Appelez une chatte une chatte
Mariage pour tous : comme Despentes, appelez une chatte une chatte
Comment, en trois mots, ruiner une réforme symbolique ? Hollande l’a fait. Vite fait bien fait. Trois mots. Chapeau l’artiste. « La loi s’applique pour tous dans le respect, néanmoins, de la liberté de conscience », a-t-il déclaré devant une assemblée de maires de France. Concéder aux maires la « liberté de conscience » face aux mariages homosexuels, c’est exactement vider la réforme de tout contenu.
Les couples homosexuels se moquent bien de se marier, ou de ne pas se marier. Ils veulent avoir le droit de le faire. Ou de ne pas le faire si ça leur chante. Comme les hétéros. Par dessus tout, voilà ce qu’ils veulent : avoir les mêmes droits que les hétéros.
Une revendication d’égalité
De ce que j’en comprends, c’est avant tout une revendication d’égalité. Le législateur peut accéder, ou ne pas accéder à cette revendication. Ça se discute. J’ai cru entendre qu’on en discutait en ce moment. Mais si on accède, on accède. On n’accède pas à moitié.
Donc, donner « la liberté de conscience » aux maires, c’est octroyer aux homos un droit au rabais. Demain, pour respecter la « liberté de conscience » d’un maire raciste, lui donnera-t-on le droit de ne pas marier un Blanc et une Noire ? demande-t-on ici et là. Chapeau l’artiste.
Eeeh, attention, ce n’est pas la même chose, dira-t-on. Le racisme est un délit. Oui. Certes. Mais l’homophobie aussi. Eeeh, n’allez pas trop vite, insistera-t-on. Si un maire refuse, s’il invoque sa liberté de conscience, ce n’est pas forcément par homophobie. Il peut estimer que « l’humanité est structurée sur le rapport hommes-femmes ». De qui, cette analyse de la structuration de l’humanité ?D’un ancien Premier ministre, démocrate irréprochable, nommé Lionel Jospin.
Bon. Je me garderai bien de répondre à cet argument de Jospin. Je ne saurais mieux répondre que Virginie Despentes, dans un texte magnifique, où se retrouve le souffle de l’auteure de « King Kong Théorie » (le moment de la revoir sur notre plateau, peut-être ?).
Pourquoi ce texte de Despentes est-il magnifiquement transgressif ? Pourquoi tranche-t-il avec toute la prose molle qui encombre les colonnes et les ondes ? Parce que Despentes ose ce que n’ose quasiment aucun intervenant public : elle écrit à la première personne. « Depuis que je ne suce plus de bites... » : elle dit je. Elle appelle une chatte une chatte.
Son propre rapport au sexe
Suceurs, suceuses, baiseurs, baisés, baisées, enculeurs, enculés, enculées : voilà ce que sont, aussi, d’abord, tous ceux qui produisent des discours publics sur le sujet. Qui que l’on soit, élu, ecclésiastique, ethnologue, journaliste, évoquer ce sujet, c’est parler de son rapport à sa propre sexualité. C’est se retrouver à poil, seul avec son sexe, et ce que l’on brûle d’en faire, et ce que l’on tremble d’en faire. Et parfois ce que l’on tremble d’en faire, en brûlant de le faire, dans ce lieu innommable où les lois se dissolvent.
Vous pensez que vous parlez en général ? Mais non. Vous ne parlez que de vous. Et de vos enfants. Ou des enfants que vous fûtes. Et de ce que vous avez peut-être brûlé, ou tremblé, ou les deux, que l’on fasse à ces enfants.
Tous ces députés, tous ces rabbins, tous ces imams, tous ces évêques, s’ils parlaient de leurs propres envies, de leurs propres terreurs, ne gagnerait-on pas du temps ? Allez Jospin, Hollande, Copé, les rabbins, les imams, les évêques, parlez-nous donc des tentations troubles de vos adolescences, bien avant que les hasards de la vie vous placent en chaire, ou sous le buste de Marianne. Remontez dans le temps, qu’on sache où on en est.
Bon, je m’arrête. Je ne serai jamais aussi bon que Virginie Despentes.