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La "commission pour la transparence"


L
a "commission pour la transparence" a-t-elle transmis à la Justice la fausse déclaration de Cahuzac ?

Chuut ! Elle n'a pas le droit de parler. Notre enquête infructueuse

Une Peugeot 307 achetée d’occasion, un fauteuil Charles Eams, des bijoux de famille, quelques centaines d'euros sur un compte épargne logement, une maison de campagne ou encore un (petit) appartement acheté à crédit. Depuis quelques jours, les politiques défilent au micro des journalistes pour rendre public leur patrimoine. Un nouvel effet de l'affaire Cahuzac et une tentative de transparence pour "moraliser la vie politique". Pourtant, une commission chargée de contrôler le patrimoine des élus existe. Les sanctions ont même été renforcées. Et qu'a-t-elle fait dans le cadre de l'affaire Cahuzac ? Mystère. Solicités par @si, les 15 membres de cette commission de la "transparence" n'ont pas vraiment joué le jeu de ladite transparence. Et pour cause : la loi leur interdit de parler. Chut !

On va tout savoir, ou presque : de la 4L de Cécile Duflot au fauteuil d'Arnaud Montebourg , en passant par les crédits immobiliers de Laurent Wauquiez. Des révélations pour le grand public, mais pas pour les membres de la "Commission pour la transparence financière de la vie politique" qui sont déjà au courant. Créée en 1988, cette commission est chargée de recueillir les déclarations de patrimoine de tous les élus : ministres, députés, conseillers généraux, régionaux, municipaux (ayant une délégation de signature), ainsi que les dirigeants d'organisme public, soit au total 6 400 déclarations.

 

Site de la commission avec les formulaires pour élus

Instaurée en 1988, cette commission, compare les déclarations des élus à leur entrée en fonction et à leur sortie. Un travail titanesque pour les quinze membres de la commission et leur dizaine de rapporteurs. La procédure de vérification des déclarations des 577 députés prend par exemple entre six et dix mois. En cas de déclaration incomplète, la commission peut demander des précisions aux élus.

Et s'il y une suspicion d'enrichissement anormal, elle peut transmettre le dossier au parquet. Est-ce le cas de Jérôme Cahuzac, qui a caché dans sa déclaration de patrimoine les 600 000 euros de son compte à l'étranger ?

Nous avons tenté de joindre, non sans mal, les neuf membres de cette commission de transparence ainsi que leurs six suppléants dont les noms apparaissent dans un tableau mis en ligne sur le site officiel de la commission . Résultat ? Un vrai parcours du combattant et une vraie liste d'excuses digne d'un tableau de vie scolaire au collège. Deux d'entre eux, membres du Conseil d'Etat ou de la Cour des comptes, sont en voyage à l'étranger (identifiables par un avion dans notre tableau) et ne peuvent donc pas répondre en temps voulu. Trois autres, conseillers honoraires à la Cour de Cassation ou la Cour des comptes, n'ont plus de bureau (sigle bleu). Et quand certains membres en ont un bureau, avec téléphone, ce n'est pas forcément plus facile pour les joindre : on ne peut pas laisser de message sur le répondeur des trois conseillers issus de la Cour de cassation ("c'est impossible", nous précise le standard). Du côté du secrétariat de Didier Migaud (premier Président de la Cour des comptes et membre de droit de la commission transparence), on nous explique qu'il ne peut pas parler (Chut ! Index sur la bouche). Rémi Caron, conseiller d'Etat en service extraordinaire (sic) a un répondeur qui marche et un message donc (mais il ne nous a pas rappelé).

 

 



Finalement, sur quinze personnes, nous n'en avons eu que trois au téléphone. Des échanges téléphoniques parfois brefs : "J'étais en partance pour une réunion, je ne peux pas vous parler", nous dit Michel Braunstein avant de raccrocher (logo "Course à pied"). "Je ne suis pas en mesure de vous répondre. Au nom de la commission, on ne peut pas divulguer quoi que ce soit sur ce qui s'y passe", explique Pierre Forterre, en toute transparence. Même réponse de Jean-Michel Berard, qui accepte tout de même de nous préciser que "le président de la commission a la possibilité de transmettre au parquet une fausse déclaration". Est-ce que Jean-Marc Sauvé (qui "est absent pour une semaine") l'a fait ? Berard ne répond pas et nous renvoie vers le secrétaire général adjoint du Conseil d'Etat, Brice Bohuon qui centralise la communication. Après une après-midi à le relancer, il finit par nous rappeler. Et le verdict tombe : "Je suis obligé de vous faire la réponse que j'ai faite à vos collègues journalistes : on a l'obligation de garder la plus stricte confidentialité sur ce dossier. On s'exposerait à des sanctions pénales, c'est dans la loi de 1988 qui institue cette commission". 

Impossible de savoir si la fausse déclaration de patrimoine de Cahuzac a été transmise au parquet. Mais selon nos informations, c'est bien ce recours qui est envisagé par le cabinet du président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, pour empêcher l'ancien ministre du budget de revenir à l'Assemblée comme il en a l'intention. Car depuis la loi organique du 14 avril 2011, citée dans le 15ème rapport de la commission (document PDF) , une déclaration mensongère peut donner lieu à des sanctions. Selon l'article LO 135 du code électoral, "le fait pour un député d'omettre sciemment de déclarer une part substantielle de son patrimoine ou d'en fournir une évaluation mensongère qui porte atteinte à la sincérité de sa déclaration et à la possibilité pour la Commission pour la transparence financière de la vie politique d'exercer sa mission est puni de 30 000 € d'amende et, le cas échéant, de l'interdiction des droits civiques selon les modalités prévues à l'article 131-26 du code pénal, ainsi que de l'interdiction d'exercer une fonction publique selon les modalités prévues à l'article 131-27 du même code". L'article 131-26 du code pénal permet au juge de prononcer une inéligibilité. 

Conclusion : si les 600 000€ du compte en Suisse ne figurent pas dans la déclaration de patrimoine faite par Jérôme Cahuzac en juin 2012, la commission pour la transparence financière peut saisir le procureur. Une procédure qui pourrait alors aboutir à l'inéligibilité de l'ancien ministre du budget. Ce qui serait d'ailleurs une première dans l'histoire de la commission : "En 23 ans d'activité, la Commission a transmis 12 dossiers au parquet, qui ont tous donné lieu à un classement sans suite"relevait le site instituionnel Vie-publique.fr en février 2012. Ca, c'était avant l'entrée en vigueur de la loi renforçant les sanctions. Et depuis la nouvelle loi ? Chuuuut !

(avec Mireille Campourcy, pour le tableau des absences)

 

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