roberto Saviano, l'auteur italien de Gomorra, dans une longue enquête qui suscite de nombreuses réactions.

    30.08.2012 | Lucie Geffroy | Courrier international



    Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexique.

    Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexique.

    A qui profite la crise ? Aux mafias du monde entier, répond Roberto Saviano. Dans deux articles publiés le même jour (lundi 27 août) dans La Repubblica et le New York Times,  le journaliste et écrivain italien montre à quel point la crise financière a fait l'objet d'un business planétaire pour les réseaux mafieux.Retwitté le jour même par l'économiste Nouriel Roubinitraduit en grec et publié dans I Kathimerini, l'article de Saviano a suscité depuis de nombreuses réactions. 

    Que dit l'auteur de Gomorra ? En substance, que les intérêts mutuels des banques et des organisations mafieuses n'ont fait que progresser depuis l'éclatement de la crise financière. 

    La démonstration est limpide. Reprenant une idée développée dès 2009 par Antonio Maria Costa, alors directeur de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, il explique qu'au plus fort de la crise, les "gains des organisations criminelles ont constitué le seul capital d'investissement liquide dont disposaient certaines banques". Comme l'ont montré les études du FMI, entre janvier 2007 et septembre 2008, les banques européennes et américaines ont perdu plus d'un milliard de dollars en titres toxiques et crédits non exigibles. 

    "Il est donc possible de déterminer le moment précis où les organisations criminelles italiennes, russes, balkaniques, japonaises, africaines, indiennes, sont devenues déterminantes pour l'économie mondiale. A savoir : au second semestre de l'année 2008, quand le manque de liquidités est devenu le principal problème du système bancaire, écrit Saviano dans La Repubblica.

    HSBC et les cartels mexicains

    De récents scandales, souligne Saviano dans l'article du New York Times, ont confirmé les relations incestueuses entre "bankers" et "gangsters". Depuis le mois dernier, la justice américaine enquête en effet sur le rôle de la banque britannique HSBC dans une affaire de blanchiment d'argent sale issu des cartels de la drogue mexicains. S'appuyant sur un rapport accablant du Sénat américain, le New York Times a révélé que la filiale mexicaine de HSBC avait transféré 7 milliards de dollars d'argent sale des cartels vers HBUS, la filiale américaine de HSBC. La banque aurait aussi contourné les lois américaines pour transférer de l'argent en direction de régimes soumis à des sanctions américaines, l'Iran, le Soudan et la Corée du nord. Mais HSBC n'est pas la seule. ABN Amro, Barclays, Credit Suisse, Lloyd's ou encore ING ont admis avoir effectué des transactions avec Cuba, la Libye, le Soudan, etc. 

    Dépendantes des liquidités des organisations criminelles, les banques occidentales ont donc massivement et sans complexe blanchi l'argent de la drogue. La City de Londres et Wall Street sont ainsi devenues, selon le journaliste italien, "les deux plus grandes blanchisseuses d'argent sale du monde", bien devant les îles Caïmans, l'île de Man et les autres paradis fiscaux. 

    Ce poids des organisations criminelles sur le système économique en temps de crise nous oblige à renforcer les mécanismes de contrôle sur le secteur bancaire et à approfondir la lutte contre le blanchiment, martèle Saviano. Un appel que les acteurs de la lutte antimafia, notamment en Italie, ont aussi relayé. Cité par La Repubblica, le procureur national antimafia italien Piero Grasso estime que le gouvernement italien doit impérativement réformer ses mécanismes législatifs et que l'Europe doit se doter au plus vite d'un "code pénal antimafia unique". 

    Confirmant l'analyse du journaliste, Piero Grasso précise que les premières auditions des nouvelles commissions antimafia européennes [mises en place en avril dernier] évoquent largement ce processus de blanchiment d'argent sale. "La N'Drangheta [mafia calabraise] a récemment blanchi 28 millions d'euros en quelques heures en acquérant un quartier entier en Belgique", a déclaré il y a peu Sonia Alfano, à la tête de la nouvelle commission anti-mafia du Parlement européen. 

    L'Europe du sud gangrénée

    La Grèce et l'Espagne comptent parmi les pays européens les plus touchés par la crise et ils sont aussi littéralement gangrénés par la corruption et le crime organisé. C'est pourquoi ils constituent deux exemples révélateurs des liens qui se nouent entre mafia, finance et crise, estime Saviano, qui consacre une large partie de son enquête aux deux pays. 

    Au même niveau que la Colombie dans le classement de l'ONG Trasparency international sur l'indice de corruption, la Grèce est une "terre d'investissement mafieux", où une soixantaine de familles mafieuses russes prospère depuis plusieurs années. Or en Grêce comme ailleurs, la crise n'a fait que renforcer la mainmise des réseaux mafieux sur le système bancaire. "A cause de la crise, les Grecs ont dû puiser dans leur épargne : environ 50 milliards d'euros ont ainsi été prélevés dans les banques grecques entre 2009 et 2011. Les possibilités légales de souscrire un prêt venant à manquer, de plus en plus de gens ont recours à des emprunts illégaux", écrit Roberto Saviano. 

    Le journaliste évoque ainsi un gigantesque marché noir de prêts illégaux en Grèce, dont le chiffre d'affaires s'élèverait à 5 milliards d'euros par an. Chiffre qui aurait quadruplé depuis le début de la crise en 2009. En janvier dernier, une organisation criminelle active depuis plus de quinze ans et composée d'une cinquantaine d'"usuriers" a été démantelée à Thessalonique (deuxième ville du pays). Elle prêtait à des taux d'intérêt compris entre 5 et 15 % par semaine et "punissait" les mauvais payeurs. 1 500 à 2 000 personnes auraient été victimes de ce réseau, dirigé par le propriétaire d'un restaurant et deux frères impliqués dans des trafics de drogue. D'après le ministère des Finances grec, la plupart des opérations usurières de ce type sont liées à l'activité de bandes criminelles originaires des Balkans et d'Europe de l'Est. 

    L'autre grand marché noir qui empoisonne les finances de l'Etat grec est celui du pétrole. On estime qu'environ 20 % de l'essence vendue en Grèce provient du marché illégal : il s'agirait d'une essence composée d'un mélange de carburant acheté légalement et de carburant acquis sur le marché noir. Un moyen pour les revendeurs de se faire une marge importante et d'éviter les taxes - une manne financière importante qui échappe à l'Etat.

    L'Espagne, elle aussi, est "colonisée par des groupes mafieux autochtones (les Galiciens, les Basques et les Andalous) et par des organisations étrangères (italiennes, russes, colombiennes et mexicaines), affirme Roberto Saviano. "Historiquement, l'Espagne a toujours été un refuge pour les parrains italiens en cavale. (…) Même si la lutte antimafia espagnole a progressé, le pays offre toujours de grandes opportunités de blanchiment, maximisées par la crise en Europe. Le boom immobilier qu'a connu l'Espagne entre 1997 et 2007 a constitué une manne pour ces organisations, qui ont investi leurs gains dans la pierre ibérique". De plus, selon le journaliste italien, la Grèce et l'Espagne sont les "portes d'entrée des routes de la cocaïne en Europe". Les trafiquants, essentiellement issus des rangs de la Camorra [mafia napolitaine], ont fait de l'Espagne une plaque tournante de leur trafic en direction des pays européens.

    Le "Vegas" espagnol, future plaque tournante ?


    "Dans ce contexte, le projet Eurovegas du magnat américain Sheldon Adelson de construire en Catalogne, en investissant 35 milliards de dollars, un complexe de casinos, d'attractions et de structures touristiques sur le modèle de Las Vegas, risque de transformer ces lieux en un des principaux centre de blanchiment d'argent sale de l'Occident", affirme l'auteur de Gomorra

    Etant donné les intérêts colossaux en jeux, quel est la capacité d'action du pouvoir politique ? Difficile de réduire les Etats à un simple rôle de victime et de spectateur passif. En Afrique, en Amérique latine, dans les Balkans et en Europe de l'est, les entreprises criminelles agissent à une telle échelle qu'il est impossible que les gouvernements ne soient pas partie prenante, estime l'écrivain et chroniqueur d'origine vénézuélienne Moisés Naim dans une tribune de La Repubblica.

    "Roberto Saviano a bien fait de soulever le problème, écrit Moisés Naim,(…) mais je serais un peu moins pessimiste [que lui] sur l'Europe, Espagne et Grèce comprises. La corruption y est très importante, certes, mais on ne peut pas parler d'"Etats mafieux" pour autant. (…). Dans un Etat mafieux, au départ, les criminels s'infiltrent dans le gouvernement, ils s'enrichissent et enrichissent leurs collaborateurs, leurs amis et les membres de leur famille, et exploitent leur influence politique et les liens qu'ils peuvent avoir avec le crime organisé pour cimenter et étendre leur pouvoir".
     
     
  • Anonymous,petit historique

    Anonymous, de l’humour potache à l’action politique

    Noir total : le 18 janvier, une myriade de sites Internet, dont l’encyclopédie contributive Wikipédia, baissaient le rideau pour protester contre le Stop Online Piracy Act (SOPA). Sous couvert de lutte contre le partage de fichiers, ce projet de loi américain voulu par le lobby de l’industrie culturelle rendait possible une large censure de la Toile. Il fut ajourné. Le lendemain, le Federal Bureau of Investigation (FBI) fermait le site de téléchargement Megaupload, déclenchant une riposte du collectif Anonymous : les sites de la Maison Blanche et d’Universal Music, notamment, étaient touchés. De New York au Caire en passant par Tunis, des réseaux virtuels à la rue, une nouvelle culture de la contestation a émergé. Ceux qui l’ont forgée découvrent à la fois l’étendue et les limites de leur pouvoir.

    par Felix Stalder, février 2012

    Spectaculaires, les attaques informatiques menées au nom de la liberté d’expression et de la justice sociale sous l’étiquette « Anonymous » se multiplient. Dernières cibles en date : le site d’ArcelorMittal en Belgique, au début de janvier, pour protester contre la fermeture de deux hauts fourneaux ; le site du cabinet de renseignement privé américain Stratfor, sur lequel ont été dérobées des dizaines de milliers de données personnelles ; le ministère de la défense syrien, en août 2011, ou avant cela, en juin, le site de la police espagnole, après l’arrestation de trois membres supposés d’Anonymous dans ce pays.

    Qui se cache derrière ce masque ? Hackers d’élite, ados ignorants, dangereux cyberterroristes, simples trolls (« perturbateurs ») à l’humour potache ? Aucune de ces définitions n’est fausse, car chacune rend compte d’une facette du phénomène. Cependant, toutes passent à côté de l’essentiel : Anonymous n’est pas un, mais multiple ;

    il ne s’agit ni d’un groupe ni d’un réseau, mais d’un collectif ou, plus précisément, de collectifs qui s’appuient les uns sur les autres.

    A sa manière — extrême —, Anonymous est emblématique des mouvements de contestation qui s’étendent depuis 2011 aussi bien dans le monde arabe qu’en Europe et aux Etats-Unis. Le gouffre qui sépare ceux-ci des systèmes politiques qu’ils contestent se manifeste dans des formes d’organisation radicalement opposées. D’un côté, des structures hiérarchisées, avec des dirigeants habilités à parler au nom de tous par des procédures de délégation de pouvoir, mais dont la légitimité a été affaiblie par la corruption, le favoritisme, le détournement des institutions. De l’autre, des collectifs délibérément dépourvus de chefs, qui rejettent le principe de la représentation au profit de la participation directe de chacun à des projets concrets. Leur diversité permet que la prise de décision se fasse par agrégation rapide de participants sur un sujet précis, plutôt qu’en dégageant une majorité officielle. L’establishment politique juge ces formes d’organisation inintelligibles et exprime sa stupeur face à l’absence de revendications concrètes qu’il pourrait relayer.

    Ces collectifs temporaires — qu’on peut aussi décrire comme des « essaims », swarms en anglais (1) — se composent d’individus indépendants utilisant des outils et des règles simples pour s’organiser horizontalement. Comme le sou- ligne le fondateur du Parti pirate suédois, M. Rick Falkvinge, « tout le monde étant volontaire (...), la seule façon de diriger consiste à emporter l’adhésion d’autrui (2) ». Ainsi, la force du collectif vient du nombre de personnes qu’il regroupe et de l’éclairage qu’il jette sur leurs projets divers et indépendants.

    Un collectif naît toujours de la même manière : un appel à la mobilisation avec, en regard, des ressources pour une action immédiate. Spécialiste des médias sociaux, Clay Shirky a identifié trois éléments indispensables à l’apparition de ce type de coopération souple : une promesse, un outil, un accord (3). La promesse réside dans l’appel, qui doit être intéressant pour un nombre critique d’activistes et dont la proposition doit sembler réalisable. Il peut s’agir, par exemple, d’attaquer tel ou tel site gouvernemental en réponse à la censure. Des outils disponibles en ligne, comme le fameux logiciel Low Orbit Ion Cannon (LOIC), ainsi nommé en référence à La Guerre des étoiles,permettent de coordonner les démarches dispersées des volontaires. L’accord porte sur les conditions que tout un chacun accepte en entrant dans l’espace collectif de l’action.

    « Foutage de gueule ultracoordonné »

    Au fil du temps, les trois dimensions peuvent évoluer et le collectif, grandir, changer d’orientation, se désagréger. Afin qu’il ne disparaisse pas aussi vite qu’il est apparu, il faut un quatrième élément, un horizon commun qui « permette aux membres dispersés d’un réseau de se reconnaître mutuellement comme vivant dans le même univers imaginaire de référence », ainsi que l’écrit le critique d’art et essayiste Brian Holmes (4). C’est ici qu’intervient le fameux masque d’Anonymous. Identité ouverte, résumée par quelques slogans assez généraux, des éléments graphiques et des références culturelles partagées : chacun peut s’en revendiquer — mais cela n’a de sens que si l’on partage le même esprit, le même humour, les mêmes convictions antiautoritaires et la même foi dans la liberté d’expression.

    Le président français Nicolas Sarkozy avait beau appeler de ses vœux, lors du e-G8 de Paris, en mai 2011, un « Internet civilisé », les recoins sombres où tout est possible continuent d’exister. Le site 4chan.org, forum créé en 2003, simple d’un point de vue technique et plébiscité par les internautes, est emblématique de la démarche : on peut y poster textes et images sans s’inscrire, les messages étant signés « Anonymous ». Son forum le plus fréquenté, /b/, n’obéit à aucune règle en matière de contenu. Le site ne mémorise pas les billets : les messages qui ne suscitent aucune réponse sont rétrogradés en bas de liste avant d’être effacés, ce qui arrive généralement en l’espace de quelques minutes. Rien n’est archivé. La seule mémoire qui vaille est celle des internautes. Une logique qui a ses avantages et ses inconvénients : tout ce qui est difficile à retenir et qui n’est pas répété disparaît.

    Pour ne pas sombrer dans l’oubli, quantité de ces messages prennent chaque jour la forme d’appels à l’action — par exemple, une invitation à vandaliser telle page de l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Si l’idée séduit un nombre suffisant d’internautes, un petit essaim s’abat sur la cible. Pour le simple plaisir. La répétition et l’engagement ont créé une culture où disparaissent les individualités et les origines, une tradition du« foutage de gueule ultracoordonné », selon l’expression d’un hacker interrogé par Gabriella Coleman, anthropologue de la culture geek (5).

    En cinq ans, ces internautes sont devenus des Anonymous, terme générique ou avatar d’une identité collective. Leur habitude de l’outrance induite par l’anonymat va de pair avec une profonde méfiance envers toute forme d’autorité tentant de réguler la parole sur Internet, pour des prétextes jugés parfaitement hypocrites comme la lutte contre la pornographie enfantine.

    Ce n’est donc pas un hasard si, au cours de l’hiver 2008, des internautes ont adopté cette identité pour s’attaquer à l’Eglise de scientologie. La guerre avait été déclarée une dizaine d’années auparavant par les hackers ; ceux-ci révélaient fraudes et manipulations, tandis que l’Eglise de scientologie mobilisait des moyens considérables pour faire disparaître les informations gênantes et détruire la réputation des personnes qui la critiquaient. Les Anonymous s’en mêlèrent quand la secte tenta d’empêcher la circulation d’une vidéo de propagande dans laquelle l’acteur Tom Cruise, haut responsable de l’Eglise, semblait mentalement déséquilibré. En réponse à l’inévitable rafale de procès, une vidéo faussement sérieuse des Anonymous annonça la destruction prochaine de la secte. Il s’ensuivit, sur différents forums de discussion, une période de polémiques virulentes, à l’issue de laquelle s’élabora une combinaison spécifique promesse-outil-accord.

    Au-delà des actions en ligne, une journée mondiale d’action fut organisée. Des manifestations eurent lieu le 18 février 2008 dans quatre-vingt-dix villes d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Afin d’échapper aux représailles de la secte, bon nombre de manifestants portaient le désormais célèbre masque de Guy Fawkes, rebelle catholique anglais du XVIe siècle, imitant ainsi le héros de V pour Vendetta, la bande dessinée d’Alan Moore et David Lloyd dont l’histoire se déroule dans un monde totalitaire. Pour la première fois, des membres d’Anonymous se rencontrèrent physiquement, établissant la jonction avec des militants plus traditionnels.

    Ces manifestations demeurèrent le principal objectif politique des Anonymous pendant les deux années qui suivirent. Puis, en septembre 2010, un collectif se forma autour de la campagne Operation Payback. Celle-ci débuta par une attaque contre Airplex Software, société indienne missionnée pour s’en prendre au site d’échange de fichiers The Pirate Bay. La campagne s’étendit aux sites de la Motion Picture Association of America (MPAA) et d’organismes prônant, sous prétexte de lutter contre les échanges de fichiers, le contrôle d’Internet. Cri de ralliement : « Ils parlent de piratage, nous parlons de liberté ! »

    Au cours de ces actions, l’identité politique des Anonymous se précisa ; leurs moyens techniques et leurs stratégies se sophistiquèrent. En décembre 2010, quand WikiLeaks fut empêché de recevoir des dons après avoir publié des câbles diplomatiques (6), Operation Payback refit surface et attaqua les sites de MasterCard, Visa, PayPal et Bank of America. En janvier 2011, les Anonymous intervinrent de façon très organisée en Tunisie, où ils attaquèrent des sites gouvernementaux. Les blogueurs tunisiens y gagnèrent le sentiment de pouvoir compter sur la solidarité internationale.

    Un effet galvanisant

    Tout au long de l’année 2011, les collectifs Anonymous se sont multipliés et ont lancé d’innombrables appels. Il s’agissait parfois d’internautes désireux d’attirer l’attention sur eux ou de tirer profit de modes médiatiques. Mais d’autres collectifs ont fédéré un grand nombre de personnes. Le 23 août 2011, les Anonymous ont diffusé une vidéo appelant à occuper Wall Street, reprenant ainsi une idée que défendaient depuis quelques semaines les Canadiens d’Adbusters.

    L’outrance et l’audace des Anonymous leur permettent d’adopter des slogans — « Le piratage, c’est la liberté » — si forts que pas un acteur politique traditionnel n’oserait y recourir sans craindre de perdre sa crédibilité. Avec un effet galvanisant radical sur des énergies latentes que les mobilisations classiques ennuient. Cependant, quelle que soit sa force, la spontanéité à grande échelle ne peut se mesurer aux institutions établies que sur le mode de la destruction. Cette forme d’organisation n’a pas pour objectif de construire des institutions alternatives. Elle collabore à la formation d’un horizon commun de contestation qui facilitera peut-être l’action future. Elle a déjà fissuré des murs qui semblaient indestructibles. D’autres protestataires transformeront ces failles en ouvertures.

    Felix Stalder

    Enseignant à l’Université des arts de Zurich et chercheur à l’Institut des nouvelles technologies culturelles de Vienne.