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Gil Hilel dénonce le vrai visage de l’occupation israélienne en Palestine

 

25/02/2014 | 19h23
Des soldats israéliens entrent dans une maison à la recherche d'un Palestinien, en septembre 2013 (Reuters/Ammar Awad)

 

Il y a vingt ans, la ville d’Hébron était ébranlée par le massacre du Tombeau des Patriarches. Divisée en deux zones, elle symbolise l’impossible cohabitation entre Israéliens et Palestiniens. Plusieurs milliers de soldats assurent leur pénible coexistence. Gil Hilel a servi trois ans dans cette ville fantôme. Aujourd’hui membre de l’association Breaking the silence, elle brise les tabous et témoigne de la réalité de l’occupation israélienne en Palestine.

“Le premier jour de mon service, je pensais accomplir quelque chose de bien pour mon pays. J’étais très fière !” Gil Hilel a servi entre 2001 et 2003 dans l’unité Sahlav en charge du maintien de l’ordre à Hébron. En Israël, le service militaire est obligatoire pour les femmes comme pour les hommes, pendant trois ans. “L’armée, nous en parlions beaucoup à l’école, elle devait marquer une étape, celle du passage à l’âge adulte”, explique Gil. Devait…

Gil Hilel

Rapidement, Gil est confrontée à la réalité de l’occupation. La ville est divisée en deux secteurs : H1, administré par les autorités palestiniennes, et H2, contrôlé par l’armée israélienne. Une conséquence directe du massacre du Tombeau des Patriarches, survenu le 25 février 1994. Ce matin-là, Barouch Goldstein, un médecin israélien de 37 ans, ouvre le feu sur les fidèles musulmans palestiniens en prière. Bilan : 29 morts et 125 blessés. Aujourd’hui, un grillage sépare certaines rues empruntées par les Palestiniens des maisons israéliennes en surplomb. L’objectif : protéger les passants des projectiles lancés par les colons. Avec ses 177 000 habitants, Hébron est la ville la plus peuplée de Cisjordanie et la seule ville palestinienne au centre de laquelle vivent des colons israéliens. Pour permettre cette cohabitation, près de 3 000 militaires patrouillent nuit et jour pour assurer la protection de quelque 700 Israéliens.

Stratégie de persécution

“Occuper, c’est instaurer la peur”, résume Gil. Les soldats patrouillent en permanence, encerclent des maisons choisies au hasard au milieu de la nuit, réveillent ses habitants, séparent les hommes et les femmes, vérifient leurs papiers d’identité et fouillent toutes les pièces dans un vacarme inouï. Tout le quartier doit savoir que l’armée est partout, tout le temps et qu’elle peut surgir à n’importe quel moment. L’occupation repose sur cette stratégie de persécution. “Pour mon premier jour sur le terrain, mon commandant nous a emmenés dans un quartier palestinien d’Hébron. Il a arrêté un homme qui marchait dans la rue et l’a roué de coups.” De retour à la base, Gil demande pourquoi : “C’est lui ou moi, il doit avoir peur de moi, sinon il me tuera, c’est comme ça que tu resteras en vie Hilel”, répond son supérieur. On lui interdit de reposer la question, sous peine d’être sanctionnée. Or être puni, c’était risquer de ne pas rentrer chez soi pendant deux mois. “Alors je suis rentrée dans le rang”, soupire-t-elle. Plus les mois ont passé, plus les justifications de l’armée ont fini par faire leur effet :

“J’étais en permanence au contact des Palestiniens, pourtant je ne les voyais plus comme des êtres humains, ils étaient de potentiels terroristes.”

Gil apprend la langue de l’occupation : ordres et contre-ordres pour soumettre l’ennemi. Elle pouvait tout exiger, obliger un homme à rester debout, sans eau ni nourriture pendant plusieurs heures devant elle parce qu’elle estimait qu’il lui avait manqué de respect, lui demander de s’asseoir, puis de se relever et de s’asseoir encore, 50 fois de suite si elle le souhaitait. “On pouvait faire ce que l’on voulait. Et quand on avait passé une bonne journée, on se montrait parfois plus clément”, raconte-t-elle. Très mesurée et réfléchie, la jeune femme n’a pas peur des silences, elle prend son temps et cherche ses mots.

Gil Hilel se souvient d’un regard, un regard qu’elle n’a pas compris à l’époque et qui la hante aujourd’hui.

“Un jour, une jeune Palestinienne que je connais bien passe devant mon check point. Je l’arrête, lui demande sa pièce d’identité et l’interroge sur sa destination, alors que je sais qu’elle va à l’école. La petite demande pourquoi je l’arrête aujourd’hui encore, je lui réponds sèchement : ‘Parce que !’

Gil s’interrompt, elle a du mal à rassembler ses souvenirs.  “Je décide de la punir pour son impertinence. Je l’ai forcée à rester debout devant moi pendant toute la durée de mon service. Il y avait tant de haine dans son regard, dans ses yeux d’enfants. Je n’ai compris la signification de ce regard qu’une fois redevenue civile. Comment pouvais-je lui demander de me voir comme un être humain quand je ne la voyais que comme un ennemi, un arabe ?” se souvient Gil.

“Je ne veux pas savoir ce que tu fais là-bas”

Le week-end suivant, Gil retourne chez ses parents et, toute fière, raconte cet épisode. Un silence gêné s’installe. “Je ne veux pas savoir ce que tu fais là-bas, reviens-moi juste saine et sauve”, lui répond sa mère. Gil réfléchit à ce silence, mais rapidement le quotidien reprend ses droits. “Je n’avais pas le temps de penser à tout ça. Huit heures sur le terrain, huit heures de corvées à la base, je dormais quelques heures et je repartais pour huit heures sur le terrain. C’était une routine très dure, la seule chose que je voulais, c’était avoir mes quelques jours de repos pour rentrer chez moi”, explique-t-elle.

Aujourd’hui, Gil a 31 ans et termine son master “Action sociale”. Elle veut se lancer dans la politique pour changer les choses de l’intérieur et mettre un terme à l’occupation. Elle anime des conférences et des visites d’Hébron avec Breaking the silence, l’association de vétérans israéliens qui a recueilli son témoignage. Créée il y a près de dix ans, Breaking the silence a rassemblé plus de 900 récits qui dessinent le vrai visage de l’occupation.

“Chaque mois, j’attends ces rendez-vous avec impatience, partager mon expérience avec des jeunes qui viennent de terminer leur service militaire, c’est difficile et très émouvant, mais c’est tellement gratifiant”, Gil glisse quelques mots en hébreu, se reprend et formule, hésitante : “Je n’arrive pas à exprimer tout ce que je ressens… Aujourd’hui j’ai vraiment le sentiment de faire quelque chose de bien pour ma communauté.”

“Tout a changé quand je suis redevenue civile”

La jeune femme ne regrette pas ses années de service, c’était la réalité du terrain, une réalité avec laquelle il fallait apprendre à composer si l’on voulait survivre. Aujourd’hui, elle veut changer les choses, mettre un terme à l’occupation morale, à cette stratégie de la peur. Gil a attendu dix ans avant de témoigner. “Quand j’étais soldat, j’étais très fière de ce que l’on faisait. J’obéissais aux ordres. Tout a changé quand je suis redevenue civile, je me suis dit : ‘Mais putain, qu’est qu’on a fait ?’ Au fur et à mesure, j’ai commencé à poser des questions sur l’action de mon gouvernement”, explique-t-elle. Et une question en entraînant une autre, toutes ses croyances ont été ébranlées. “Témoigner est un acte patriotique, il faut que la communauté israélienne sache ce qu’il se passe sur le terrain, qu’elle connaisse le prix à payer pour sa sécurité”, affirme-t-elle.

Elle vit “au bout du monde” dans un kiboutz au nord du pays. Elle travaille d’arrache-pied pour valider son année, depuis qu’elle a commencé ses études, elle n’a plus une minute à elle. “C’est mon service académique !”, plaisante la jeune femme. Quand elle n’est pas dans ses livres, elle débat avec son petit ami, enseignant, à qui elle voue un véritable culte. Sa voix éraillée hésite : “Je sais que le processus que j’ai initié ne se terminera jamais, c’est une remise en cause permanente.”

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