Calais est notre frontière mexicaine
Philippe Lioret : « Calais est notre frontière mexicaine »
Rencontre avec le réalisateur de « Welcome », récemment critiqué par le ministre de l’Immigration pour son film engagé.
Samedi, le ministre de l’Immigration Eric Besson a violemment attaqué le cinéaste Philippe Lioret, reprochant au réalisateur de « Welcome » (en salles mercredi) d’assimiler dans ses interviews la situation des clandestins à Calais à celle des juifs sous l’occupation. Et si c’était le film que Besson redoutait ? Et si les politiques s’inquiétaient de la puissance polémique du cinéma ? Rencontre avec un cinéaste engagé.
Bonne nouvelle : le cinéma français se bouge. Après Costa Gavras (« Eden à l’ouest ») et en attendant le nouveau Emmanuel Finkiel (« Nulle part terre promise », sortie le 1er avril), un nouveau film sort sur les écrans mercredi et évoque avec une précision glaçante le sort des clandestins à Calais. Un brûlot underground et militant ? Pas vraiment…
Interprété par Vincent Lindon (dans l’un de ses meilleurs rôles), réalisé par Philippe Lioret, metteur en scène populaire (« Mademoiselle », « Je vais bien ne t’en fais pas »), « Welcome » raconte avec un scrupuleux réalisme quelques aspects du beau pays de France et espère toucher le plus grand nombre.
Olivier de Bruyn : Comment est né « Welcome » ?
Philippe Lioret : De ma complicité avec l’écrivain Olivier Adam avec lequel j’ai beaucoup travaillé par le passé. Olivier avait animé des ateliers d’écriture à Calais et il avait un projet de film avec Jean-Pierre Améris sur la situation des clandestins, d’après son livre « A l’abri de rien ». Ce projet n’arrivait pas à se monter financièrement et j’ai envisagé d’en racheter les droits. Mais finalement, ils ont réussi à le tourner, pour la télévision. N’empêche, le désir de filmer là-bas est resté et j’ai décidé de me lancer…
Comment avez-vous conçu le scénario ?
Avec Emmanuel Courcol, mon co-scénariste, on a commencé par se rendre sur place. On a rencontré les bénévoles des associations qui, avec un courage extraordinaire et les moyens du bord, tentent d’aider les clandestins. Ce qu’on a découvert était effrayant. Calais, c’est notre frontière mexicaine à nous. Ça nous a confirmé dans l’idée qu’il était impératif de tourner là-bas. Les dramaturgies, hélas, n’y manquent pas.
On se pose des questions morales, quand on tourne une fiction sur un tel sujet ?
Encore heureux ! Je n’étais pas à l’aise au début. Un film reste une entreprise commerciale. Il s’agit quand même de faire du pognon et évidemment, avec un tel sujet, ça pose des problèmes. Je me suis ouvert de mes doutes aux gens des associations. Ils m’ont tous dit la même chose : « N’aie pas de scrupules. Parle de ce qui se passe ici. Montre aux gens que la réalité n’a rien à voir avec les petits sujets expédiés au journal de 20 heures. » Ça m’a détendu.
Comment est venue l’idée de ce jeune clandestin qui décide de traverser la Manche à la nage ?
Des témoignages recueillis sur place. En désespoir de cause, des clandestins utilisent parfois ce moyen pour passer. Avec le courant, certains se retrouvent en Belgique. D’autres ne sont jamais retrouvés.
Comment avez-vous lié réalité et fiction ?
On a bossé comme des dingues sur le scénario, pendant plus d’un an. Quand on écrit un tel script, on est particulièrement motivé. Il ne s’agit pas de militantisme, mais d’engagement. Sur tout ce qui concerne les migrants, il fallait rester scrupuleusement fidèle à la réalité. Et faire la chasse au pathos, au pleurnichage, à la complaisance… Ensuite est venue l’idée de ce personnage : un prof de natation en pleine panade personnelle. Ça nous permettait d’évoquer cet aspect de la loi particulièrement révoltant et qui menace quiconque aide les clandestins de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende.
Comment Vincent Lindon est-il arrivé sur le projet ?
Ça faisait longtemps qu’on se tournait autour. Je l’ai vu, je lui ai raconté le projet. Il m’a dit oui tout de suite et a ajouté qu’il n’avait même pas besoin de lire le scénario. Je ne vais pas sortir le pistolet à miel, mais son investissement a été total.
« Welcome » a-t-il été facile à produire ? Comment avez-vous convaincu les décideurs ?
C’est un film cher. Avec onze semaines de tournage, des scènes compliquées… Mais je bénéficie de mes succès antérieurs. « Mademoiselle » et « Je vais bien ne t’en fais pas » ont très bien marché. Les gens des chaînes de télévision se disent « il a le truc, laissons faire… ». J’en profite. Et tant que les spectateurs suivent… Evidemment, ce serait plus simple de tourner des comédies inoffensives. Mais j’en ai marre des films inoffensifs.
Comment avez-vous recruté vos acteurs ?
Partout en Europe. Il y a des non professionnels, mais évidemment pas de clandestins. Il ne s’agissait pas de les mettre en danger. Le jeune acteur principal, Firat Ayverdi, est un lycéen. Je me suis aperçu qu’il était très bon nageur et pratiquait même le water-polo. Pour les besoins du film, il a dû désapprendre à nager pour mieux mimer l’initiation.
Quelles sont les premières réactions aux projections que vous avez organisées sur place ?
En un sens la plus belle récompense, je l’ai déjà reçue. Le film a été montré dans la région de Calais. Les salles étaient pleines et les gens des associations étaient là. Je n’en menais pas large. Mais ils ont dit que « Welcome » dépeignait fidèlement l’effrayante réalité et qu’il était bon qu’un film grand public s’attaque à ce sujet. Un film sur Louis XVI, personne ne vient vous faire chier sur la crédibilité. Là, évidemment, c’est autre chose. Ça se passe ici et maintenant. Et savoir que vous risquez gros en aidant un clandestin rappelle des périodes sinistres de notre histoire.
Vous pensez que le film peut faire bouger les choses ?
Le film n’est pas un objet militant. Je ne prétends pas bouleverser les rapports nord-sud avec mes petits bras et ma petite caméra. « Welcome » met simplement en accusation un système. Je supporte très mal l’idée que l’on puisse me faire chier si j’emmène un mec qui n’a pas de papiers bouffer une pizza ou dormir chez moi.
Evidemment, j’entends déjà les reproches. Je vous parle de tout ça dans le salon cossu d’un grand hôtel parisien. Bon, oui, d’accord, soit. Et alors, je ne fais rien ? Je ne pense pas comme ça. Je suis cinéaste. Je pense que le film peut servir à quelque chose. Par exemple à ce que des spectateurs prennent conscience de ce qui se passe à Calais et ailleurs. C’est un premier pas, mais il est fondamental.
► Welcome - de Philippe Lioret - avec Vincent Lindon, Firat Ayverdi… - Sortie le 11 mars.
Photos : Fiarat Ayerdi, dans ’Welcome’ de Philippe Lioret (DR). L’acteur Vincent Lindon et le réalisateur Philippe Lioret sur le tournage de ’Welcome’ (DR).