L’Algérie vers la prohibition de fait de l’alcool
L’Algérie vers la prohibition de fait de l’alcool : entre tabou et hypocrisie
Aucune loi n’interdit de boire d’alcool en Algérie, ni de le commercialiser, ni de le produire ! Mais qu’en est-il sur le terrain ?
« Plus aucun bar n’existe à Constantine. Ni à Chlef, Tlemcen, Batna ou Boumerdès. A Sétif, il n’en reste plus que deux. A Alger, autrefois réputée pour ses nombreux bistrots, une quinzaine seulement subsistent. Le 23 janvier, deux des plus vieux estaminets bien connus dans la capitale algérienne, la Butte et la Toison d’or, ont baissé leur rideau », relèvait cette année le quotidien suisse Le Temps.
Les uns après les autres, les bars ferment en cédant la place aux débits de boissons informels qui commercialisent leur marchandise sans aucun respect pour les passants, ni pour la nature, en jetant les cannettes et bouteilles de verre dans les espaces publics.
Cette situation contredit la volonté du ministère du Commerce, qui a émis une « note » en 2006 pour imposer aux débits de boissons de se mettre en conformité avec les règles de sécurité et de renouveler chaque année leur inscription sur le registre de commerce.
Six ans après, que se passe‑t‑il ? Nombreux sont les propriétaires de bars qui ont perdu leur agrément, sans espoir de le récupérer. Beaucoup, parmi eux, ont préféré se convertir dans le fast‑food.
De plus, des pétitions populaires de résidents protestant contre les nuisances que généreraient les bars ont été lancées, appuyées par la médiatisation de certains titres de presses connus pour leur ligne éditoriale.
Cependant, la violence et l’insécurité s’est multipliée et elle s’est étendue à d’autres espaces, jusque‑là épargnés.
L’Algérie glisse-elle vers la prohibition ? En moyenne, selon l’Association des producteurs algériens de boissons (Apab), les Algériens consomment 1,1 million d’hectolitres de bière par an, 500 000 hectolitres de vin, et 80 000 à 100 000 hectolitres de spiritueux.
Production en hausse
Ils ont produit 400 000 hectolitres de vin en 2007, et en 2012, selon Euromonitor International. La production de vin en Algérie a connu une augmentation de l’ordre de 3% en 2011.
L’Algérie était le premier exportateur au monde et le quatrième plus gros producteur de vin il y a 50 ans, avec un volume de 18 millions d’hectolitres. Cette production apportait, et apporte encore, des sommes considérables en devises versées dans les caisses de l’Etat, après l’or noir.
Malgré la fermeture des bars, la production de vin n’a pas été affectée ; au contraire : selon le leader mondial dans la recherche stratégie pour les marchés de consommation, celle‑ci a même progressé.
Comment expliquer cette antinomie ? Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène :
- d’une part, le problème est idéologique au niveau individuel (la morale religieuse) ;
- et d’autre part le changement générationnel, qui est en forte corrélation avec le premier facteur, mais également en lien avec le savoir‑faire dans le domaine.
Boire pour oublier les malaises
Cependant, l’idée répandue dans notre société est que boire de l’alcool sert à oublier quelques instants ses problèmes et que ce n’est pas une question gastronomique.
Ainsi, l’augmentation de la consommation est plus liée aux évolutions et aux malaises multidimensionnels (culturel, social, économique, etc.) qui secouent la société algérienne. Autrement dit, l’alcool est devenu une issue pour alléger les souffrances et les frustrations quotidiennes.
L’alcool et le cannabis sont devenus des consommations qui traduisent le mal‑être de l’Algérien. Des études sociologiques pourraient nous éclairer sur ce phénomène.
Pour répondre à la question de savoir si l’Algérie glisse vers la prohibition, la réponse est oui et non.
Car sur le plan législatif, rien ne l’interdit, mais sur le plan social, sociétal, effectivement, avec l’arrivée d’une nouvelle génération qui n’a vécu la différence ni dans l’espace privé, ni dans l’espace public, s’amorcent des comportements hypocrites, c’est‑à‑dire, d’un côté une consommation d’alcool clandestine, – comme la question de la prostitution – et la consommation du cannabis ! , pour alléger le mal‑être, et de l’autre côté, une moralisation religieuse pour satisfaire sa culpabilité de « pécheur ».
Morale religieuse et valeurs républicaines
Effectivement, quand on écoute le wali d’Alger, lors d’une conférence en octobre dernier au cours de laquelle il expliquait qu’il n’existe aucune politique du gouvernement ni des autorités locales visant à éradiquer le commerce des boissons alcoolisées et des spiritueux, on ne relève rien de bien extraordinaire.
Jusqu’à ce qu’il ajoute (cité par Le Soir d’Algérie le 28 octobre 2012) :
« Seul Dieu, qu’il me pardonne d’ailleurs, sait le nombre de licences que j’ai délivrées personnellement pour l’ouverture de nouveaux restaurants commercialisant des boissons alcoolisées. »
Un autre exemple, rapporté par un chroniqueur judiciaire dans le journal L’Expression, concerne une juge algéroise qui, s’adressant à deux jeunes surpris en état d’ébriété la veille de l’Aïd El Kebir à El Biar, a tenu ces propos :
« Ecoutez, en qualité de juge chargée d’appliquer la loi, je peux passer à la répression et vous infliger une lourde peine d’emprisonnement ferme qui s’achèvera bien un jour.
Par contre, ce qui vous attend, c’est la punition qu’Allah vous réserve. D’ailleurs Il n’a pas attendu : vous étiez ivres le jour d’Arafat, soit la veille du 10 Dou El Hidja, les dix jours sacrés où l’interdit et le péché ne doivent pas avoir de place.
Vous avez manqué la prière de l’Aïd, la cérémonie du sacrifice des moutons que vous gardiez quelques heures auparavant et vous n’avez reçu aucun vœu de vos parents ni présenté les vôtres à vos proches, sans compter que vous avez passé la fête aux “Quatre Ha” d’El Harrach ».
Ces deux exemples montrent l’évolution de la moralisation religieuse dans notre société.
La morale religieuse n’est plus astreinte au niveau individuel et cultuel dans la société algérienne, elle est devenue l’essence de la gestion de la cité et des rapports sociaux, cela explique le recul des partis politiques de tendance religieuse dans les deux dernières élections.
Car leur projet de société n’est plus exclusivement à eux, il s’est désormais popularisé. Autrement dit, le projet d’une société religieuse s’est étendu aux partis populaires et nationalistes. La religion s’est politisée, ainsi, elle est omniprésente dans l’espace politique. La sécularisation des institutions de la République reste lettre morte.
L’alcool et la violence
« Le nombre de crimes ne cesse d’augmenter, les bagarres sont de plus en plus nombreuses entre consommateurs d’alcool et habitants honnêtes des quartiers […] En hausse, le nombre des personnes atteintes de diabète trouve son origine dans la prolifération des magasins de vente de vins et liqueurs », écrivent [deux anciens dirigeants du Front islamique du salut, ndlr] Abdelfatah Zeraoui Hamadache et El Hachemi Sahnouni, dans un communiqué commun rendu public mardi 4 octobre 2011.
Réduire le phénomène de la violence en Algérie à la consommation d’alcool me semble être une réflexion simplifiée et simpliste, elle ne prend guère en compte l’ensemble des facteurs qui engendrent la violence, dont la décennie noire !
Ainsi, les causes de la violence en Algérie sont multiples du politique à l’historique, en passant par le dogmatique et l’évolution sociale ! La violence n’est pas une malédiction divine, elle est le produit de l’homme !
Un petit rappel historique s’impose. Des années 60 jusqu’aux années 90, les boissons alcoolisées se vendaient dans les « souks el fellah » sans poser aucun problème aux Algériens. Les bars et leurs terrasses étaient ouvertement fréquentés, sans aucun débordement.
Comment explique‑t‑on la baisse du crime et de la violence à cette époque ? Y a‑t‑il quelque chose qui a changé ? Oui, le nombre de bars s’est réduit et les espaces de vente se sont centralisés dans certaines villes uniquement.
Cependant, contrairement à ce que les autorités prétendent, la violence a augmenté. La solution ne se trouve pas dans l’interdiction, ni dans la fermeture des bars, mais au contraire, à mon avis, dans la multiplication des points de vente pour mieux les maîtriser, sur tous les plans : écologique, sécuritaire, sanitaire et enfin, au niveau fiscal.
La voie répressive n’est pas la bonne
C’est bien d’être idéaliste, de penser que la politique répressive pourrait donner des résultats. Or, la répression peut augmenter la consommation, l’interdiction augmenter la clandestinité et redoubler le désir, comme dit Georges Bataille.
La voie répressive suivie jusqu’à maintenant dans plusieurs domaines (lois sur les harragas, sur les conversions, sur la consommation d’alcool, sur la sécurité routière, etc.) n’ont pas réussi à faire baisser les phénomènes interdits, au contraire, ils les ont aggravés, comme un sentiment d’injustice s’amplifie.
Réfléchir à associer l’université par des études sociologiques avant d’entamer un projet de loi, un décret ou une note, quand il s’agit d’un phénomène social me semble plus judicieux et plus porteur à long terme, car avancer d’un seul point de vue mène souvent à l’échec !