Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

USA:Le pays de la liberté de...tuer

La "liberté" de tirer 100 cartouches sans recharger

 

Après la fusillade d'Aurora et ses 12 morts, les deux candidats à la présidentielle oseront-ils affronter le lobby des armes à feu ? The New York Times ne se fait guère d'illusions, mais suggère des mesures a minima : interdiction des fusils d'assaut et des chargeurs à grande capacité.

Dessin de Sondron paru dans L'Avenir, Belgique.

Dessin de Sondron paru dans L'Avenir, Belgique.

C'est aussi facile que de télécharger une chanson : avec un ordinateur et une carte bancaire, n'importe qui peut commander des milliers de balles et de cartouches de fusil de chasse sur Internet, ainsi que des grenades lacrymogènes et des chargeurs. On peut acheter les mêmes magasins à haute capacité que ceux dont sont équipés les fantassins de l'armée. Ou même acquérir des gilets pare-balles et des casques d'unités antiémeute. Tout cela sans craindre de subir le moindre contrôle d'identité.

Personne ne se soucie de savoir si l'acheteur a un casier judiciaire chargé ou des antécédents psychiatriques. Personne ne surveille les achats de munitions en gros pour voir qui est en train d'amasser un arsenal. Même après qu'un jeune homme dans le Colorado s'est procuré 6 000 cartouches par correspondance et qu'il les a utilisées pour commettre un massacre, ils ne sont pas nombreux, dans la classe politique, à proposer de durcir un peu les conditions d'obtention des instruments de terreur.

Lorsqu'il faisait campagne pour la présidence en 2008, Barack Obama s'était engagé à rétablir l'interdiction des fusils d'assaut qui avait expiré en 2004. Cela aurait prévenu l'utilisation, dans un cinéma du Colorado le 20 juillet, d'un AR-15 et du magasin à 100 cartouches qui l'accompagnait. Mais une fois à la Maison-Blanche, Obama n'a fait aucune tentative pour tenir sa promesse. Quant à son adversaire républicain Mitt Romney, il a banni les fusils d'assaut dans le Massachusetts à l'époque où il en était le gouverneur. Ce faisant, il a incontestablement sauvé de nombreuses vies. Mais aujourd'hui, il s'oppose à toute mesure de contrôle des armes. Il n'a jamais répété les paroles qu'il avait prononcées en 2004, au moment où il signait le texte d'interdiction : "Les fusils d'assaut meurtriers n'ont pas leur place dans le Massachusetts. Ce sont des instruments de mort, dont le seul objet est de traquer et de tuer des êtres humains." 

Obama et Romney redoutent l'un et l'autre la puissance des idéologues des armes, en particulier dans les Etats indécis [en matière électorale] comme la Pennsylvanie, le Nevada et la Caroline du Nord, où de nombreux électeurs ont succombé aux sirènes d'un lobby des armes qui dépeint toute restriction comme une violation inadmissible de la Constitution. Le sénateur Ron Johnson, favori du Tea Party dans le Wisconsin, a exprimé l'avis des républicains (et de bien des démocrates) quand il a déclaré qu'en limitant la commercialisation des chargeurs à grande capacité, on empiéterait sur un droit fondamental. "Le simple fait d'essayer, c'est restreindre notre liberté," a-t-il lancé sur Fox News Sunday.

La liberté de quoi, exactement ? De tirer 100 cartouches sans avoir à recharger ? Quelques amateurs peuvent apprécier de se livrer à cette activité sur un stand de tir, mais ce n'est clairement pas une raison suffisante pour autoriser quelqu'un d'autre à le faire dans une salle de cinéma. Cela n'a rien à voir avec le droit légitime de protéger son domicile et de se défendre, droit confirmé par la Cour suprême en 2008.

Frank Lautenberg, sénateur démocrate du New Jersey, est l'un des rares responsables politiques à avoir eu le courage de proposer une meilleure idée : une interdiction sur les chargeurs de plus de 10 cartouches, qui ne sont nécessaires ni pour la chasse, ni pour l'entraînement, ni pour se défendre. Il a avancé cette solution pour la première fois l'an dernier, après qu'un forcené avait tué 6 personnes et en avait blessé 18 avec un chargeur de 33 coups à Tucson. Parmi les victimes se trouvait la représentante démocrate Gabrielle Giffords. Le tireur avait pu être maîtrisé alors qu'il tentait de recharger son arme.

Le projet d'interdiction n'a pas abouti et sera sans aucun doute tourné en dérision cette année encore par les partisans des armes. En 1933, ils avaient descendu en flammes une proposition de Daniel Patrick Moynihan, sénateur de New York, qui voulait soumettre les munitions des armes de poing à de lourdes taxes, en particulier les balles dum dum (ou expansives), qui causent de terribles blessures. Il y a quelques années, le gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger a signé une loi exigeant la présentation de papiers d'identité pour tout achat de munitions pour armes de poing et en interdisant la vente par correspondance. Un groupe de marchands d'armes s'est alors tourné vers la justice et a obtenu devant les tribunaux que la loi soit condamnée comme étant trop vague. (Kamala Harris, le procureur de l'Etat, a fait appel de cette décision en février.)

Mais les victoires politiques et procédurières du lobby des armes à feu ne doivent pas masquer la réalité. L'interdiction sur les fusils d'assaut n'a certes pas entraîné une baisse de la criminalité, comme l'a constaté la meilleure étude sur le sujet, mais si l'on continue d'autoriser les chargeurs à grande capacité, "davantage de cartouches seront tirées, plus de personnes seront touchées, et les victimes subiront plus de blessures qu'avec d'autres armes à feu". L'imposition de limites raisonnables à la commercialisation de munitions et de chargeurs ne fera pas disparaître les tueries de ce genre, mais elle pourrait en réduire la fréquence et les pertes qu'elles causent.

Dans les deux partis, de nombreux politiciens le savent. Pour surmonter la peur que leur inspire le lobby des armes, ils n'ont qu'à contempler les visages des victimes d'Aurora.

24.07.2012 | Editorial | The New York Time
s

Les commentaires sont fermés.