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Quand frappent les drones

Analyse. En janvier dernier, le Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’Homme et le contre-terrorisme a annoncé l’ouverture d’une enquête sur l’utilisation de drones au regard du droit international. Au Yémen, ces avions sans pilote, utilisés depuis 2002 par les États-Unis pour éliminer de présumés combattants de la nébuleuse Al-Qaïda, suscitent la controverse.

« Toutes les mesures prises au nom de la lutte antiterroriste ou d’autres défis sécuritaires au Yémen doivent avoir à cœur la protection des droits humains », selon Malcolm Smart, ancien directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. Or, il semble que cette nécessaire vigilance au respect des droits fondamentaux ne soit pas suffisamment prise en compte par la politique américaine au Yémen. Le principal aspect de cette politique concerne la lutte antiterroriste contre la nébuleuse Al-Qaïda. Depuis la fusion des branches saoudiennes et yéménites en 2009, les États-Unis ont en effet placé le Yémen en tête de leurs priorités, allant jusqu’à décrire le pays comme la principale menace contre les intérêts américains dans le monde.

Cette politique poursuivie par Barack Obama se fonde essentiellement sur l’utilisation des drones, des avions militaires sans pilote qui font partie de l’arsenal des robots militaires de plus en plus employés dans les zones de conflit.

135149_Hermes_450_UAV_used_for_reconnais Drone Hermes 450 © Robin Ballantyne / Omega Research Foundation, sourced through Mispo.org

La première frappe d’un drone au Yémen, en 2002, fut suivie d’un partenariat étroit entre l’administration américaine et le régime du président Saleh, pour lequel cette coopération signifiait d’importants gains financiers.

Depuis le début du mandat d’Obama à la Maison Blanche, les frappes de drones ont augmenté de façon très significative en nombre et se sont étendues à plusieurs parties du territoire. Ces frappes sont dirigées à la fois par la CIA et le Pentagone, de façon indépendante, sans aucune transparence quant au processus, aux critères de décision, au mode d’établissement des « kill-list ». Tandis que les drones offrent des avantages indéniables pour les Américains, tels que l’absence de troupes au sol, une plus grande précision comparée aux frappes aériennes traditionnelles, et un effet psychologique sur les groupes armés, leur utilisation pose également de nombreuses questions d’ordre éthique, humanitaire et légal.

Civils ou combattants

« Selon le droit international, il y a une présomption de statut de civil et non de combattant. Il faut donc que celui qui intervient militairement prouve que vous participez directement aux hostilités, expliquait en mars dernier Stuart Casey Maslen, directeur de recherches à l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève*, Pourtant, la politique des États-Unis en la matière semble plutôt fondée sur la présomption de militant s’agissant des cibles potentielles. Ils ont donc inversé la charge de la preuve et parlent de Signature Strikes, des assassinats fondés sur de seuls “indices concordants” ». Auparavant, toutes les frappes visaient en effet un individu clairement identifié et dont les activités avaient été prouvées par le renseignement. Désormais, une personne « au comportement suspect » est susceptible d’être visée, même en l’absence de toute autre information sur son identité ou ses activités. De plus, tout individu masculin tué lors une frappe sera compté comme un membre de groupe armé et non comme civil, sauf s’il est prouvé qu’il était innocent de façon posthume. Cette nouvelle politique de Signature strikes, à laquelle s’ajoute la qualité incertaine du renseignement au sol, accroît la probabilité d’erreur causant des victimes civiles.

CarteYemen_0.jpg Carte du Yémen © Afdec

Le traitement médiatique de l’utilisation des drones laisse également perplexe. Tandis que leurs effets controversés sont désormais discutés, les Unes des principaux médias internationaux continuent de « vanter » leurs mérites, parfois à tort. Ainsi, le 17 décembre 2009, la presse internationale faisait état de 34 membres supposés d’Al-Qaïda tués par une frappe américaine : il s’agissait en réalité de 41 civils, dont 14 femmes et 21 enfants. De façon similaire en septembre 2012, les « dix militants [de groupes armés. ndlr] tués par un drone » se révélaient être des civils.

L’effet boomerang des drones

Les questions de la souveraineté yéménite, des victimes civiles et de la légalité de telles actions contribuent à rendre contre-productive cette politique américaine, selon certains analystes. En effet, il semblerait que les cibles éliminées soient rapidement remplacées, tandis que le montant des destructions et des victimes servent d’outil de recrutement par Al-Qaïda auprès de la population. Alors que l’on estimait à quelques centaines le nombre des membres de groupes armés liés à Al-Qaïda en 2011, les derniers chiffres de la CIA font état de quelques milliers. Il serait inexact d’attribuer cette nette augmentation à la seule utilisation des drones, mais le sentiment antiaméricain et le nombre de manifestations contre la politique américaine sont autant d’indicateurs du potentiel recruteur d’une telle politique pour les groupes armés.

Les supporters des drones rétorquent qu’il n’y a pas d’alternative efficace. Même si ce point est discutable, il existe néanmoins des éléments permettant de limiter l’aggravation de la situation : des excuses officielles et une compensation pour chaque erreur ayant entraîné la mort de civils – comme c’est le cas en Afghanistan ou au Pakistan – une plus grande transparence quant à l’ajout de personnes sur les kill-list, un suivi plus étroit de l’aide militaire apportée à un régime corrompu, etc. Sur le long terme, un soutien plus efficace et une aide directe à la population pourraient s’avérer le meilleur moyen de lutter contre l’extrémisme. Pour certains Yéménites, les millions dépensés pour l’organisation des élections présidentielles de 2012 ou pour le dialogue, tandis que près de la moitié de la population est en insécurité alimentaire, sont perçus comme un signe de l’indifférence de la communauté internationale quant à la gravité de la situation au Yémen.

Benjamin Wiacek pour La Chronique

*Courrier international, 12 mars 2013

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