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  • Iran/Arabie Saoudite : le Proche-Orient vers la guerre ?

     
    Publié le dans Moyen Orient

    Par Éric Verhaeghe.

    Iran Teheran city of lights Arash Razzagh Karimi (CC BY-NC-ND 2.0)

     

    La rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran annonce-t-elle une guerre de religion opposant les sunnites et les chiites ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, mais si cette menace devait se réaliser (comportant, en creux, la menace d’un conflit plus ou moins direct entre la Russie et les États-Unis), elle serait lourde de signification pour l’ensemble du monde occidental.

    Les prémisses d’une guerre de religion

    Depuis plusieurs semaines, le Moyen-Orient assiste à une escalade progressive dans l’antagonisme entre le bloc sunnite conduit par l’Arabie Saoudite et la Turquie d’un côté, et l’univers chiite, Syrie comprise. Certains, en France, n’hésitent d’ailleurs pas à accuser Mohammed ben Salman, le ministre de la Défense saoudien et « prince héritier du prince héritier », à jouer aux va-t-en-guerre pour marquer le pouvoir de sa griffe personnelle.

    Cette stratégie dangereuse a connu quelques malheurs. La coalition sunnite conduite par l’Arabie Saoudite au Yémen, pour mater la rébellion chiite, enchaîne les revers militaires. L’Arabie Saoudite a dû renoncer à maintenir les troupes auxiliaires qu’elle soutient en Syrie dans la coalition politique qui devrait compter dans les prochains mois. En outre, l’intervention russe en Syrie contribue à affaiblir ses alliés sur le terrain.

    Dans ce contexte, l’annonce de l’exécution du cheikh al-Nimr, ainsi que de 46 autres chiites en Arabie Saoudite, est apparue comme l’ultime provocation envoyée par un animal blessé. La forte réaction qu’elle a suscitée en Iran était cousue de fil blanc.

    Nul ne sait où la dégradation des relations entre les deux pays peut conduire.

    L’Occident joue-t-il la division de l’Islam ?

    guerre au proche orient rené le honzecForcément, et avec un peu de recul, le soutien accordé par les États-Unis à l’Arabie Saoudite prend une coloration particulière à l’aune des événements des derniers jours.

    D’un point de vue purement cynique, cette stratégie fonctionne : elle permet de neutraliser le monde musulman en suscitant un conflit en interne. Toute l’énergie consacrée à cet affrontement, est de l’énergie en moins consacrée à l’affaiblissement des pays occidentaux. Comme qui disait, il faut diviser pour régner.

    Dans cette perspective, on comprend mieux le récent rapprochement entre la Turquie et Israël, qui achève d’arrimer le bloc sunnite aux intérêts occidentaux, pendant que le monde chiite s’appuie massivement sur la Russie pour défendre ses positions. Les Occidentaux jouent la carte du grand bloc sunnite d’Istanbul à Ryad pour circonvenir les appétits iraniens dans la région, soutenus par Poutine.

    Au final, les Occidentaux comptent donc sur un affrontement direct entre les sunnites et les chiites pour tirer leurs marrons du feu dans la zone.

    Les risques d’une guerre de religion au Moyen-Orient

    Cette stratégie repose toutefois sur un certain nombre de paris qui ne manquent pas d’inquiéter.

    Premier pari : une victoire sunnite se traduirait automatiquement par une subordination accrue de l’Occident aux pays du Golfe. La question salafiste, dont l’origine est saoudienne, constitue pourtant un sujet majeur dans la maîtrise du risque terroriste en Europe notamment. La réalité montre que les sunnites peinent à exister militairement : il faudra donc les soutenir et nourrir le serpent qui un jour nous mordra.

    Deuxième pari : rien n’exclut une dangereuse escalade régionale au Moyen-Orient, qui amènerait tôt ou tard un affrontement plus ou moins direct entre la Russie et les États-Unis. La tension entre l’Arabie Saoudite et l’Iran peut donc rapidement se révéler extrêmement périlleuse pour les équilibres mondiaux. Elle intervient dans un contexte de réarmement russe massif, où il ne se passe pas un jour sans que Poutine roule des mécaniques et sans que l’armée russe n’étale la modernisation de son matériel.

    Quelle stratégie pour l’Europe ?

    L’Europe n’a probablement pas grand-chose à gagner dans cette affaire. Affronter l’Iran, la Syrie, la Russie, ne s’impose pas comme la démonstration immédiate d’une mise en exergue de ses intérêts vitaux. Pire : le choix d’une alliance avec l’Arabie Saoudite se révèle pour l’instant un choix perdant, puisque les Saoudiens sont incapables d’aligner des forces correctes sur le terrain et que, de toutes parts, leur paquebot prend l’eau.

    Rappelons au passage que la France a entamé des pourparlers militaires avec les Russes pour coordonner ses opérations contre l’État Islamique.

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  • Palestine:Violences aux checkpoints : le sang de l'occupation

     

     

    Vijay Prashad, 5 janvier 2016

    La jeunesse palestinienne en particulier est fatiguée des promesses rompues et elle ne voit pas la moindre lumière au bout du tunnel ». Ban Ki-moon tient "l’entreprise coloniale" » pour responsable de la tension dans la région.


    La violence quotidienne au passage de Qalandiya, près de Ramallah -

    Le 17 décembre dernier, Nasir roulait de Naplouse vers Ramallah. Il pleuvait légèrement comme il approchait du checkpoint militaire de Huwwara. Devant lui roulait une autre voiture, à vitesse prudente. A 50 mètres devant cette voiture se trouvait un véhicule militaire israélien. La prudence est à l’ordre du jour à proximité de l’armée israélienne. Pas question de provoquer sa colère. Nasir a laissé une certaine distance entre les voitures. Celles-ci roulaient lentement.

    Le long de la route, dans l’herbe du bas-côté, un jeune garçon marchait dans la même direction que les voitures. Nasir remarqua que le garçon semblait marcher dans l’herbe pour éviter les flaques sur le trottoir. Le véhicule militaire a freiné. Les soldats avaient dû lancer un ordre. Le garçon a levé les mains en l’air. Nasir n’a pas entendu l’ordre mais il a vu le garçon obéir. La voiture devant lui a commencé à dépasser le véhicule militaire. Nasir a suivi. Il a vu le garçon les mains levées. La minute d’après, Nasir a vu dans son rétroviseur que le garçon était au sol. Tout cela s’est passé en une fraction de seconde. Le garçon était debout, les mains en l’air, et la minute suivante il gisait au sol, mort .

    Nasir a arrêté sa voiture, à l’instar du conducteur qui le précédait. Les deux hommes ont échangé leurs informations. Tous deux venaient d’assister à une exécution. Il n’ont pas eu l’occasion d’approcher les soldats israéliens, qui avaient déjà bouclé le périmètre.

    Peu de temps après, les médias officiels israéliens annonçaient que leurs soldats avaient tué Abdullah Hussein Nasasra, 15 ans, du village de Beit Furik. L’armée israélienne a dit que le garçon avait « chargé les forces armé d’un couteau ».

    Nasir dit ne pas avoir vu de couteau. Pas plus qu’il n’a vu Nasasra charger les soldats. Ils avaient leurs fusil pointés sur lui. Pourquoi aurait-il voulu les attaquer avec un couteau ?

    Au cours des dernières semaines, les soldats israéliens et les forces de sécurité ont fait usage de la force létale contre un certain nombre d’enfants, qu’ils ont accusés d’attaques au couteau. Les dirigeants politiques israéliens ont donné carte blanche à leurs soldats pour tuer toute personne en qui ils voyaient une menace. Le Ministre de la Sécurité intérieure, Gilad Arden, a dit : « Tout terroriste devrait savoir qu’il ne survivra pas à l’attaque qu’il est sur le point de commettre ». Yair Lapid, ancien ministre des Finances dans le gouvernement israélien, en a rajouté : « Vous devez tuer quiconque sort un couteau ou un tournevis ». Puisque l’armée israélienne est à la fois juge, bourreau et enquêtrice pour ces incidents, elle n’a plus à assumer la moindre responsabilité.

    Quand Kamal Badran Qabalan a conduit son ambulance sur les lieux, les Israéliens l’ont empêché d’avoir accès au corps. Il n’y aura pas d’enquête indépendante sur cette mort. La nauséabonde propagande israélienne – terroriste, couteau – a déjà couvert les faits. Nasir dit qu’il est prêt à témoigner contre les soldats israéliens. Mais comment faire ? Il n’y aura pas de procès. L’affaire sera close en douce. Nasir est un homme distingué. Son regard est bon et honnête. Sa voix est pleine de défi quand il me raconte l’histoire - « Je les ai vus tuer un garçon » me dit-il. Mais que peut faire Nasir ? Son langage non verbal traduit bien l’occupation. Il exprime l’inanité de la provocation.

    Aucune lumière au bout du tunnel

    La veille du jour où les soldats israéliens ont tué Nasasra, Samah Abdul-Mo’men (18 ans) roulait avec son père vers le même checkpoint. Les soldats israéliens ont ouvert le feu tout près de leur voiture, la blessant grièvement – elle est morte à l’hôpital le même jour. Pourquoi des soldats israéliens ont-ils ouvert le feu contre des voitures de civils ?


    L’humiliation brutale, subie dès l’enfance par les Palestiniens, au poste de contrôle de Qalandiya (arabagenda.blogspot)

    Ils prétendent avoir été attaqués par Alaa’ Khalil al-Hashshash (16 ans), du camp de réfugiés de Balata à Naplouse. Il aurait tenté de poignarder des soldats israéliens, qui ont répliqué. Al-Hashshash a-t-il réellement commis « une attaque au couteau » ? Si oui, pourquoi les soldats israéliens ont-ils tiré sur toutes le voitures à proximité, tuant Abdul-Mo’men ? Les Israéliens ne répondront sérieusement à aucune de ces questions. Elles sont perçues comme perturbantes.

    Le soir du vendredi 18 décembre, la route entre Ramallah et Jérusalem – 10 km seulement – est encombrée. Le checkpoint de Qalandia est virtuellement fermé. Nous décidons d’aller y faire un tour – 40 k de détour autour du « mur de séparation » illégal.

    Plus tard nous apprenons que deux jeunes gens ont tenté de foncer avec leurs voitures dans des véhicules militaires. C’est ce qu’on appelle des « attentats à la voiture-bélier »Les hommes ont inutilement conduit leur voitures vers le checkpoints lourdement armés. Les soldats israéliens ont aisément abattu Muhammed Abd al-Rahman Ayyad (21 ans). L’autre, un homme de 30 ans, est sorti de sa voiture en trébuchant et a été abattu par les militaires. Aucun ne posait une menace réelle pour le checkpoint. Leurs corps, plombés par la frustration – ne pouvaient rivaliser contre l’armée israélienne.

    Pourquoi ces hommes ont-ils tenté de foncer dans les checkpoints et pourquoi des enfants se servent-ils de couteaux pour attaquer les colons ? Plus précisément, pourquoi, alors que leurs attaques sont un échec et qu’il perdent la vie dans l’opération ? Les Israéliens ont tué plus de 130 Palestiniens depuis octobre. La plupart des tués étaient des mineurs.

    Certains de ces enfants ont effectivement attaqué des colons dans leur rues. Mais pas tous. Nasasra n’avait pas de couteau à la main, pas plus que Abdul-Mo’men. D’autres, si. Pourquoi ces quelques autres ont-ils attaqué des colons israéliens au couteau ?

    L’UNICEF note que c’est « l’existence et l’expansion des colonies israéliennes, y compris à Jérusalem Est, illégales en droit international, [qui] sont le moteur premier de menaces protectrices à l’encontre d’enfants ». Les enfants palestiniens sont exposés à la violence très tôt dans leur vie, ils y sont contraints par la perte de leurs terres et de leurs cultures familiales.

    Des existences vécues encagées par l’occupation produisent – c’est le Secrétaire général de l’ONU Ben Ki-moon qui le dit - « peur, humiliation, frustration et méfiance, alimentées par les blessures de décennies de conflit sanglant, et qui mettront beaucoup de temps à guérir. La jeunesse palestinienne en particulier est fatiguée des promesses rompues et elle ne voit pas la moindre lumière au bout du tunnel ». Le Sécrétaire général tient « l’entreprise coloniale » pour responsable de la tension dans la région.

    La frustration est l’ordre du jour. Je rencontre des jeunes gens d’un camp près de Ramallah. Ils ne voient aucune issue à leur colère. Chaque jour ils voient leur famille et leurs amis humiliés par l’occupant. Cette situation les accule au désespoir - « nous devons faire quelque chose », dit un jeune homme. Son regard est las. Il a l’air plus âgé qu’un adolescent. Il a perdu ses amis par la violence israélienne. « Nous marchions vers Qalandiya l’an dernier, dit-il. Ils nous ont tiré dessus. Mon ami est mort ». La violence coloniale est un poids sur son esprit. Autour de lui de jeunes enfants sont éliminés par les soldats israéliens. Son corps est contracté par l’anxiété et la peur.