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  • Un artiste palestinien

    Un artiste palestinien empêché de quitter la Cisjordanie

    15/07/2014 | 16h13
    Khaled Jarrar “State of Palestine # 2 / Stamp Edition” 2011

    L’artiste palestinien Khaled Jarrar privé de son exposition new-yorkaise.

     

    L’artiste palestinien Khaled Jarrar n’assistera pas au vernissage de l’exposition “Here and elsewhere” qui ouvrira ses portes le 16 juillet au New Museum de New York. Il ne participera pas non plus au débat qu’il devait animer, ce même jour, avec Lamia Joreige, Charif Kiwan et Natalie Bell. C’est son galeriste français Bernard Utudjian qui a attiré notre attention sur sa situation.

    Programmé dans le cadre de cette exposition collective dédiée aux scènes du monde arabe, cet artiste installé à Ramallah et qui écume toutes les biennales et les foires du monde, a été refoulé au poste-frontière d’Allenby, le pont qui relie la Cisjordanie à la Jordanie. “Jarrar est arrivé à la frontière à 15h hier (lundi 14 juillet). Mais au lieu de traverser le Jourdain comme il l’a fait des dizaines de fois ces dernières années, il a été bloqué par les services de renseignements” a indiqué le blog +972  (qui tire son nom de l’indicatif téléphonique commun d’une zone à cheval entre Israël et la Palestine), “après dix heures d’attente, il est retourné chez lui à une heure du matin.”

    “Hier était la journée la plus longue et la plus humiliante de ma vie, a relaté  l’artiste, l’un des soldats s’adressant à son supérieur m’a traité de ‘zevel’, ordure en hébreu.”

    Artiste au parcours atypique – à 38 ans, il est aussi capitaine de la garde présidentielle (non armée) palestinienne – Khaled Jarrar s’est fait connaître avec ses timbres poste et tampons à l’effigie de l’Etat palestinien. La production dans les règles de l’art de ces insignes aux couleurs de la paix ornés d’une branche d’olivier et d’un sun bird, a démarré en 2010, deux ans avant que l’ONU n’accorde le statut d’Etat observateur à la Palestine. Depuis, il invite les visiteurs à tamponner leur passeport de ce sésame qui n’en est pas vraiment un, et à consigner leur expérience des frontières sur la page facebook du projet.

     

    Notons au passage que le titre de l’exposition du New Museum, “Here and Elsewhere », s’inspire du film Ici et Ailleurs d’Anne-Marie Miéville et Jean-Luc Godard de 1974. Réalisé à partir d’images tournées en 1970 dans le camp palestinien d’Amman en Jordanie et avec le concours de Jean-Pierre Gorin écarté en cours de route, il connaîtra plusieurs étapes (la plupart des militants de l’OLP ayant entre temps été assassinés) jusqu’à sa mise en forme finale en 1974.

     

  • Enfin, le crime paie

    Billets de la part de Dominique Manotti

     
    Ainsi, Eurostat recommande aux Etats européens d’intégrer dans leur PIB l’argent de la prostitution, de la drogue etc… Le problème n’est déjà plus : va-t-on le faire ? Mais : comment le faire ? Eurostat a déjà rédigé tout un protocole pour ceux qui ne sauraient pas s’y prendre. Voir le texteici (Cela vaut vraiment la lecture).
    Cette intégration du crime permettrait de doper la croissance, paraît-il, au moins en apparence. L’Italie le fait déjà, l’Angleterre aussi, et chez nous, quelques hommes politiques très bien pensants et UMP soutiennent la mesure, mais qu’on se rassure, ils continuent à prôner l’emprisonnement des petits dealers et consommateurs de drogues diverses. Peut être ne rapportent ils pas assez ?
    Je dois dire que, malgré tout ce que j’ai écrit sur le crime comme rouage de la machine de l’ordre social, et non comme aberration exogène, je ne m’attendais pas à une légitimation aussi ouverte et aussi rapide des grandes machines criminelles.
    Au même moment, l’amende infligée à la BNP par la justice américaine est l’application stricte de la loi du plus fort, la loi de l’Ouest, le revolver sur la tempe.
    J’adore les commentateurs français qui parlent de l’indépendance de la justice américaine. Les juges de New York sont élus. Les élections approchent. Les banques depuis la crise des subprimes sont mal vues des Américains, et n’ont pas été sanctionnées. Sanctionner une banque sera populaire, et si elle est étrangère, ce sera tout bénéfice : 10 milliards de dollars de profit pour l’économie américaine et l’élimination d’un concurrent étranger bien implanté en Iran au moment où le gouvernement américain s’apprête à lever l’embargo sur ce pays. Une décision prise en toute indépendance, évidemment.
    Une seule conclusion : si je veux rester dans le coup, il va falloir sacrément muscler mes romans. Je risque d’avoir quelque retard sur Eurostat et les juges de New York.

     

    CrimeFest à Bristol

     
    En cette mi-mai 2014, j’ai participé à Bristol au CrimeFest, une manifestation très « british ». Pas du tout un festival comme nous en connaissons en France, mais une convention, dans un grand hôtel, avec dîner de gala, robes de soirée et costumes sombres, essentiellement fréquentée par des « professionnels » du roman criminel, auteurs, éditeurs, critiques, universitaires. Tables rondes, rencontres multiples, cette convention est organisée tous les ans par la Crime Writers Association, la même association qui décerne chaque année les Daggers Awards, les prix littéraires les plus prisés pour ce genre littéraire. Surprise de mesurer la puissance de ce mouvement associatif sans commune mesure avec ce qui existe en France, et surprise de découvrir à quel point le monde anglo-saxon reste refermé sur lui même.  J’ai participé à une table ronde Euro Polar (voir ce compte rendupar une universitaire anglaise). Trois Scandinaves, moi, et des Anglais. La Grèce était représentée par un auteur anglais, résident en Grèce et écrivant sur la Grèce. Comme si Dona Leon représentait le Noir italien. Parmi les nombreuses questions venant de la salle, l’une d’entre elles était dans le même registre : qu’est ce que je pense des auteurs anglais qui font des polars qui se passent en France ? Pour atténuer le choc de la différence des cultures, la médiation par un Anglo-Saxon semblait encore très importante pour les participants à cette table ronde.
    Nous avons encore fort à faire dans le domaine du dialogue entre les cultures. 
    Je suis contente d’être allée respirer l’air de Bristol, et merci à mon éditeur anglais qui m’a permis de le faire. Je renouvellerai l’expérience autant que je le pourrai.
     

    Soirée agitée au 36

     
    L’épisode du viol présumé d’une touriste canadienne au 36 quai des Orfèvres par un capitaine et un major de la BRI fait beaucoup de bruit. L’émotion est proportionnelle au prestige des « grands flics » du 36. Si le viol fait l’objet de l’enquête, la beuverie qui l’a précédé, dans un pub d’abord, puis dans les locaux du 36, est avérée.
    Le 12 avril 2014, quinze jours avant les faits, je participais à un débat avec le juge Fernand Kato sur le thème « crimes et erreurs judiciaires » dans le cadre du festival de littérature noire de Mulhouse. Je parlais de mon roman « Bien connu des services de police ». Dans le cours du débat, j’évoque ce qui, à mes yeux, est un des traits les plus marquants de la culture policière, la pratique du faux témoignage par les policiers lorsque l’un des leurs est impliqué. Mon interlocuteur proteste avec vigueur. Il n’a jamais été confronté à de telles pratiques, dit il. Un peu plus tard, j’évoque l’alcoolisme, l’usage abusif de l’alcool, dont les causes sont multiples mais les effets ravageurs. Nouvelle protestation. Peut être avant 2003, soutient mon interlocuteur, mais depuis le problème est réglé, plus d’alcool dans la police.
    Dans l’épisode actuel, nous avons les deux, et dans un des corps les plus prestigieux de notre police, un des corps où la qualité des hommes et la force et la présence de de la hiérarchie sont avérées. 
    Je ne sais pas ce que pense le juge Kato aujourd’hui. Pour ma part, j’espère que le caractère hors norme de ce fait divers fera avancer la réflexion. Le corporatisme puissant dans la police sur lequel fleurit la culture du faux témoignage est une tare dans un régime démocratique. Une tare entretenue, encouragée par tous ceux dont la mission est d’encadrer, contrôler une police démocratique, les supérieurs, les juges, les institutions. Sans parler du ministre lui même qui accepte ou revendique de se faire appeler « le premier flic de France ». Il agit au nom des citoyens, pour les citoyens, pas au nom des flics pour les flics.
    La critique n’est pas facile à entendre. Pour ma part, chaque fois que j’ai eu à discuter de « Bien connu… » en public avec des responsables policiers, ils considéraient ce roman comme une caricature inutile. Sauf une fois, en Allemagne, à Bonn, un débat à l’initiative de la police allemande.
    On peut aussi ajouter que le corporatisme policier n’est pas une exception. Corporatisme enseignant, des médecins, des avocats, des taxis, le corporatisme semble bien être un principe d’organisation de notre société. 
     

    Ausbruch

     
    L'Evasion vient d'être traduit en allemand et publié aux éditions Ariadne-Krimi.

     

    La robe rouge

     
    Librairie Eureka Street, à Caen, le 27 mars 2014.
    Une soirée de rencontres chaleureuse, de ces moments où on a le temps de parler, de questionner, de creuser. La discussion glisse vers les personnages féminins. Je constate que j’ai eu du mal à les faire vivre, dans mon premier roman, Sombre Sentier, et peut être dans les suivants. Pour des raisons que je m’explique mal.
    Une lectrice me dit qu’elle garde le souvenir de la robe rouge d’Anna Beric. J’en suis émue. Cette robe rouge, je l’ai croisée dans une vitrine à Venise, elle m’a touchée, elle a provoqué une émotion inexplicable. Des années après, cette émotion passe dans un roman, une lectrice la ressent et la garde en mémoire des années après. C’est le bonheur d’écrire, c’est le bonheur de vous rencontrer, merci Madame.
     

    L'Ukraine : question de principe ?

     
    Je ne suis pas une spécialiste des relations internationales, simplement une citoyenne, incapable de comprendre la façon dont se déroule aujourd’hui le débat sur l’Ukraine dans mon pays.
    La défense de « l’intégrité territoriale de l’Ukraine » contre l’invasion russe serait une question de principe. Bon. Quels principes ?  Pourquoi « l’unité territoriale » de l’Ukraine » est-elle un principe ? Il n’y a pas si longtemps nous faisions le contraire avec la Yougoslavie. Reconnaissance immédiate de l’indépendance de la Slovénie, puis les autres ont suivi, Croatie, Bosnie, Kosovo. On n’a pas demandé l’avis des Serbes en l’occurrence. Plus près de nous, il va y avoir un référendum sur le statut de l’Écosse. Il a lieu en Écosse. Les Anglais ne votent pas, que je sache. L’unité territoriale de l’Ukraine ne renvoie à aucun principe immuable, mais simplement à une analyse conjoncturelle précise. Très bien, alors qu’on me l’expose, que je puisse au moins comprendre, si ce n’est donner mon avis.
    Côté américain, la référence aux « grandes valeurs » est carrément surréaliste. J’entends Obama parler d’ingérence russe contraire au droit international. Je ne rêve pas, il s’agit bien du président du pays qui a envahi et détruit l’Irak, au mépris du même droit, en s’appuyant sur un énorme mensonge d’État, dont personne n’était dupe, sauf les citoyens (et la presse) américains ? Il s’agit bien du président qui conduit une politique d’assassinats « ciblés » par drones interposés qui a fait à travers le monde plus de 3000 morts dans les trois dernières années ? Avec l’accord de qui ? En référence à quel texte du « droit international » ? Mais Obama a la réponse : les États-Unis ont le droit d’envahir et de tuer, et eux seuls, parce qu’ils sont une « nation exceptionnelle » (sic).
    Europe et États-Unis s’appuient ensemble sur la défense d’un autre grand principe : la défense de la démocratie. On pourrait argumenter en disant qu’on ne la ressort que lorsque cela nous arrange, cela est évident pour tout le monde puisque certaines des pires dictatures sont nos alliés fidèles. N’oublions pas non plus que nous avons appuyé avec enthousiasme Eltsine, enfin nous avions trouvé un vrai démocrate russe. Eltsine a pillé la Russie de façon magistrale, et laissé un souvenir si catastrophique au peuple russe que la rupture avec l’ère Eltsine constitue la base de la popularité de Poutine en Russie.
    Mais ce n’est pas le plus important. Le plus important est de réaliser enfin que ce système démocratique, chez nous, dans notre pays, est complètement à bout de souffle, que nous n’avons aucun modèle en état de marche à exporter. Et les Américains non plus. Abstention de masse, rôle dominant de l’argent dans la vie politique, creusement des inégalités, élections truquées en cas de besoin (vous vous souvenez : la Floride et Bush ?). Chez nous en cas de besoin, quand un résultat gène, on n'en tient tout simplement pas compte (référendum sur l’Europe en 2005, la seule fois où on a eu un vrai débat de masse sur l’Europe). 
    Alors, reste la liberté d’expression comme joyau de notre démocratie. Précieuse, c’est vrai, et je n’ai aucune envie de vivre en Russie. Mais je ne la trouve pas non plus en pleine forme cette liberté d’expression chez les « Occidentaux ». L’autocensure et la pensée unique ont remplacé la censure, c’est indolore et bien plus efficace. 
    Si nous renonçons à l’évocation des grands principes, vides de sens, pouvons nous raisonner de façon concrète, et évoquer par exemple la question des sanctions ? Formidable. Sanctions économiques. Décidées par les Américains. Appliquées par les Européens. Boycottons les Russes. Ce sera très lourd pour l’économie russe et l’économie européenne. Cela tombe bien, au moment où les États-Unis nous proposent un traité de libre échange léonin. Plus nous aurons de difficultés économiques, plus la diplomatie américaine nous coûtera cher, moins nous serons en situation de négocier ou de refuser ce traité. Les pétroliers américains ont déjà fait savoir qu’ils peuvent nous fournir en gaz de schiste, si nous le signons. Ce que notre président d’ailleurs rêve de faire au plus vite. Et hors de tout débat démocratique. Mais il ne peut évidemment être question de débat et de choix démocratiques sur des questions aussi importantes, qui vont déterminer le sort de nos sociétés pour des dizaines d’années. Pour des questions aussi importantes, soyons sérieux, négociations entre technocrates, loin de toute publicité.
     

    Madoff sur scène

     
    Vendredi 21 février, à Florange, à la Passerelle, première représentation théâtrale du « Rêve de Madoff ». Un monologue d’une heure, interprété par Patrick Roeser, mis en scène par Roland Macuola, avec la compagnie Les Uns Les Unes. J’y ai assisté, avec une grosse pointe d’inquiétude. Pas le trac de l’acteur, mais pas loin. Un texte très littéraire, qui parle économie, comment allait il être reçu ? Etait-ce possible de le jouer ? Car il ne s’agissait pas de le lire à haute voix, mais bien de le jouer, de passer d’un mode d’expression à un autre, il s’agissait d’une mise en vie. Belle réussite. J’ai reconnu mes phrases, mais ce n’était plus mon texte, c’était celui de Patrick Roeser, et c’était passionnant. Il a saisi son public, et ne l’a plus lâché un instant. Gagné. A la fin, après les applaudissements chaleureux du public, les spectateurs que j’ai rencontrés me disaient : l’économie, la Bourse, l’escroquerie Madoff, la passion américaine pour le fric, tout est devenu clair ! Pas sûr… Mais c’est la magie du théâtre, quand le spectateur est embarqué, il peut bien traverser tous les océans. 
    De mon côté, j’ai eu le sentiment que, grâce au travail de la troupe, le texte tenait le choc, sans faiblir. Et j’en ai été heureuse.
     

    Dieudonné censuré. Et après ?

     
    Donc le gouvernement a apparemment gagné la partie contre Dieudonné, celui ci a déclaré retirer de son spectacle les horreurs antisémites qui s’y trouvaient. Des horreurs qui ne m’ont jamais fait rire, au contraire ; quand je vois le succès qu’elles recueillent, elles m’angoissent sur l’état de la société dans laquelle je vis.
    Mais le succès remporté par le gouvernement ne me rassure nullement. Au contraire. J’y vois une menace potentielle grave contre nos libertés. Le racisme et l’antisémitisme sont des composantes de fond de nos sociétés européennes, ils vivent comme une sorte de kyste endormi dans le tissu social qui explose dans les périodes de crise. Le kyste est en train d’exploser un peu partout en Europe, sous des formes diverses, et la question est de savoir comment nous allons réagir. Le gouvernement a choisi l’interdiction du spectacle de Dieudonné. La mesure a au moins l’intérêt de réveiller un débat sur le racisme totalement atone. Quand on parle de l’antisémitisme, il est parfois fait référence à l’histoire, à la montée du nazisme, sous une forme étonnement tronquée : j’ai lu ou entendu qu’il serait impossible de laisser s’exprimer un antisémitisme dont la libre expression dans les années 30 aurait permis le triomphe d’Hitler. Cet argument me semble reposer sur un contre sens. Le triomphe du nazisme ne repose pas sur la seule liberté laissée à l’antisémitisme de s’exprimer, mais sur les ravages en Europe de la boucherie de la guerre de 14-18, sur l’absence de vision européenne du traité de Versailles et son aspect bêtement revanchard, puis sur la violence de la crise de 1929, et l’incapacité des hommes politiques au pouvoir en Europe de la gérer. C’est sur ce socle en béton que l’antisémitisme a flambé, et avec lui les idéologies fascisantes dans toute l’Europe, y compris en France. Il me semble qu’il faut donc d’abord s’interroger sur les raisons qui amènent l’antisémitisme de Dieudonné à attirer aujourd’hui un large public jeune et très divers, qu’il n’aurait pas attiré il y a vingt ans.
    Quel est le socle sur lequel prolifère le kyste de l’antisémitisme de Dieudonné ? Je ne suis pas une spécialiste, mais d’après ce que j’ai entendu dans son public, les ratés dans la façon dont nous avons soldé l’ère coloniale, les différents traitements réservés aux différentes sortes de racisme, le soutien indéfectible que l’Occident a apporté à l’État d’Israël dans sa façon d’absorber les territoires palestiniens, en créant des réserves, puis en les réduisant progressivement jusqu’à leur extinction programmée, en copiant la façon dont les États Unis ont traité les Indiens d’Amérique du Nord, la façon dont certains réduisent toute critique de la politique de l’État d’Israël à de l’antisémitisme, la crise profonde dans tout le Moyen Orient à laquelle l’Occident a largement contribué, sont des facteurs idéologiques et culturels qui flambent sous l’effet de la crise économique. S’attaquer à l’expression de ce malaise et non pas aux causes qui le font prospérer est une entreprise dangereuse et peut être perdante. Nous sommes déjà dans une crise sérieuse de notre régime démocratique, tout le monde le perçoit. Nos hommes politiques professionnels forment une caste, nos institutions fonctionnent mal et de façon opaque, la construction européenne est antidémocratique dans son fonctionnement quotidien comme dans ses grands rendez vous (souvenez vous, entre autres, du référendum de 2005…), le dégoût et l’abstentionnisme montent, et les inégalités et la misère s’accroissent sous l’effet des solutions libérales et déflationnistes que nous apportons à la crise économique, comme en 1929. Mêmes causes, mêmes effets.
    On voit mal comment la gestion actuelle de l’affaire Dieudonné pourrait rendre des forces et de la crédibilité à l’idée démocratique dans toute la société française. Comment elle pourrait aider à mettre en place une bataille de masse, une mobilisation populaire contre le racisme et l’antisémitisme. En la matière, ma référence est le combat des Dreyfusards, au tournant du siècle dernier. Cette bataille là a vraiment fait bouger les lignes dans la société française, pour une trentaine d’années, parce qu’elle reposait sur un énorme effort intellectuel et sur des mobilisations dans le tissu même de la société. Le choix de la politique d’interdiction ne va pas dans ce sens. Elle se heurtera à la multiplicité des canaux existants pour que s’exprime l’épidémie antisémite, et est lourde de menaces. Bientôt les rappeurs ? Ce n’est pas si vieux, souvenez vous. Interdit de dire du mal de la police. Et ces salauds de soixante-huitards qui ont eu le culot de dire qu’il est interdit d’interdire ? Je l’ai entendu dire déjà dans des émissions de débats autour du spectacle de Dieudonné : ce dont nous avons besoin, c’est d’un retour à l’ordre généralisé. Moi, quand le ministre de l’Intérieur se charge de délimiter le périmètre des libertés - de mes libertés – au nom de la morale – de sa morale - je m’inquiète pour mon avenir.
     

    Η απόδραση

     
    L'évasion vient d'être traduit en grec par les éditions Εκδόσεις του Εικοστού Πρώτου
     

    Bonn. Débat avec la police

     
    Un membre du directoire de la police de Bonn chargé de la culture m’avait invitée à venir parler de Bien Connu des Services de Police dans le cadre d’un cycle de conférences sur le polar. Je ne savais pas du tout en quoi cela pouvait consister, mais j’ai accepté immédiatement. J’étais curieuse. La conférence a lieu le 4 décembre 2013 au siège de la préfecture de police de Bonn. L’animateur de la rencontre, responsable de la PJ de Bonn, vient nous chercher à l’hôtel, mon éditrice allemande et interprète et moi. Il est sympa et décontracté. A la préfecture, l’accueil est chaleureux. Non, l’invitation n’est pas une erreur, oui les responsables policiers ont lu « Bien connu… ». Iris et moi nous installons à la tribune, devant une grande salle vide de 230 sièges, vaguement inquiètes. Les portes s’ouvrent, et la salle se remplit instantanément. Pas un siège de vide. Quel public ? Des policiers, en nombre, et des citoyens de la ville qui viennent régulièrement à ces rencontres. Dans cette salle, à ce moment là, la police n’est pas un univers clos, replié sur lui même, et qui sélectionne avec soin des intervenants acquis d’avance à sa cause. Ce n’est peut être pas tout, mais ce n’est pas rien, si l’on veut avancer en direction d’une police ouverte sur la société toute entière. Je passe sur l’organisation de la conférence, impeccable, « allemande » dirait un bon Français. Ouverture en musique par un orchestre de policiers, du jazz, parce qu’il y en a dans mes livres me dit le responsable de la culture, puis deux heures et demie de débat et lecture, avec une pause musique et une pause café-soupe. Après une présentation rapide, nous passons à la lecture d’une longue scène dans laquelle, à partir du vol hypothétique d’un téléphone portable, dans une confusion complète, deux équipes de policiers en intervention se canardent au lance-grenade, bilan 8 blessés dans les forces de police. La discussion s’engage immédiatement avec la salle. Les sources ? Rapport à la réalité ? Toute une série de questions que je rencontre dans la plupart des débats auxquels je participe sur ce roman. Un public franchement intéressé, et pas agressif. Après les premières questions, en viennent d’autres : si la situation est si difficile entre police et population dans les « banlieues », pourquoi, quelles sont les causes du malaise, qu’est ce que ce malaise dit de la société française toute entière ? Un vrai débat. Une seule question n’a pas eu de réponse, celle que l’animateur lui même a adressé à un policier de la Sécurité Publique de Bonn : Des scènes comme celles qui émaillent « Bien Connu… » se produisent elles aussi à Bonn ? Le policier ne répond pas. Il évoque la difficulté à exercer son métier. Certes… Donc, même avec des trous d’air, un vrai débat sur le fonctionnement de la police, avec des écrivains qui peuvent être critiques, des citoyens, dans le cadre d’une préfecture de police, avec des policiers en exercice, est possible. Et contribue à détendre l’atmosphère de part et d’autre. En Allemagne. Pas en France. Au moment où sort l’enquête Polis-autorité, dans laquelle deux chercheurs mettent en lumière l’ampleur du divorce entre la police et la population. Après bien d’autres signaux d’alarme dont on n’a pas voulu tenir compte, il serait grand temps de s’attaquer au problème.